Notre logis se composait de 4 pièces : une cuisine, une salle de séjour et deux chambres. J’en partageai une avec mon frère.
La cuisine était petite et nous prenions nos repas dans la salle de séjour. Un grand évier avec un simple robinet d’eau froide servait aussi bien pour la vaisselle que le linge.
Pour conserver les aliments, l’été, nous disposions d’une glacière. Elle ressemblait à un petit frigidaire actuel mais sans système de refroidissement. Ma mère achetait un quart de pain de glace tous les jours au camion réfrigéré où à la Glacière sur le port de Saint-Nazaire et le ramenait enveloppé dans un sac de jute sur sa bicyclette.
Il n’y avait pas de salle de bain. Les jeunes enfants étaient douchés debout dans l’évier de la cuisine. Les plus vieux allaient aux bains douches situés sur la place du marché.
Dans la salle de séjour, outre la grande table ronde et les meubles Henri Deux, trônait la cuisinière. Elle était entièrement en fonte. La partie inférieure avec son parement recouvert d’émail blanc comportait un four, un foyer et son cendrier avec sa porte et son système d’aération, un réservoir, avec son robinet en bronze, qui nous assurait une réserve d’eau chaude permanente. La partie supérieure était pourvue d’une grande bouche circulaire que l’on pouvait ouvrir anneau par anneau avec un tisonnier et par laquelle on l’alimentait en bois ou charbon. Cette partie oxydable conservait un poli et un éclat métallique minutieusement entretenus par ma mère.
Périodiquement mon père réfectionnait le foyer avec de la terre réfractaire ramenée de la fonderie.
Elle était alimentée, la plupart du temps, avec du bois qu’il allait chercher dans le bassin de Penhoët. C’était des planches utilisées dans la confection des échafaudages lors du carénage des navires. Il les remontait sur le quai avec un lasso qu’il passait à l’une des extrémités pour les hisser sur le quai puis les chargeait sur sa remorque, sa « cariquelle », attelée à sa bicyclette. La peinture et le mazout qui les souillaient engendraient lors de leur combustion des effluves assez désagréables dans la maison.
Il était courant qu’un feu se déclarât dans le tuyau d’évacuation des fumées relié à la cheminée. Celui-ci rougissait brusquement. Ma mère alors, calmement, appliquait sur toute sa surface des sacs de jute saturés d’eau pour le refroidir.
Le marchand de charbon, M.Ménard, passait régulièrement dans notre rue avec son attelage. Debout sur celui-ci, les jambes légèrement écartées, il tenait les rênes en sifflant tout le temps. Son cheval, portant des œillères et attelé à une remorque à pneus, allait d’un pas lent et régulier. De grands sacs noirs pleins de boulets attendaient d’être déchargés à dos d’homme dans les caves et caveaux.
Un voleur dans la cour
C’était un rituel, chaque soir mon père donnait à manger aux lapins, fermait les caveaux dans la cour et les volets coulissants du bungalow.
Ce soir là il faisait nuit noire et il s’attachait à fermer le dernier volet, celui de notre chambre, lorsqu’il sentit un objet dur sur sa colonne vertébrale et une voix lui intima :
« Haut les mains »
Lentement mon père s’exécuta puis, sans attendre, d’un mouvement de rotation rapide il envoya sa main droite sur le côté du visage de son agresseur. Ce dernier poussa un cri et s’affaissa sur le sol.
Il fit coulisser le volet pour redonner de la lumière et découvrit, ahuri, mon frère Marcel étendu sur le sol avec un fin filet de sang coulant d’une de ses narines.
Rapidement il le releva et l’emmena à l’intérieur de la maison. Ma mère en voyant mon frère dans cet état s’écria :
« Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi l’as-tu frappé ? »
« J’ai cru que c’était un voleur » dit-il puis de raconter et enfin de lui demander:
« Mais pourquoi as-tu fait ça ?
« Pour te faire une farce » dit-il en pleurant.