La lettre au Général de Gaulle
Mes parents avaient un démêlé avec l’administration et ils avaient beaucoup de difficultés à se faire entendre. En désespoir de cause ma mère, selon l’adage « Il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints », écrivit au Général de Gaulle sans grand espoir de réponse.
Le temps passa, puis un matin le facteur passa directement le portillon du jardin frappa à la porte et dit à ma mère :
« Vous avez une lettre, Gaby, de la PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE. »
Intuitivement, peut être devant l’air très intéressé de notre facteur, elle dit sur un ton désinvolte et rieur.
« Tiens une lettre de mon cousin ! »
Elle prit la lettre le remercia et entra dans la maison.
Les choses auraient pu s’arrêter là si celui-ci n’eut pas été un grand bavard. Bientôt il avait essaimé la nouvelle dans toute la rue, dans tout le quartier.
Dans ces quartiers populaires tout est bon à commenter, amplifier, déformer, on entendait :
« Les Mahé seraient des cousins germains à de Gaulle.
– Mais non ! Ce n’est pas possible !
– Mais si ! Je t’assure que si ! C’est Emile le facteur qui me l’a dit.»
Cette question prenait de l‘importance et bientôt quelques voisines abordèrent ma mère et lui posèrent sans ambages la question :
« C’est vrai que de Gaulle est votre cousin ? »
Pendant quelques secondes elle resta interloquée.
« Qui vous a dit cela ? dit-elle ennuyée.
– La nouvelle coure un peu partout. »
Elle répondit avec force :
« Ben non, ce n’est pas mon cousin ! Mais vous savez j’aimerais bien ! J’aimerais bien que ce soit mon cousin! Parce que la vie serait plus facile. »
Elle leur tourna le dos et s’en alla.
Les voisines restèrent pantoises devant cette réaction soudaine.
Ce fut à la maison qu’elle fit le lien avec la fameuse lettre.
Le lendemain elle attendit le facteur :
« Alors Emile on raconte des « conneries » dans le quartier ?
– A quel propos ? » Dit-il innocemment.
Elle haussa le ton en martelant les syllabes :
« De la cou-si-ne à de Gaulle. »
Avec emphase il lui répondit :
« Vous savez, Gaby, dans l’administration nous avons un devoir de réserve et jamais je me permettrais… »
Devant l’air furibond de ma mère il enfourcha sa bicyclette et détala au plus vite…