Diego Suarez (Madagascar)

 CarteMondeAnnoteeDiego

Au large de Madagascar, le 06 janvier 1973

Dans quelques heures, nous allons entrer dans le port de Diego Suarez. Il parait que la ville n’est pas formidable. C’est pourtant le haut lieu des marins. Depuis le départ de Toulon, j’en entends parler.

À bord tout est calme, les gars font la sieste. Je me suis attardé avec mon copain Pascal à discuter sur le pouvoir de la masse ouvrière*. Je ne suis pas tellement d’accord avec lui et de ce fait je suis un peu énervé.

Je reprends ma lettre alors que nous sommes à quai car j’étais très fatigué et je suis allé faire la sieste. La chaleur est exténuante et j’ai besoin de dormir l’après-midi. Nous avons sieste de 12h00 à 15h00, aussi la journée passe vite.

La France, j’ai l’impression de l’avoir quittée il y a très longtemps. Nous avons fait beaucoup d’escales et j’ai perdu la notion du temps. Pour moi un dimanche ressemble à un jour de semaine.

J’ai tellement envie d’entendre ta voix**, de toucher ton visage. Je te demande quelque chose d’important : peux-tu m’envoyer une photo de toi dans ton milieu, dans ton univers. Tu trouveras cela drôle mais j’en ai besoin***.

Ce soir je suis allé faire un tour en ville. Il faisait nuit et je ne peux pas te décrire la ville. Ce que j’ai vu : des rues noires, des hommes, des femmes et des enfants assis sur le trottoir. Ils prennent le frais.

J’ai essayé de voir mon ami Roland Lamet****, tu te souviens, le prêtre de Méan, mais il n’était pas là. J’y retourne lundi soir et je pense que je vais dîner avec lui.

Demain je vais à la plage de Ramena passer la journée. Je vais me reposer car je suis crevé.

« * » Nous étions de milieu vraiment très différent. Son père était avocat à Paris. C’est un garçon brillant avec qui j’avais beaucoup de plaisir à discuter. Il m’a donné mes premiers cours de philosophie à la cafétéria ou tel Aristote en marchant le long des quais. C’est maintenant un peintre connu et reconnu.

« ** » J’écris à Marlyse qui deviendra ma femme.

« *** »  Je développe un peu plus mon ressenti dans le prochain paragraphe.

« **** » Roland (†) était le prêtre qui accompagnait le groupe de jocistes dont je faisais partie de 14 à 17 ans.

DiegoSuarez

Diego Suarez, le 07 février 1973

Au fur et à mesure, d’escale en escale il me semble que ma vie civile s’estompe. Lorsque je ferme les yeux, les images me semblent réduites, simplifiées, les détails sont absents. Je ne me souviens plus du timbre de ta voix, ni celle de mes parents, vous êtes si loin de moi.

En contrepartie, des paysages magnifiques se présentent devant moi telle la plage de Ramena où j’ai passé la journée. L’eau est à 30°, des kilomètres de sable fin, des cocotiers, des bungalows où les gens de l’arsenal de Diego viennent passer leur weekend.

Quelle agréable vie, allongé sur le sable en admirant une baie magnifique où parfois des dauphins viennent jouer dans le chenal. Jamais je ne suis resté aussi longtemps dans l’eau, c’était un plaisir. Le soleil tapait fort et je pense que j’ai pris un sérieux coup de soleil.

Il y a tout de même du danger notamment le poisson-fleur* et le poisson-pierre, tous deux sont mortels.

Une jeune fille, la semaine dernière, a été piquée par un poisson pierre. Elle a été sauvée in extremis. Les requins sont aussi de la fête mais ils sont loin du rivage, dans le chenal.

Ce soir je suis allé danser dans une boite** avec quelques amis. C’était bien agréable après ces longs jours de mer. J’ai assisté à une démonstration de tamouré par une très jeune tahitienne, très jolie d’ailleurs. Quelle danse magnifique. Ses mouvements de hanches et de bras sont d’une perfection.

Tu vois ici je suis dans un pays de rêve bien que la vie soit très chère. Un mois de rêve, cela va être bon avant d’attaquer de très longs jours de mer. Avant la prochaine escale nous en aurons pour vingt et un jours de navigation.

*  Je pense qu’il s’agit du poisson-épineux. Il possède un poison neurotoxique foudroyant,  injecté par les treize épines dorsales, et provoque des souffrances atroces.

Le poisson-pierre est lui aussi doté de courtes épines dorsales reliées à des glandes à venin. Les accidents surviennent, dans le lagon, lorsque les baigneurs marchent dessus.

**  La Taverne

A propos Michel-Claude Mahé

Je suis un retraité éternel apprenant. Passionné d'histoire, de dessin, de philosophie, de mathématiques, d'informatique...
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