J’ai un vague souvenir des grandes grèves de 1955, conflit mythique dans les Chantiers Navals où les métallos, après huit mois de conflits avec des affrontements violents, obtinrent 22% d’augmentation. J’ai dû ressentir fortement les inquiétudes de mes parents, surtout de ma mère, puisque j’en garde encore des images. Devant la gravité de la situation, peut-être pensaient-ils à un soulèvement général, ils avaient fait provision d’huile, de café, de savon de Marseille en vue d’un possible rationnement. Ils avaient tiré des leçons de la guerre et prenaient les devants. Je les vois encore placer ce trésor dans une armoire en bois peint avec interdiction formelle de révéler son existence.
Un peu plus tard, je fis mon entrée à l’école Saint-Joseph de Saint-Nazaire, tenue par les frères de la Mennais. J’ai dû faire une année complète car je me souviens d‘une kermesse, qui dans toutes les écoles avait lieu en fin d’année, où je dansais sur un podium vêtu d’un pyjama blanc sur lequel mes parents avaient collé des étoiles de toutes les couleurs. Un garçon était habillé avec un splendide costume d’arlequin qui détonait avec l’ensemble. Soucis des parents de valoriser la classe sociale de leur rejeton ? Probablement.
La maternelle se situait dans le fond de la cour dans un préfabriqué. Notre institutrice s’appelait Mademoiselle Marie-Thérèse une jeune et jolie blonde dont je devins immédiatement éperdument amoureux.
Le combat de catch.
Mes parents sortaient rarement mais mon père avait réussi à décider ma mère à assister à une rencontre de catch à Saint-Nazaire bien qu’elle n’aimait pas la violence.
Reportons nous à ce soir mémorable : Il y a sur le ring, comme dans tous bons combats, le Bon et le Méchant.
Depuis le début le Bon est dans une mauvaise posture, là, un genou à terre, il est presqu’anéanti. Mais voilà que l’arbitre, s’enquérant d’un problème auprès d’un officiel, tourne le dos au combat… Le Mauvais en profite pour lui faire une clé au cou et donne de violents coups de genoux dans le dos.
La foule debout hurle devant tant de malhonnêteté, mes parents font de même criant leur indignation. L’arbitre est-il aveugle ? Ne voit-il pas les mauvais coups portés en douce ? Les spectateurs sont outrés par une telle incompétence.
Maintenant le Mauvais s’exhibe, se pavane, sous les huées des spectateurs, les invitant à monter sur le ring et combattre avec lui.
Le Bon se relève difficilement et dans un regain d’énergie reprend le combat. L’atmosphère est surchauffée. Le commentateur hurle dans son micro.
Mais la justice revient toujours du bon côté, le Mauvais est maintenant face contre terre, immobilisé par une puissante clé. L’arbitre un genou à terre commence à compter…
Et c’est alors que mon père prend conscience que Gaby, sa Gaby est debout vociférant comme une furie: « Tue-le !, tue-le ! » ses voisins immédiats la regardent étonnés d’un tel langage dans la bouche d’une femme si charmante…
Ce que je sais c’est qu’il eut mille misères à la calmer et que jamais, plus jamais il l’emmenât à un combat de catch.