Le monument américain – L’accomplissement

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Le monument américain – L’accomplissement

À New York

Une nouvelle association “The St. Nazaire Memorial Fund”* fut créée pour collecter les fonds nécessaires (100 000 $). Le 10 février 1925, le Captain Arthur M. Du Bois**, son trésorier, annonçait que tout était prêt pour lancer cette action d’envergure. Un comité d’honneur*** et un comité exécutif chargé de rassembler les fonds****, ont été mis en place. Ce dernier travaillera à l’échelle nationale sur le territoire des États-Unis.

* Le siège social du Saint-Nazaire Memorial Fund était au 1190, Madison avenue à New York.
** Le Captain Arthur Mason Du Bois a été recruté par l’armée américaine en 1917, dès le début de l’entrée en guerre des Etats-Unis. First Lieutenant, il a été affecté à l’ « Army AIrForce – Paris Division » puis à Saint-Nazaire pour diriger l’ « Aviation Clearance Office ».
*** Le comité d’honneur : Major General James G. Harbord, président ; Newton D. Baker ; Colonel Franklin Q. Brown ; Paul D. Cravath ; John W. Davis ; Brig. Gen. Charles G. Dawes ; Robert Underwood Jhonson ; Otto H. Kahn ; Frank D. Pavey ; Elihu Root ; Herbert Shipman et George W. Wickersham.
**** Le comité exécutif : Roynon Cholmeley-Jones, 95 Maiden Lane, président ; Miss Minette Causse ; William T. Conner ; George B. Cortelyou Jr. de Chicago ; Colonel John F. Daniell ; Johnson De Forest ; Captain Arthur M. Du Bois ; Major Gen. W. H. Hart de Washington ; Colonels Alba N. Johnson Jr., and George E. Kemp of Philadelphia ; Colonel K. G. Martin ; Charles C. Perrin de Paris ; Rev. Sartell Prentice ; General S. D. Rockenback ; Kingsland T. Rood ; Colonel John H. Schouten de Detroit ; Colonel John Stephen Sewell de Birmingham ; Ala., Livingston L. Short ; Mrs Anna Mackenzie Smih ; Dr Henry Thacher ; Dr. Samuel Trexler and General R. D. Walsh.

La campagne pour collecter les fonds fut lancée le samedi soir 9 mai 1925, lors d’un dîner de la Saint-Nazaire Association, à l’Hôtel Brevoort, à l’angle de la Cinquième Avenue et de la Huitième Rue à New York.

HotelBrevoortNewYorkHôtel Brevoort à New York – Collection Michel-C Mahé

À Saint-Nazaire

Une maquette du monument fut exposée à l’Hôtel de Ville. La ville a accueilli, cet été 1925 , des groupes de jeunes Anglo-Saxons au Collège de garçons et la présentation de la maquette durant leur visite était naturellement incontournable.

Le monument, à cet endroit, surtout en hiver, sera très exposé aux effets de la mer et du vent. Il a été calculé pour résister aux plus formidables assauts.

Fin octobre 1925, un long baraquement a été monté boulevard de l’Océan en face du futur chantier pour les ouvriers et le matériel.
Le travail devant s’accomplir dans un endroit couvert par les marées, une solide passerelle sera construite du rempart* au rocher sur lequel le monument doit être érigé. Sur celle-ci, on fit courir les rails d’un Decauville** pour transporter les blocs de granit.

* Remblai et perré du boulevard de l’Océan.
** Wagonnets circulant sur une voie étroite formée de rails et traverses métalliques qui peuvent se démonter et être transportées facilement.

Les roches où il s’élèvera étant très friables, une base solide, de cinq mètres de côté, fut construite.
Pour réaliser les scellements des fers à béton reliant le socle au piédestal, un problème s’est posé  : à chaque marée montante, la mer emportait le ciment.*

* Travaux réalisés par l’entreprise Graziana.

Dans la nuit de 27 au 28 décembre 1925, une tempête a causé l’effondrement d’une partie de la passerelle. De nombreuses pièces de bois se sont échouées sur la plage.

 

HotelDeVille 001L’Hôtel de ville de Saint-Nazaire –  Collection Michel-C. Mahé.
MissWhitheyMaquetteModifMCMMrs. Whitney et la maquette du monument –  Crédit Photo Famille Du Bois.
CPBleueMonimentAméricainLe Monument américain – Une des premières cartes postales, imprimées en bleu par M. Landas*.
* Librairie Saint-Joseph ; Maison Louis Landas ; 29, place Marceau –  Collection Michel-C. Mahé.

Les dimensions : hauteur totale : 21 m ; hauteur du piédestal en béton armé* (recouvert de granit brut de cinquante centimètres d’épaisseur) : 16 m ; envergure aigle de bronze : 10 m 80 ; hauteur soldat : 6 m.
Il a été entièrement fabriqué en France ; c’était un souhait de Mrs Whitney. Les différents éléments furent fondus à Paris et acheminés par le train à Saint-Nazaire.

* Réalisé par l’entreprise Audrain, Boulevard Wilson.

Le 23 mai 1926, l’aigle et le soldat arrivèrent en gare de Saint-Nazaire.

Vers la fin mai, un chroniqueur de Ouest-Éclair écrivait « Sur la plage du Traict, les divers morceaux du monument, chef d’oeuvre de Miss Gertrude Whitney, sont épars. L’aigle, en attendant son envolée vers la cime du piédestal qu’on lui a dressé, a ses ailes d’un côté, son bec énorme et ses serres de l’autre. Le soldat américain est colossal. Étendu, il prend des proportions de géant. À le contempler, on sent remuer en sa mémoire la phrase du Valois : « Dieu ! qu’il est effrayant !!! Il est encore plus grand mort que vivant ! »* »

* Propos que la chronique prête à Henri III, roi de France, lors de l’assassinat du duc Henri de Guise en décembre 1588.

La première semaine de juin, l’aigle était installé.
Mi-juin, le soldat a pris sa place sur le dos de l’aigle. Ce sera l’occasion d’une petite cérémonie intime avant l’inauguration.

VueSurLeMonumentAmericain 001Vue sur le monument américain et le « rempart »  du boulevard de l’Océan –  Collection Michel-C. Mahé.

À New York

Le mardi 4 mai 1926, “The Saint Nazaire Association” donna un dîner en l’honneur de Mrs. Harry Payne Whitney à l’Hôtel Brevoort.
Lors des discours d’usage, le Rear Admiral* Charles P. Plunkett, commandant du New York Navy Yard et le Brig. Gen.** S. D. Rockenbach***, commandant de la base à Saint-Nazaire pendant la guerre, exprimèrent leur profonde conviction que cette guerre ne sera pas la dernière.
Le Brig. Gen. Rockenbach rappela le rôle que les femmes ont joué pendant la guerre et fit appel à elles pour qu’elles soient prêtes à jouer ce même grand rôle dans la prochaine guerre qui, dit-il, il en était sûr, aura lieu.
Pour sa part le Rear Admiral Charles Plunkett déclara : « Cet avertissement pour l’avenir est très opportun. Les choses dont vous riez à présent peuvent se révéler très graves. Vous devez vous rappeler que le monde est peuplé par des êtres humains et non par des imbéciles sentimentaux. Le soldat du monument de Mrs. Whitney est sur des ailes. J’espère que la prochaine fois qu’il s’envolera, il aura la même mission : rétablir la paix pour un peuple en difficulté « .
M. André Brouzet, vice-consul français à New York, affirma que la France avait combattu dans la dernière guerre pour maintenir les principes de «droit, justice et liberté. »
« Et si nous devions avoir à mener une autre guerre, ce sera pour ces mêmes principes, » ajouta-t-il « J’espère, et je crois que la grande nation américaine sera tout aussi prête à venir se joindre à ce combat. »

* Contre-amiral
** Général de brigade
*** Le général Samuel Dickerson Rockenbach a été en fonction à Saint-Nazaire le 20 juin 1917, quand la base s’est formée, puis à nouveau en fonction du février 1919 jusqu’à la clôture de de la base le 20 juillet 1919.

Départs pour la France

Puis vint le départ des initiateurs du projet vers la France :
Mrs. Whitney embarquait avec sa maman, Mrs. Vanderbilt, le samedi 5 juin 1926 à bord du France*. Elles sont arrivées, au Havre, le samedi 12 juin 1926.
Mr. and Mrs., Arthur M. Du Bois and Roynon Cholmeley-Jones, le samedi 12 juin 1926, à bord du paquebot Lapland**.

* La France est un paquebot transatlantique de la Compagnie générale transatlantique, construit au Chantier de Penhoët à Saint-Nazaire et mis en service en 1912. Il sera le seul navire français à quatre cheminées et un des plus luxueux de son époque.
Il assura la ligne Le Havre-New York jusqu’en 1932, sauf pendant la Première Guerre mondiale, où il servira de transport de troupes et de navire-hôpital en Méditerranée.
Il était surnommé « Versailles des Mers » par son luxe et le style de ses aménagements : grand escalier copié sur celui de l’hôtel de Mazarin, siège de la Bibliothèque nationale de France ; somptueux salon Louis XIV ; salon mauresque décoré de mosaïques et d’une fontaine de marbre etc.
Un ascenseur reliait les différents ponts.
** Le Lapland était un paquebot belge de la Red Star Line, construit par les chantiers Harland & Wolff de Belfast et mis en service en 1909. Il naviguera jusqu’en 1932.
PaquebotFranceLaplandPaquebots France et Lapland – Collection Michel- C. Mahé

 

Paris, au salon des artistes français de juin 1926

MonumentAmericainSalonArtistesFrancais1926Marquee
Crédit Photo Gallica – Bibliothèque Nationale de France.

Au salon des artistes français, au Grand Palais, en juin 1926, Miss Whitney* a exposé un plâtre du futur monument. Au vernissage de nombreux visiteurs ne pouvaient pas manquer cet énorme oiseau et ce soldat équilibriste. Un académicien a osé dire à une inconnue qui se trouvait à ses côtés :
« Je vous assure qu’il va se casser la g… »
L’inconnue était Miss Withney qui s’éloigna très digne.

* J’ai conservé le ton familier des journaux français de l’époque.

 

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Le monument américain – Premières critiques

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Le monument américain – Premières critiques

Fin juillet 1925, deux poteaux en fer, distants de cinquante mètres furent placés pour indiquer le futur emplacement du monument, face à la rue de la Havane et aux numéros 67, 66, 65 du boulevard de l’Océan.

BoulevardDeLOceanNDMarquéeBoulevard de l’Océan – Emplacement du futur monument –Collection Michel-C Mahé.
MonumentAmericainCritiquesSaint-Nazaire en 1924 – A)  Pointe de Ville-ès-Martin ; B) Rue de la Havane ; C) Boulevard de l’Océan ; D) Rue de l’Océan ; E) Monument aux Morts pour la Patrie ; F) Monument américain ;  G) Tourelle des Morées
– Dessin Michel-C Mahé.
* En 1925, le boulevard de l’Océan devient boulevard Président Wilson.

Les critiques s’élevèrent, relayées par le Courrier de Saint-Nazaire et l’Echo de la Loire, sur l’emplacement tout d’abord : « La place ne convient pas ! » :
– Le monument masquera la pointe de Ville-ès-Martin* aux promeneurs débouchant de la rue de l’Océan, gâtera la perspective de la baie et du traict et reléguera les coquettes villas qui étaient au premier plan au second.
– Il abîmera la perspective de la rue de la Havane.
– Il est trop près des remparts pour bien se détacher et exhaler toute sa beauté et les passagers des paquebots arrivant du large et les marins des cargos sillonnant l’estuaire ne pourront l’apercevoir. « Il serait bon de leur indiquer par une pancarte. », suggéra-t-on…
D’autres emplacements furent proposés : la pointe de Ville-ès-Martin, le rocher du milieu de l’estuaire qui porte actuellement un petit phare*.

* Tourelle des Morées, construite en 1777 en maçonnerie de pierre de taille sous la direction de l’ingénieur Groteau. Elle est consolidée et exhaussée en 1892 pour recevoir un feu automatique.

À cela fut répondu point par point :
« Il est faux de dire que le monument masquera ou gâtera le panorama de la baie ou la vue sur Ville-ès-Martin. Il est trop petit pour cela. »
« La pointe de Ville-ès-Martin est éloignée et seuls les gens valides peuvent y accéder. Quant au rocher placé dans l’estuaire celui-ci est pendant une longue période de l’année couvert par les bruines et les embruns, et le monument resterait par conséquent inaperçu des étrangers. »
« L’idée d’ériger semblable monument au milieu de la baie ou à Ville-ès-Martin, n’a pu venir que dans la tête de gens ignorants du monument, de ses dimensions, de l’idée qu’il représente. Il y a là une question de proportions et de but que certainement, des gens bien intentionnés ont perdu de vue. »

Et puis bien sûr le monument lui-même fut critiqué : « …il est profondément regrettable qu’on ne fasse pas plus et mieux, quelque chose de grandiose, digne de l’Amérique, de la France, digne de l’occasion qu’on veut célébrer. La France a offert à l’Amérique la « Liberté éclairant le monde » : une contrepartie américaine sous les formes d’un « Aigle Yankee sauvant la Liberté » s’élevant du milieu de l’estuaire, serait éminemment désirable pour Saint-Nazaire. »

Il fut, entre autres, répondu :
« Le monument a été conçu avec l’idée qu’il devait s’élever à cet endroit. Son déplacement lui enlèverait peut-être tout l’attrait qu’il doit avoir et toute la signification qu’il doit comporter. »
« L’emplacement a été choisi d’accord avec les délégués américains, que le dessin en a été fait pour s’harmoniser avec cet endroit du boulevard, et que c’est l’endroit d’où il pourra être vu le mieux de tout, le boulevard de l’avant-port à la pointe de Ville-ès-Martin. »

Pour l’opinion publique la commémoration de l’entente franco-américaine était plutôt bien perçue mais elle était aussi plus critique sur l’idéologie entretenue.
La dette était dans tous les esprits et les Français en subissaient chaque jour les conséquences. Ils avaient le sentiment que les grands mots (patriotisme, union, etc.) laissaient indifférents les Américains et les Anglais et qu’en venant les secourir ils avaient surtout fait une bonne affaire.
Au salon des artistes français, au Grand Palais, en juin 1926, où Mrs. Whitney exposait un plâtre du futur monument, un critique d’art écrivait : « Quand Mme Withney apporte un gigantesque plâtre où sur un aigle, ailes étendues, un soldat américain fait des exercices d’équilibres, et que l’on songe que ce monument, offert à la France, doit être érigé à Saint-Nazaire, on ne peut s’empêcher de dire que c’est un fichu cadeau et que le moindre ducaton ferait bien mieux notre affaire. »

L’article du Courrier de Saint-Nazaire

Le Courrier de Saint-Nazaire faisait paraître, le 12 septembre 1925, un article en français de Mésanger : « Le Monument Américain de Saint-Nazaire » et en anglais : « To our American Friends » de J.-B.Gautreau, illustré par un dessin de René Bougouin, d’après la maquette.
Cet article a été en partie reproduit dans plusieurs journaux parisiens et il y eut de nombreuses citations dans les journaux américains.
Le Conseil municipal de Saint-Nazaire a fait l’acquisition de cinquante numéros du Courrier et les a envoyés à New York, au président de St-Nazaire Memoral Fund, M. Roynon Cholmeley-Jones.
Celui-ci a adressé, en retour, une lettre à Mésanger :

Monsieur,
Mme Whitney m’a montré le numéro du « Courrier de Saint-Nazaire » du 12 septembre, contenant votre très intéressant article sur le monument que la Saint-Nazaire Association va ériger à Saint-Nazaire pour commémorer le débarquement des premiers contingents américains en France et notre service à votre pays durant la Grande Guerre.
Il est certainement très flatteur à notre Association, composée d’hommes et femmes qui ont servi à Saint-Nazaire pendant la guerre, de lire les attentions amicales exprimées dans votre article et de savoir que notre idée de placer un monument à Saint-Nazaire est si bien reçue. Il nous est également très agréable de savoir que le motif symbolique de Mme Whitney, que nous avons choisi pour notre mémorial, est apprécié à sa juste valeur pour sa beauté ainsi que pour l’expression d’amitié qu’il est supposé représenter.
Il y a un point que nous voudrions porter à l’attention de vos lecteurs à savoir que ce mémorial doit être considéré en vérité comme le cadeau du peuple américain. Notre association reçoit, en ce moment, des contributions de tous les coins de notre pays et c’est grâce à ces milliers de petites souscriptions que les fonds nécessaires vont être procurés.
Pour ma part, ayant été à Saint-Nazaire pendant quinze mois, pendant la guerre, je désire exprimer mes remerciements, ainsi que ceux de notre Association pour la réception que notre monument recevra.
« Veuillez agréer, etc…
R. Cholmeley-Jones, Président, – Saint-Nazaire Mémorial Fund,”

CourierSaintNazaireMarqueesSource : Archives départementales de Loire-Atlantique
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Le monument américain – La genèse

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« Mother, why did my father go to France? » M. Herrick, ambassadeur des États-Unis

Le monument américain – La genèse

CPBleueMonimentAméricainCe fut lors du banquet annuel en mars 1924 à New York, en présence de M. Jules Jusserand*, ambassadeur de France, « Guest of Honor » de  « The St. Nazaire Association », forte d’environ trois cents membres ayant stationné à Saint-Nazaire et ses environs pendant la première guerre mondiale,  que fut officiellement présenté le projet d’élever à Saint-Nazaire un monument commémorant l’arrivée des premières troupes américaines, en France, à Saint-Nazaire le 26 juin 1917**.
Lors de ce dîner, une lettre du président des Etats-Unis John Calvin Coolidge***, approuvant cette proposition, fut rendue publique et Mrs. Gertrude Whitney**** fut chargée de concevoir ce monument.

* Jean Adrien Antoine Jules Jusserand, (1855- 1932), ambassadeur de France à Washington pendant les mandats de Theodore Roosevelt, Woodrow Wilson, Warren Harding et Calvin Coolidge.
** Les officiers des unités qui ont servi dans l’American Expeditionary Force (A.E.F.) pendant la première guerre mondiale à Saint-Nazaire, Nantes et Savenay se réunissaient informellement chaque année pour un dîner. Ils ont décidé de se mettre officiellement en association le samedi 31 mars 1923 au « Army and Navy Club », 112 West Fifty-ninth Street à New York, sous le nom « The St. Nazaire Association ».
Ce jour-là, M. Le Neuve, attaché commercial à l’ambassade française, était l’invité d’honneur, le Colonel Rockenbach, était l’un des intervenants.
Toute personne qui a servi à tout moment avec les forces américaines dans l’un de ces trois endroits, quelque soit son grade pouvait adhérer à cette nouvelle association.
Ses principaux objectifs étaient de promouvoir et de préserver les intérêts des anciens combattants, de préparer une histoire de la base, ses activités et les forces alors, de présenter à la ville de Saint-Nazaire un monument à la gloire des soldats américains.
Le major R. Cholmeley-Jones, était le président. Les autres membres : Major Gen. R. D. Walsh, Major Johnston De Forest, Lieutenants Livingston L. Short and Williann T. O’Connor, Colonel John F. Daniell, Captain Arthur M. Dubois, Dr. Henry Thatcher, Miss Hilda Thompson, Miss Minette Causse and Miss Anna Mackenzie.
*** C’est à Saint-Nazaire, le 26 juin, 1917, sous les ordres du général Sibert, que les premières troupes américaines débarquent directement des États-Unis sur le sol français. Avant cette date, d’autres forces armées américaines les avaient précédés en France, mais elles avaient toutes été acheminées via la Grande-Bretagne.
Le commandant en chef, le général Pershing, quitta l’Amérique le 28 mai 1917 et était à Saint-Nazaire le 27 juin pour présider à l’installation du premier contingent de troupe débarqué en France.
C’est à Saint-Nazaire que fut débarqué la majeure partie du matériel américain. Le camp de Montoir, desservi par plus de 100 kilomètres de rails, pouvait recevoir l’approvisionnement nécessaire à un million d’hommes pendant 45 jours. Le matériel roulant déchargé fut considérable, près de 1200 locomotives et 17000 wagons.
Saint-Nazaire devint un immense camp américain. Un des cantonnements de Saint-Nazaire pouvait recevoir à lui seul 40.000 hommes.
**** John Calvin Coolidge, Jr., (1872 – 1933), trentième président des États-Unis du 2 août 1923 au 4 mars 1929.
***** Gertrude Vanderbilt est née à New York le 9 janvier 1875. Elle était la seconde fille de Cornelius Vanderbilt II (1843–1899) et Alice Claypoole Gwynne (1852–1934). Elle fut éduquée par des professeurs particuliers puis dans une école privée de New-york, Brearley School .
À 21 ans, le 25 août 1896, Gertrude se marie avec Harry Payne Whitney (1872–1930), un banquier et investisseur qui hérita d’une fortune considérable. Ils ont eu trois enfants Flora (1897-1986), Cornelius (1899-1992), et Barbara (1903-1983).
Tandis qu’elle visitait l’Europe, vers 1900, Gertrude découvrit la vie artistique foisonnante de Montmartre et Montparnasse. Cela l’a encouragée dans sa créativité et elle devint sculptrice.
Elle a étudié à New York à « The Art Students League » avec Hendrik Christian Andersen et James Earle Fraser, à Paris avec Andrew O’Connor . Un temps elle fut l’élève de Rodin à Paris.
Son oeuvre inclus beaucoup de petites sculptures mais elle est plus connue aujourd’hui pour ses oeuvres monumentales.
On lui doit notamment : La Fontaine de l’El Dorado à San Francisco (désormais à Lima au Pérou) ; La Fontaine aztèque à Washington ; Le mémorial des Femmes du Titanic, Washington ; La statue de Buffalo Bill, Wyoming ; L’Arc de la Victoire – Madison Square, New York ; Un monument aux morts de la Première Guerre mondiale – Mitchell Square Park.
Il est intéressant de noter la différence de traitement du nom de l’artiste dans la presse. Les journaux américains donnent dans un déférent Mrs. Harry Payne Whitney tandis que les journaux français dans un familier Miss Whitney.

Quelque temps après, le projet fut recommandé par le secrétaire d’État Charles E. Hughes*. Il dit : « Je suis heureux d’apprendre que « The St. Nazaire Association » parraine l’érection de ce monument à Saint-Nazaire pour commémorer le débarquement des premières troupes américaines transportées en France directement des États-Unis. » Et puis encore : « Il me semble que c’est une bonne chose qu’un tel monument soit érigé à St Nazaire, un monument qui aura une place d’honneur unique à la mémoire de notre association durant la Grande Guerre. »

* Charles E. Hughes (1862-1948) était membre du Parti républicain ; gouverneur de l’État de New York de 1907 à 1910; juge à la Cour suprême des Etats-Unis ; candidat républicain à la présidence en 1916 ; Secrétaire d’État de 1921 à 1925.

