Les croyances (1960) – Les magnétiseurs.

Les croyances (1960) – Les magnétiseurs.

Et puis il y avait les magnétiseurs. En regardant autour de moi ils sont  plus que jamais présents dans notre monde moderne. Souvent complément de traitement pour des maladies telles que les zonas mais aussi ultime ressource lorsque la science ne peut plus rien, ultime bouée de sauvetage à laquelle on se raccroche lorsque l’on sent que l’on se sent attiré dans l’autre espace.

On dit qu’ils ont le don. Leurs coordonnées circulent de main en main, on se passe les bonnes adresses. Chacun veut aider dans cette quête de la guérison et n’hésite pas à donner des exemples de guérison quasi miraculeuse pour donner de l’espoir.

 

Papa , dans les années soixante, était un gros fumeur. Il lui fallait deux paquets de tabac gris par jour. Le tabac était enveloppé dans un cube de papier gris, d’où son nom, imprimé de deux bandes rouges et d’un Scaferlati Caporal en noir. Il le roulait habilement dans une feuille de marque OCB  et passait sa langue sur le bord de celle-ci pour la coller.

Ayant pris conscience qu’il fallait, pour sa santé, arrêter de fumer, il prit rendez-vous avec une magnétiseuse et celle-ci, selon les dires de papa, fit quelques passes sur les paquets qu’il avait apportés et rendit le tabac impossible à fumer. Effet psychologique ? probablement mais qui n’a pas duré, il me semble que par la suite il avait continué à fumer.

 

C’était en 1971 ou 1972, Maman qui était très malade avait entendu parler d’un guérisseur à Sainte-Reine-de Bretagne, Monsieur V., et me demanda de l’emmener ce que je fis avec ma dauphine gris souris. Nous arrivâmes à la porte d’une maison bien entretenue  entourée d’un petit parc arboré. Elle frappa, un homme ouvrit. Il la regarda des pieds à la tête de ses yeux globuleux qui semblaient sortir des orbites et dit d’une voix douce mais sans ménagement:

 « Ce n’était pas la peine de venir, madame, c’est trop tard, je ne peux rien pour vous, suivez le traitement de votre médecin. » et il referma la porte. Maman accusa le coup, sans mot dire elle remonta en voiture et pleura doucement pendant le trajet de retour. Nous n’échangeâmes aucune parole, je mesurais les dégâts occasionnés par une telle rencontre.

L’histoire qui suit a été racontée par mon père, plus simplement…

La petiote.

Dans la chambre, tête basse, les mains jointes, doigts croisés sous le menton, la mère est assise près du lit où repose sa fille. Elle invoque en chuchotant les saints, implore leur secours.

« Seigneur prends pitié, Seigneur prends pitié, Ô Christ prends pitié… »

Le père debout au pied du lit, la casquette entre ses mains calleuses, noueuses habituées à travailler le bois dans sa menuiserie, regarde le visage blanc mouillé de sueur, les yeux fiévreux de « sa belle » comme il l’appelle. Il se sent impuissant. Même les invocations des femmes, réunies un soir à l’église, n’ont eu aucun effet, comme ci le ciel ne voulait plus rien entendre.

« Ton Dieu, il n’est jamais là quand on a besoin de lui, grommelle-t-il. »

En entendant ces mots la mère se signe. A-t-on besoin de provoquer un peu plus la colère divine ?

Sa litanie à peine audible reprend :

« Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, Saint Michel, priez pour nous, Saints Anges de Dieu, priez pour nous … »

Dans un murmure l’enfant malade dit :

« Pourquoi les prêtres chantent-ils derrière la porte ? »

Un frisson parcourut le corps des parents, le père baissa un peu plus la tête et la mère s’appliqua un peu plus dans ses prières :

« Saint Joseph, priez pour nous, Saint Pierre et Saint Paul, priez pour nous, Saint André, priez pour nous… »

Un grattement à la porte puis un léger grincement des gonds, c’est la voisine un grand châle noir sur ses épaules qui vient prendre des nouvelles.

« Comment va  la petiote ? dit-elle en chuchotant

– Le docteur est passé tout à l’heure, il n’a rien dit, il repassera dans la soirée, répondit la mère.

– Pauvre petite, quelques secondes s’écoulèrent et elle reprit, pourquoi n’allez-vous pas voir le père Léon à Thouaré ? On dit qu’il soigne bien. Il faut emmener une photo et une mèche de cheveux. »

La mère lève la tête et dit à son  mari.

– Pourquoi n’essaie-t-on pas ? on ne risque rien.

La mère sait qu’il n’y croit pas. En temps normal à cette simple évocation il aurait dit :

« Fadaise tout cela ma pauvre Germaine ! Comment peux-tu croire encore en ces âneries ! »

Le père regarde sa femme, voit son visage suppliant. Sans un mot, en faisant sonner le parquet de ses lourdes chaussures, il se dirige ver la commode, sort d’un cadre la photo de sa fille, ouvre le tiroir, sort des petits ciseaux de la boite à ouvrage de Belle, une enveloppe de son nécessaire d’écriture, revient vers le lit, prend délicatement une mèche de cheveux, la coupe et la met, avec la photo, dans l’enveloppe enfin met cette dernière dans la poche de sa veste et toujours sans un mot sort de la chambre.

Sur la route menant à Thouaré, il appuie fort sur les pédales de sa lourde bicyclette luttant contre un vent de front qui, au début régulier, tend maintenant à s’intensifier avec de violentes bourrasques. Mais pourquoi cherche-t-il à me retenir ? pense-t-il, alors il appuie plus fort encore sur les pédales, tire sur le guidon, malmène sa bicyclette.

Il émet des han réguliers, il lutte de toutes ses forces, il lui semble maintenant que tous les éléments se sont ligués contre lui car une pluie battante se met à tomber. En temps normal il se serait arrêté sous un grand arbre, aurait roulé une cigarette de ses gros doigts tâchés du brou de noix utilisé la veille sur un buffet, cadeau de noces des parents pour un jeune du village. Mais aujourd’hui le temps presse, il faut continuer, continuer, chaque han maintenant semble une nouvelle déchirure de son âme écartelée.

Il pénètre la cour boueuse de la petite ferme du père Léon, descend précipitamment, laisse la bicyclette s’affaler sur le sol et court, titubant, frapper du poing sur la porte d’entrée. Elle s’ouvre enfin sur un petit homme cheveux gris, pantalon et veste de velours noir, chemise à carreaux.

Derrière le visiteur, un éclair zèbre le ciel et une seconde après un violent coup de tonnerre résonne, une pluie drue se met à tomber.

« Entrez vite ! » dit Léon puis étonné de cette apparition, haletante, dégoulinante, fantomatique sur le seuil sa porte, il bredouille : « Que voulez-vous ? »

Sans un mot elle lui tend avec un geste sec, impérieux, l’enveloppe contenant les précieux objets. En un instant Léon comprend ce que l’on veut de lui, il ouvre l’enveloppe, prend la mèche de cheveux d’une main, la photo de l’autre, ferme les yeux, se concentre, fait rouler lentement les cheveux sur la photo, il ouvre brusquement les yeux et dit tout de go :

« Mais pourquoi êtes-vous venu ? je ne peux rien faire pour une morte… »

A propos Michel-Claude Mahé

Je suis un retraité éternel apprenant. Passionné d'histoire, de dessin, de philosophie, de mathématiques, d'informatique...
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