Ce que nous redoutions le plus c’était les dictées et leur « Cinq-fautes-est-égal-à-zéro ».
Nous en avions une chaque jour. J’entends encore la diction particulière des
maîtres et leur manière d’appuyer sur les consonnes doubles.
Outre les cours de grammaire, d’arithmétique, nous avions chaque semaine un cours de morale ou d’instruction religieuse fait par le maître ou parfois par un des prêtres de la
paroisse de Méan.
Le samedi après-midi était consacré au dessin et au plein-air. Nous jouions alors à une variante du jeu de drapeau. La classe était divisée en deux camps A et B chacun regroupé, sur le même côté, à un angle du terrain. Un drapeau était planté, au milieu, à
l’autre bout du terrain. Un joueur du camp A est désigné pour sortir et aller chercher
seul contre tous le drapeau et le ramener dans son camp. L’ensemble du camp B sort alors à sa poursuite. S’il est pris il reste sur place et peut être délivré en étant touché par le prochain joueur du camp A.
C’est un jeu de stratégie, tout se joue sur la surprise. Nous jouions même la comédie pour faire croire au camp adverse le départ imminent d’un élève et c’est un autre qui démarrait en trombe poursuivit par une meute braillarde.
Les récréations étaient très animées. Nous jouions aux billes (quine, le tour de France), la biche (biche, bichon, bichette), le sorcier, aux cartes (bataille, menteur, pissou), aux osselets. Les jeux de ballon étaient interdits.
Chaque année voyait fleurir une nouvelle mode chaque élève avait alors son yoyos, son scoubidou, son tricotin, son fil que l’on entrecroise avec les mains pour former des objets.
Une année les pêcheurs de Méan avaient ramené dans leurs filets des myriades d’hippocampes et une distribution avait été faite par leurs enfants.
Les compositions avaient lieu à la fin de chaque trimestre. Moment crucial pour nous car elles étaient déterminantes pour notre « mouille », notre moyenne de l’année et notre place dans la classe. Invariablement les trois premiers se tiraient la bourre poussés par leurs parents respectifs, les autres regardaient d’un peu loin ce duel.
De temps en temps Monsieur Pény faisait venir, avec une contribution pécuniaire des parents, un montreur de marionnettes ou de serpents, lézards et autres reptiles sous le préau.
La kermesse de fin d’année était un moment très fort. J’ai souvenir de chants et danses sur le podium. Les mamans étaient mises à contribution pour fabriquer des gâteaux, les
pères tenaient le bar et la cour était envahie par les stands de pêches à la ligne et de jeux.
J’ai le souvenir d’un travail assidu et bien suivi. C’était une très bonne école je l’ai vérifié par la suite par le nombre de cadres et d’ingénieurs qu’elle a fournis aux entreprises de la région nazairienne.
audio : Les pères blancs recrutent à l’école
Les Pères Blancs recrutent à l’école
Nous étions abreuvés d’images du travail des missionnaires en Afrique et j’ai encore en mémoire la couverture d’une revue où l’on voit un Père Blanc descendant l’échelle de coupée d’un navire pour aller à terre en pirogue. Il y avait aussi celles du bon docteur Schweitzer et son hôpital à Lambaréné et puis celles de Tintin au Congo, le bon petit blanc, qui nous donnait une image de notre supériorité dans ces contrées…
Cet après-midi là, je restai scotché sur ma chaise. Installé au bureau du maître. Un père missionnaire était venu nous parler de sa mission en Afrique, je buvais ses paroles. Il était impressionnant dans sa robe blanche, un visage plein de bonté avec des yeux bleus rieurs. Sa voix était envoutante toute la classe était sous le charme. Il passait de temps en temps sa main dans une longue barbe blanche ou dans ses cheveux rares tirés en arrière. Ah ses mains ! elles parcouraient l’espace avec grâce et semblaient nous entrouvrir un monde d’aventure.
Nous y sommes, en Afrique, par la pensée : les cases, le long chemin pour aller prêcher la bonne parole, les difficultés de conversion, les pratiques païennes qu’il faut éradiquer, la construction d’un dispensaire dans la mission, les maladies tropicales, les soins infirmiers.
Je me voyais remonter le Congo à l’arrière d’une pirogue vêtu de ma robe blanche et de mon casque colonial, mon fusil à porter de la main pour parer à quelques attaques de crocodiles. Les noirs pagayaient en cadence en chantant « U-élé-u-élé-u-élé ma-li-ba makasi »
Ah ! qu’elle belle et intéressante vie.
A la fin de l’exposé il nous fallut répondre à un questionnaire où on nous demandait bien sûr « Voulez-vous rejoindre les Pères Blancs dans leur mission ? » Je répondais OUI sans hésiter. Mon copain Gérard J. fit de même.
Quelques jours plus tard, Gérard et moi fûmes convoqués l’un après l’autre dans un petit bureau dans la maison du Directeur. En face de moi le même Père Blanc m’invita à m’asseoir :
« Ainsi tu souhaites rejoindre les missions.
– Ben heu…
– Laisse-moi t’expliquer… »
Il me décrivit tous les avantages que je pouvais en tirer, entre autres que l’ensemble de ma scolarité serait prise en charge par la congrégation que je suivrais toute mes études à Lyon. C’était pour un fils de famille modeste une grande chance.
Il réitéra sa question
« Veux-tu venir avec nous »
C’est difficile pour un enfant de dix ou onze ans de répondre non à une personne qui a un ascendant sur vous, surtout à un religieux.
En la baissant, je fis non de la tête.
Gérard fit de même.
Ainsi prirent fin mes aventures africaines nous verrons plus tard que j’y suis allé en Afrique, sur une pirogue, mais c’est une autre histoire.
En écrivant ce récit je me demande ce qu’aurait été ma vie si j’avais accepté…
Uélé uélé u élé maliba makasi (Le courant est très fort)
Olélé, olélé maliba makasi (Olélé ! olélé ! le courant est très fort)
Luka,Luka (Ramez ! Ramez !)
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