M. Vivant Lacour*, maire de Saint-Nazaire, écrira au comité pour exprimer « La gratitude de Saint-Nazaire pour ce monument, véritable chef-d’œuvre qui dans sa signification et sa situation commémorera parfaitement les événements pour lesquels il est dédié. »

* Vivant Lacour (1859- 1930) membre du parti d’Union Républicaine, conseiller municipal en 1904 ; premier adjoint de 1909 à 1919 ; maire de Saint-Nazaire du 10 décembre 1919 au 17 mai 1925.
MonumentAmericainGenese
Saint-Nazaire en 1924A)  Limite du Camp 7 entre 1917 et 1919 ; B) La gare ; C) Boulevard de l’Océan* ; D) Pointe de Ville-ès-Martin ; E) Monument aux Morts pour la Patrie ; F) Monument américain – Dessin Michel-C Mahé.
* En 1925, le boulevard de l’Océan devient boulevard Président Wilson.

En septembre 1924, plusieurs délégués du Comité américain, dont Mrs. Gertrude Whitney, sont venus à Saint-Nazaire pour examiner plusieurs emplacements pour ériger le monument : l’ancien cimetière américain au Camp 7, les abords de la gare, le boulevard de l’Océan.
Leur choix s’est porté sur le gros rocher situé sur la plage en face le n°72 du boulevard de l’Océan. La municipalité a donné son entière approbation.
On dit qu’entre les trois ports, Bordeaux, Brest et Saint-Nazaire où affluèrent les soldats et matériels des Etats-Unis, Mrs. Whitney a choisi Saint-Nazaire car elle fut captivée par l’éparpillement si gracieux des villas au long du boulevard de l’Océan et le panorama du large qu’on découvre à cet endroit.
Avant de repartir, Mrs. Whitney a choisi M. Chaney* comme architecte et lui a confié ses projets.

* M. Chaney s’était déjà vu confié l’érection du Monument aux Morts pour la Patrie, inauguré le 11 novembre 1924. Il était président de l’association d’anciens combattants les Frères d’Armes. À ce titre, l’association n’étant pas riche, il avait demandé à Mrs. Whitney l’abandon de tous ses droits d’auteur à la caisse des mutilés Frères d’Armes. Nul ne sait si elle a accepté, mais, en 1927, elle fit un don de 15000 francs ; ce qui correspondait à la moitié du budget annuel de cette même association.

 

gertrudevwsculptingMarqueeGertrude Vanderbilt Whitney dans son atelier – autour de 1920 – Photo Wikipedia

 

BoulevardOcean 001Boulevard de l’Océan – Emplacement du futur monument – Mrs. Whitney a choisi Saint-Nazaire car elle fut captivée par l’éparpillement si gracieux des villas au long du boulevard de l’Océan et le panorama du large qu’on découvre à cet endroit. Collection Michel-C Mahé.

(À suivre)

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Jean Cadayé – Départ de Saint-Nazaire pour Toulouse en 1933

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Jean Cadayé – Départ de Saint-Nazaire pour Toulouse en 1933

En janvier 1933, M. Carrié, directeur du Théâtre du Capitole, avait annoncé son départ comme directeur du Grand Théâtre de Lyon. M. Jean Cadayé avait immédiatement sollicité sa succession.
Mais M. Carrié était tenu, personnellement, d’assurer la gestion du théâtre jusqu’en juin 1934. Il proposera M. Emile Campocasso pour le remplacer pendant la période de transition. M. Emile Campocasso fonctionna donc comme directeur pendant la saison 1933-1934 sous la responsabilité de M. Carrié.
En janvier 1934, le Conseil municipal s’est réuni pour procéder à la désignation du futur directeur du Théâtre du Capitole pendant une période de trois années à partir de la saison 1934-1935.
Six candidats se présenteront, tous avec de sérieuses références ; parmi eux : M. Campocasso.
Le choix du Conseil municipal s’arrêtera sur deux co-directeurs toulousains : MM. Jean Cadayé, directeur artistique de la scène et Henri Combaux, directeur artistique de l’orchestre, chœurs et ballets.
Quelques jours après, M. Campocasso sera appelé à diriger le Grand Théâtre des Arts à Rouen.

JeanCadayeHenriCombeauJean Cadayé                                           Henri Combaux
Collection Michelc-Mahé

Les préparatifs pour le départ

Début mars, M. Cadayé met en vente une pêcherie qu’il possédait à Ville-ès-Martin. Elle était accessible même à marée haute grâce à une estacade de 14 m de longueur.

* Les autorisations de concession et d’exploitation des pêcheries à carrelet, gérées par l’Administration de l’Inscription maritime, étaient accordées à titre personnel et pour cinq ans. Les concessionnaires étaient tenus d’observer les règles relatives à la Police des pêches. Ils devaient notamment entretenir convenablement leur pêcherie et la numéroter sur une planchette avec des clous de cuivre selon des dimensions normalisées.

Le fonds de commerce et établissement de Chapellerie et Modes, « Chapellerie Lafayette » que M. et Mme Cadayé exploitaient est vendu le dix avril 1933 à M. et Mme Charles Raffin et Mme Marie Antoinette Hillereau son épouse, demeurant 2, cours Bayard à la Roche-sur-Yon.

Odette et Yvonne, les deux jumelles, nées à Saint-Nazaire en novembre 1922, termineront en juillet leur année scolaire.

PecheriesVillesmartinPêcheries et leur estacade pour y accéder, à Villès-Martin. Collection Michel-C Mahé.
ChapellerieLafayetteMCM
Le magasin en 1933 – Collection Patrick Pauvert

Dernières apparitions en public avant son départ.

Le mercredi 19 avril, il s’était vu confier, avec Mlle Jane Mignerat*, en l’église Saint-Gohard, la partie musicale de la messe de mariage de Mlle Gilberte Fleury, fille du juge au tribunal de commerce, avec M. Henri Breton.

* Mlle Jane Mignerat était membre du comité de direction lors de la création de l’Association Orphéonique et Symphonique de Saint-Nazaire en 1924 (directeur M. Cadayé) avec Mme Delattre et M. Haurogné.
En 1926, elle était élève de M. L’abbé Marcel Courtonne (1883-1954), compositeur, organiste de la cathédrale Saint-Pierre de Nantes.
Elle a tenu le grand orgue en l’église de Saint-Nazaire en maintes occasions notamment lors des  sermons de charité en faveur des petites orphelines de l’Ouvroir de la Providence, rue du Croisic, dirigé par les sœurs de la sagesse en décembre 1926 , novembre 1927, novembre 1929 ; en faveur des pauvres de la paroisse, janvier 1930 , novembre 1930 .
À Saint-Nazaire, les sermons de charité se faisaient à la messe de 11h00. Un prédicateur, à l’Évangile, prononçait un sermon dont le but principal était d’inciter les auditeurs à faire un don généreux. La quête, faite juste après, finançait des œuvres caritatives. Pour rehausser l’éclat de cette cérémonie des artistes locaux interprétaient quelques œuvres.
Elle a tenu le piano d’accompagnement lors de manifestations organisées par diverses sociétés : février 1930, avec M. Guérin lors du concert des Méridionaux au Théâtre Trianon. ; novembre 1930, avec M. Guérin lors de la soirée de gala de l’Harmonie du Chantier de Penhoët, au Théâtre Trianon ; novembre 1930, elle accompagnait M. Cadayé lors du banquet annuel de l’Association Amicale des Méridionaux dans les salons du Grand-Hôtel ; décembre 1931, novembre 1932, lors du concert de la Lyre de Pornichet dans les salles de l’Hôtel de Pornichet ; décembre 1931, lors de la conférence-concert en faveur des aveugles soutenus par l’association Valentin-Hauy.
Elle a tenu l’orgue dans la partie musicale de mariages d’enfants de plusieurs familles notamment : décembre 1930, à Saint-Brévin, en compagnie de MM. Léone, père et fils, le mariage de Mlle Marie Durand, de Saint-Père-en-Retz avec M. Raffin, descendant d’une des plus anciennes familles brévinoises et fils du vice-consul d’Angleterre à Saint-Nazaire ; avril 1933, avec M. Cadayé, en l’église Saint-Gohard, la messe de mariage de Mlle Gilberte Fleury, fille du juge au tribunal de commerce, avec M. Henri Breton.
Elle enseignait la musique à Saint-Nazaire. À partir de décembre 1930, chaque année, souvent deux fois par an avril/mai et décembre, la plupart du temps le dimanche, elle organisait, des auditions de ses élèves dans les salons du Grand-Hôtel. Elles étaient très courues et la salle des fêtes était souvent trop petite pour contenir les familles et les élèves.
Les chroniqueurs ne tarissaient pas d’éloges : « Vrai régal artistique, qui nous a permis, une fois encore, de constater l’excellence de l’enseignement musical qu’elle distribue dans notre ville à de nombreuses élèves avec une autorité qui s’impose de jour en jour. »
« Les auditions des élèves de Mlle Mignerat respirent un air de famille et ont un caractère d’intimité à nulles autres égales. C’est là qu’il faut chercher leur secret de plaire. Là, et aussi dans la qualité d’exécutions musicales, témoignant de l’excellence d’un enseignement qui fait le plus grand honneur à celle qui dirige et conseille un des groupes les plus importants d’élèves de notre ville.»
L’abbé Courtonne, son professeur, assistait à cette cérémonie et dirigeait parfois une de ses compositions. M. Cadayé, le samedi 27 mai 1933, a fait, là, sa dernière prestation avant de quitter Saint-Nazaire pour Toulouse.
EgliseSaintGohardSortieMesssÉglise Saint-Gohard aux environs de 1910. Le marché, place Marceau. Collection Michel-C Mahé.
EgliseSaintGohardIntérieurIntérieur de l’église Saint-Gohard aux environs de 1910. Collection Michel-C Mahé.

Comme l’exigeait la tradition, il fit son apparition sur scène au Théâtre Trianon, le lundi 1er mai 1933, au gala de la Société des Méridionaux dont il était le président, pour remercier les personnalités présentes, les artistes et musiciens.
Au programme, le Pays du Sourire, opérette de Mauprey et Marietti, musique de Franz Lehar par les artistes de la Gaieté Lyrique. Elle a fait salle comble.
Les principaux interprètes : Mlle Nelly Valleret (la princesse Lisa) ; M. Marcel Fouquet (le prince Sou Chong) ; M. Robert Buguet (Gustave de Pottenstein) ; Mlle Micheline Farruiz (princesse Mi) ; M. Savigny (comte de Lichtenfelds). Le ballet chinois était réglé par Mme Gontcharowa, l’orchestre était sous la direction de M. René Rungis, la mise en scène de M. Maurice Catriens.
Un chroniqueur écrivait « Si M. Jean Cadayé a parfois éprouvé des déceptions dans notre cité, un triomphe aussi éclatant que celui du 1er mai 1933 doit le consoler de toutes les ingratitudes et de tous les reniements. »

Il semble que le dernier concert avant son départ pour Toulouse eut lieu au Grand-Hôtel, le mercredi 17 mai 1933. Il a partagé ce moment avec le M. Guy Le Huédé*, pianiste de talent.
Selon le chroniqueur : « le public état exceptionnellement nombreux et comprenait même des amateurs de musique venus de très loin (un autocar a fait le trajet de Pornichet pour en amener). »
Sur le programme, ils avaient alterné les œuvres, œuvres pianistiques et de chant.
Programme :
M. Guy Le Huédé : la sonate op. 31, n° 2, de Beethoven ; l’Arabesque et le Chant du Cavalier de Schumann ; La Fantaisie en fa mineur, de Chopin ; La Troisième Valse sérieuse, de Lenormand ; le Clair de Lune, de Debussy ; le Chœur des Fileuses, du Vaisseau Fantôme, de Wagner.
M. Jean Cadayé : l’air d’Agamemnon d’Iphigénie en Aulide, de Gluck ; l’air de Manoah, de l’Oratorio de Samson, d’Haendel ; l’air bouffe de Leporello, du Don Juan, de Mozart ; l’air de Figaro, du 1er acte ; les Deux Grenadiers, de Schumann, Du courage ! mon âme éclate de douleur, de Bordes ; Les Hiboux, de Déodat de Sévérac.
Le Piano d’accompagnement était tenu par Mlle Jane Mignerat.

* M. Guy Le Huédé était professeur de piano. Il avait eu du succès à Saint-Nazaire quelques années auparavant. Il ne s’était plus fait entendre depuis plusieurs années et renouait, en cette occasion, avec les concerts.

Le samedi 27 mai, il était invité, lors de l’audition des élèves de Mlle Mignerat dans les salons du Grand-Hôtel, à côté de Mlle Jeanne Le Magueresse*, 1er Prix du Conservatoire de Nantes.
Les deux maîtres de chant se sont produits dans le premier dans « Les Hiboux », de Deodat de Severac ; « Les Noces de Figaro » et « Don Juan », de Mozart. La seconde : « Le Noyer », de Schumann ; « le Perce-neige », de Gretchaninov.
Ensemble, ils ont eu beaucoup de succès dans le duo de l’oasis de « Thaïs » et un duo de « Véronique ».

* Jeanne (parfois Jane) Le Magueresse , élève de Mlle Mignerat, soprano, 1er Prix du Conservatoire de Nantes , mariée  en 1933 à Jean Klauck,  ingénieur d’études au Chantier de la Loire.
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Jean Cadayé – Direction artistique au casino de Pau – Saison 1928-1929

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Jean Cadayé – Direction artistique au casino de Pau – Saison 1928-1929

Tout en étant directeur de l’Harmonie Marceau, M. Jean Cadayé assura la direction de la scène de la saison 1928-1929 du Casino municipal de Pau. Cette saison-là furent présentés : les Contes d’Hoffmann avec Dupré et Audouin, Faust, Madame Butterfly, Thaïs avec André Gérard, Rigoletto, Lakmé, Philémon avec Lily Pons, Werther avec Stabelh.
M. Cadayé retrouva M. Fernand Masson* qui tout en conservant la direction d’orchestre au casino de La Baule, organisa et dirigea la saison musicale dans ce même Casino municipal de Pau avec un cycle de douze concerts classiques.

* M. Masson, directeur musical et M. Cadayé, comme directeur artistique ont travaillé ensemble lors des fêtes de La Baule, les 30 et 31 juillet et le 1er août 1927, à l’occasion de l’inauguration des deux nouvelles gares, La Baule-Escoublac et La Baule-les-Pins. (Voir l’article « Jean Cadayé et la direction artistique – Les fêtes de La Baule. »
À la fin de la saison 1928/1929, M. Masson quitta la direction d’orchestre au Casino de la Baule pour rejoindre celle du Casino de Pau.

Le samedi 2 février 1929, dans le hall du Casino, lors du grand gala de la Croix-Rouge, M. Cadayé a réalisé la mise en scène d’une évocation du faste de l’Epopée impériale, qualifiée de particulièrement brillante par les chroniqueurs, avec L’Impromptu Impérial* ou la Soirée de Neuilly de M. Georges Loiseau**. La pièce est en deux actes. La scène du premier se déroule le 10 juin 1810, celle du second le 14 juin 1810.

* Créée, le 3 mars1927 au Casino municipal de Cannes avec une mise en scène de M. Léo Devaux, la musique choisie par M. Reynaldo Hann et les décors M. Georges Capron .
La pièce fut aussi donnée en 1928, à Londres, au His Majesty’s Theatre, devant le roi et la reine d’Angleterre au profit du Royal Free Hospital. Elle fut jouée en français et uniquement par des personnalités de l’aristocratie anglaise.
** Georges Loiseau (Paris, 1864 -1949) – 1890 à 1895, critique dramatique ; 1907-1908, secrétaire général du théâtre Sarah-Bernhardt ; 1917 à 1919, chef du service de la diffusion au Centre de la propagande du ministre Clemenceau ; 1920-1949, chef de la publicité des casinos de Cannes et de Deauville.
Œuvres : Péché d’amour, pièce en collaboration avec Michel Carré, Théâtre Libre, 1892 ; Les Fugitifs, drame lyrique, à Gand, 1900 ; Les Maugars, tirée d’un roman d’André Theuriet, Odéon , 1901 ; L’Invitation à l’amour, théâtre Femina, 1908 ; La Puissance de l’enfant (théâtre Antoine, 1924 ; La Nuit du prince pâle, Cannes, 1928.
Romans publiés uniquement en feuilleton dans la presse : L’Insultée, La Porte invisible, La Séquestrée.
CasinoPauLe Palais d’hiver, construit en 1900, avait initialement entre les deux campaniles un palmarium de métal et de verre de forme elliptique. En 1927, l’architecte Georges Wybo le transforme en détruisant le palmarium pour construire un grand hall rectangulaire dans un style néoclassique. Le Palais d’hiver devint alors Casino municipal
ImprompuImperialCannesUne répétition de L’Impromptu impérial sur-la scène du Hall du Casino municipal de Cannes en 1927.
Crédit Photo Gallica – Bibliothèque Nationale de France.

Sous la présidence de M. le préfet des Basses-Pyrénées, du général commandant la subdivision, du maire de Pau, en présence de la duchesse de Madrid , devant une assistance de près de mille personnes*, ce gala eut un grand succès.
La mise en scène de M. Cadayé fut somptueuse, les ensembles remarquablement réglés, une décoration originale de M. Bin de Roussel, des costumes de toute beauté, des meubles de style mis à disposition par un antiquaire contribuèrent à un grand succès.

* Plus de sept cents personnes selon un autre chroniqueur.

Les principaux interprètes : Henri Baudin (L’Empereur) , M. André de Fouquières (M. de Ségur, maître des cérémonies), Dyna Beumer (Pauline Borghèse), M. Rolla Norman (Talma), Mme Cébron-Norbens (Mme Sans-Gêne).
L’orchestre, les chanteurs montagnards de la vallée de Barèges, le corps de ballet du Casino de Pau, la musique, les tambours et les clairons du 18e d’infanterie ont prêté leur concours.

Le gala se termina par un bal. Au restaurant des Ambassadeurs, plus de trois cents convives soupèrent et contemplèrent l’embrasement du Casino par un feu d’artifice.
La nouvelle direction du Casino, avait pris à sa charge tous les frais de cette fête. La recette fut intégralement versée à deux Sociétés de la Croix-Rouge française.

M. Cadayé a aussi mis en scène, toujours au casino de Pau, La Vie Brève*, drame lyrique de Falla** au cours du Gala de Bienfaisance au profit des orphelinats, le xx mars 1929. L’orchestre était dirigé par M. Fernand Masson.
Les principaux interprètes : Mme Marthe Lebasque, (Salud) ; MM. Orand et Mainy Marville ; Mme Stabelly, (la Grand’Mère).
Les intermèdes chorégraphiques de Mme Maria del Villar, son ballet et ses guitaristes ont été très appréciés.
Une fête de nuit au restaurant des Ambassadeurs a clôturé ce gala de charité.

* La Vie brève, drame lyrique en deux actes composé en 1904-1905 par Manuel de Falla, livret en espagnol de Carlos Fernández Shaw, version française de Paul Milliet. L’action se déroule à Grenade en Espagne. Création en français à Nice, au Théâtre du Casino Municipal, le 1er avril 1913
** Manuel de Falla (1876-1946), compositeur, un des plus importants d’Espagne.

Le retour de M. Cadayé à Saint-Nazaire, après cette saison triomphale à Pau, fut lui aussi… triomphal. Lors du gala de l’Harmonie Marceau qu’il avait organisé au Théâtre Trianon, le vendredi 22 novembre 1929, devant une salle comble, M. Le Cam, président de l’harmonie, lui offrit une superbe gerbe de fleurs qui selon le chroniqueur « disait mieux que des paroles, en quelle estime est tenu le directeur de l’Harmonie Marceau. »

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Jean Cadayé et la direction artistique – Les fêtes de La Baule

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Jean Cadayé et la direction artistique – Les fêtes de La Baule – 30 et 31 juillet, 1er août 1927

PlanLaBauleLes nouvelles gares de La Baule-Escoublac et La Baule-les-Pins.
À titre indicatif, aperçu de l’établissement des lotissements – Référence : La Baule – AVAP – Diagnostic.

M. Louis Lajarrige*, ayant fait construire le lotissement du bois d’Amour, craignit que la voie ferrée ne gênât l’accès aux bains de mer. Il intervint auprès de la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Orléans pour modifier le tracé** entre Pornichet et Le Pouliguen. Deux nouvelles gares furent construites : La Baule-Escoublac*** et La Baule-les-Pins****.
À l’occasion de leur inauguration, de grandes fêtes furent organisées à La Baule les 30 et 31 juillet et le 1er août 1927*****. M. André Tardieu, ministre des Travaux Publics a présidé ces manifestations.

