Ce soir, nous avons le privilège d’assister à une fête patronale compagnonnique à Nantes, invités par la mère des compagnons de la maison de Saint-Nazaire.
La maison de Nantes, étape provinciale dans la formation des Compagnons, est située à l’angle du quai de Malakoff et de la rue de Lourmel, c’est une belle bâtisse avec sa haute flèche torse chef-d’œuvre de charpente et de couverture. La porte d’entrée est elle aussi un chef-d’œuvre de forge et de ferronnerie d’art.
Sous le porche deux jeunes portant couleur (ruban dont la couleur diffère selon les corps de métiers) et canne (symbole du voyage et de la droiture) nous reçoivent aimablement. Ils portent leur couleur de l’épaule droite au côté gauche sur laquelle sont gravées au fer les symboles des étapes de leur initiation. A sa couleur j’identifie le plus âgé comme métallier.
Les différents paliers menant aux étages attestent du savoir faire des compagnons du Tour de France. Là sont exposées des maquettes de réception ou chefs-d’œuvre pour l’accès au grade de compagnon : un escalier finement travaillé, un toit avec sa lucarne et sa flèche de cuivre, une chaudière en cuivre, un ibis, une fleur.
Nous entrons dans la salle à manger où déjà quelques personnes devisent. Les apprentis, aspirants et compagnons saluent notre amie par un :
« Bonjour notre mère » déférent. Elle aussi a ceint sa couleur à la taille et mis son bracelet aux emblèmes des corps de métiers.
La salle à manger est magnifique. Du plafond en caisson de bois verni pendent des candélabres en fer forgé finement ouvragés. Sur deux mur opposés, peintes en relief d’une manière stylisée, les sept vertus des compagnons : la fidélité, l’honnêteté, la fraternité, le courage, la générosité, la discipline et la patience.
Tout est organisé, ritualisé. Le rôleur, compagnon chargé de conduire la fête, a un rôle central, de sa canne, trois fois frappée sur le sol, il demande la parole, rappelle les usages, invite les convives à prendre l’apéritif, à se rendre dans la salle à manger etc.
Nous dinons avec la précédente mère de la maison de Nantes, elle est en retraite, et notre amie. Il nous a été demandé de ne pas se lever de table avant la fin du repas. Les jeunes enfants dans la salle restent tranquilles, eux aussi respectent les convenances.
Un jeune aspirant charpentier me parle de son métier, de son Tour de France, des difficultés rencontrées, du plaisir de travailler, du travail bien fait. J’écoute, j’écoute…
Pendant le repas, entre chaque plat, le rôleur interpelle l’assemblée:
« Pensez vous que la coterie ou le pays Untel est capable de nous chanter une chanson? «
L’assemblée répond : « Capable »
Alors le susnommé se lève et répond : « Capable, mais si je sais pas, je demanderai à la communauté ou aux anciens de m’aider. » Il indique alors la page dans le chansonnier que chacun possède car les compagnons mettent leur vie en chanson. Elles évoquent le Tour de France, les pères fondateurs, la mère, les villes de passage, leur métier…
Après que l’aspirant ou le compagnon a chanté le rôleur dit :
« Cette chanson est formidable. Elle fait honneur à celui qui l’a chantée. C’est l’aspirant ou le compagnon Untel. J’espère que vous l’applaudirez. »
Un ban ou un triple ban ponctue la prestation. Chacun se félicite si la synchronisation d’ensemble est parfaite.
Pour conclure la fête une soirée dansante est organisée mais à minuit les compagnons et aspirants forment la chaîne d’alliance, où portant leur couleur, ils forment une ronde se tenant les mains et croisant les bras, le droit par-dessus le gauche à la manière d’une chaîne. Au centre se tiennent la mère assise, le chanteur et le rôleur debout.
Devant l’assistance silencieuse, même les enfants ont stoppé leurs jeux, le chanteur entonne » Les fils de la Vierge ». A petits pas pendant le refrain, une ronde lente se met en marche symbolisant leur Tour de France. C’est un temps fort pour les compagnons. J’apprécie toute la dignité qui s’en dégage.
Les discussions que j’ai pu soutenir m’ont montré combien ils sont bien dans leur temps. Celui-ci travaillant dans le commerce international, celui-là avec les dernières avancées technologiques. Pendant très longtemps c’était un monde d’hommes mais depuis quelques années l’association est ouverte aux femmes.
Je me sens bien dans ce monde, j’aime ces valeurs de fraternité et de respect du travail…
Chez les Compagnons du Tour de France
Nous étions déjà venus en famille il y a une vingtaine d’années lors d’une porte ouverte de la maison des compagnons.
La mère faisait visiter la maison. Dans la salle à manger, elle nous présentait les différents symboles qui ornent cette magnifique salle et puis vint le moment où elle nous expliqua le fonctionnement de la maison.
« Lors du repas un compagnon ne peut pas quitter la table sans avoir demandé la permission à la mère » nous dit-elle puis elle ajouta « Il est vrai que cela ne se voit plus dans les familles de nos jours. »
L’ensemble des visiteurs acquiesçait et même une jeune femme crut bon de rajouter « C’est vrai. Remarquez, ce sont des pratiques d’un autre âge. »
Alors on entendit une petite voix d’enfant:
« Chez nous c’est comme ça ! Nous demandons toujours à maman avant de quitter la table. »
Il y eu un silence. C’était Agnès notre fille qui du haut de ses dix ans voulait souligner la pérennité de certaines pratiques.
La mère des compagnons s’adressa à elle « Vos parents ont bien raison jeune fille, c’est une manière de montrer votre respect au travail de votre maman. »
Bien qu’elles soient maintenant adultes et qu’elles ont quitté la maison, si pour quelque occasion nous sommes réunis, tous les quatre, pour un repas, elles demandent toujours à leur mère la permission de quitter la table…