Les livres nous étaient fournis par l’école, néanmoins, il fallait les couvrir à chaque rentrée. Avant que nous puissions le faire nous même, cette tâche était dévolue à mon père et je crois qu’il en prenait grand plaisir.
Nous achetions les fournitures directement à l’école entre autres : un cahier de brouillon pour les exercices, un cahier de devoirs du jour, un cahier de compositions avec un protège-cahier de couleur bien distincte.
Nous écrivions à la plume Sergent Major. L’encre violette était très pâle. Nous supposions que M. Penny la coupait avec de l’eau pour réaliser quelques économies. Le crayon Bic est apparu en 1950 mais son utilisation dans notre école est plus tardive.
Le porte-plume en bois générait quelques problèmes pour certains élèves notamment André. Il le suçait en permanence en quête d’inspiration. Au bout de quelques temps il ressemblait à un palmier rabougri. Pour leur passer cette manie le maître introduisait le manche d’un porte-plume neuf dans une queue d’artichaut et le laissait mariner quelques temps. Cette opération était, en principe, très efficace car elle lui donnait un goût fort désagréable et les dissuadait rapidement de le mettre à la bouche. Pour André rien ni fit, il le rongea de plus belle.
Une journée normale, l’école démarrait à 8h30 jusqu’à midi, puis de 14 h à 16h30. Chaque demi-journée comportait une récréation. L’étude commençait à 17h jusqu’à 18h00. Les leçons étaient ainsi apprises, les devoirs faits. Cette pratique permettait un soutien scolaire à tous les élèves.
Pour le cours supérieur la journée commençait à 7h00 par un cours de connaissance générale suivit par les cours normaux et se terminait par le cours du soir de 1800 à 19h00 où l’algèbre, la géométrie, l’anglais étaient au programme. Le jeudi matin était consacré à la préparation aux concours des Chantiers, de l’Aviation et du Collège technique. Nous nous entrainions avec à des exercices de mémorisation ou apprenions le dessin technique.
Nous commencions le matin et l’après midi par une dizaine de chapelet avant le premier cours, un Notre Père, dix Je vous salue Marie et un Gloire au Père. Un élève récitait, les autres répondaient. Chacun comptant discrètement sur ses doigts dans le cas ou un Je vous salue Marie eût été de trop.
La guenon, le singe et la noix
Je me revois encore ânonner les tables de multiplication et d’addition dans la classe de Madame G. au cours préparatoire. Elle était très sévère et n’hésitait pas à employer la manière forte pour nous faire apprendre. Pour nous récompenser d’un bon travail nous avions droit à une image pieuse mais les coups de règles cinglaient nos doigts lorsque les choses marchaient moins bien.
Je me souviens de la récitation d’une fable de Florian La guenon, le singe et la noix * qui cinquante ans après me laisse encore un souvenir douloureux. Lorsque de temps en temps je feuillette un recueil de fables choisies, un de mes livres préférés, et qu’elle tombe sous mes yeux, je tourne la page rapidement…
Mes parents me l’avait fait réciter et c’est plutôt serein que je montai sur l’estrade auprès du bureau en face de l’institutrice.
Je commençai :
< La guenon, le singe et la noix. Une jeune guenon cueillit une noix dans sa coque…dans sa coque…>
< Verte !> continua madame G.
< Elle y porte la dent,… > s’ensuivit un silence
< Fait la grimace !> < Tu n’as pas appris ta leçon !> tonna-t-elle
<Si madame>
< Alors récite là ! Tend ta main ! >
Je tendis ma main et sa règle tomba d’un coup sec sur les doigts.
< Va à ta place et apprends ta leçon> me dit-elle.
Assis à ma place j’essayai du mieux que je pusse de mémoriser ces mots qui me semblaient maintenant danser la sarabande sur les pages de mon cahier.
Elle me rappela trois fois et trois fois la règle m’a meurtri mes doigts.
Puis vint la récréation et naturellement je restai apprendre ma récitation. Elle m’appela quatre fois et quatre fois la règle cingla mes doigts…
Je fus sauvé par le cours suivant. J’eus bien du mal pour écrire la dictée avec mes doigts endoloris…
*La guenon, le singe et la noix.
Une jeune guenon cueillit
une noix dans sa coque verte ;
elle y porte la dent, fait la grimace… ah ! Certe,
dit-elle, ma mere mentit
quand elle m’ assura que les noix étoient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
vîte entre deux cailloux la casse,
l’ épluche, la mange, et lui dit :
votre mere eut raison, ma mie :
les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,
sans un peu de travail on n’ a point de plaisir.
Jean-Pierre Claris de Florian.