* M. Louis Lajarrige, homme politique parisien, était à cette époque le secrétaire général du journal « Le Journal » et président du comité d’organisation de ces fêtes. Le maire de La Baule était Le comte de Lapeyrousse.
** Cette affaire mériterait un développement plus important. En 1911, le conseil municipal avait déjà émis, à l’unanimité, un vœu pour la modification du tracé. Le 14 décembre 1922, il a voté, à l’unanimité, le déplacement de la voie ferrée.
*** Architectes, MM. Pons et Grave.
**** Architecte, M. Colin.
***** Programme de ces fêtes :
Samedi 30 juillet.
De 21 heures à 23 heures, concerts par l’Union Musicale de La Baule, place de la nouvelle gare de La Baule et par l’Harmonie Marceau de Saint-Nazaire, avenue Saint-Georges ;
23 h. 40, arrivée de M. André Tardieu, ministre des Travaux Publics et des invités par le train spécial de la Compagnie des Chemins de Fer d’Orléans, gare de La Baule-Escoublac.
Dimanche 31 juillet.
8 heures 30 à 9 heures 45, distribution de bons de pain et de viande aux indigents de la commune et concours de ballons pour les enfants .
10 heures, inauguration de la gare de La Baule-Escoublac, suivie de lâchés de pigeons par les sociétés colombophiles de Saint-Nazaire ; concert par la musique du 65e d’infanterie .
10 heures 15, pose de la première pierre du boulevard de Mer devant relier Pornichet à La Baule (travail réalisé par l’entreprise Dodin de Nantes).
10 heures 45, inauguration de la gare de La Baule les Pins ; société des cors de chasse « Le Rallye Troyen », dans le bois d’Amour.
11 heures, grand vin d’honneur au parc des Dryades (Théâtre de verdure), offert au ministre des Travaux Publics et
aux invités par le comité des Fêtes ; musique des Équipages de la Flotte de Brest et la Schola Cantorum de Saint-Nazaire.
Programme :
1. La Marseillaise (Rouget de l’Isle), musique des Équipages de la Flotte, chef, M. Boher, sous-chef, M. Ruret ; 2. Ballet des deux pigeons (Messager), musique des Équipages ; 3. a) Brunette, chanson du XVIe siècle ; b) Chanson du XVIIIe ; chœurs mixtes a capella par la Schola Cantorum de Saint-Nazaire, directeur, J. Cadayé, de l’Opéra-Comique ; sous-directeur, M. Delattre, professeur au Collège de Saint-Nazaire ;
4. Hymne au soleil, (Beethoven), chœurs mixtes et orchestre, par la musique des Équipages et la Schola Cantorum .
12 heures 30, déjeuner au Casino municipal de La Baule, sous la présidence du ministre, offert par la municipalité ;
12 h. 30 à 13 heures, hall du Casino de La Baule, concert |par la musique du 65e d’infanterie, de Nantes, chef M. Auradou .
15 heures, Place du Théâtre de la Baule-les-Pins, (anciennement Place du Marché), dans le Bois d’Amour, Carmen, opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet ;
18 heures 30 à 19 heures 30, concert, place de la Vieille gare en bois, par la musique du 65e d’infanterie ;
21 heures, grande fête de nuit, à La Baule-les-Pins, bois d’Amour, grand concert par la musique des Équipages de la Flotte de Brest, chef M. Boher.
Programme :
1. Ouverture de Tannhäuser, (Wagner) ; 2. Peer Gynt, (Grieg), a) Le matin, b) La mort d’Ase, c) Danse d’Anitra, d) dans le hall du roi de la montagne; 3. Danse, macabre (poème symphonique), (Saint-Saëns) ; 4. Impressions d’Italie, G, Charpentier; a) Sérénade, b) à la fontaine, c) à mules, d) sur les cimes, e\ Napoli, (soliste, M. Guillon, saxophone ténor) ; 5. Rapsodie hongroise, (I,istz), (soliste, M. Buret, sous-chef, clarinette).
Feu d’artifice, tiré par les établissements Ruggieri, dans le haut de l’avenue des Tilleuls.
22 heures 30, place des Palmiers, grand bal champêtre (200 musiciens ) par l’Harmonie Marceau de Saint-Nazaire.
Lundi 1er août.
15 heures, grand concert de gala offert par « Le Journal » au Casino de La Baule (direction Mattei) sous la direction effective de M. Fernand Masson, de l’Opéra-Comique.
Programme : 1. Ouverture de Patrie (Bizet), Musique des Équipages de la Flotte ; 2. Concerto de violon (Nardini), Gabriel Bouillon et l’orchestre du Casino ; 3. a) Grand cri de Louise (G. Charpentier) ; b) Manon, adieu, notre petite table, Mlle Hélène Esserman ; 4. a) air de Papageno, la Flûte enchantée (Mozart) ; b) air de Benvenuto Cellini (Diaz), M. Daniel Vigneau ; 5. Petite suite (Debussy), a) En bateau, b) Menuet, c) Cortège, d) Ballet, par la Musique des Équipages ; 6. Air de la Tosca (Puccini) ; Ballade de Rigoletto (Verdi), Enrico di Mezzei; 7. a) Sérénade espagnole (Chaminade), b) Menuet (Porpora), Gabriel Bouillon ; 8. Duo de la Vie de Bohême, 1er acte (Puccini), Enrico di Mazzei et Hélène Essermann ; 9. Cortège pittoresque (Boher), Musique des Équipages ; 10. Ballet blanc réglé par Mme de Consoli et dansé par Mlle Maud Burgane. Christiane Hatier et le corps de ballet du Casino ; 11. Marche militaire française (Saint- Saëns).
17 heures, courses et régates organisées par le Cercle Nautique de La Baule.

Deux navires de la marine d’État ont mouillé au large de La Baule et de l’îlot des Evens : l’aviso Arras (commandant, capitaine de corvette Schwerer) et la canonnière Sans-Souci, (commandant, lieutenant de vaisseau Bouis).
Des trains spéciaux de nuit sur les lignes de Nantes-Saint-Nazaire-Le Croisic et Guérande avaient été prévus.

L’ensemble des spectacles était gratuit. Les frais ont été considérables et, malgré les sommes importantes apportées par les souscripteurs et l’aide apportée par le Casino, l’Hôtel de l’Hermitage, la Société Foncières et immobilière de La Baule-les-Pins, la direction du Journal, ces fêtes ont généré un important déficit de 80 000 francs. M. Lajarrige dans un plaidoyer paru dans la presse, bien documenté et chiffré, a demandé aux amis, aux spectateurs, aux propriétaires et aux commerçants de solder les frais de cette entreprise.

TheatreParcDryadesLe Théâtre de verdure, photo aux environs 1932, où eut lieu le vin d’honneur offert au ministre des Travaux Publics et aux invités par le comité des Fêtes – Collection Michel-C Mahé.
HallCasinoLaBaule1926Le Hall du casino de La Baule, photo aux environs 1926, où eut lieu le grand concert de gala offert par « Le Journal » – Collection Michel-C Mahé.
AncienneGareLa gare de La Baule-Escoublac (1879-1927) – Collection Michel-C Mahé.
NouvelleGareLaBauleLesPinsLa gare de La Baule-les-Pins – Collection Michel-C Mahé.
GareLaBauleEscoublacLa gare de La Baule-Escoublac – Collection Michel-C Mahé.

Carmen au bois d’Amour

Le dimanche, à 15 heures, place du Théâtre au bois d’Amour, une grande représentation de gala fut organisée par le journal « Le Journal» et la Société Générale Foncière.
Quatre heures durant, on joua Carmen, opéra-comique en quatre actes, de Georges Bizet. M. Jean Cadayé en était le directeur artistique, M. Monistrol, du casino de La Baule, le directeur de la scène.
Les trois cents exécutants étaient sous la direction de M. Fernand Masson*, de l’Opéra-Comique.
Chef des chœurs : M. Geo Moreau ; chefs des chants ; MM. Delbruère et Lhéris.
Régisseurs : MM. Payen, Péronne, Finet.

* Selon mes sources à ce jour, M. Fernand Masson assura la direction d’orchestre au Casino de la Baule, directeur M. Mattéi, de la saison 1921 à 1929 . M. Gaston Hervé lui succéda pour la saison 1930.

Distribution : Carmen, Mlle M.-L. Dubost, de l’opéra-comique ; Micaëla, Mlle di Gastardi, de l’Opéra-Comique ; Frasquita, Mlle Raynald, du Casino municipal ; Mercédès, Mlle Sermaize, du Casino municipal ; Don José, M. Louis Rodier, de l’Opéra ; Escamillo, M. Daniel Vigneau, de l’Opéra-Comique ; Le Dancaïre, M. L. Dufranne, de l’Opéra ; Zuniga, M. Cormerais, du Casino municipal ; Le Remendado, M. Valette, du Casino municipal ; Moralès, M. Couturier, du Casino municipal ; Lilas Pastia, M. Payen, du Casino municipal.
Le grand défilé de la corrida fut joué par quarante enfants des écoles de La Baule et de Saint-Nazaire et la cavalerie par les manèges du Panthéon et Dassonville* .
Les entractes ont été sonnés par la fanfare de chasse du Rallye Troyen .

* Le Manège Dassonville, 5, rue Leroux (avenue du Bois) à Paris, avait une succursale à La Baule, à l’ancien Champ de Courses. Il fonctionnait seulement pendant la saison. Son propriétaire-directeur était M. Louis Datessen.
CarmenBoisD'AmourCarmen, place du Théâtre, au bois d’Amour – Crédit Photo Gallica – Bibliothèque Nationale de France.

La place du Théâtre était une large clairière, au sol de sable, dans un bois de pins. Pour cette occasion, une vaste scène avait été dressée. Selon un chroniqueur : « M. Cadayé a réuni les ciels et les plateaux de tous les théâtres jusqu’à Nantes. »
On emprunta, lors de l’acte des contrebandiers, le décor naturel : des ânes chargés d’enfants à bérets rouges et suivis par d’autres avec des foulards écarlates sur la tête dévalèrent les dunes au trot pour venir déboucher sur la scène.

Selon un autre chroniqueur : « …Cette représentation a été admirable et des vieux abonnés de l’Opéra-Comique, le Théâtre National, vous entendez bien, affirment péremptoirement – jamais même à Paris, nous avons eu semblable représentation, tant au point de vue qualité qu’au point de vue de mise en scène. »

Selon les sources, le nombre de spectateurs était de 20 000 , 25 000 ou de 30 000 personnes.

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Jean Cadayé et la direction artistique – Les fêtes de Saint-Marc-sur-Mer

M. Jean Cadayé assura des directions artistiques, notamment pour les fêtes de Saint-Marc-sur-Mer en 1924, celles organisées à la Baule les 30 et 31 juillet et le 1er août 1929 à l’occasion de l’inauguration des deux nouvelles gares, La Baule-Escoublac* et La Baule les Pins** et puis la saison lyrique 1928-1929 du Casino municipal de Pau avec notamment la brillante mise en scène de l’Impromptu Impérial ou la Soirée de Neuilly, de M. Georges Loiseau, lors du gala de la Croix-Rouge le samedi 2 février 1929, dans le hall du casino.

Les fêtes de Saint-Marc

Après le succès des fêtes du Vieux Saint-Nazaire*, le petit bourg de Saint-Marc-sur-Mer** (commune de Saint-Nazaire), voulut lui aussi avoir ses fêtes locales. Celles-ci furent organisées par le Comité des fêtes, pour la première fois, selon mes sources à ce jour, le samedi 27 et le dimanche 28 août 1921 et ensuite chaque année, en général au mois d’août, au moins jusqu’en 1939.
Elles comprenaient le plus souvent : des courses de bicyclettes, de lenteur, d’obstacles, de natation, des concours de sable, de petits bateaux, de tirs, ainsi qu’un défilé fleuri, un apéritif-concert à l’Hôtel de la Plage***, une retraite aux flambeaux, un feu d’artifice et pour terminer un bal champêtre sur la place de la mairie annexe. Les épreuves et le défilé fleuri faisaient l’objet d’un palmarès.

* Les premières fêtes connues du Vieux Saint-Nazaire eurent lieu, selon mes sources à ce jour, le samedi 30 et dimanche 31 juillet 1921 à l’initiative de quatre conseillers municipaux du quartier. Elles perdureront au moins jusqu’en 1938.
** Saint-Marc-sur-Mer était considéré, à juste titre, comme le coin le plus charmant de la banlieue nazairienne. Selon un guide touristique de l’époque : « C’est une petite station balnéaire nichée dans un étroit vallon, bordée des deux côtés par de hautes collines qui lui assurent la fraîcheur et lui donne un aspect des plus tranquille. Au pied des falaises, jaunâtres, se dressent des rochers isolés et escarpés. Un très beau rocher, où s’enracine un petit môle, se dresse au milieu même de la plage… En arrière, la petite église et les chalets sont disséminés dans une épaisse verdure.»
*** Hôtel de la Plage, Saint-Marc. Exploitants connus : environ 1910, M. Boussenot. . Date de cession du fonds inconnue à M. Léon Gondard et Mme Camille Bigotteau . Le 1er juin 1926, le fonds de commerce d’hôtel-restaurant-café est vendu par les époux Gondard à M. Léon Guillet et Mme Sancereau, son épouse demeurant à Tharon-Plage. Le 29 novembre 1929, le fonds de commerce est vendu par les époux Guillet à M. Émile Gagnard et Eglantine Gauthier son épouse demeurant au Pouliguen.
En exécution d’un jugement rendu sur requête par le Tribunal civil de Saint-Nazaire le 15 février 1936, puis d’un second jugement le 29 juillet 1938, les biens de M. Boussenot, l’hôtel, une maison, un chalet, sont vendus par adjudication le 16 septembre 1938 .
SaintMarcLaCoteDevantLaPlageSaint-Marc – Au fond, l’Hôtel de la plage – Aux environs de 1910 – Collection Michel-C Mahé
PubHotelDeLaPlage 001Publicité Hôtel de la Plage – Guide syndicat d’initiative, aux environs de 1926 – Collection Michel-C Mahé.
HotelDeLaPlageSaintMarcHôtel de la Plage, aux environs de 1926 – Saint-Marc-sur-Mer – Collection Michel-C Mahé.
SalleAMangerHôtel de la Plage, aux environs de 1926 – Saint-Marc-sur-Mer – Salle à manger – Collection Michel-C Mahé.

Lors des Fêtes de Saint-Marc, du 23 et 24 août 1924, qui, selon le Comité des fêtes, « éclipseront en éclat tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour », M. Cadayé a accepté la direction de la partie artistique. Un grand concert fut organisé le samedi 24 août 1924 à l’Hôtel de la Plage.
Programme :
1. Fedia, d’Erlanger ; Le Colibri, de Chausson, par Mme Martin Saillant, soprano lyrique.
2. Thaïs, Mme Martin Saillant, Jean Cadayé. 3. Le Trio de Faust, Mme Martin Saillant, MM. Destrel et Cadayé. 4. L’air de la Calomnie dans le Barbier de Séville ; Les vieilles de chez nous, de Levadé, M. Cavayé. 5. L’air de Suzanne, de Paladilhe ; l’aubade du Roi d’Ys, de Lalo, M. Destrel. 6. Deux morceaux de la composition de M. Fernand Masson*, premier chef d’orchestre de l’Opéra-Comique. 7. Le Souvenir du Roi d’Ys, Lalo ; Humoresy, de Dorate, M. Jean Tasset, Violoncelliste. 8. Le Joyeux Sarret, dans son amusant répertoire.

* M. Fernand Masson assura la direction d’orchestre au Casino de La Baule, directeur M. Mattéi, de la saison 1921 à 1929 . M. Gaston Hervé lui succéda en 1930.

 

MonsieurMasson

Crédit Photo Gallica – Bibliothèque Nationale de France.

 

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Jean Cadayé, des talents d’organisateur

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Jean Cadayé, des talents d’organisateur

Fêtes Américaines – 26 et 27 juin 1926

Très rapidement M. Cadayé était devenu une personnalité de premier plan et on lui reconnu des talents d’organisateur.
En mars 1924, à New-York, « The St. Nazaire Association* », forte d’environ 300 membres ayant stationné à Saint-Nazaire et ses environs pendant la première guerre mondiale, forma le projet d’élever à Saint-Nazaire un monument commémorant l’arrivée des premières troupes américaines, en France, à Saint-Nazaire le 26 juin 1917. Elle chargea Mme Gertrude Whitney** de concevoir ce monument.
Les fonds nécessaires pour son érection ont été fournis par les membres de « The St. Nazaire Association », mais aussi par une souscription publique dans tous les états de l’Union.

* La collecte des fonds (100 000 dollars) a été faite sous les auspices de l’association  « The Saint-Nazaire Memorial Fund ».
* Gertrude Vanderbilt est née à New York le 9 janvier 1875. Elle était la seconde fille de Cornelius Vanderbilt II (1843–1899) et Alice Claypoole Gwynne (1852–1934). Elle fut éduquée par des professeurs particuliers puis dans une école privée de New-york, Brearley School .
À 21 ans, le 25 août 1896, Gertrude se marie avec Harry Payne Whitney (1872–1930), un banquier et investisseur qui hérita d’une fortune considérable. Ils ont eu trois enfants Flora (1897-1986), Cornelius (1899-1992), et Barbara (1903-1983).
Tandis qu’elle visitait l’Europe, vers 1900, Gertrude découvrit la vie artistique foisonnante de Montmartre et Montparnasse. Cela l’a encouragée dans sa créativité et elle devint sculptrice.
Elle a étudié à New York à « The Art Students League » avec Hendrik Christian Andersen et James Earle Fraser, à Paris avec Andrew O’Connor . Un temps elle fut l’élève de Rodin.
Son oeuvre inclus beaucoup de petites sculptures mais elle est plus connue aujourd’hui pour ses œuvres monumentales.
On lui doit notamment : La Fontaine de l’El Dorado à San Francisco (désormais à Lima au Pérou) ; La Fontaine aztèque à Washington ; Le mémorial des Femmes du Titanic, Washington ; La statue de Buffalo Bill, Wyoming ; L’Arc de la Victoire – Madison Square, New York ; Un monument aux morts de la Première Guerre mondiale – Mitchell Square Park.

Gertrude_Vanderbilt_Whitney_(1920)

Gertrude Vanderbilt Whitney dans son atelier – 1920 – Photo Wikipedia

 

CPBleueMonimentAméricain

Le Monument américain – Une des premières cartes postales, imprimées en bleu par M. Landas*. Hauteur totale : 21 m ; hauteur socle en béton armé : 16 m ; envergure aigle de bronze : 10 m 80 ;hauteur soldat : 6 m.
* Librairie Saint-Joseph ; Maison Louis Landas ; 29, place Marceau.

Pour l’inauguration de ce monument la municipalité décida d’organiser des fêtes, que l’on voulait grandioses.
Un comité d’organisation fut mise en place et M Cadayé en fut nommé président. Il fit avec M. Blancho* les démarches et invitations officielles somme toute très protocolaires.
Toute une organisation fut mise en place. Le Comité d’organisation a élaboré un Comité d’Honneur qui constitua, avec les différentes Commissions, le Comité générale des Fêtes. Les Comités de fêtes des différents quartiers étaient reliés au Comité Général.

* François Blancho (1893-1972), maire de Saint-Nazaire de 1925 à 1941, puis de 1947 à 1968.
Député socialiste de la Loire-Atlantique de 1928 à 1942 et de 1962 à 1967. Il fut sous-secrétaire d’État dans divers gouvernements entre 1936 et 1940. Il fut élu au Parlement européen de 1962 à 1964.

Que s’est-il passé ? Quelque temps avant l’inauguration, tous les journalistes furent réunis au café Nézet* et on leur demanda de supprimer le nom de Cadayé de tous les communiqués concernant les fêtes franco-américaines. Son nom ne figura plus dans aucun article sur ce sujet, le dernier où on y fait référence est du 1er juin 1926.

* 14, Rue du Bois-Savary, près des halles.

Lors de la cérémonie d’inauguration c’est M. Henri Ploquin*, compositeur qui dirigea l’Harmonie Marceau, la Schola Cantorum ( toutes deux direction Cadayé !) et les jeunes filles de l’École primaire supérieure avec une cantate : « Ils sont venus portés sur les ailes des aigles… » de Pierre Armor**.

* M. Henri (Prosper) Ploquin, né à Nantes le 19 septembre 1862. Compositeur nantais, professeur au Conservatoire de musique de Nantes 1888 à 1898, classe de piano élémentaire, garçons. Il fonda à Nantes, le 2 juin 1889, la société de tir, de gymnastique et d’instruction militaire « La Bretonne ». Il en restera président jusqu’en 1895.
Il quitte Nantes pour installer l’éclairage électrique à la Roche-Bernard. Il y reste jusqu’en 1919. Il a été attaché pendant toute la durée de la guerre au petit hôpital militaire de la Roche-Bernard pour soigner les blessés par les massages et bains électriques. Il revient alors à Nantes et reprend un poste de professeur de solfège au Conservatoire.
Auteur d’un grand nombre de pièces pour chant, piano et orchestre parmi lesquelles :
– « Triomphe d’Étoiles », marche dédiée au président Wilson ;
– « Plage d’amour » jouée sur les plages et au Casino de Pornichet l’été 1923 ;
– musique de « Pour Avoir la fille », vaudeville-opérette de Pierre Armor ; présenté pour la première fois au Théâtre de l’Athénée, à Saint-Nazaire, le samedi 13 janvier 1923 ;
– musique de « Jusqu’au bout », drame en un acte de Pierre Armor, présenté au Théâtre Trianon le dimanche 14 décembre 1924 ;
– « Ils sont venus portés sur les ailes des aigles… », cantate, paroles de Pierre Armor , interprétée lors de la cérémonie d’inauguration du monument américain ;
– « Hymne à l’Aurore », symphonie et chœur, exécuté pour la première fois par les élèves de l’école de Musique de M. Léone au Théâtre Trianon le 4 mai 1925 ;
– musique de « L’Amour imprévu » opérette en un acte de A. Yvandré (pseudonyme d’une personnalité nantaise), donnée pour la première fois à Nantes dans la salle des Fêtes de l’École de la Madeleine le 10 janvier 1937 ;
– une messe, dont il dirigea l’exécution en l’église de la Madeleine à Nantes ;
– musique de « Le Trésor enchanté » , une féerie en trois actes, paroles de A. Yvandré ; donnée au patronage de l’Étoile du marais à Chalans le dimanche 26 septembre 1937 ;
– « Le Mannequin Sauveur », opérette – 1937.
Il habitait, 27, rue de la ville-en Bois, à Nantes. Il était membre de la Société des Auteurs et Compositeurs de Musique et de la Société des Auteurs Dramatiques.
Distinctions :
Officier d’Académie le 10 mars 1911.
Officier de l’Instruction publique le jour d’inauguration du monument américain à Saint-Nazaire le 26 juin 1926.
Médaille d’argent pour de nouveaux procédés de fabrication du sulfate de Nickel à l’Exposition départementale de Nantes en 1882.
Une mention honorable à l’Exposition nationale de photographie de Nantes en 1886.
** M. Pierre Armor ,pseudonyme de M. Félix (Marie, René) Crespin, secrétaire général de la sous-préfecture de Saint-Nazaire à partir de 1915, auteur nazairien.
Œuvres : « Pour avoir la fille », vaudeville-opérette, musique de M. H. Ploquin présentée pour la première fois au Théâtre de l’Athénée le samedi 13 janvier 1923 .
« Jusqu’au bout », drame en un acte, musique de M. H. Ploquin présenté au Théâtre Trianon le dimanche 14 décembre 1924 .
Le 1er mai 1930, il prend sa retraite et quitte son poste de secrétaire général de la Sous-Préfecture.
Il a collaboré, avec de nombreux articles et nouvelles, dans le journal « La Démocratie de l’Ouest ». Il en deviendra le rédacteur en chef.
Auteur d’un livre « Aristide Briand, Nazairien » – 1933 – Editeur Eugène Figuière.
Le 1er janvier 1934 il devint propriétaire du fond de commerce  d’Annonces, Insertions, Publicités et d’Avis divers et du journal Démocratie de l’Ouest. Il était situé 39, rue de Paris.
Pierre Armor habitait 9, rue Villès-Martin.

Après les fêtes, une lettre d’un lecteur adressée à un journal local, signée « Lynx », félicitait le comité de son activité :
« À qui attribuer cet excellent résultat ? C’est ici que personne ne clame ; chacun avec sa part de contentement se retire au logis et y vit en égoïste.
Il faut reconnaître que des mains habiles et des cerveaux compétents ont présidé à ces succès.
Ceux-là restent dans l’ombre … Dont acte… »
On ne peut pas avec certitude attribuer ces mots à M. Cadayé mais il savait bien à-propos s’adresser à la presse et je doute fort qu’il ne fit rien contre cet outrage.

