Le Capitaine

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Le Capitaine

Allongé, il  est réveillé depuis un bon moment mais il reste les yeux fermés. Pour lui c’est un jeu : il reste immobile en essayant d’interpréter les bruits qui l’entourent.

En ce moment,  Il entend le ressac sur la plage en bas de la falaise ;  le cliquetis des galets entraînés par l’eau  lorsque celle-ci se retire ; de nouveau une vague déferle. Il aime ce bruit lancinant. Une vague périodiquement lui semble plus forte alors il compte : une, deux, trois, quatre, cinq… le déferlement se fait plus fort.

Ah ! la chaleur du soleil sur son visage, l’odeur un peu forte des haies au bord de la falaise. Il essaie de mettre tous ses sens en éveil.

Des cris…

Quelques personnes qui sans doute font  comme lui, profitent, à leur façon, des rayons de septembre. L’arrière-saison est toujours belle sur l’estuaire du grand fleuve. Des cris d’enfants puis le choc de mains sur un ballon. Il compte mentalement : un, deux, trois, quatre, cinq… un choc amorti sur le sable sec ; le dernier joueur a raté son coup ; de jeunes voix s’élèvent à l’encontre du joueur malchanceux.

Un homme chante…

Il sourit… son père aussi chantait devant le petit miroir lorsqu’il se rasait, toujours la même chanson sur l’air de Carmen : « Toréador, ton cul n’est pas en or, ni en argent, ni en fer blanc… ».

Une porte s’ouvre et se referme en chuintant… des pas… une caresse sur sa joue.

Une caresse du vent. Comme celle-ci semble réelle ; il aime les caresses du vent. Plus tard dans la saison, il fouettera son visage lorsqu’il ira marcher le long du rivage et qu’il évitera, par jeu, les langues d’eau écumeuse qui partent, vague après vague,  à la conquête de la plage.

Les pas s’éloignent…

Il étend son bras et recherche la main de Céline, il  ne trouve que le vide. C’est vrai, elle est partie mais, bientôt, ils seront de nouveau ensemble couchés sur ce petit promontoire qui domine la mer. Il entendra son souffle régulier à côté de lui. Puis ils dévaleront  en riant  l’étroit chemin accroché à la falaise, qui mène à la plage une dizaine de mètres plus bas. Ils se précipiteront tête la première dans la vague, marcheront le long du rivage, courront dans l’eau emplit d’écume, la main dans la main et les cheveux de Céline ne cesseront de flotter dégageant son visage rieur et ils crieront leur bonheur…  crieront  leur bonheur.

Un petit choc  horizontal…

La mer…  combien il aime cette impression de dérobade du bateau sous ses pieds ; les embruns ; l’air vif qui  fouette le visage ; le travail du  bord ; le bruit si caractéristique de la machine, l’odeur d’huile,  de fuel brûlé ; les longues nuits à la timonerie, les cliquetis du répétiteur de barre ; les repas au carré ; les parties de cartes animées…

Il aime suivre du regard la côte lorsque le navire s’en va vers le large, il reconnaît les immeubles, les plages, puis la terre s’estompe petit à petit. Il reprend le travail,  ses habitudes. Le vague à l’âme s’en va…

Une porte s’ouvre et se referme en chuintant…

Il frissonne, son dos lui fait mal de rester allongé sur cette surface dure. Plus de cris sur la plage, plus de bruits, si… le ronronnement diffus du moteur d’un bateau dans le chenal. Remonte-t-il sur Nantes ou va-t-il vers le large ? Il écoute, impossible de savoir, le bruit semble régulier, stationnaire. La nuit est certainement maintenant tombée.  L’estuaire s’est paré de points rouges, verts des bouées du chenal, des éclats des phares.  En tout cas la marée est haute, le bruit des vagues est devenu léger, presqu’indistinct.

Des pas feutrés.

Une main enserre la sienne, et serre doucement,  il répond en repliant les doigts. C’est leur signe lorsque Fanja et lui, allongés l’un contre l’autre, prennent le soleil sur la plage au bord de la Baie des Français près de Diego Suarez. Il aime son corps magnifique d’eurasienne, ses longs cheveux noirs tombant au milieu du dos, ses yeux magnifiques en amande. Tout à l’heure ils mettront à l’eau une pirogue à balancier et iront  droit sur le Pain de Sucre et Fanja rira de son rire clair, de son manque d’expérience pour pagayer et il fera de son mieux en riant lui-même et la pirogue les emportera, les emportera…

Le bruit d’un store ouvert vivement.

– Allez Capitaine réveillez-vous! c’est l’heure.

Il ouvre les yeux, la chambre est pleine de soleil. C’est Cora, la jeune assistante de vie qui vient apporter son petit déjeuner. Elle a une vingtaine d’années et sa voix est claire, chantante. Elle  est volubile et très expressive. Il ne peut lui répondre. Elle relève le haut du lit ; s’assoit à côté de lui, face à face ; tire la table à roulettes et d’une main experte porte des petites portions d’une sorte de gelée à sa bouche.

– C’est mon dernier jour aujourd’hui. Demain je retourne dans mon pays, je rentre à Brest. Je vais vivre avec mon copain, un militaire, un marin. Voilà bientôt quatre mois que j’ai vu mes parents et ma grand-mère. Quatre mois c’est long !

Le vieil homme hoche la tête.

À court d’idées pour tenir la conversation les yeux de Cora parcourent  la pièce et s’attardent sur une photo de lui en militaire, punaisée sur un tableau de liège, parmi quelques cartes postales et photos familiales.

– C’est vous sur la photo ?

Le vieil homme hoche la tête.

– Eh ! vous étiez pas mal étant jeune, vous deviez faire tomber les filles, dit-elle en riant. La carte postale, à côté, a été prise près de Diego Suarez, je reconnais le Pain de Sucre. Ma grand-mère était d’origine malgache et m’a montré des photos. Son père était militaire là-bas. En 1976, elle est revenue en France avec sa petite fille, ma mère.  Puis elle s’est mariée avec… un militaire. Eh oui ! chez nous c’est une tradition. Elle est maintenant très vieille. Elle vit avec mes parents. Eh non ! Chez nous, on ne met pas les anciens à la maison de retraite. J’aime beaucoup ma grand-mère. Elle me raconte sa vie là-bas. Elle est métisse. Jeune elle était vraiment très belle et même encore. Elle s’appelle Fanja, cela veut dire…

Tout à coup le vieil homme s’agite et attrape son poignet, ses yeux fixent Cora.

– Capitaine vous me faites mal, desserrez votre main… Capitaine… Capitaine…

Cora se dégage et presse le bouton d’appel, le vieil homme la tête en avant, les yeux exorbités fixent toujours la jeune personne. Quelques secondes s’écoulent avant que l’infirmier pénètre dans la chambre :

– Que se passe-t-il ?

– Je ne sais pas ! je racontais des banalités et le Capitaine s’est mis à s’agiter. Je ne comprends pas.

­- C’est curieux !  Allez-vous occuper de Mme Léone, je vais le calmer.

Cora sort de la chambre. Le Capitaine se calme mais semble très abattu et a tourné la tête vers la fenêtre.

– Ben alors, Capitaine qu’est-ce qui vous arrive, dit l’infirmier, mais… pourquoi pleurez-vous ?

Montoir-de-Bretagne, octobre 2015.

A propos Michel-Claude Mahé

Je suis un retraité éternel apprenant. Passionné d'histoire, de dessin, de philosophie, de mathématiques, d'informatique...
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