Les croyances (1960)
Ah les croyances ! chacun sait qu’elles polluent le plus cartésien des esprits et s’incrustent dans tous les milieux sociaux.
Durant mon enfance mes parents n’ont jamais eu recours à l’Ankou, au loup, aux sorcières ou au père fouettard pour nous faire peur et nous faire obéir, leur méthode d’éducation était… plus directe. On ne nous parlait pas non plus de fantômes, magiciens, fées et tutti quanti ; le monde dans lequel nous vivions était bien réel mais en écrivant cet article je me suis aperçu que tout de même certaines croyances étaient présentes dans l’environnement de mon enfance.
Lorsque mes parents évoquaient la mort lors de discussions, surtout à table, immanquablement la conversation venait sur le compagnon de la nuit : le hibou.
Maman était persuadé qu’un hibou, ululant, perché au-dessus d’une maison indiquait la mort certaine d’un occupant malade. Je dois dire que plus tard, lors d’une promenade, j’ai vécu pareille scène et alors un frisson d’effroi m’a parcouru l’échine ; preuve que j’avais assimilé cette croyance dans mon inconscient.
Elle évoquait aussi les derniers instants de notre grand-père maternel Joseph sur son lit de mort qui avait murmuré : « Pourquoi les prêtres chantent-ils à la porte ? ». Ce genre de citation ne peut que marquer l’esprit d’un enfant.
Dans sa jeunesse, la viande de porc était conservée dans du sel dans une grande jarre : le charnier. Elle disait que son père lui interdisait formellement d’aller chercher de la viande dans le charnier lors de son cycle menstruel car à coup sûr le contenu se gâterait.
Certaines croyances étaient sans conséquences sur la vie et s’apparentaient plutôt à une simple réflexion. Par exemple, lorsque un anneau de liquide, parfois deux, se formait au niveau du goulot de la bouteille de vin – E.V.O. avec des cinq étoiles en relief – on disait alors « On va avoir de la visite ! » ou si on vidait la bouteille dans le verre de quelqu’un : « Tu vas te marier cette année ! » ce que papa a dit un jour à une religieuse et occasionna un petit embarras autour de la table…
Elles pouvaient avoir un sens religieux surtout avec le pain, puissant symbole chez les petites gens. Je revois papa debout couper autant de tranches qu’il y avait de commensaux. Avant d’entamer le pain de deux livres ou pain de deux – ainsi dénommait-on le pain d’environ six cent grammes dans l’ouest de la France – il le signait sur l’envers par une croix à la pointe du couteau pour remercier Dieu d’en avoir procuré à la famille.
Il ne fallait surtout pas le poser à l’envers car nous avions alors une petite réflexion du genre : « Respecte le pain petit, il est dur à gagner ! » mais on disait aussi que le diable pouvait alors s’asseoir dessus.
Il ne nous jamais venu à l’esprit d’en jeter un seul morceau : c’était un crime.
Il y avait des pratiques plus obscures venant de la nuit des temps et s’apparentant à des pratiques shamaniques. Si il y en a une qui est toujours un sujet d’interrogation pour moi c’est bien celle de « baisser les vers ».
Même encore aujourd’hui, j’ai pu constater qu’elle existe toujours. On y croit dur comme fer avec moult exemples à l’appui. Même des jeunes femmes modernes ayant des idées cartésiennes se laissent prendre dès lors qu’il s’agisse de leur enfant. « Ca ne mange pas de pain ! ça ne peut pas faire de mal » aurait dit papa.
J’ai un souvenir à ce sujet : j’avais quatre à cinq ans et maman m’avait emmené à l’épicerie non loin d’où nous habitions, boulevard Mermoz à Saint-Nazaire. On nous a fait entrer dans une pièce à l’arrière du magasin, l’épicière m’a mis une couronne d’ail tressée autour du cou puis a fait avec ses mains de longues passes descendantes de la naissance du cou jusqu’à la ceinture. Maman est repartie rassurée non sans avoir été délestée d’une modique somme d’argent.
Autre pratique, lorsque l’on se brûlait on allait voir le coupeur de feu ou le barreur de feu. Celui-ci faisait des signes de croix sur la brûlure en prononçant la prière à Saint-Laurent.
L’officiant disait trois fois le texte à voix basses en soufflant sur la brûlure en formant un signe de croix au début de chaque strophe puis toujours à voix basse trois Pater (Notre Père) et trois Ave (Je vous salue Marie) en intercalant les Pater et les Ave.
(L’officiant souffle sur la brûlure en formant un signe de croix.)
O grand Saint Laurent,
Sur un brasier ardent
Tournant et retournant
(L’officiant souffle sur la brûlure en formant un signe de croix.)
Faites-moi la grâce
Que cette ardeur se passe :
(L’officiant souffle sur la brûlure en formant un signe de croix.)
Feu de Dieu, perd ta chaleur,
Comme Judas perdit sa couleur,
Quand il trahit, par passion juive
Jésus au jardin des olives.
Maman, dans les années 1950, allait très souvent voir les cartomanciennes ou tireuses de carte. Peut-être avait-elle besoin de se rassurer devant un avenir toujours incertain.
Vers quinze ans, elle avait été abordée par une bohémienne qui voulait lui prédire, en lui lisant les lignes de la main, ce que serait sa vie. Elle lui avait dit une multitude de choses qu’elle avait prise naturellement comme du bon pain et une en particulier : « Tu vas mourir à l’hôpital sur la table d’opération ». Prédiction qui engendrera une grave conséquence en développant une peur atroce dès lors qu’elle avait à subir une opération, même bénigne. Elle mourut dans un lit, à l’hôpital, d’un cancer, sans être opérée.