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Jean Cadayé et la direction de concerts

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CarteSaintNazaire1924AnnoteeLettre4Saint-Nazaire en 1924 – A) Quartier Marceau ; B) Jardin des Plantes ; C) Place Carnot ;
D) Café du Ralliement ; E) Bureau du Port.
(Pour plus de détails, cliquez ici)

Jean Cadayé et la direction de concerts

Harmonie Marceau

M. Jean Cadayé prit la direction de l’Harmonie Marceau* qui s’était constituée au sein du comité des fêtes du quartier Marceau. Elle se produisit pour la première fois lors de la fête annuelle du quartier le 24 et 25 août 1923 et donna son premier grand concert au Jardin des plantes, le dimanche 23 septembre 1923.
Sous sa direction, selon les chroniqueurs de l’époque, l’Harmonie Marceau s’est affirmée tout de suite comme une excellente société musicale. Très vite elle s’est imposée dans le paysage culturel nazairien et elle était bientôt de toutes les fêtes et manifestations avec l’Harmonie Saint-Joseph** et l’Harmonie Nazairienne***.
Par ailleurs elle organisait des concerts publics au Jardin des plantes, place Carnot, dans les kermesses d’école, proposait des soirées musicales, des concerts pour ses membres honoraires, assurait les auditions musicales lors des lancements de navire au Chantier de Penhoët etc.

* Voir les articles qui lui sont consacrés.
** Le Comité Marceau fut créé en septembre 1922 pour organiser des fêtes dans le quartier. Il avait son siège social à Publicité de l’Ouest, 45, rue Thiers.
Président : M. Relanqui, rue Thiers ; vice-président : M. Giraud, café des Bains, rue du Bois-Savary ; commissaire général : M. Josse, bijoutier, 4, place Marceau.
*** L’Harmonie Saint-Joseph fut fondée en 1877.
**** L’ Harmonie Nazairienne fut crée au sein de l’École de Musique vers 1925 par M. Albert Léone. À ne pas confondre avec La Nazairienne, la plus ancienne société de tir, de gymnastique et de préparation militaire créée le 15 mars 1885 qui existait à cette époque.

M. Cadayé était membre du comité Marceau. L’assemblée générale du comité se faisait au café du Ralliement*.

* Café du Ralliement , place marceau. Tenu en 1923 par : M. Chenard Joseph ; ≈1934 : M. Boisseau . Ce dernier était un ancien élève de l’institution Livet et dans la salle des réunions trônait un portrait d’Eugène Livet, le père des Écoles Nationales Professionnelles. Ce café était le siège social de beaucoup de sociétés et maintes réunions y étaient tenues.
RueAmiralCourbetCafeDuRalliement1921Rue Amiral-Courbet – 1921 – À gauche le café du Ralliement – Collection Michel-C Mahé

À la suite d’une demande faite par les membres actifs de l’Harmonie Marceau elle devint l’Harmonie du Chantier de Penhoët*, à partir du 11 mai 1930. M. Cadayé en assurait toujours la direction.

* Voir les articles qui lui sont consacrés.

Dans le courant de l’année 1932 ou au premier semestre 1933, l’Harmonie se choisit un nouveau chef en la personne de M. Albert Thiry*, ex-chef du Corps de musique d’Yverdon (Suisse).

* Voir les articles qui lui sont consacrés.

L’Association Orphéonique et Symphonique Schola Cantorum

M. Cadayé devint l’animateur et le directeur, dès sa création, de l’Association Orphéonique et Symphonique Schola Cantorum. Elle s’était constituée en février 1924, par la fusion de la société musicale l’Union Orphéonique* et le Grupetto**, société d’amateurs de musique de chambre qui, ayant rencontré quelques vicissitudes, fut reconstituée par M. Delattre en début d’année 1923.

*) En mars 1921, L’Union orphéonique entreprend de se réorganiser . Elle était dirigée par M. Guillon, instituteur à l’école Waldeck-Rousseau. Il habitait 32, rue Waldeck-Rousseau. En septembre 1923, M. Guillon est nommé directeur d’école à Pornichet. L’Union orphéonique répétait boulevard de l’Océan en face du Bureau du Port.
En 1923, Directeur de l’Orphéon : M. Guillon ; régisseur : M. Foucher ; vice-président : M. Dumay ; trésoriers : MM. Roche et Guillou ; secrétaires : MM. Thomas et Bourges ; commissaire général : M. Lurat ; archiviste : M. Renaudineau.
**) La société musicale Grupetto, société d’amateurs de musique de chambre, était dirigée, en 1922, par M. J. Gautier. On connait le programme d’un concert qu’elle offrit à la maison du Ligueur (Ligue Nazairienne contre l’alcoolisme), 10, rue du Prieuré :
Première partie : Monte-Carlo, marche (H. Tellans) ; Serments d’Amour, valse lente (C. Bernard) ; Menuet Chantilly, fantaisie (P. Kelsen) ; En fox-trottant (Valny de Montléry).
Seconde partie : Les Catalans, marche espagnole (Popy) ; Folle extase, valse (Molak) ; Muguette, fantaisie (Mina) ; Victoire, marche, (Borc).
L’orchestre ayant rencontré quelques vicissitudes, M. Delattre le reconstitua en début d’année 1923 en le portant à une soixantaine d’exécutants, cuivres et cordes. Il avait projet alors de se produire chaque mercredi au Grand Café, place Carnot.
L’Union Orphéonique et le Grupetto se produisent au Théâtre Palace (directeur M. Salmon) lors d’un concert au profit de la caisse de secours de l’Association des mutilés le 23 mars 1923. M. Delattre dirige le Gruppeto, M. Guillon, l’Orphéon,
Le 27 juillet 1923, lors de la kermesse de l’Union Nationale des Combattants, au Jardin de Plantes on vit l’Union Orphéonique et le Grupetto ensemble sur le Kiosque dirigés par M. Guillon. La Fanfare Scolaire dirigée par MM. Marcel et Léone était aussi de la fête.
L’Union Orphéonique et le Grupetto fusionnent pour donner L’Association Orphéonique et Symphonique Schola Cantorum en février 1924.

À sa création, elle comptait 25 chanteurs et 30 chanteuses ; en juin 1924 : chanteurs : 35 ; chanteuses : 40 ; orchestre (ex Grupetto**) : 50 ; en décembre 1924 : 50 chanteurs et 63 chanteuses ; orchestre : ≈ 50

Ses deux premiers concerts eurent lieu le 29 juin 1924 au jardin des Plantes et le 27 juillet 1924 au Parc Dryades à La Baule-les-Pins.
Elle connut tout de suite le succès en se produisant au profit des œuvres de bienfaisance de la ville, des sinistrés de Penmarc’h*, en participant aux cérémonies telle celle du 11 novembre 1924 à l’inauguration du Monuments aux Morts, boulevard de l’Océan, en organisant des galas et festivals. L’Harmonie Marceau, dirigée elle aussi par M. Cadayé, prenait quelquefois part à ces manifestations.

* Le 23 mai 1925, deux bateaux de pêche en perdition et deux canots de sauvetage partis les secourir ont sombré au large de Penmarch faisant au total vingt-sept victimes et 24 veuves et 45 orphelins.
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Jean Cadayé – À la conquête de Saint-Nazaire

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Jean Cadayé (1890 – )

IndicationBatimentLettre3Saint-Nazaire en 1924 – A) Théâtre Athénée ; B) Collège de garçons Aristide-Briand ; C) Théâtre Trianon ; D) École Gambetta. Pour agrandir cliquez sur l’image –  Pour plus de détails, cliquez ici.

Jean Cadayé  – À la conquête de Saint-Nazaire

Nous avons vu dans l’article précédant son arrivée à Saint-Nazaire comme commerçant mais voyons maintenant comment il a conquis la ville.

Première prestation vocale à Saint-Nazaire

Il semble que sa première prestation vocale dans notre ville fut le lundi 29 mai 1922, au théâtre de l’Athénée lors du concert de bienfaisance organisé par l’École de Musique et son directeur M. Léone. Accompagné par Mlle Barthès*, pianiste, il a obtenu un immense succès et obtenu les honneurs du bis.
* Professeur de piano supérieur à l’École de musique.

Programme :
1. La symphonie pastorale n°104 de Haydn, par l’orchestre de L’École de musique ; 2. La leçon de Minet, chœur d’enfants ; 3. Air de la Calomnie du Barbier de Séville ; Les vieilles de chez nous, de Levadé, par M. Jean Cadayé ; 4. La Moisson, de Gounod ; Hymne à la nuit, de Rameau, en deux chœurs, par la chorale de l’Ecole. 5. Une causerie : Molière et son œuvre, par M. Alain d’Ayzac* ; 6. Tartufe, de Molière, donné en première audition par la troupe de Madame Francine Vasse.
Location : 0 francs 50.
Prix des places : Fauteuil de première : 7 francs ; fauteuil d’orchestre : 5 francs ; parterre : 3 francs 50 ; galeries : 2 francs 50
* Alain d’Ayzac était un des acteurs de la troupe Vasse.

École de musique

De par sa notoriété on le pria de participer au jury du concours de chant de l’École de Musique* dès juillet 1922 ** puis en juillet 1923. ***
* L’école était dirigée par M. Albert Léone et avait son siège 68, rue Villès-Martin.
** Ce concours a eu lieu, le lundi 10 juillet 1922, salle du groupe artistique, boulevard de l’Océan. Le jury était composé de Dr Méloche, président du Conseil d’Administration de l’École de musique, Mlle Chartier, MM. Cadayé, Bouglé, Crespin, Dauneau, Marcel et Norange, membres. Sept élèves ont pris part au concours.
*** Jury : MM Horveno, Cadayé, Crespin, Léone, Dauneau.

CollegeDeGarconCollège Aristide-Briand – Collection Michel-C Mahé

Inauguration d’une plaque au Collège Aristide Briand

Le dimanche 22 octobre 1922, on le voit participer à l’inauguration d’une plaque, offerte par M. Brichaux*, à la mémoire des 3 professeurs et des 108 élèves du Collège Aristide Briand** morts pour la France. Devant de nombreuses personnalités, il chanta la mélodie écrite sur les vers de Péguy « Heureux ceux qui sont morts… » ainsi que l’air « Patrie » de Paladhile « Pauvre martyr obscur… » accompagné par Mme Barthès***, pianiste. La séance prit fin par la Marseillaise qu’il chanta accompagné par l’orchestre Delattre****.

 * M. Brichaux était président de la Chambre de Commerce, ancien élève de l’établissement et président de l’Amicale des Anciens Élèves.
** Le collège de garçons prit le nom d’Aristide-Briand en 1921. Le principal était M. Clément. Parmi ces morts il avait un fils de 21 ans.
*** Professeur de piano supérieur à l’École de musique.
**** M. Delattre était professeur de musique au Collège. Il habitait 81 bis, rue Villés-Martin.
SalleTurcaudNantesSalle Turcaud, 4, rue Voltaire à Nantes – Collection Michel-C Mahé

Amicale des méridionaux

Il fit une entrée remarquée dans cette société, lors d’une fête donnée le 10 janvier 1923, salle Turcaud à Nantes. Il chanta, bien qu’il ne figurait pas au programme, et il fut chaleureusement applaudi. Le dimanche suivant, il se fit entendre, à la demande du comité d’organisation, dans les deux parties du programme.

Il devint Président de l’Amicale des Méridionaux de Saint-Nazaire, le samedi 5 décembre 1925, lors de l’assemblée générale, dans la salle de leur siège social, café Astruc *, 9, rue Henri-Gautier **. Il remplace M. Martel, de Saint-Marc.

*) Café « Au bon Vin » tenu par Alcide Astruc et Marie Maussion son épouse. Celui-ci fut vendu à M. Huvelin en 1926 mais il restera « Café Astruc » pour les nazairiens.
**) Rue de Nantes jusqu’en 1919, rue Président Wilson jusqu’en 1925.

Fête de Charité

Il participe gracieusement à un concert de charité au profit des Associations d’aide aux veuves et orphelins des Armées le vendredi 30 novembre 1923, au Trianon, en compagnie de Mme Jeanne Perdriel-Vaissière*, auteur dramatique ; Mlle Anaïs Hallez, pianiste ; M. Bernard Moignot, violoniste, premier prix du Conservatoire de Nantes.

*) Jeanne Perdriel-Vaissière, née Jeanne Lucie Sidonie Vaissière (1870-1951), écrivaine et poétesse française, connue également sous le nom de plume de Saint-Cygne.
Programme :
Première partie :
L’Amoureux fou, Louis Tiercelin ; La Chanson du cidre, Frédéric Le Guyader ; Sonnet, Joachim du Bellay ; Sonnet à Hélène, Pierre de Ronsard, par Mme Perdriel-Vaissière.
Air de Manoah (Oratorio de Samson), Haendel ; Don Juan (air de Leporello), Mozart, par Jean Cadayé.
Valse Posthume, Chopin, par Anaïs Hallez.
Variation, Tartini Kreisler ; Romance, Svendsen, par M. Bernard Moignot et Anaïs Hallez
Deuxième partie :
Le Cavalier Blanc, Maurice Magre ; La Complainte des jeunes filles qui ne sont pas épousées, M. Perdriel-Vaissière ; Mantilles, M. Perdriel-Vaissière, par Mme Jeanne Perdriel-Vaissière.
Prologue de Paillasse, Léon Cavalo ; les Folies amoureuses, d’Abert Pessard, par M. Jean Cadayé.
Airs bohémiens, de Saraste ; 13e Phapsodie, Listz, par A. Hallez et Bernard Moignot.
Histoire du vieux temps, scène en vers de Guy de Maupassant : Le comte, M. jean Cadayé ; la marquise, Mme Perdriel-Vaissière.

 

GroupeScolaireGambettaLe Groupe scolaire Gambetta  – Photo 1907 – Collection Michel-C Mahé

La fête de l’École Gambetta et du quartier de Cardurand

On le voit participer à la fête de l’École Gambetta et du quartier de Cardurand organisée par l’Amicale des anciens élèves*, le samedi 16 juin 1923, à 20 H 30, dans la cours de l’école où un théâtre de verdure, éclairé par de multiples lampes électriques, égayé par des girandoles de lanternes vénitiennes, avait été dressé. Plus de 1500** personnes y ont assisté.

* Vice-président M. Chédotal. Cette fête marque le réveil de cette amicale laïque par une nouvelle formation. À cette date il y avait douze amicales laïques à Saint-Nazaire : Collèges de Garçons (1897) ; Carnot (1901) ; Waldeck-Rousseau (1904) ; Jules-Ferry (1907) ; Paul-Bert (1912) ; Ernest-Renan (1913) ; École Pratique du Commerce et de l’Industrie (1914) ; Victor-hugo (1920) ; Collège de Filles (1922) ; Gambetta (1922) ; Michelet (avril 1923) ; Lamartine (juin 1923).
Nota : Certaines écoles avaient une amicale à une date antérieure. Elles ont été dissoutes et ont pu renaître. Les dates indiquées sont celles des sociétés enregistrées et fonctionnant en 1923.
** 2000 personnes selon une autre source.

Programme :
La Fanfare Scolaire ;
Orchestre symphonique dirigé par M. Léone ;
Chants mimés et chœurs par les enfants ;
M. Cadayé, chanteur de l’Opéra-Comique ;
M. Herbreteau, ténor, premier prix du Conservatoire de Nantes ;
Mlle Loiret, chanteuse légère du Grand Théâtre de Nantes,
Mlle lelièvre, jeune chanteuse nazairienne ;
M. Gaston Dauneau, diseur ;
Géo Body, comique :
La section féminine de l’Union Méan Penhoët, évolutions.
Droit d’entrée : 1 franc.
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Le Capitaine

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Le Capitaine

Allongé, il  est réveillé depuis un bon moment mais il reste les yeux fermés. Pour lui c’est un jeu : il reste immobile en essayant d’interpréter les bruits qui l’entourent.

En ce moment,  Il entend le ressac sur la plage en bas de la falaise ;  le cliquetis des galets entraînés par l’eau  lorsque celle-ci se retire ; de nouveau une vague déferle. Il aime ce bruit lancinant. Une vague périodiquement lui semble plus forte alors il compte : une, deux, trois, quatre, cinq… le déferlement se fait plus fort.

Ah ! la chaleur du soleil sur son visage, l’odeur un peu forte des haies au bord de la falaise. Il essaie de mettre tous ses sens en éveil.

Des cris…

Quelques personnes qui sans doute font  comme lui, profitent, à leur façon, des rayons de septembre. L’arrière-saison est toujours belle sur l’estuaire du grand fleuve. Des cris d’enfants puis le choc de mains sur un ballon. Il compte mentalement : un, deux, trois, quatre, cinq… un choc amorti sur le sable sec ; le dernier joueur a raté son coup ; de jeunes voix s’élèvent à l’encontre du joueur malchanceux.

Un homme chante…

Il sourit… son père aussi chantait devant le petit miroir lorsqu’il se rasait, toujours la même chanson sur l’air de Carmen : « Toréador, ton cul n’est pas en or, ni en argent, ni en fer blanc… ».

Une porte s’ouvre et se referme en chuintant… des pas… une caresse sur sa joue.

Une caresse du vent. Comme celle-ci semble réelle ; il aime les caresses du vent. Plus tard dans la saison, il fouettera son visage lorsqu’il ira marcher le long du rivage et qu’il évitera, par jeu, les langues d’eau écumeuse qui partent, vague après vague,  à la conquête de la plage.

Les pas s’éloignent…

Il étend son bras et recherche la main de Céline, il  ne trouve que le vide. C’est vrai, elle est partie mais, bientôt, ils seront de nouveau ensemble couchés sur ce petit promontoire qui domine la mer. Il entendra son souffle régulier à côté de lui. Puis ils dévaleront  en riant  l’étroit chemin accroché à la falaise, qui mène à la plage une dizaine de mètres plus bas. Ils se précipiteront tête la première dans la vague, marcheront le long du rivage, courront dans l’eau emplit d’écume, la main dans la main et les cheveux de Céline ne cesseront de flotter dégageant son visage rieur et ils crieront leur bonheur…  crieront  leur bonheur.

Un petit choc  horizontal…

La mer…  combien il aime cette impression de dérobade du bateau sous ses pieds ; les embruns ; l’air vif qui  fouette le visage ; le travail du  bord ; le bruit si caractéristique de la machine, l’odeur d’huile,  de fuel brûlé ; les longues nuits à la timonerie, les cliquetis du répétiteur de barre ; les repas au carré ; les parties de cartes animées…

Il aime suivre du regard la côte lorsque le navire s’en va vers le large, il reconnaît les immeubles, les plages, puis la terre s’estompe petit à petit. Il reprend le travail,  ses habitudes. Le vague à l’âme s’en va…

Une porte s’ouvre et se referme en chuintant…

Il frissonne, son dos lui fait mal de rester allongé sur cette surface dure. Plus de cris sur la plage, plus de bruits, si… le ronronnement diffus du moteur d’un bateau dans le chenal. Remonte-t-il sur Nantes ou va-t-il vers le large ? Il écoute, impossible de savoir, le bruit semble régulier, stationnaire. La nuit est certainement maintenant tombée.  L’estuaire s’est paré de points rouges, verts des bouées du chenal, des éclats des phares.  En tout cas la marée est haute, le bruit des vagues est devenu léger, presqu’indistinct.

Des pas feutrés.

Une main enserre la sienne, et serre doucement,  il répond en repliant les doigts. C’est leur signe lorsque Fanja et lui, allongés l’un contre l’autre, prennent le soleil sur la plage au bord de la Baie des Français près de Diego Suarez. Il aime son corps magnifique d’eurasienne, ses longs cheveux noirs tombant au milieu du dos, ses yeux magnifiques en amande. Tout à l’heure ils mettront à l’eau une pirogue à balancier et iront  droit sur le Pain de Sucre et Fanja rira de son rire clair, de son manque d’expérience pour pagayer et il fera de son mieux en riant lui-même et la pirogue les emportera, les emportera…

Le bruit d’un store ouvert vivement.

– Allez Capitaine réveillez-vous! c’est l’heure.

Il ouvre les yeux, la chambre est pleine de soleil. C’est Cora, la jeune assistante de vie qui vient apporter son petit déjeuner. Elle a une vingtaine d’années et sa voix est claire, chantante. Elle  est volubile et très expressive. Il ne peut lui répondre. Elle relève le haut du lit ; s’assoit à côté de lui, face à face ; tire la table à roulettes et d’une main experte porte des petites portions d’une sorte de gelée à sa bouche.

– C’est mon dernier jour aujourd’hui. Demain je retourne dans mon pays, je rentre à Brest. Je vais vivre avec mon copain, un militaire, un marin. Voilà bientôt quatre mois que j’ai vu mes parents et ma grand-mère. Quatre mois c’est long !

Le vieil homme hoche la tête.

À court d’idées pour tenir la conversation les yeux de Cora parcourent  la pièce et s’attardent sur une photo de lui en militaire, punaisée sur un tableau de liège, parmi quelques cartes postales et photos familiales.

– C’est vous sur la photo ?

Le vieil homme hoche la tête.

– Eh ! vous étiez pas mal étant jeune, vous deviez faire tomber les filles, dit-elle en riant. La carte postale, à côté, a été prise près de Diego Suarez, je reconnais le Pain de Sucre. Ma grand-mère était d’origine malgache et m’a montré des photos. Son père était militaire là-bas. En 1976, elle est revenue en France avec sa petite fille, ma mère.  Puis elle s’est mariée avec… un militaire. Eh oui ! chez nous c’est une tradition. Elle est maintenant très vieille. Elle vit avec mes parents. Eh non ! Chez nous, on ne met pas les anciens à la maison de retraite. J’aime beaucoup ma grand-mère. Elle me raconte sa vie là-bas. Elle est métisse. Jeune elle était vraiment très belle et même encore. Elle s’appelle Fanja, cela veut dire…

Tout à coup le vieil homme s’agite et attrape son poignet, ses yeux fixent Cora.

– Capitaine vous me faites mal, desserrez votre main… Capitaine… Capitaine…

Cora se dégage et presse le bouton d’appel, le vieil homme la tête en avant, les yeux exorbités fixent toujours la jeune personne. Quelques secondes s’écoulent avant que l’infirmier pénètre dans la chambre :

– Que se passe-t-il ?

– Je ne sais pas ! je racontais des banalités et le Capitaine s’est mis à s’agiter. Je ne comprends pas.

­- C’est curieux !  Allez-vous occuper de Mme Léone, je vais le calmer.

Cora sort de la chambre. Le Capitaine se calme mais semble très abattu et a tourné la tête vers la fenêtre.

– Ben alors, Capitaine qu’est-ce qui vous arrive, dit l’infirmier, mais… pourquoi pleurez-vous ?

Montoir-de-Bretagne, octobre 2015.

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Jean Cadayé (1890 – 1954)

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Jean Cadayé (1890 –  1956)

 

JeanCadayé1937A) – M. Jean Cadayé en 1937

Jean-Jacques CAPDAZÉ dit Jean CADAYÉ est né à Toulouse le 11 juillet 1890. Il fut un brillant élève au conservatoire de cette ville et remporta divers premiers prix.
Il fut premier prix d’excellence de chant*, de déclamation lyrique* et d’histoire au Conservatoire de Paris.
Suite aux concours du Conservatoire, il est engagé à l’Opéra-Comique en même temps que Mlles Lanquetin, Reville, Ferrari, MM. Favilla, Panzera, tous, comme lui, premiers prix.

