Diego Suarez, du 15 au 23 janvier 1973

DiegoSuarez

Diego Suarez, le 15 janvier 1973

Ma lettre aujourd’hui ne sera pas très longue. J’ai un moral des plus déplorable. J’en ai marre de ce bateau. Je suis resté à bord à ne rien faire. J’ai dormi ou arpenté le pont toute la journée. Il me reste 109 jours à faire et chaque heure me parait interminable. J’ai reçu ton courrier, ça m’a mis du baume au cœur. Je n’ai pas reçu les pellicules. Les colis sont très longs à venir. J’ai le cafard aussi l’inspiration me manque totalement.

Diego Suarez, le 18 janvier 1973

Nous sommes à Diego depuis onze jours. Le pays ne me plaît pas. Diego est une ville je dirais un trou perdu. Il n’y a absolument rien. Pas d’excursion, sinon Joffreville qui est un camp de repos militaire. Il me tarde de reprendre la mer. Voici la liste des prochaines escales :

Perth (Australie) ; Melbourne (Australie) ; Hobart (New Zélande), incertain ; Nouméa (Nouvelle Calédonie) ; Tahiti et la quille.

Entre temps nous irons à la Réunion, à l’île Maurice, à l’île Saint-Paul pour aller à Perth mais ce n’est qu’un bruit de coursive.

Ce soir dans le poste, il fait 30 à 35° C, il fait bon car je me suis habitué à la chaleur.

Je suis allé en ville cet après-midi, faire un tour, et surtout, pour aller chercher mes enregistrements qu’un père missionnaire a faits pour moi.

Pour vivre à Diego il faut beaucoup d’argent, je ne sors presque plus le soir. Je passe mes journées à Ramena (prononce Ramène) à 20 kilomètres de Diego dans la baie. Nous y allons en vedette. La traversée de la baie est magnifique, l’eau est claire et on aperçoit le fond.

J’ai reçu les pellicules et je vais remercier tes parents dans une lettre.

Diego Suarez, le 19 janvier 1973

Il me reste 107 jours avant la quille. Samedi 27 avec les appelés de mon contingent je vais fêter le père cent. Le lendemain je dois faire un cross de 5 kilomètres avec la légion.

Ce soir je suis allé faire un tour en ville du côté de l’hôpital. C’est un quartier assez pauvre comme Diego d’ailleurs.

Roland est parti à Majunga pour huit jours, je vais donc rarement à la mission. Je commence à avoir des amis malgaches et c’est bien agréable. Je peux discuter avec des gars et des filles « ordinaires » car ce qui caractérise Diego c’est la prostitution avec ses ramatoas (prononce romato), les prostituées.

Maintenant nous sommes en alerte cyclone car il y a une dépression dans la région de Majunga. Nous quittons Diego s’il s’approche de moins de 400 kilomètres d’où nous sommes.

À bord tout est calme, les gars discutent dans l’avant-poste. Une musique est présente dans le poste en l’occurrence « Jacques Brel ».

Diego Suarez, le 22 janvier 1973

Je viens de recevoir une lettre de ma belle-sœur me disant que maman est très malade et qu’elle ne s’alimente plus. J’ai beaucoup de chagrin et je compte sur toi pour me remplacer auprès d’elle.

Je n’ai reçu aucune nouvelle de toi depuis plusieurs jours. Il y a en France en ce moment des grèves de courrier, nous avons été prévenus par dépêche, et la majeure partie est restée bloquée sur un cargo à Toulon.

Je ne t’ai pas écrit depuis plusieurs jours car  j’ai attrapé une sale maladie avec l’eau. J’ai la diarrhée et hier soir je ne pouvais tenir debout. Aujourd’hui cela va beaucoup mieux car j’ai pris des sulfamides. J’ai attrapé, en plus, des champignons sur le ventre et à l’aine à force de rester dans l’eau. Les pays chauds c’est bien mais les inconvénients sont nombreux.

Donne-moi le plutôt possible des nouvelles de maman car je suis très très inquiet.

Diego Suarez, le 23 janvier 1973

Il est très tard lorsque je commence cette lettre, auparavant j’ai écrit à mes parents. Je leur ai envoyé un télégramme pour obtenir des nouvelles de maman car aucune lettre de toi n’est arrivée depuis une dizaine de jours.

J’en ai marre, j’ai hâte d’être à la fin et je sais qu’il me reste encore 104 jours.

En ce moment tout le monde dort à bord, il est peut-être minuit, il fait bon (25 à 26°C) grâce à l’air conditionnée.

C’est la saison des pluies, aussi aujourd’hui nous avons été servis. Il est bien tombé 30 millimètres d’eau dans la journée peut-être dus au cyclone qui est en route sur la côte Est et qui se dirige vers Diego. Encore du turf en perspective ! S’il s’approche de moins de 400 kilomètres nous quitterons la baie au plus vite. Il est annoncé depuis plusieurs jours déjà.

Que deviens-tu ? j’ai tellement hâte de recevoir de tes nouvelles ! Le boulot ça marche ? Pas trop de tracas question santé ? Comment vont mes beaux-parents ? Fait-il froid en ce moment ? Y-a-t-il de la neige ? Autant de questions que je pose ici, car j’ai beaucoup de temps libre, alors le cerveau tourne et retourne toutes ces questions sans réponse.

Officiellement je devrais quitter la marine à Tahiti, c’est notre nouveau commandant qui nous l’a dit ce matin. Il s’appelle Divies. Il boite un peu, aussi ai-je pensé : avec une pipe entre les dents il ressemblerait aux capitaines de notre enfance.

Diego Suarez, le 24 janvier 1973

Le branle-bas du soir vient d’être annoncé, les permissionnaires sont sur la plage arrière. C’est le moment où il y a beaucoup de mouvements dans les postes. À côté de moi un appelé, Lebras, répare une montre, il est horloger dans le civil. Dans quelques instants je vais me coucher.

J’ai reçu un télégramme de papa à 13h00 cet après-midi. Cela m’a donné beaucoup de courage. J’avais peur que pendant les neuf ou dix jours précédant la lettre de ma belle-sœur il y avait eu quelque chose de grave. J’ai reçu aussi une lettre de toi ce soir. Le moral s’est remis au beau fixe. Je remercie tes parents pour la gentille lettre qu’ils m’ont envoyée. Je ne les oublie pas, je les aime beaucoup. Il me tarde d’être de retour en France pour embêter ma future belle-mère.

Il y a maintenant quatre gars autour de la table du poste. Ils parlent des filles emballées à Diego* et aussi de montre avec un dateur et un semainier. J’ai arrêté d’écrire pour les écouter. Il y a parmi eux un gars vraiment marrant et cela fait du bien.

* Une préoccupation majeure c’était de savoir si les filles étaient malades ou pas pour cela un tableau avec leur photo avait été installé dans le poste. La plupart portait la mention « plombée ».

A propos Michel-Claude Mahé

Je suis un retraité éternel apprenant. Passionné d'histoire, de dessin, de philosophie, de mathématiques, d'informatique...
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