Le voyage de Célestin (suite) – La soirée (1999)
Après avoir loué une voiture nous allâmes directement à l’hôtel. Nous prîmes nos clés à la réception et nous nous donnèrent rendez-vous dans le hall pour aller dîner en ville.
L’idée de passer une soirée dans le quartier du Vieux-Marché de Rouen me plaisait mais surtout dîner dans cet excellent restaurant que quelques connaisseurs m’avaient particulièrement recommandé.
Je pris possession de ma chambre. Seul, je réfléchissais à ce début de voyage. La simple perspective de la réunion du lendemain me faisait un peu peur. Célestin dans le laboratoire, cela sera probablement très drôle.
Avisant que j’avais oublié mon porte-document dans la voiture, je descendis le chercher. Au rez-de-chaussée, à peine la porte de l’ascenseur fut ouverte qu’une voix, que dis-je un beuglement bien connu emplit le hall de réception :
“Comment veux-tu que j’ouvre ma porte avec ton bout de plastique à la c..!
Je me précipitai au comptoir. En me voyant Célestin aboya :
— Je n’ai jamais pu ouvrir cette foutue porte, ils ne peuvent pas utiliser des clés comme tout le monde.
— Laissez je m’en occupe, dis-je au concierge.
Nous montâmes à sa chambre, je lui montrai le système d’ouverture.
“ Ah oui! C’est simple, mais faut connaître. J’ai glissé la carte dans la fente mais sûrement du mauvais côté.
— Allez installe toi et viens me rejoindre dans le hall. Nous allons dîner en ville, Il y a un excellent restaurant dans le vieux quartier.
— Ecoute, je n’ai pas l’habitude des restaurants; je ne suis pas à mon aise; je préfère manger dans une cafétéria, près d’une grande surface.
— Comme tu veux! Aucun problème, mais tu vas manquer quelque chose.
— Peut-être, mais je préfère.”
Nous avons tôt fait de repérer une brasserie dans une zone commerciale. On nous proposa une table au centre d’une salle un peu bruyante à mon goût.
“Je vais prendre un steak frites, dis-je au serveur.
— Pareil pour moi, répondit Célestin.
— Comment voulez-vous votre steak Monsieur?
—Tu peux me le faire au feu de bois?”
Célestin avait le verbe haut. Il y eu un silence autour de nous.
“Au feu de bois?” Demanda le garçon goguenard.
Pendant quelques secondes, je pense, il a cru qu’il plaisantait. Le visage inquisiteur de Célestin lui a fait rapidement changer d’idée.
“Ben écoute, p’tit gars, tu me demandes comment je le veux ! Faut savoir!”
Là, c’est la salle dans son ensemble qui fit silence.
“Au feu de bois…mais … pas possible bredouilla le garçon.”
A ce stade, il m’a semblé nécessaire d’intervenir :
“Il te demande comment tu veux ta viande: à point, saignante ou bien cuite.
Il prit un ton qui se voulait paternel :
“Ah c’est ça que tu voulais savoir, p’tit gars!, mais il fallait le dire tout de suite.”
Puis avec un geste de la main, grand seigneur :
“Bon ben alors saignante.”
Très vite, la salle se ranima. Nous étions le sujet des conversations, les gens se retournaient, les serveurs se parlaient à vois basse. Seul, Célestin montrait une indifférence, peut-être feinte, à ce qui se passait autour de nous.
La suite du repas fut plus calme. Nous n’avions guère, à l’atelier, la possibilité de parler longuement. C’est à cette occasion qu’il m’avoua qu’il ne sortait jamais pour ses loisirs. Son jardin, ses oies, la pêche, la chasse dans le marais, son métier au chantier naval emplissaient sa vie. Une vie simple mais riche d’enseignements, d’expériences.
(A suivre)