* Capdazé, en patois languedocien, signifie « tête d’âne ». On comprend le changement qui fut légalisé par un décret au Journal officiel, en date du 9 décembre 1941 : M. Capdazé (Jean-Jacques), né le 11 juillet 1890 à Toulouse, y demeurant, 51, rue d’Alsace-Lorraine, et ses enfants mineurs, sont autorisés à substituer à leur nom patronymique celui de « Cadayé », à l’effet de s’appeler légalement à l’avenir « Cadayé » au lieu de « Capdazé ».
*  En 1919.

Il débute le 07 décembre 1919 dans Mireille (Ramon).
A chanté dans : Lorenzaccio (Giono le Hongrois) (1920) ; Manon (le Comte des Grieux) (1920); Fortunio (Guillaume) (1920) ; Werther (le Bailli) (1920) ; les Contes d’Hoffmann (Luther) (1921) ; Madame Butterfly (le Bonze) (1921) ; Louise (le Bricoleur)(1921) ; Mârouf (le Vizir) (1921); la Tosca (le Sacristain) (1921); la Traviata (le Docteur); la Vie de Bohème (Benoît) (1921) ; le Roi d’Ys (Saint-Corentin) (1921) ; Les Amoureux de Catherine (Rebstock) (1922) ; le Chalet (Max) (1922).

Sa dernière prestation à l’Opéra-Comique sera dans le rôle de Luther dans les Contes d’Hoffmann en mai 1922.

Arrivée à Saint-Nazaire

M. et Mme Cadayé* sont devenus le 22 mars 1922, les nouveaux propriétaires de la Maison Bellier** (fondée en 1885) « Aux cent mille coiffures », 42, rue du Palais à Saint-Nazaire, qui devint alors Aux Galeries Lafayette*** puis Chapellerie LaFayette.

*) Le nom de jeune fille de Mme Cadayé était Jeanne Levy. Ils demeuraient, lors de la vente, 20, avenue Trudaine à Paris . En novembre 1922, naissaient Odette et Yvonne à Saint-Nazaire.
**) Alphonse-Joseph-Marie Bellier marié à Louise-Marie-Charlotte Loyer
***) Le magasin était situé au carrefour de la rue du Palais et des Caboteurs.
RueDuPalaisPlaceMarceauMarquéeB) – Le magasin était situé au carrefour de la rue du Palais et des Caboteurs (Flèche).

M et Mme Cadayé avaient le sens des affaires et ils n’avaient rien à envier à nos publicitaires actuels. Ils faisaient paraître régulièrement des publicités dans la presse locale. Une est intéressante, lors de la « Grande semaine Cadayé », en avril 1926, à l’occasion de l’inauguration de transformations de leur magasin, ils offraient un kilo de sucre pour 60 francs d’achat.

ChapellerieLafayetteMCMC) – Le magasin en 1933 – Collection Patrick Pauvert
MaisonJeanCadayePub
D) – Publicité sur un guide du Syndicat d’Initiative – Collection Michel-C Mahé.

 

PubCadayéSyndicatMarqueeE) – Publicité octobre 1927- Archives départementales de Loire-Atlantique

Une autre faisait référence à un Syndicat d’acheteuses en titrant : « À la stupéfaction générale un Syndicat d’Acheteuses se forme à Saint-Nazaire » (voir photo E) tout porte à croire que le syndicat avait été créé par les Cadayé eux-mêmes ; une des phrases est très explicite «… (les articles) auront des prix exceptionnels, imposés par le Syndicat des Acheteuses. ».

Le magasin était aussi le lieu pour gérer les affaires des différentes sociétés (associations) auxquelles M. Cadayé prêtait son concours. Il y recevait les candidats musiciens ou chanteurs (Harmonie du chantier de Penhoët, Schola Cantorum etc.). On y faisait l’achat des cartes (billets d’entrée), des concerts, bals et dîners des associations.
Pour les Fêtes américaines (Inauguration du monument américain) il y avait installé une permanence où des membres du bureau du comité d’organisation se tenaient à la disposition du public.

EcritureSignatureJeanCadaye 001MarqueeÉcriture et signature de M. Jean Cadayé – Collection Michel-C Mahé

 

Première prestation vocale à Saint-Nazaire

Il semble que sa première prestation vocale dans notre ville fut le lundi 29 mai 1922, au théâtre de l’Athénée lors du Concert de bienfaisance organisé par l’École de musique et son directeur M. Léone*. Accompagné par Mlle Barthès*, pianiste, il a obtenu un immense succès et obtenu les honneurs du bis.

* Professeur de piano supérieur à l’École de musique.
Programme :
1. La symphonie pastorale n°104 de Haydn, par l’orchestre de L’École de Musique ; 2. La leçon de Minet, chœur d’enfants ; 3. Air de la Calomnie du Barbier de Séville ; Les vieilles de chez nous, de Levadé, par M. Jean Cadayé ; 4. La Moisson, de Gounod ; Hymne à la nuit, de Rameau, en deux chœurs, par la chorale de l’Ecole. 5. Une causerie : Molière et son œuvre, par M. Alain d’Ayzac* ; 6. Tartufe, de Molière, donné en première audition par la troupe de Madame Francine Vasse.
Location : 0 francs 50.
Prix des places : Fauteuil de première : 7 francs ; fauteuil d’orchestre : 5 francs ; parterre : 3 francs 50 ; galeries : 2 francs 50.
* Alain d’Ayzac était un des acteurs de la troupe Vasse.

(À suivre)

Modifié le : 28/12/2015 ; 25/05/2016

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Les premiers pas du Radio-Club de Saint-Nazaire (1923)

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CarteSaintNazaire1924AnnoteeLettreRadioClubSaint-Nazaire en 1924 –A) Place Carnot ; B) Syndicat d’Initiative ; C) Salle de la Jeunesse.
(Pour plus de détails, cliquez ici)

 

Bref aperçu des débuts de la T.S.F en France

L’histoire de la radio est une longue épopée et une invention collective ayant son origine avec Maxwell qui prouve l’existence des ondes électromagnétiques pour aboutir, par les travaux de nombreux chercheurs, à la télégraphie sans fil puis à la téléphonie sans fil.
En France, au début du siècle, l’armée a vu tout de suite, le potentiel militaire de cette nouvelle invention et chargea le capitaine Gustave Férié de son développement qui se verra accéléré par la première mondiale.
En janvier 1904, il installe un émetteur à la Tour Eiffel d’où sera émise en 1908 de la musique pour la première fois en France. En 1921, il deviendra la première station de radio française « le Poste de la Tour Eiffel ».

Les premiers pas du Radio-Club de Saint-Nazaire

Quelques nazairiens suivaient avec passion ces nouveaux progrès scientifiques et technologiques et fondèrent le 24 mars 1923 le Radio-Club de Saint-Nazaire.
Il a tenu sa première assemblée générale, le 7 avril 1923, dans un des salons du premier étage du Grand Café, place Carnot. Son but : «… grouper tous ceux qui s’intéressent à cette science passionnante, nouvellement éclose, des belles découvertes des dernières années sur les ondes électriques et de leurs merveilleuses applications ; des mettre à même d’en suivre les progrès et mettre à leur portée les appareils nécessaires ; d’une manière générale, participer à la vulgarisation des sciences nouvelles et contribuer ainsi à l’instruction du public. ».

Une quarantaine de personne assistait à cette première assemblée. C’est M. Dévéria, vice-président* qui ouvrit la séance, le docteur Thollon, président, ayant été empêché. Le bureau provisoire était comme suit : MM. Dréanic, vice-président ; Lucien Lévy, secrétaire général ; Armand Lévy trésorier ; Bouquet, trésorier-adjoint ; Lamoureux fils, secrétaire adjoint archiviste ; Cazalet, Lavalle et Prince, administrateurs conseils.
Le Radio-Club se proposait d’organiser des conférences, de s’affilier à une fédération d’associations similaires, pratiquer des expériences, s’abonner à des revues mises à la disposition des adhérents et ces derniers bénéficieraient de remises auprès des distributeurs d’appareils.
Les cotisations étaient fixées comme suit : membres bienfaiteurs les personnes versant une cotisation d’au moins 100 francs, membres honoraires, au moins 20 francs, membres actifs 12 francs par an. Un droit d’entrée de 5 francs était perçu la première année.
Les dames pouvaient faire partie du Radio-Club et les enfants mineurs admis avec l’autorisation des parents. La carte d’adhérent donnait droit d’entrée à toutes les séances organisées par la société pour le membre et toute sa famille.
Le Radio-club se proposait d’organiser deux fois par mois des séances d’audition entre autres les concerts de la Tour Eiffel.

* Peut-être M. Dévéria , ingénieur au Chantier de Penhoët.

Il fallait une salle de réunion qui puisse permettre l’installation d’une antenne. Il leur sembla que la Salle de la Jeunesse* pourrait parfaitement convenir et les membres du bureau ont pris contact avec le Comité Général d’Education*, gestionnaire de celle-ci.
Pour l’installation de l’antenne et l’appareillage (une batterie d’accumulateurs, un bloc de piles, une douzaine de lampes) la dépense était estimée à 700 francs.
Le radio-Club n’était pas assez riche pour faire l’acquisition d’appareils récepteurs, les membres fondateurs qui en possédaient les ont prêtés gracieusement.

* La Salle de la Jeunesse était située à l’angle de la rue Ville-ès-Martin et la rue de l’Hôpital.
** Ce dernier était chargé d’organiser, en rapport étroit avec la municipalité, les différentes fêtes et manifestations sportives.

La première causerie conférence a eu lieu le mardi 29 mai 1923 par M. Cazalet, chef de travaux à l’École pratique de Commerce et d’Industrie, ancien chef de poste de T.S.F. Elle portait sur les courants induits et les principes fondamentaux de la T.S.F.
M. Lévy, secrétaire général avait apporté ses appareils et les participants purent entendre une partie des concerts Radiola. L’émission fut troublée par des bruits parasites provenant en partie par des émissions télégraphiques. Il fut convenu que la prochaine réunion se ferait un samedi soir pour entendre le concert de la Tour Effel moins troublé par les autres émissions.
À cette date le Radio-Club comptait 73 adhérents.

Nos sans-filistes nazairiens pouvaient écouter alors les stations de la Tour Eiffel*, Radiola** et l’École supérieure des P.T.T., principaux émetteurs français de radiodiffusion publique.

* Le poste de la Tour Eiffel a diffusé sa première émission radiophonique le 24 décembre 1921 qui n’était captée que par un nombre très restreint de sans-filistes avertis sur leurs postes à galène. L’inauguration officielle a lieu le 6 février 1922.
** Radiola était une station de radio généraliste et privée française, créée par Émile Girardeau. Elle a émis du 6 novembre 1922 au 28 mars 1924. Le 29 mars 1924 elle devint Radio-Paris et passera sous le contrôle de l’état le 17 décembre 1933 jusqu’au 17 juin 1940. Sous l’occupation, de juillet 1940 à août 1944, elle garde son nom de Radio Paris, mais est alors sous contrôle des collaborateurs et des allemands.
Radiola1923Carte publicité Radiola – 1923
Collection Michel-C Mahé

Voici le programme proposé par ces trois stations le mardi 29 mai 1923, jour de la première réunion du Radio-Club :

Radiola

À 12 heures 45 : Informations de la matinée.
12 heures 55 : Concert tzigane par l’orchestre Jaumain.
17 heures : Cours de la Bourse du Commerce de Paris, du Havre et de New-York.
17 heures 10 : Informations financières de Paris et de Londres, cours des changes.
17 heures 20 : Radio Dancing par orchestre spécial Radiola.
20 heures 45 : Ouverture de l’Ecossais, de Chatou, Delibes ; – Informations
21 heures : Soirée avec le concours de Mlle Henriette Deliège et de Mlle Deval-Brice, du Vaudeville : 1. Air de ballet (Samuel Rousseau) ; 2. Passepied du roi s’amuse, flûte (Léo Delibes) ; 3. Air de la Fille du Régiment, chant, Mlle H. Deliège (Donizetti) ; 4. Mélodie, violon (Dancla) ; 5. a) Cassez, Brisez (Jules Truffier) ; b) Les Confitures (Victor Hugo) : Mlle Deval-Brice ; 6. La Clochette (Dancla) ; 7. Sérénade, violoncelle (Borodine) ; 8. Air des Pêcheurs de Perles, chant : Mlle H. Deliège (Bizet) ; 9. Cavaline et chœur, danse des Pêcheurs de Perles (Bizet).

École supérieure des P.T.T

À 20 heures 15 : Causerie et explications sur les chèques postaux.
20 heures 30 : Cours d’anglais.
20 heures 45 : Cours de lecture au son
21 heures 15 : Conférence sur la situation présente et les devoirs qui s’imposent à la France, par M. Blondel, Professeur à l’École des Hautes-Etudes Commerciales et à l’École des Sciences Politiques.

Tour Eiffel

À 7 heures 40 : Prévisions agricoles météorologiques.
11 heures 15 : Bulletin météorologique.
15 heures 30 : Cours des rentes françaises
18 heures 10 : Avec le concours de Mme Madeleine Girard, des concerts Touche ; M. Eugène Renschsel, pianiste, 1er prix et prix d’excellence du Conservatoire de Paris., soliste des concerts Colonne et Lamoureux ; M. Cremencio Arrue. Violoniste, grand prix d’honneur du Conservatoire de Madrid et prix Sarasate, accompagné au piano par Melle Biddle-Combe : Le Miroir de l’Âme de Weistroffer ; Air de Lia, de Debussy ; L’Attente, de Saint-Saëns : Mme Girard ; Une étude n°1, 2e livre, de Chopin, 2e Scherzo : M. Renschsel, et morceau de violon par M. Arrue.

 

SyndicatInitiativeRue de l’Océan ; à droite le Syndicat d’Initiative  – Collection Michel-C Mahé

Un accord fut conclu avec le Syndicat d’Initiative* pour déposer les revues, brochures et catalogues reçus par le Radio-Club dans ses nouveaux locaux. Chaque adhérent pouvait les consulter sur présentation de sa carte de membre.

* Le dimanche 8 juillet 1923, le Syndicat d’Initiative du port et de la région nazairienne, présidé et animé par M. Charles Lemoine, a pris possession de ses nouveaux bureaux, 4, rue de l’Océan. Ils comprenaient un vaste hall, garni de tables pour consulter les guides, revues et documents mis à la disposition des touristes. On pouvait admirer deux maquettes, d’un mètre de long, de magnifiques paquebots réalisés dans les chantiers nazairiens. Outre le bureau de renseignements il y avait : la bibliothèque de la Société de Géographie, celle du Radio-Club et l’installation réservée à la recette auxiliaire des postes.

Les expériences de réception se montrèrent dans certain cas fort décevantes malgré l’utilisation d’appareils perfectionnés et très puissants (5 lampes). Ils entendaient, certaines fois, «que quelques brides de concerts : « çà et là une phrase de violoncelle interrompu par des roulements de tambour ou un délicat solo de flûte enveloppé dans un gargouillis saugrenu… » mais parfois les ondes se montraient dociles et les concerts étaient alors entendus avec une netteté remarquable et dans ces bonnes conditions ils recevaient parfaitement les émissions de Bruxelles, de Londres, d’Aberdeen, et de plusieurs stations anglaises.

L’éloignement de la salle de la Jeunesse posait problème et l’assiduité des membres aux réunions s’en ressentait. A l’assemblée générale du 29 mars 1924, le bureau proposa d’entrer en pourparlers avec le Syndicat d’Initiative pour installer l’antenne dans ses locaux et d’y tenir les réunions. Un accord fut conclu et les réunions se firent désormais dans la grande salle du Syndicat d’Initiative.

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Albert Thiry – Les concerts nazairiens radiodiffusés (1936-1937)

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Albert Thiry (1866 – 1966)

Albert Thiry – Les concerts nazairiens radiodiffusés

Le 23 juin 1936, au café Humelin*, M. Albert Thiry, directeur de l’Harmonie du Chantier de Penhoët, a rassemblé un certain nombre de musiciens et leur expose son idée de produire des concerts radiodiffusés sur l’émetteur Rennes-Bretagne (L. 288 m – P. 40 kW) **, sous l’égide du Radio-Club de Saint-Nazaire*** qui a déjà obtenu cinq minutes de causerie quotidienne. En principe, une heure serait accordée à Saint-Nazaire.
Les musiciens se sont montrés enthousiasmes et dès le mardi suivant avait lieu la première répétition au Groupe Artistique. ****

* Dans les années 20, la radio devient un instrument de distraction au service du public. Les premières stations sont apparues entre la fin 1919 et 1920 en même temps au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas. C’est fin 1921 et officiellement en février 1922 que les auditeurs français pourront entendre les premiers programmes de météo et de musique réguliers depuis la Tour Eiffel.
En 1927, la radio fait son apparition en Bretagne avec la station d’Etat Radio Rennes PTT. Celle-ci va peu à peu s’étendre à toute la Bretagne et, en 1933, elle devient Radio Rennes Bretagne. En 1936 sa puissance passe de 40 kW à 120 kW, sur la même longueur d’onde ;
** Le Café Humelin était situé rue Henri-Gautier
*** Le Radio-Club de Saint-Nazaire a été fondé le 24 mars 1923. Il a tenu sa première assemblée générale, le 7 avril 1923, dans un des salons du premier étage du Grand Café, place Carnot. Son but : «… grouper tous ceux qui s’intéressent à cette science passionnante, nouvellement éclose, des belles découvertes des dernières années sur les ondes électriques et de leurs merveilleuses applications ; des mettre à même d’en suivre les progrès et mettre à leur portée les appareils nécessaires ; d’une manière générale, participer à la vulgarisation des sciences nouvelles et contribuer ainsi à l’instruction du public. ».
Il organisait des conférences, pratiquait des expériences. Des revues étaient mises à la disposition des membres et ces derniers bénéficiaient de remises auprès des distributeurs d’appareils.
**** Société (association) fondée en 1912. Elle disposait d’une salle située 3, boulevard de l’Océan.

 

Poste4lampesPoste à 4 lampes extérieures – 1924/1925.
Collection Pierre Lemesle – « http://radio-passion.pagesperso-orange.fr »

 

PaquebotParisPaquebot Paris – Collection Michel-C Mahé

Premier concert

Tout avait été préparé pour que le premier concert se déroula sur le paquebot Paris, lors de son escale, mais une grève empêcha la réalisation du projet.
Initialement prévu le lundi 14 septembre à 20 h 30, depuis le Théâtre Trianon, il fut reporté le mercredi 16 septembre 1936, en raison des nécessités du service de l’émetteur.
L’orchestre symphonique Armorchestra prêta son concours sous la direction d’Albert Thiry avec M. Laurent Tottoli, pianiste (aveugle), élève des maîtres Thiberge et Cortot.

Programme :

1. Les Joyeuses Commères de Windsor, ouverture, Nicolai ; 2, a) Aubade, b) Intermezzo, c) Églogue, Louis Vuillemin ; 3. a) Reel, b) Hornpipe, extraits de la Prêtresse de Koridwen, Paul Ladmirault ; 4. Trois images : a) Clair de lune, b) Pastorale, c) Danse, Albert Thiry ; 5. Scènes Bretonnes, première suite d’orchestre : a) Avant le Pardon, b) Le Passe-Pied, c) Par les Forières, d) La Dérobée, J. Guy Ropartz. 6. Intermèdes, trois Préludes de Claude Debussy : a) Le vent dans la plaine, b) La fille aux cheveux de lin. c) Ce qu’a vu le vent d’ouest ; Trois études de Chopin ; Saint-François de Paule marchant sur les flots, par M, Laurent Tottoli (pianiste), de F.-R. Liszt. 7. Scènes campagnardes, Paul Fauchey : a) En diligence, b) Berceuse mélancolique, c) Rochers sauvages, d) Près de la Chapelle, e) Danse montagnarde ; 8. Histoire de : a) Le Petit Âne Blanc, b) A Giddy Girl, c) Le Palais abandonné, d) La Cage de Cristal, de Jacques Ibert ; 9. Petite suite : a) En bateau, b) Cortège, c) Menuet, d) Ballet de Claude Debussy.

Initialement une allocution M. F. Blancho, député-maire, sous-secrétaire d’Etat avait été prévue, mais elle fut annulée du fait du report du concert du lundi au mardi.

Second concert

Un second concert radiodiffusé a eu lieu le 29 octobre 1936, dans les salons du Grand Hôtel à Saint-Nazaire toujours avec l’Armorchestra et avec le concours de la jeune cantatrice nazairienne Melle Lydie Nozière, qui a déjà chanté pour les auditeurs de la Tour Eiffel, de Radio L.L.* et Jean Gaillard, pianiste de 10 ans du conservatoire de Nantes (professeur Mme Brouhouët-Berçault.).
Le concert a duré deux heures. La première partie du programme était consacrée à la musique contemporaine. La seconde à la musique classique. Seuls les membres du Radio-Club et quelques personnalités ont pu y assister.
Il était demandé aux « sans-filistes » de toutes régions de transmettre leurs résultats d’écoute au Radio-Club.

Programme :

Première partie : Musique contemporaine. Ouverture de la Princesse jaune, C. Saint-Saëns ; Espana, suite d’orchestre, Albeniz ; Mélodies, G. Fauré ; Air de Lia de L’Enfant Prodigue, C. Debussy, par Mlle Nozière ; Danse Persane, Guiraud.
À l’entracte, causerie de M. Garrec, président du Radio-Club sur Saint-Nazaire.
Seconde partie : Musique classique. Iphigénie en Aulide, ouverture, Gluck ; Symphonie en si bémol majeur, La reine, Haydn ; Concerto en ré majeur pour piano et orchestre, Mozart, par M. Gaillard ; ouverture d’Egmont, Beethoven.
Il faut noter que sur le programme il est indiqué que le concert est organisé par le Conseil de Gérance de Rennes-Bretagne avec le concours de l’orchestre symphonique « Armorchestra » ; il n’est pas fait mention du Radio-Club.

* Radio-L.L.  était une station de radio privée qui diffusait en région parisienne de mars 1926 au 14 septembre 1935.

Troisième concert

Le troisième concert, placé sous les auspices de la municipalité, a eu lieu le mardi 15 décembre 1936, à 20 h 30, salle de l’Athénée. Il fut décidé que, cette fois-ci, cette manifestation artistique prendrait un caractère populaire aussi bien par la composition du programme que par les prix des entrées. Il fut ouvert à l’ensemble des nazairiens avec le prix des places fixé à 5, 3, 2 francs.
Il ne fut pas radiodiffusé un conflit ayant éclaté entre M. Garrec*, président du Radio-Club et Rennes-Bretagne. Celui-ci avait demandé que « les artistes nazairiens soient rétribués autant que ceux qui se produisent à d’autres endroits d’émission. ». N’ayant pas été entendu, le concert eut lieu devant les seuls nazairiens.
* Ancien marin de Dixmude.

Programme :

Première partie : Stradella, ouverture, Flotow ; Scènes alsaciennes, Massenet ; Les œillets incarnadins et Valse des deux pigeons, Messager ; Chansons de Th. Botrel ; Peer Gynt, deuxième suite, Grieg.
Seconde partie : L’Arlésienne, suite d’orchestre, Bizet ; Danses alsaciennes, Levade ; Mélodies par Mlle Nozière, cantatrice ; La flûte de Pan, Mouquet ; Rapsodie hongroise numéro 2, Litz.

Quatrième concert

La Commission Nazairienne de Radiodiffusion, grâce à l’appui du Comité Nantais de Radiodiffusion, obtenait, après une attente de plus de deux mois, la soirée du mardi 15 juin 1937, à 20 h30, pour un nouveau concert.
Il eut lien à la salle des fêtes de l’école Jean-Jaurès avec l’Armorchestra, avec le concours de Mme Martin cantatrice ; M. Delestre, Baryton et le chœur mixte Le Madrigal, sous la direction d’Albert Thiry. Ce concert était offert gratuitement aux enfants des écoles accompagnés de leurs parents ainsi qu’aux membres du Radio-Club et de leur famille.

Primitivement c’est M. Blancho qui devait vanter Saint-Nazaire et sa région dans une causerie touristique sur Saint-Nazaire précédant le concert mais, empêché, c’est M. Jaffré, adjoint au maire et membre du Syndicat d’Initiative qui s’attela à la tâche.

Programme (durée 2h30) :

Le concert fut annoncé ainsi dans le programme TSF du journal local «… concert organisé par le Conseil de Gérance de Rennes-Bretagne, avec le concours de l’Association Nazairienne des Concerts Symphoniques Armorchestra. »

Première partie : Stradella, ouverture, Flotow ; L’Arlésienne, première suite, Bizet ; Suite sur des mélodies populaires pour une voix et petit orchestre dans le style du 18* siècle, Roubaud ; Trois chœurs à capella : a) Le petit village, Jacques Dalcroze ; b) Sans amour, A. Dennereaz ; c) Heureux celui qui revoit sa patrie, Doret ; Danses alsaciennes, Levade.

Seconde partie : Peer Gynt, deuxième suite, E. Grieg) ; Mélodies, par Mme Martin ; Quatre petits fragments d’orchestre : a) Sérénade pour flûte et cor, Till ; b) Jardin d’amour, A. Vold ; c) Les œillets incarnadins, Messager ; d) Flûte de pan, Mouquet ; Deux chœurs avec orchestre : a) Berceuse, Vidal ; b) Printemps, A. Thiry ; Rolla poème symphonique, Flament.

Cinquième concert

Annoncé ainsi sur le programme TSF : « Transmission du concert donné par l’Association des Concerts Symphoniques Nazairiens Armorchestra ». Le Radio-Club, fit une annonce sur la page locale voulant montrer son action, sa participation, son soutien. Au fil du temps, il semble qu’il s’est fait voler la vedette.
Le concert fut diffusé le samedi 18 décembre 1937 à 20 h30 par Rennes-Bretagne et dans les chroniques il n’y a aucune information où il eut lieu, à part un laconique « Depuis Saint-Nazaire »

Programme :
Première partie. 1. Ouverture d’Iphigénie en Aulide, Gluck ; 2. Symphonie en sol majeur, Haydn : a) Adagio cantabile et vivace assai. b) Andante, c) Minuetto allegro molto, d)
Allegro di moto ; 3. Trois chœurs Renaissance, par Le Madrigal ; 4. Romance en fa, violon et orchestre, Beethoven par M. Mays ; 5. Le mouvement perpétuel, Paganini, par tous les premiers violons de l’orchestre.
Seconde partie. – 1. Rapsodie (sur deux thèmes populaires, Ph. Gaubert : a) Sur la montagne, b) Fêtes ; 2. Trois contes, Piriou : a) En barque sur une coque de noix, b) En contemplant les étoiles, c) Tendresses maternelles ; 3. La fiancée du timbalier, C. Saint-Saëns, chant et orchestre par Mme Rupert-Massin ; 4. Danse du printemps, G. Doret ; 5. Ouverture de la Princesse jaune, C. de Saint-Saëns.

Sixième Concert

Annoncé ainsi sur le programme TSF : « Transmission du concert donné par l’Association des Concerts Symphoniques Nazairiens sous la direction de M. Albert Thiry ».

Il fut diffusé le jeudi 03 février 1938 à 20 h30 par Rennes-Bretagne et dans les chroniques il n’y a aucune information où il eut lieu.

Première partie, musique classique : Les Noces de Figaro, ouverture, Mozart ; Aria, de la « Suite en ré », J.-S. Bach ; Symphonie n° 6 « Pastorale », Beethoven ; Mélodies, par M. Godichon, baryton ; Airs de ballet, Gluck.
Seconde partie, musique pittoresque : Paysages alsaciens, Brun ; Jeux d’enfants, Bizet ; Dans les steppes de l’Asie Centrale, Borodine ; Danses légères (I.-K. ; Nazar Aga ; Danse persane, Guiraud.

 

Il semble, selon les informations actuellement à ma disposition, que l’aventure des concerts radiodiffusés s’arrêta là. Pendant ces deux années, par la voie des ondes, Saint-Nazaire montra tout l’intérêt qu’elle portait à la culture et notamment à la musique.

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Albert Thiry (1886 – 1966)

Articles connexes :
L’Harmonie Marceau (1923-1930).
L’Harmonie du Chantier de Penhoët (1930-1938).
Son fonctionnement au sein du Chantier.
La place de l’Harmonie du Chantier de Penhoët dans le paysage culturel nazairien.

Albert Thiry (1886 -1966)

Albert Thiry, compositeur et chef d’orchestre, est né le 28 mars 1886 à Warmerville, département de la Marne. Il a trouvé la mort, à pied, après un choc avec un tramway le 9 décembre 1966 à Genève, Suisse.

Il fit ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, dans la classe de Xavier Leroux (1863-1919) et Paul Paray (1886-1979).

Il dirigea l’Harmonie l’Avenir Yverdon-les-Bains, Yverdon , Suisse ; l’Harmonie du Chantier de Penhoët , Saint-Nazaire, Loire-Atlantique ; l’Harmonie de Saint-Servan-sur Mer et de l’Harmonie de Laval de 1958-1966.

En xxxx, en première noce, il avait épousé Louise Marchal dont il eut trois fils : Raoul, Roger et Jean.

Harmonie du Chantier de Penhoët

Il était déjà venu à Saint-Nazaire, en septembre 1926, avec la Musique municipale d’Yverdon (70 exécutants). Sous sa direction, elle avait donné un concert place Marceau. Programme : 1. marche solennelle, Luigini ; 2. Grand air varié pour baryton, Langlais ; 3. Constellations, valse, Reynaud ; 4. Sélection sue Lohengrin, Wagner ; 5. Au Jura, Albert Thiry.

Dans le courant de l’année 1932 ou au premier semestre 1933, il prit la direction de l’Harmonie du Chantier de Penhoët. Cette dernière, outre ses fonctions au sein du Chantier de Penhoët : d’animer les différentes manifestations (distribution des prix, lancements de navires etc.) et réceptions ; d’assurer un développement culturel des salariés par l’Ecole de musique, elle prêta son concours aux manifestations organisées par la ville et aux différentes œuvres de Saint-Nazaire.

En 1933, Il habitait alors 92, rue Villès-Martin à Saint-Nazaire, il épousa en seconde noce Mlle Alice Halmi, sans profession, d’Yvonaud (Suisse) ; le couple n’eut pas d’enfant.

Selon les sources à ma disposition, c’est en 1934 que l’on entend parler de l’orchestre Armorchestra, composé d’éléments nazairiens. Il donna concert le 15 juillet à 21 heures, au hall des informations, de La Baule-les-Pins, sous la direction de M. Albert Thiry.
Programme : 1. Ouverture des Joyeuses commères, de Windsor, Nicolay ; 2. Suite orientale, en quatre parties, de Popy : a) Les Bayadères, b) Au bord du Gange, c) Les Almées, d) Patrouille ; 3. Chant russe, pour violoncelle solo et orchestre, de Ed. Lalo (violoncelle solo : M. Villa, prix d’excellence du Conservatoire de Nantes) ; 4. Venus et Adonis, romance (violon et solo : M. Ovaire, premier prix du Conservatoire de Nantes) ; 5. Petite suite, en quatre parties, de Debussy : a) En bateau, b) Cortège, c) Menuet, d) Ballet.

On le retrouve toujours à la Baule, au hall des informations et du tourisme, le mercredi 08 août 1934, à 21 h 30, pour un concert, mais présenté sous le vocable « Vigentuor Armorchestra ».
Programme : 1. Rosamunde, ouverture, F. Schubert ; 2. Ballet d’Isoline, Messager ; 3. Trois petites pièces : a) Pendant la Cueillette, P. Wachs, b) Élégie, X. Leroux, c) Gracieux Sourire, Ed. Missa ; 4. Histoire, J. Ibert ; 5. Chanson triste, pour violoncelle et orchestre, Lalo ; 6. Jeanne d’Arc, ouverture, Verdi.
Selon le chroniqueur : « La tenue de soirée étant exigée, il y eut de fort belles toilettes féminines. ».

Toujours au Hall des informations de la Baule, sous les auspices de M. Lajarrige, le 22 août 1935, à 22 heures, l’Armorchestra (20 exécutants) donna concert après une conférence par le docteur Cattier, président fondateur du groupe des Médecins Amis de La Baule. Le sujet traité : Le soleil, la plage, la baigneuse. Là… la tenue de plage était recommandée.
Armorchestra interpréta : Les grottes de Fingal, Mendelsshon ; des airs espagnols ; Les Chansons russes, Rolland ; Chouchette ; A. Thiry.

Il se fit entendre lors de l’inauguration de l’École de Plein Air*, ancien château d’Heinlex, le 28 juin 1936. On dit alors que cet ensemble harmonieux a été constitué par M. Thiry pour la radio et regroupe les meilleurs professionnels et amateurs de Saint-Nazaire. Armorchestra, créé en 1934, a dû être étoffé pour cette idée de retransmission de concert car la première réunion de préparation a eu le 23 juin 1936.

* L’Inspection médicale des écoles, souhaitée dès 1922 par M. Blancho, s’évertuait à dépister chez les jeunes élèves les cas où un état physique trop fragile pouvait faire craindre pour leur santé. Dans ce cas, ils faisaient un stage de trois ou quatre mois à l’École de Plein Air puis retournaient dans leurs anciens établissements après avoir fortifié leur santé. L’Ecole hébergeait une quarantaine d’enfants des deux sexes dans deux bâtiments séparés.

C’est sous l’égide du Radio-Club de Saint-Nazaire, qui avait déjà un pied dans la place en ayant obtenu cinq minutes de causerie quotidienne, que des concerts commence à être radiodiffusés à partir de Saint-Nazaire sur l’émetteur Rennes-Bretagne (L. 288 m – P. 40 kw). (Un article est en préparation sur ce sujet)

En décembre 1936, dans le cadre de conférences-concerts, sur les musiciens des XVIIe et XVIIIe siècles, il parla de Beethoven. Elles étaient organisées par M. Laurent Pradier, principal du collège Aristide-Briand et M. Delattre de l’École de musique, dans le but de développer chez les jeunes le goût et la connaissance de l’art musical.

Il fut nommé en 1938, dans les Palmes académiques, Officiers de l’Instruction publique.

En 1940, il donnait des leçons d’harmonie et de composition, préparait au professorat dans les lycées et collèges et admission aux classes d’harmonie du Conservatoire de Paris. Il habitait alors la villa Géorama, boulevard Albert 1er à Saint-Nazaire.
Il semble qu’il ait passé les années de guerre dans la région parisienne.

Albert Thiry a réussi pleinement son séjour à Saint-Nazaire : il amena l’Harmonie du Chantier au plus haut niveau ; participa ou offrit aux nazairiens des spectacles de qualité et œuvra pour le rayonnement culturel de Saint-Nazaire, entre-autres, avec Armorchestra  à travers les concerts radiophoniques.

Orchestre d’Harmonie de Laval – 1958-1966

Son recrutement se fit devant un comité, réunit pour la circonstance par la municipalité, composé de personnalités et des chefs de pupitre de l’harmonie. Il y eu plusieurs candidats qui passèrent un entretien et dirigèrent l’orchestre. Il a surpassé tous les autres.
Avant son arrivée l’orchestre ne bougeait pas. Avec lui, l’harmonie se lança dans les concours nationaux et internationaux avec succès et Albert Thiry l’amena au plus haut niveau.
Selon ceux qui l’ont connu, c’était un personnage, très vivant et très simple malgré son statut de compositeur connu et respecté. Il avait beaucoup de tact : si quelque chose ne marchait pas lors d’une répétition, il s’adressait au pupitre, jamais individuellement.
Il savait écrire pour les artistes amateurs, la plupart du temps simplement et il était reconnu qu’il avait, dans ses mouvements et accentuations, une façon particulière d’interpréter une œuvre. Lorsqu’il dirigeait il avait beaucoup de prestance, ses mouvements étaient souples et agréables.

Il a quitté l’harmonie atteint par la limite d’âge et s’est installé à Genève (suisse) où il a trouvé la mort, à pied, après un choc avec un tramway le 9 décembre 1966.

Une rue porte son nom à Laval ; Saint-Nazaire, quant à elle… l’a oublié.

Son œuvre

Œuvres jouées par l’Harmonie du Chantier de Penhoët avant 1938 :

Normandie, marche.
En avant toujours.
Allegro de concert.
Au Jura.
Chouchette, marche.
Irisée, valse.
Trois images.
L’infidèle Colombine, un mimodrame en un acte, sur un argument de René Staub : musique de M. Albert Thiry.
Les dates indiquées sont celles des publications.

1949 Stavia, ouverture.
1952 – Danses Polovtsiennes. Danses Polovtsienne du Prince Igor.
1952 – Fête à la Baillie, fantaisie pastorale.
1953 – Images de France : Suite pour harmonie et fanfare :
1. Le château de Montsoreau (Anjou),
2. La chapelle de Saint Druon (Champagne),
3. Le Petit Trianon (Ile de France),
4. À Auray, après le Pardon (Bretagne).
1957 – La Forêt chante.
xxxx – Bonjour, Saint-Nazaire.
xxxx – Fantaisie Ballet.
xxxx – Irisée, valse.
xxxx – La Bergère et le Soldat, ouverture.
xxxx – La Chambre des enfants, suite :
1. le petit Pierrot,
2. Annie et son polichinelle,
3. Le jardin de Tineke,
4. Une terrible histoire d’Alain,
5. Chut !…Kathy s’endort….
xxxx – La Côte aux Fées.
xxxx – La valse de bois.
xxxx – Marielle, ouverture.
xxxx – Ouverture de concert.
xxxx – Ouverture pour une fête populaire.
xxxx – Ouverture Provençale.
1960 – Suite poétique :
1. Rondel,
2. Fabliau,
3. Bucolique,
4. Dithyrambe.
1961 – Petite symphonie folklorique en quatre chansons pour harmonie :
1. Il cout le furet,
2. À la claire fontaine,
3. La limousine,
4. Finale con variationi, Ah ! vous dirai-je maman !
xxxx – Scènes sentimentales.
xxxx – Suite picturale.
xxxx – Sur la lande fleurie.
xxxx Symphonietta.
1964 – Trois pièces brèves, suite :
1. Coquetterie (Scherzo-valse),
2. Douceur du Soir (Andante),
3. Sérénité.
xxxx – Messe brève la-mineur.
1959 – Dimanche matin : Solo pour clarinette ou saxophone sib avec piano.
1961 – Caprice : pour cornet ou trompette avec piano.
1968 – Suite picturale : En trois tableaux :
1. La veillée des chevaliers,
2. Le cloître abandonné,
3. La danseuse au tambourin.

 

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La place de l’Harmonie du Chantier de Penhoët à Saint-Nazaire.

CarteSaintNazaire1924AnnoteeLettreSaint-Nazaire en 1924 – A) Monument aux Morts pour la Patrie
B) Jardin des Plantes ; C) Place Carnot ; D) Place Marceau ; E) Hôpital ; F) Théâtre Trianon ; G) Théâtre Athénée ; H) Nouvelle École Jean Jaurès de filles ; I) Ruche Union ; J) Parc des Sports.
(Pour plus de détails, cliquez ici)

Articles connexes :
L’Harmonie Marceau (1923-1930)
L’Harmonie du Chantier de Penhoët (1930-1938)
Son fonctionnement au sein du Chantier

La place de l’Harmonie du Chantier de Penhoët à Saint-Nazaire.

Le 11 mai 1930, dans la salle des fêtes du Chantier, lors de la transformation de l’Harmonie Marceau en Harmonie du Chantier de Penhoët on assurait alors que cette dernière, garderait « sa complète indépendance pour prêter son concours aux manifestations organisées par la ville et aux différentes œuvres de Saint-Nazaire.»
Dans cet article, je vous propose de voir comment cette affirmation fut vraie. Elle anima de nombreux concerts, participa à de nombreuses manifestations, elle eut une place prépondérante dans l’univers artistique de Saint-Nazaire de cette époque.

Les concerts publics

Comme l’Harmonie Marceau elle donnait un ou deux concerts publics par an, le plus souvent au Jardin des Plantes, en matinée ou soirée, toujours sous la direction de son chef. Ils duraient généralement une heure. Quelques exemples :

Au Jardin des Plantes, le jeudi 31 août 1933, à 20 h 30. Programme : 1. Mireille, ouverture (Gounod) ; 2. Fragments du Ballet de Coppelia (Léo Delibes) ; 3. L’Arlésienne, La cuisine du Castelet (G. Bizet) ; 4. Egmont, ouverture (Beethoven) ; 5. Chouchette, marche montmartroise (A. Thiry)

Au Jardin des Plantes, le dimanche 15 octobre 1933, de 15h30 à 16h30. Programme : 1. Ouverture du Calife de Bagdad (Boïeldieu) ; 2. Cavaleria Rusticana, intermezzo (P. Mascani) ; 3. Quatre Danses Norvégiennes (Ed. Grieg) ; 4. La Cinquantaine, air dans le style ancien (J. Marie) ; 5. Deuxième suite de l’Arlésienne (G. Bizet), a) prélude, b) intermezzo, c) menuet (flûte solo, M. Doucet fils), d) farandole.

Au jardin des Plantes, le dimanche, 22 avril 1934, de 16 heures à 17 heures. Programme : 1. Carnaval turc, Alex Luigini ; 2. Bacchus et Silène, ballet de Max d’Ollone, en six parties ; 3. Sélection sur l’Enfant Prodigue, Claude Debussy ; 4. Valse tendre, Emile Pessard ; 5. Danse persane, Ernest Guiraud.

Au Jardin des Plantes, le Mercredi 12 septembre 1934 à 20 h. 30. Programme : 1. Ouverture de Freischutz, Weber (solistes MM. Sagnes, cor solo ; Maurice et Martinet, cors ; Guyot, clarinette solo ; 2. Ballet de Faust, Gounod (Les Nubiennes, Adagio, Danse Antique. Cléopâtre, Les Troyennes, Le Miroir, Danse de Phryne) ; 3. Ouverture des Noces de Figaro, Mozart ; 4. L’Enchantement du Vendredi Saint, Wagner ; 5. Normandie (marche), A. Thiry.

À l’hôpital, de 14h30 à 15h30 et au Jardin des Plantes à partir de 16 heures, le dimanche 22 septembre 1935. Programme : 1. Ouverture du Voyage en Chine, Bazin ; 2. Sélection sur Ta Bouche, Maurice Yvain ; 3. Fantaisie sur Les Saltimbanques de Louis Ganne ; 4. Le Comte de Luxembourg, fantaisie Frantz Lehar ; 5. Ouverture de Maître Wolframm, Ernest Reyer.

Au Jardin des Plantes, le vendredi 28 mai 1937, à 20 h 45. Au programme : 1. Carnaval Turc, Lhigini ; 2. La Feria, suite d’orchestre, Lacôme ; 3. Ouverture de Ramuntcho, G. Pierné ; 4. Impression d’Italie, G. Charpentier ; 5. En avant toujours, A. Thiry.

Les soirées musicales de l’Harmonie du Chantier

Comme l’Harmonie Marceau d’où elle est issue, chaque année l’Harmonie donnait un grand concert de gala pour les membres bienfaiteurs, les membres honoraires et ses amis. C’était un des principaux évènements artistiques nazairiens. Il se déroulait au Théâtre Trianon.
C’était un concert de bienfaisance où l’élégance était de mise et qui réunissait le « High Life » nazairien, comme le soulignait un chroniqueur de l’époque. On y voyait l’élite de la société nazairienne, la magistrature, l’armée, le commerce, l’industrie, les arts étaient largement représentés. Les ingénieurs de constructions navales et les chefs d’ateliers représentaient un contingent important.
Outre les incontournables habitués, les représentants des compagnies et les militaires étaient représentés, selon les navires en cours de construction.
Des cars amenaient des groupes de spectateurs de toute la région nazairienne : Penhoët, Trignac, Méan, Pontchâteau.
Au cours de la soirée une quête était faite au profit du bureau de Bienfaisance.

Donnons quelques exemples de programmes :

Le Lundi 5 février 1934, à 20h30, au théâtre Trianon.
Programme :
– Harmonie du Chantier de Penhoët, direction Albert Thiry. 1. L’Enfant prodigue (sélection) Cl. Debussy ; 2. Rapsodie sur des thèmes populaires, Philippe Gaubert ; 3. Petite Suite, a) Prélude, b) Larghetto, c) Scherzo, d) Marche, Rhené Baton.
– Un grand divertissement chorégraphique exécuté par Mlle Nelsy Dambre, danseuse étoile du Théâtre Municipal de Nantes, et deux autres de ses compagnes, la Valse du Ballet d’Isoline, d’André Messager
– M. Thévenot, premier ténor du Théâtre de Nantes dans Le Mariage des Roses, de César Frank ; Au Caprice du Vent, de Messager ; Tes Yeux, (?) ; La Tosca, de Puccini ; Je t’ai donné mon cœur, de Franz Lehár, son grand succès.
– Les Joyeuses Commères de Windsor, de Nicolai, par l’orchestre symphonique.
– La Danse Excentrique de Mlles Mona et Blanchette, du corps de ballet du théâtre de Nantes.
– Mlle Adrienne Gallon, grande vedette de la T. S. F. qui interpréta quelques vieilles chansons françaises.
– Et pour terminer la soirée, un mimodrame en un acte, sur un argument de René Staub : L’infidèle Colombine musique de M. Albert Thiry. Interprètes : Mlles Nelsy Dambre, Blanchette et Mona., accompagnées par un orchestre symphonique, nous la direction de l’auteur.

Le lundi, 28 janvier 1935 au Théâtre Trianon.
Programme :
– Harmonie du Chantier de Penhoët, direction Albert Thiry : 1. Les Fêtes de Philippe Gaubert ; 2. La Danse Grecque de Paul Pierné ; etc
– Un bon garçon, opérette de Maurice Yvain, livret André Barde, interprétée par Willy Myral et sa compagnie. L’orchestre fut conduit par M. Melein ; mise en scène, Myral ; costume de la maison Zanel de Paris ; les meubles anciens ont été prêtés par la maison Despert de Saint-Nazaire.

La soirée de l’Amicale des Anciens Élèves de l’École Pratique

Les pupitres étaient tenus par l’orchestre de l’Harmonie du Chantier de Penhoët, lors de la soirée de l’Amicale des Anciens Élèves de l’Ecole Pratique, le lundi 02 mars 1936, au Théâtre Trianon. On y a donné un grand succès « Pas sur la bouche », opérette en trois actes de André Barde, musique de Maurice Yvain.

La distribution : Mme Maryse Terville, du Théâtre des Bouffes-Parisiens ; Mlle Raymonde Defives, du Théâtre des Capucines ; Mme Léone Darly, du Trianon Lyrinue ; M. René Enard, du Théâtre Mogador ; M. Wély Myral, de l’Apollo ; M. Jean Deiss, du Théâtre des Nouveautés.

Les inaugurations de nouveaux bâtiments

Nouvelle école de filles Jean-Jaurès

Elle était aussi sollicitée pour l’inauguration de nouveaux bâtiments tels que la nouvelle école de filles Jean-Jaurès*. Pour cette occasion, des festivités ont été organisées le samedi 02 et dimanche 03 septembre 1933.

(*) Située à l’angle de la rue Albert-de-Mun et du boulevard Victor-Hugo, la première pierre de ce bâtiment fut posée le samedi 18 juillet 1931. M. Lebon fut le promoteur des premiers plans puis l’entreprise fut confiée à M. François Bréérette, architecte nazairien. Elle était considérée comme « l’un des plus beaux établissements similaires existant en France » « un palais scolaire » selon un orateur de cette manifestation.

Le samedi 2 à 21 heures, la grande fête de nuit*, au Parc des Sports. Ce fut, d’après le chroniqueur un spectacle grandiose ou la musique, la danse, le chant, animaient la soirée. M. A. Thiry dirigeait l’orchestre** qui assurait la partie musicale.
Un service de car avait été organisé pour la banlieue.

(*) Il ma semblé utile de vous joindre le programme de la soirée, bien que nous nous éloignons un peu du sujet, mais il m’a paru particulièrement intéressant par la part prise par la danse.
1. Orchestre, sous la direction de M. Thiry.
2. Le quatuor vocal « Les Ménestrels ». – Berthe Townsend, soprano, professeur aux écoles de la Ville de Paris ; Yvonne Henrion, contralto, de la Société des Concerts du Conservatoire de Bruxelles ; Maurice Henrion, premier prix du Conservatoire de Bruxelles ; Georges Serrano, basse de l’Opéra de Monte-Carlo : a) Prière des Albigeois, XIIe siècle ; b) Chanson Flamande, XVe siècle ; c) Ronde, XVIe siècle.
3. Les ballets lumineux « Arc en Ciel ». La spécificité de cette troupe était que la couleur des costumes variait instantanément selon les variations des jeux de lumière.
Direction de M. Mazé, avec le concours de Herta Rabe, danseuse étoile ; Anita Vadés, première danseuse ; Mad Lazard, première danseuse : a) Menuet (Bolzoni) ; b) Moment musical (Schnubert), dansé par Herta Rabe ; c) Le Tapis de Bagdad (Schubert) ; d) Paysannerie (Grieg) ; e) Le Lys (Saint-Saëns), dansé par Herta Rabe ; f) Valse du Beau Danube Bleu ¡Strauss) ; chant : le quatuor vocal « Les Ménestrels ».
4. Mélodie Orientale (J.-J. Rousseau) par Berthe Townsend.
5. Chansons Bretonnes, par Berthe Townsend et Maurice Henrion.
6. Reconstitution d’un ballet du XIIe siècle, par Herta Rabe et Anita Vadès, avec le concours de MM. Raze et Delacourt. de la société « Les Violes » : a) Ronde pour 2 violes (Adam de la Halle) ; b) Rondeau (Adam de la Halle); c) Lai (Gautier de Goinci) ; d) Danse de « Le Jeu de Robin et Marion », premier opéra-comique français connu (Adam de la Halle) ;
7. Aubade du « Roi d’Ys » (Lalo) ; Le temps des cerises (Renard) par Maurice Henrion.
8. Vieilles Chansons Françaises par Yvonne Henrion.
9. Le quatuor vocal « Les Ménestrels » : a) La vache égarée, XVIIe siècle ; b) Ronde, XVIe siècle ; c) Ma femme est morte, XVIIe siècle.
10. Les ballets lumineux « Arc en Ciel » : a) Ballet pantomime (Mozart) ; b) Czardas (Michaels), dansé par Herta Rabe ; c) Scherzo (Schubert) ; d) Le Faune et la Nymphe (Massenet), dansé par Herta Rabe et Mad Lazard ; e) Arc en Ciel (Léo Delibes). dansé par Herta Rabe ; f) Papillons lumineux (Massenet).
Pianiste : Mme Pellas Lenon, premier prix du Conservatoire de Paris.
** Rien n’indique que les musiciens appartenaient uniquement à l’Harmonie du Chantier.

Le lendemain dimanche 03 à 10 heures eut lieu la cérémonie d’inauguration officielle de la nouvelle école. L’harmonie du Chantier prêtait son concours en donnant concert.
Programme : 1. Où’s qu’est Saint-Nazaire. 2. Mireille, ouverture, Gounod ; 3. Fragments du ballet de Coppélia, Delibes ; 4. L’Arlésienne, extraits, Bizet ; 5. Ouverture d’Egmont, Beethoven.

La Ruche Union

L’inauguration des nouveaux bâtiments de la Ruche Union, le dimanche 8 juillet 1934, l’Harmonie du Chantier de Penhoët a exécuté, de 9 h. 30 à 11 heures du matin, place Victor-Bouët, le programme suivant : 1. Chouchette, marche, AlbertThiry ; 2. Phi-Phi, sélection, Christiné ; 3. Danse Persane, E. Guiraud ; 4. Irisée, valse, Albert Thiry ; 5. Pensée Lorraine, retour, Destrubé ; Carnaval Turc, Luiguini.

(*) La coopérative la Ruche Nazairienne fut fondée en 1890 par M. Bouët. Les nouveaux locaux se situaient rue Alcide-Benoist et étaient l’œuvre de M. Dommée, architecte.

La soirée de gala au Parc des Sports

Le samedi 21 juillet 1934, à 20 h 30 une soirée de gala fut organisée, au Parc des Sports, par la municipalité au profit du bureau de bienfaisance.
On n’y joua Carmen, opéra-comique de Georges Bizet. La cinquantaine de musiciens de l’orchestre, provenant du théâtre municipal de Nantes et de l’Harmonie du Chantier de Penhoët, et les chœurs étaient dirigés par M. Simon Borelli, directeur du Théâtre municipal de Nantes.
Entre le deuxième et troisième acte on compléta la représentation par l’ouverture de Guillaume Tell sous la direction de M Albert Thiry, avec le concours de MM. Jandin, violoncelle solo ; Marquant, cor anglais, et Doucet, flûte solo.

Le prix des places : fauteuils d’orchestre, 12 francs ; fauteuils première série, 10 francs ; fauteuils deuxième série, 8 francs ; tribunes. 5 francs ; promenoir, 3 francs.
Des services spéciaux d’autocars, organisés par la régie municipale, ont assuré le transport, aller et retour au tarif ordinaire, des spectateurs venant des directions de Méan-Penhoët et de Saint-Marc. Un garage de voitures était réservé sur le terrain.
Distribution :
Don José : M Micheletti, premier ténor de l’Opéra Comique; Escamillo : M. Yves Noël, baryton, de l’Opéra ; Zuniga : M. Cosson, de l’Opéra de Marseille ; Le Dancaïre : M. Gaspard, du Théâtre municipal de Nantes ; Le Remendado : M. Bla ? du Théâtre municipal de Nantes ; Moralès : M Augain, du Théâtre municipal de Nantes ; Lillas Pastia : M. Leroy, du Théâtre municipal de Nantes ; Carmen : Mme Pérelli, de l’Opéra Comique ; Micaëla : Mme Chauveau-Bourdil, 1re chanteuse d’opéra comique, du Théâtre municipal de Nantes ; Frasquita : Mme Rougé, du Théâtre municipal de Nantes ; Mercédes : Mme Blin, du Théâtre municipal de Nantes.
Les ballets ont été dansés par Melles Bouchereau, Lucienne Duffaud, première danseuse travestie du théâtre municipal de Nantes, et les dames du corps de ballet. Ils seront réglés Par Mme Delpierre, directrice de l’école de danse de la ville de Nantes.

Les Fêtes de la Jeunesse

Parallèlement à la fête des écoles laïques, à partir de 1934, fut organisée la première fête de la Jeunesse. Elle consistait en un défilé en ville vers le parc des Sports où étaient exécutés des rondes, des chants, des évolutions en musique, des exercices gymniques par un grand nombre d’enfants habillés : pour les garçons d’une chemisette et d’une culotte blanche, pour les filles d’une robe blanche, mauve ou jaune ; puis retour, toujours en défilant, à la place Marceau où s’effectuait la dislocation.
L’harmonie du Chantier de Penhoët est identifiée, à partir de 1935, comme participante, avec d’autres sociétés de musique pour exécuter les morceaux rythmant les différents exercices.

La Fête Fédérale de Gymnastique Féminine

Quatre-vingt-dix sociétés représentant deux mille jeunes filles ont participé à la 16e Fête fédérale de Gymnastique féminine, le Vendredi 26, samedi 27 et dimanche 28 juillet 1935, au parc des sports. En plus de la partie gymnique traditionnelle, elle comprenait une scène symbolique, inspirée des célèbres manifestations de Prague où des milliers de sokolettes ont interprété des scènes de l’antique.
L’Harmonie du Chantier de Penhoët, sous la direction de M. Thiry, s’occupa de l’accompagnement de la scène symbolique ainsi que la partie chorale tandis que l’Harmonie Saint-Joseph et son chef, M. Chapron, se vit attribuer l’accompagnement des mouvements d’ensemble.

Une soirée électorale

On la vit aussi prêter son concours à la soirée offerte, le Jeudi 20 octobre, dans la salle de la gare routière Drouin de la Baule, par les élus de la liste Lajarrige et le nouveau maire d’Escoublac-La Baule.

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Marguerite

Petit texte lu à la messe de sépulture de Marguerite, la maman de Marlyse, le 30 juin 2015.

Tu vas nous quitter bientôt et il nous appartient d’honorer ta mémoire. En écrivant ce petit texte, il nous a fallu collecter ce que nous savons, rassembler les éléments d’une vie, somme toute simple et riche à la fois, qui ressemble à celle de tout le monde mais qui nous semble, à nous, unique.

Tu naquis dans la ferme familiale, qui est encore le fief d’une bonne partie de la famille, le Bois-Guy, près de Saint-Jacut-les-pins. Seule fille sur les quatre enfants de la phratrie, tu as eu une enfance ordinaire des enfants de l’époque, rythmée par l’école, les travaux et les jours.
Adolescente, tu fis comme de nombreuses jeunes bretonnes, tu quittas le giron familial pour être placée comme servante à Redon chez un médecin.
Oh ! tu n’allas pas chercher bien loin chercher ton mari, ce fut Joseph, du Bois-Guy, ton voisin, de douze ans ton aîné, menuisier de son état.

Vous vous installâtes à Malansac et Joseph, pour faire bouillir, la marmite vint travailler au Chantier de Penhoët. Au début, il s’installa seul, dans un immeuble de l’entreprise, le Célibat, et faisait le trajet chaque semaine Penhoët-Malansac à bicyclette.
Durant cette période, tu donnas naissance à un garçon et une fille, Marcel et Danièle. Puis toute la petite famille vint s’installer à Trignac, dans une maison à deux pas du Brivet. Là, tu y resteras jusqu’à ton départ à la maison de retraite.

Et la vie s’écoula : une troisième naissance en 1951, Pierrick, qui malheureusement décéda deux ans plus tard, puis, en 1954, tu donnas naissance à Marlyse.

Avec Joseph, tu t’impliquas dans la vie de ton quartier, de ta commune : au comité des fêtes du Pont de Paille, avec Jo Robin, et aussi à l’église car tu étais profondément croyante. Un temps, tu fis le catéchisme aux enfants de ton quartier.

Volontaire, tu passas ton permis de conduire en même temps que ton fils et un peu plus tard, à cinquante ans, tu réalisas un rêve, ton rêve : apprendre à nager.

Puis vint le temps du mariage des enfants, Danièle tout d’abord avec Claude, en 1962, qui donnèrent naissance à Patrick puis, Marcel qui s’unit avec Armelle en 1964, Marlyse avec Michel, en 1973, qui donnèrent vie à Agnès et Hélène.

Succéda les deuils, Joseph, ton mari, nous quitta en 1978, et Marcel, ton fils, en 1980.

Réunissant toute ton énergie pour passer cette période difficile, tu redoublas d’effort : gymnastique plusieurs fois par semaine, marches rapides, très longues promenades à bicyclette – Le Croisic-Saint-Nazaire en mini-vélo, un exploit sportif il me semble ! Et pour se reposer, les longues siestes, sous ton pommier.

Ah ! le jardin, combien il fut important dans ta vie, ressource vivrière au début et entretenu par Joseph, il devint, par la suite, un espace de quiétude et d’agrément et dès six heures du matin on pouvait te voir aller et venir, t’occuper de tes fleurs.

Armelle, n’ayant cesse d’être présente auprès de toi, fit entrer, pour notre plus grande joie, Henri-Noël et Gaël dans notre famille. Gaël devint ainsi ton quatrième petit enfant.

Tu fus une grand-mère formidable, il faut parler des parties de galettes tous les mercredis où d’un geste vif, tu les faisais atterrir avec précision dans notre assiette. Les repas de Noël… si joyeux.
C’est avec plaisir que tu emmenais tes petits enfants à la plage, toujours selon ton bon vouloir, pour des journées non-stop à Porcé. Elles se terminaient toujours par une glace au citron. Ils étaient fourbus, vannés mais si heureux d’avoir une mamie si proche d’eux.

Tu aimais les voyages, et tu as eu cette chance inouïe de traverser un siècle où la technologie a permis de raccourcir le temps pour passer d’un continent à un autre.
Prudente d’abord, une croisière sur le Rhin, puis la Tunisie, Israël, le continent américain et bien d’autres encore…
Je me souviens de quelques-unes de tes découvertes : « La Tunisie… c’est formidable, à l’hôtel, ils ont un jeu de boules…mais tu verrais ça ! », une autre : « Les américains des vrais cons, pas un ne parle le français mais par contre les canadiens, ils sont bien, ils le parlent tous ».

Puis le temps inexorable a fait son œuvre, bientôt les forces t’ont manqué pour t’occuper de ta maison et de ton jardin et tu décidas ton entrée à la maison de retraite Camille Claudel ; là tu trouvas de la compagnie, des gens compétents et aimants ; tu y fus très heureuse. Armelle et Marlyse prenaient grand soin de toi mais bientôt elles se désespéraient : doucement, tu glissais dans un autre monde, parallèle au nôtre, mais si incompréhensible pour nous. Armelle et Marlyse ont déployé beaucoup d’amour pour garder les liens ténus qui de temps en temps les réunissaient.

Voilà, résumé en quelques mots une vie terrienne. Dieu ! nous serions si reconnaissants que tu laisses Marguerite parcourir, à bicyclette, vêtue de son imperméable bleu, de grosses marguerites comme boucles d’oreilles, les chemins de ton Paradis.

Mamie, nous voulons simplement te dire merci, pour tous ces beaux jours passés avec toi.

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Plan de Saint-Nazaire entre 1920 – 1938

PaysageIndustSaintNazaire1924NumMCMSaint-Nazaire en 1924 (sauf indications) – Dessin Michel-C Mahé
Nota :
En 1925, le boulevard de l’Océan devient boulevard Président Wilson ; la rue du président Wilson : rue Henri Gautier.
En 1932, l’avenue des Sports devient avenue du Plessis.
En 1934, la place Jeanne-d’Arc était encore une prairie « hérissée d’herbes folles ».

Bâtiments publics

1) Hôtel de ville ;
2) Sous-préfecture ;
3) Palais de Justice ;
4) Chambre de commerce ;
5) Bibliothèque Musée ;
6) Postes et télégraphes ;
7) Hôpital ;
8) Marché couvert ;
9) Bains-douches, rue d’Anjou, inaugurés le 2 octobre 1927 ;
10) Jardin des Plantes ;
11) Parc des Sports ;
12) Salle de la Jeunesse.
13) Bureau du port

Monuments commémoratifs

20) Monument aux Morts de 1870 par Carillon, inauguré le 10 juillet 1910) ;
21) Monument aux Morts pour la Patrie, inauguré le 11 novembre 1924 ;
22) Monument américain, inauguré le 27 juin 1926.

Lieux de culte

25) Église paroissiale ;
26) Église Saint-Gohard ;
27) Temple protestant.

Enseignement

30) École pratique d’Industrie ;
31) École primaire supérieure de filles ;
32) Collège de garçons ;
33) Collège de filles ;
34) à vérifier, 35), 36), 37) Écoles communales de garçons ;
38), 39, 40) Écoles communales de filles ;
41) Groupe scolaire,
42) Groupe scolaire de Cardurand,
43) Groupe scolaire,
44) Groupe scolaire,
45) École maternelle ;
46) École de filles Jean-Jaurès, inaugurée le 03 septembre 1933.*

* À définir précisément sur la carte.

Distractions

50) Théâtre Trianon ;
51) Théâtre Athénée ;
52) Palace-Théâtre (cinéma), rue du Calvaire* ;
53) Casino.

 * À définir précisément sur la carte.

Tourisme et Commerce

60) Syndicat d’initiative, 4 rue de l’Océan ;
61) Grand Hôtel ; 36, rue Ville-ès-Martin ;
62) Hôtel de Bretagne, 15 rue Ville-ès-Martin* ;
63) Hôtel des Messageries, 5 rue Ville-ès-Martin* ;
64) Hôtel des Colonies, à la gare ;
65) Hôtel des Étrangers à la gare ;
66) Hôtel Moderne, à la gare ;
70) Ruche Union (Juil. 1934)*
71) Librairie Saint-Joseph, Maison Louis Landas, 29, place Marceau. Fournitures de bureaux, dessin et peinture. Dépôt des journaux et publications de la presse catholique. Objets et livres de piété.
72) Chapellerie Lafayette*, Maison Jean Cadayé. 42, rue du palais. Modes et fournitures
73) Café du Ralliement. Place Morceau. Tenu en 1923 par : M. Chenard Joseph ; 1934 : M. Boisseau . Ce dernier était un ancien élève de l’institution Livet et dans la salle des réunions trônait un portrait d’Eugène Livet, le père des Écoles Nationales Professionnelles. Ce café était le siège social de beaucoup de sociétés et maintes réunions y étaient tenues.
74) Café Astruc* , « Au bon Vin » tenu par Aristide Astruc et Marie Maussion son épouse. Celui-ci fut vendu à M. Huvelin en 1926 mais il restera « Café Astruc » pour les nazairiens.

* À définir précisément sur la carte.

Monument historique

80) Dolmen. Situé dans un square fermé, il est formé de deux pierres levées hautes de 2 m portant une table de granit de 3 m 36 sur 1 m 64.

Industries

91) Chantiers de Penhoët ;
92) Ateliers et forges de l’Ouest ;
93) Chaîneries de Saint-Nazaire ;
94) Hailaust et Gutzeit (négoce de bois).

Modifié le : 25/11/2015 ; 28/12/2015 ; 01/11/2017 : Hailaust et Gutzeit ; 06/05/2019 : Aristide au lieu d’Alcide Astruc.

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L’Harmonie du Chantier de Penhoët (1930-1938) – Son fonctionnement au sein du Chantier

Articles connexes :
L’Harmonie Marceau (1923-1930)
L’Harmonie du Chantier de Penhoët

C’est à travers les différents articles consacrés par la presse, notamment les banquets, où elle était systématiquement invitée pour rendre compte de la bonne santé de l’harmonie et des progrès accomplis, que l’on peut entrevoir, par la publication des extraits des discours des dirigeants, les us et coutumes de l’époque. Nous pouvons nous faire ainsi une idée de la vie de l’harmonie au sein du Chantier.

École de musique du chantier de Penhoët

En 1930, l’Harmonie Marceau, juste avant sa transformation en Harmonie du Chantier de Penhoët, avait un cours de solfège et vingt élèves.

Les informations, en ma possession actuellement, sur l’École de musique du chantier de Penhoët sont issues d’articles de presse rendant compte de déroulements des remises de prix.
Les résultats obtenus à l’école de musique n’apparaissent au palmarès qu’à partir de 1933.
Elle comptait alors cinquante huit élèves recrutés parmi les fils d’employés et ouvriers.
Deux années de solfège, un cours moyen, un cours supérieur tel était le cursus avant l’admission au sein de l’harmonie. Le passage dans chaque cours et l’admission comme musiciens étaient sanctionnés par un examen où des mentions (très bien, bien, assez bien) étaient attribuées aux élèves. En 1934, quatre élèves étaient admis comme musiciens ; 1937 : sept
Quelques noms de professeurs : M. Thiry, chef, enseignait le solfège ; MM. Marquant, Gallois ; Bouche ; Demesle Edouard* ; Gaité Lucien* ; Néo ; Geffray.
* Tous deux ont obtenu les palmes académiques en 1935.

La place des femmes dans l’harmonie

L’harmonie était exclusivement réservée aux hommes. Les dames et demoiselles étaient conviées aux banquets de la Sainte-Cécile et M. Le Cam, président s’adressait à elles en 1933 et résumait fort bien la place qu’on voulait bien leur donner : « Et vous, Mesdames, Mesdemoiselles, qui, sans vous faire prier, ce qui est de votre part un charme de plus, apportez à nos réunions la note claire et gaie, vous qui représentez le sexe qu’on qualifie bien à tort de faible, car vous êtes toutes-puissantes, vous pouvez, si vous le voulez utilement et sans qu’il en paraisse, servir la cause de l’Harmonie. Il suffira qu’avec un sourire, un de ces sourires dont vous détenez le secret et auquel rien ne résiste, surtout quand il s’adresse au sexe soi-disant fort, vous montriez aux musiciens que vous contez le plaisir que vous avez à les voir se perfectionner dans le noble art de la musique et à les entendre. »
Et M. Coqueret, directeur du Chantier de répondre : « … Ce sera pour moi un plaisir que d’assister à vos concerts et à vos réunions. J’aime les musiciens et surtout, ne le répétez pas trop, j’aime les musiciennes…M. Le Cam, qui es continuellement à la recherche des idées neuves, devrait bien songer à incorporer dans ses éléments quelques femmes. »

CarteSaintNazaire1924AnnoteeLettre Saint-Nazaire en 1924 – A) Monument aux Morts pour la Patrie
B) Jardin des Plantes ; C) Place Carnot ; D) Place Marceau ; E) Hôpital ; F) Théâtre Trianon ; G) Théâtre Athénée ; H) Nouvelle École Jean Jaurès de filles ; I) Ruche Union ; J) Parc des Sports.
(Pour plus de détails, cliquez ici)

 

Grand-HôtelLe Grand-Hôtel – Coll. Michel-C Mahé

Distributions des prix de l’École d’apprentissage

L’Harmonie participait bien sûr à chaque distribution des prix de l’École d’apprentissage. Celle-ci débutait par la Marseillaise puis c’était la lecture du palmarès, entrecoupée de pièces musicales. À la fin, un spectacle était donné par les artistes locaux.

Quelques exemples de programmes :

1933 – Début de cérémonie : la Marseillaise. 1. Ouverture du calife de Bagdad, de Boïeldieu ; 2. Le ballet de Coppélia de Léo Delibes ; 3. Le ballet de La Source, de Léo Delibes ; 4. Les Danses Hongroises, de Brahms ; 5. Les solistes Doucet (flûte) ; Gallois (clarinette) et Marquant (cor anglais) dans le Trio de Beethoven.

1938 – Début de cérémonie : marche militaire française de Saint-Saëns. 1. Le Carnaval romain, ouverture, de Berlioz ; 2. Bruxelles, ouverture, de G. Balay ; 3. Rêverie du soir à Blidah , Saint-Saëns ; 4. L’Allégro de concert, de M. Thiry.

Lancements de navires et réceptions au Chantier

Elle était de tous les lancements et faisait vibrer la Marseillaise lorsque le navire quittait la cale et animait des réceptions, tel le déjeuner, au Grand Hôtel, le 6 avril 1935, offert par la direction des Chantiers de Penhoët à l’École technique de Brest en visite dans l’établissement.

La Sainte-Cécile

Selon la tradition toutes les sociétés de musique fêtaient la Sainte-Cécile. L’Harmonie du Chantier n’était pas en reste. À cette occasion elle donnait concert en ville suivi d’un banquet au Grand Hôtel.
Participaient à ce banquet outre l’ensemble des musiciens, les dirigeants de l’harmonie, les cadres de direction du chantier, le maire de Saint-Nazaire, un adjoint et les dames et demoiselles de ceux-ci . La presse était invitée pour couvrir l’évènement. En 1933, le banquet réunissait 110 convives.
Au dessert, en général, quatre orateurs prononçaient un discours : le président, le sous-préfet, le directeur des Chantiers, le maire de Saint-Nazaire.
Puis on dansait « Cette belle manifestation a pris fin sur le tard par une sauterie endiablée. » écrivait le chroniqueur en 1933. Il semble qu’en 1937 on se séparait après les discours.
Une quête était organisée au profit du Bureau de Bienfaisance.

Le lieu et la forme du concert variaient selon les années :

En 1930, le dimanche 14 décembre à 10 h 45, un concert au rond-point du boulevard. Puis, à midi quinze, banquet dans les salons du Grand Hôtel.

Concert au théâtre Trianon* le dimanche 17 décembre en 1933, sous la direction de M. Albert Thiry, au profit du Bureau de Bienfaisance. Programme : Le Ballet d’Isoline (André Messager) ; sélection sur Lakmé (Léo Delibes) ces pièces mirent en valeur le talent du clarinettiste solo M. Gallois, du piston M. Batteux et du bugle M.Piard.
Le Banquet eut lieu au Grand-Hôtel**, au menu : saumon de Loire, un cassoulet toulousain, une poularde de Bresse – Vins : Bordeaux, Beaujolais, Champagne de marque.
* le directeur du Trianon était alors M. Bacino.
** Directeur M. Bois. Il y avait un barman fameux en la personne de M. René.

En 1937, le samedi 27 novembre, banquet au Grand Hôtel, on notait la présence de MM. Barthère, sous–préfet ; Moinard, secrétaire général de la ville ; Pécot, directeur des Forges de l’Ouest ; Vallée, constructeur de navires ; Garrec, directeur du Frigorifique.

Les concours et distinctions

13 mai 1931, à Fougères, en deuxième division. Elle sortit en première division avec trois premiers prix .

Le 9 juin 1935, au concours international d’Angoulême : un premier prix ascendant avec les félicitations du jury ainsi qu’un prix de direction.

12 septembre 1937, à Gennevilliers, l’Harmonie, conquérant ses grades de haute lutte, arrive en division supérieure. Récompense obtenue à l’unanimité des jurées et avec le maximum de points dans chaque épreuve.

La vie de l’Harmonie

1933 – Décès de M. Vayani, (cor solo) chef de pupitre à l’harmonie de chantier. Cette société assistait aux funérailles sous la direction de M. Thiry. Elle a joué sur le parcours la marche funèbre de Chopin.
1933 – Décès de MM. Gras, tambour ; Godard, membre du conseil d’administration.
1934 – Décès de M. Pierre Rolland, âgé de 51 ans, sous-chef de L’Harmonie du Chantier de Penhoët.

(à suivre)

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Harmonie du Chantier de Penhoët (1930-1938)

Article connexe : L’Harmonie Marceau – L’Harmonie du chantier de Penhoët

Harmonie du Chantier de Penhoët (1930-1938)

À la suite d’une demande faite par les membres actifs de l’Harmonie Marceau, lors d’une réunion générale, tenue le 7 mars 1930, le Conseil d’administration du Chantier de Penhoët a décidé le 12 mars 1930, sur la proposition de M. Coqueret, directeur du Chantier de Penhoët, que l’Harmonie Marceau prendrait le nom d’Harmonie du Chantier de Penhoët, à partir du 11 mai 1930.

À cette époque, une grande majorité des musiciens appartenait au chantier et il était tout naturel de la faire entrer dans le cadre de celui-ci.

Pour marquer cet événement, une séance artistique fut organisée le 11 mai 1930, dans la salle des fêtes du Chantier, présidée par M. Butterlin, sous-préfet, du député-maire François Blancho et de nombreuses personnalités.
Sous la houlette de son chef M. Jean Cadayé, qui continuait la direction de l’harmonie, et de son sous-chef M. Rolland, on assurait alors qu’elle garderait sa complète indépendance pour prêter son concours aux manifestations organisées par la ville et aux différentes œuvres de Saint-Nazaire.
M. Coqueret, directeur du chantier remit à cette occasion aux musiciens la nouvelle bannière, offerte par les membres du conseil d’administration, qui était, selon M. Le Cam, « aux couleurs nationales et ornée d’un de ces grands navires qui ont fait la réputation du Chantier, et symbolisera ainsi le travail qui vous fait vivre et l’art qui vous recrée ».
L’Harmonie exécuta : La marche Lorraine ; Ousqu’est Saint-Nazaire ; Farandole provençale, l’Hymne au soleil de Beethoven et la Marseillaise.

Les musiciens se virent alors coiffés d’une superbe casquette d’officier de marine.

Un nouveau conseil d’administration fut mis en place :
Présidents d’honneur honoraires : MM. Fould et Lévy ; président d’honneur : M. Coqueret ; vice-présidents d’honneur : MM. Lambert, Conard, Papaud ; président actif : M. Joseph Le Cam ; vice-présidents actifs : MM. Bellan Auguste, Ferron Francis ; secrétaire général : M. Demel ; secrétaire adjoint : M. Durand ; trésorier général : M. Nevo ; trésorier adjoint : M. Maillard ; archiviste : M. Guillou, commission de contrôle : M. Marie, Jeffroy, Blondel ; chef : M. Jean Cadayé ; Sous-chef : M. Rolland.

HarmonieChantier1930Harmonie du Chantier de Penhoët – 1930 – Collection Patrick Pauvert.
CarteSaintNazaire1924AnnoteeLettreSaint-Nazaire en 1924 – A) Monument aux Morts pour la Patrie
B) Jardin des Plantes ; C) Place Carnot ; D) Place Marceau ; E) Hôpital ; F) Théâtre Trianon ; G) Théâtre Athénée ;
H) Nouvelle École Jean Jaurès de filles ; I) Ruche Union ; J) Parc des Sports.
(Pour plus de détails, cliquez ici)

L’Harmonie Marceau donna son dernier concert, au Théâtre Trianon, le 09 mai 1930, lors de la soirée de l’Association Musicale des Méridionaux de Saint-Nazaire.

Après cette transformation, dans les comptes rendus, on parle de l’excellente Harmonie du Chantier de Penhoët mais le chef n’est plus cité.

Le dimanche matin 18 mai 1930, à 10 heures, l’Harmonie du Chantier fit un défilé et remit à cette occasion le fanion de l’Ex-harmonie Marceau à son président. L’itinéraire qu’elle suivit fut le suivant : rue Henri-Gautier, rue Villès-Martin, rue de Paris, rue du Bois-Savary, rue du Palais, place Marceau et rue du Prieuré. Dislocation place Carmot.

Elle donna son premier concert le jeudi 22 mai, à 20 h. 30, place Jeanne-d’Arc, à la demande de M. le Député-maire M. Blancho.

OusquEstSaintNazaireLe fameux air « Ousqu’est Saint-nazaire ? » repris par toutes les harmonies
et fanfares de l’époque. – Collection Michel-C Mahé.

Dans le courant de l’année 1932 ou au premier semestre 1933, l’Harmonie se choisit un nouveau chef en la personne de M. Albert Thiry*, ex-chef du corps de musique d’Yverdon (Suisse) .
Dans un discours au banquet de la Sainte-Cécile de 1933, il précise ses intentions, ses ambitions : classer l’Harmonie parmi les meilleures sociétés de France ; « Nous ne voulons pas faire de musiquette mais de la bonne musique qui parle à l’âme et à l’esprit » déclara-t-il.

Très rapidement, sous sa baguette, l’Harmonie a gagné en homogénéité, en ensemble, en sonorité et en interprétation  et il l’amena en quelques années au but qu’il s’était fixé.

(*) Voir article Albert Thiry (1866 – 1966)

(À suivre)

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L’Harmonie Marceau – L’Harmonie du chantier de Penhoët

Article Connexe : Jean Cadayé (1890 –     )

L’Harmonie Marceau – L’Harmonie du chantier de Penhoët

L’Harmonie Marceau (1923-1930)

L’Harmonie Marceau s’est constituée au sein du comité des fêtes du quartier Marceau en réunissant une trentaine de ses membres musiciens. Elle se produisit pour la première fois lors de la fête annuelle du quartier le 24 et 25 août 1923 sous la direction de son chef M. Jean Cadayé*, basse-chantante du Théâtre national de l’Opéra-Comique, premier prix d’excellence de chant, de déclamation lyrique et d’histoire du Conservatoire de Paris. Selon les chroniqueurs de l’époque elle s’est affirmée tout de suite comme une excellente société musicale.

* Des informations concordantes laissent supposer que le M. et Mme Cadayé sont devenus en 1922, les nouveaux propriétaires de la Maison Bollier Aux Galeries Lafayette, 42, rue du Palais à Saint-Nazaire.

Elle donna son premier grand concert au Jardin des plantes, le dimanche 23 septembre 1923, dans l’après-midi, avec au programme : Marche turque, Mozart ; Poète et Paysan, ouverture, Franz von Suppé ; Intermède de Lamothe, Rauski ; Marche du Sacré du Prophète, Meyerbeer ; Therisey, grande valse de concert ; Paris-Bruxelles (Turine), marche militaire.

Très vite elle s’est imposée dans le paysage culturel nazairien auprès de l’Harmonie Saint-Joseph crée en 1877 et des chœurs masculins de la Schola Cantorum et elle était bientôt de toutes les fêtes et manifestations.

En 1925 elle comptait environ 40 exécutants ; en 1928 : 44 ; 1929 : 48 ; 1930 : 58.

Elle prêta son concours pour la première fois au chantier de Penhoët lors de la distribution des prix de l’École d’apprentissage en 1924 sous la direction de M. Cadayé.

CarteSaintNazaire1924AnnoteeLettreSaint-Nazaire en 1924 – A) Monument aux Morts pour la Patrie
B) Jardin des Plantes ; C) Place Carnot ; D) Place Marceau ; E) Hôpital ; F) Théâtre Trianon ; G) Théâtre Athénée ;
H) Nouvelle École Jean Jaurès de filles ; I) Ruche Union ; J) Parc des Sports.
(Pour plus de détails, cliquez ici)

 

PlaceCarnot001Saint-Nazaire – Place Carnot – Collection Michel-C Mahé

 

JardinDesPlantesKiosque001Jardin des Plantes – le Kiosque – Collection Michel-C Mahé

Concerts publics

Elle donnait, seule, des concerts publics en ville, voici quelques exemples avec le programme, lorsqu’il est connu, car il me semble intéressant de voir ce que l’on jouait à cette époque :

Place Marceau, le jeudi 10 juillet 1924, concert de 21 heures à 22 heures sous la direction de M. Jean Cadayé.

Place Carnot, le jeudi 4 septembre 1924. Au programme : El matador, marche espagnole, F. Andrieu ; Poète et Paysan, ouverture, Franz von Suppé ; la Vallée d’Ossau, valse, G. Benoist ; Les saltimbanques, fantaisie, L. Canne ; Farandole Provençale, Chaulier.

À La Kermesse Victor-Hugo, le dimanche 14 juin 1925, organisée par son amicale. Elle exécuta le programme suivant : La Berrichonne, allegro, Allier ; Les saltimbanques, fantaisie, L. Canne ; Ballet Egyptien, Luigini ; Sélection sur le Comte de Luxembourg , Lehar ; Farandole Provençale , Chaulier.

Place Carnot, le jeudi 22 avril 1926. Au programme : Stars and Stripes for ever, marche américaine, de Souza ; Prélude de l’Arlésienne, de Bizet ; Le Ballet de Faust, de Gounod ; Le Trompette en bois, pas redoublé, de Vincent Scotto.

À la fête de la République libre du quartier Marceau, samedi 20 août 1927, où elle donna un concert place Marceau.

Nous pouvons vérifier l’engouement des nazairiens pour les concerts : pour le Festival de Musique au Jardin des Plantes, au profit des Œuvres de bienfaisance de la Ville, où l’Association Orphéonique et Symphonique, initiée par MM. Jean Cadayé et Delattre, a fait ses débuts le 29 juin 1924 ; pas moins de 4000 spectateurs se pressaient dans et autour et dans l’allée centrale du jardin.
Au programme :
L’orchestre symphonique : La Marche en ré, de Mendelsshon.
Un quintette à corde : Légende Sacrée, de Massenet ; Marche Triomphale, Meyerbeer.
M. Rodier, ténor de l’opéra : le grand air d’’Hérodiade Chanson d’Amour, G. Selz ; aubade du Roi d’Ys et Invocation à la nature de la Damnation.
L’Harmonie Marceau : la Berrichonne, Wachs ; Polonaise, P. Vidat.
L’orchestre symphonique accompagnés par les chœurs mixtes : Scènes Champêtres, Missa ; Arioso de Serse, Haendel ; Aïda, G. Verdi.
Prix des places : un franc, gratuit pour les moins de douze ans.

Elle se déplaçait aussi à l’extérieur telle la fête du 17 août 1924 à La Baule, l’harmonie et les chœurs ont donné un concert, place des Palmiers.

GrandHotelSaintNazaireLe Grand-Hôtel – Saint-Nazaire –  Collection Michel-C Mahé.

Soirées musicales

L’Harmonie Marceau a innové en donnant une soirée « d’un genre tout à fait nouveau » selon les chroniqueurs de l’époque, au théâtre Trianon, le vendredi 13 mars 1925, une soirée music-hall, « spectacle de famille » était-il bien précisé.
Au programme : Mme Jane Vaultier de l’Opéra-Comique ; M.Jean Winkoppe, de l’Opéra-Comique ; Po Bar, comique musical de l’Alhambra et du Nouveau Cirque ; Bergeret, imitateur de l’Olympia ; Kédoub, ventriloque de l’Alhambra ; les Ypino de l’Olympia, danseurs mystérieux ; les Teddys, acrobates de l’Empire ; le Professeur Pinaud, ombromane ; l’Harmonie Marceau sous la direction de M. Jean Cadayé de l’Opéra-Comique.
Un service d’autobus fut organisé par le garage Michel, qui assurait le transport urbain, pour les familles habitant Méan-Penhoët.

Elle réitéra le 15 octobre 1928, toujours au Théâtre Trianon, au profit du bureau de Bienfaisance avec le concours de plusieurs artistes des grands music-halls de Paris.
Prix des places. – Loges, balcons, fauteuils d’orchestre, 12 francs, premières et baignoires, 8 francs ; parterre, 4 francs ; galeries, 2 francs ; location 0,50 francs par place.

Concerts aux membres honoraires

Elle se produisait, une fois par an, uniquement pour ses membres honoraires et bienfaiteurs, tel le grand concert-bal dans les salons du Grand-Hôtel, sous la direction de M. Jean Cadayé, le samedi 31 octobre 1925. La soirée a débuté par l’exécution de plusieurs morceaux choisis parmi les meilleurs du répertoire puis les amateurs de danses anciennes et modernes s’en sont donnés à cœur joie. Autre exemple : le concert du lundi 15 octobre 1928 à la salle de théâtre de Trianon.

Inaugurations de monuments

À l’inauguration du Monument aux Morts pour la Patrie*, boulevard de l’Océan, le 11 novembre 1924. Après le réveil en fanfare, des services religieux en musique ont été célébrés dans les diverses églises et au temple protestant. Les chœurs masculins de la Schola Cantorum et l’Harmonie Marceau ont prêté leur concours lors de la cérémonie religieuse en l’église Saint-Nazaire qui fut, selon les chroniqueurs, particulièrement brillante.

*) Œuvre de M. Foucault, sculpteur, Grand Prix de Rome en 1912 , et de M. Chaney, architecte à Saint-Nazaire. Les statues sont sorties des ateliers de M. Bafouin ( ?) de Nantes. La construction fut confiée à M. Graziana, de Saint-Nazaire, l’exécution à M. Guilleux, sculpteur.
Il était composé de deux grandes colonnes supportant deux victoires ailées en bronze, présentant les attributs de l’armée de mer, de terre et de l’aviation.
Au fond une stèle sur un tapis de bronze où la ville rend hommage à ses morts. De chaque côté de celle-ci, un exèdre où les promeneurs pouvaient se reposer.

On la retrouve à l’ouverture des bains-douches de la rue d’Anjou, le dimanche 02 octobre 1927. Là, l’harmonie Marceau a donné un grand concert place Jean-Jaurès.

MonumentAuxMorts
Le Monument aux Morts pour la Patrie – Boulevard de l’Océan
Inauguré le 11 novembre 1924 – Collection Michel-C Mahé.

 

LancementIleDeFranceLancement de l’Île-de-France, le 15 mars 1926 – Collection Michel-C Mahé

 

Lancements de navires

Pour le Lancement de l’Île-de-France, le 15 mars 1926, la veille, au théâtre Trianon, la Schola Cantorum, sous la direction de M. Cadayé, l’Harmonie Marceau et le comité des fêtes de Villes-Martin et Sautron, se produisirent tour à tour. Les chœurs, l’orchestre, les tableaux vivants ont excité l’enthousiasme des spectateurs. Selon le chroniqueur : « Nous eûmes un vrai régal qui prouvèrent que sous des bourgerons de manœuvres, on savait vibrer au contact de l’art et des beaux chefs-d’œuvre. »
Un service d’autobus fut organisé pour les familles habitant Méan-Penhoët.

A l’occasion du départ du même navire l’Harmonie a donné un concert public, le samedi 28 mai 1927, place de la gare.
Au programme : Marche des Cadets de Gascogne (pas redoublé), de Feurgeot ; Noces du Figaro (ouverture) de Mozart ; l’Eté, scène des Moissons, de CH. Dubois (fantaisie imposée au Concours fédéral de Château-Gontier) ; Polonaise de concerts, de Paul Vidal ; Farandole Provençale, de Chaulier.

Elle était présente au lancement du croiseur-école Jeanne-d’Arc le 14 février 1930, sous la houlette de M. Cadayé, Elle a exécuté un programme musical « d’une rare perfection ».

Commémorations

Pour le Cinquantenaire de l’Harmonie Saint-Joseph*, le dimanche 18 septembre 1927, un Festival de musique au jardin des Plantes fut organisé, avec le concours de l’Harmonie Marceau, de l’Harmonie Nazairienne et bien sûr l’Harmonie Saint-Joseph.
Programme :
Par les trois sociétés : Voyage en Provence, allegro de Giraud, Direction M. Chapron Joseph, sous-chef de l’Harmonie Saint-Joseph.
Harmonie Nazairienne : La Norma, de Bellini ; La Liévinoise, polka pour clarinette de A. Richard (soliste M. A. Léone) ;
Harmonie Marceau : Suite Ballet, Popy : a) Entrée mazurka, b) Pizzicati, c) Valse lente, d) Largo, e) Final galop.
Par les trois sociétés : Le Rocher fantôme, ouverture dramatique, Staz, transcrit par Popy. ; « Sous bois » allegro de concert, G. Balay, direction Chapron Jules, chef de l’Harmonie Saint-Joseph

* L’Harmonie Saint-Joseph fut fondée en 1877, à ses débuts elle réunissait douze musiciens. Elle se fit entendre pour la première fois dans la vieille église de Saint-Nazaire à l’occasion de la fête de Noël. En 1903, M. Jules Chapron en prend la direction jusqu’en 1914. Elle comptait alors une quarantaine d’exécutants. Vingt deux musiciens tombèrent durant la guerre. Celle-ci terminée, M. Jules Chapron reconstitua l’harmonie.

 

MonumentAuxMortsAméricainLe monument américain inauguré le 27 juin 1926 pour commémorer
l’arrivée salvatrice des américains en 1917 – Collection Michel-C Mahé.
MonumentAuxMorts1870Le Monument aux Morts de 1870 – Statue du soldat de l’an II par Carillon – Square Aimé-Duquaire.
Boulevard de l’Océan Inauguré le 10 juillet 1910 – Collection Michel-C Mahé.

Pour le dixième anniversaire de l’Armistice, le 11 novembre 1928, les trois harmonies étaient présentes. Le cortège est parti de l’Hôtel de ville avec en tête le sous-préfet, le maire, les fonctionnaires de l’Etat et de la ville puis toutes les associations d’anciens combattants et mutilés, les veuves de guerre, les pupilles de la nation etc. Il s’arrêta au monument américain où l’harmonie Marceau a joué l’Hymne National américain. Il fit un second arrêt au monument de 1870-1871, où l’Harmonie Saint-Joseph joua une marche funèbre et le enfin aux monuments aux Morts de la grande guerre – après la minute de recueillement à 11 heures, le jet de fleurs à la mer par les pêcheurs et que trois avions des Chantiers de la Loire survolèrent et les monuments – l’Harmonie Nazairienne fit entendre La Marseillaise.

Œuvres caritatives

Elle prêtait son concours à des œuvres caritatives notamment au festival de musique au profit des sinistrés de Penmarch* organisé par la Scola Cantorum de Saint-Nazaire, le dimanche 21 juin 1925 au jardin des Plantes. Les Chœurs mixtes et orchestres (180 exécutants) et l’Harmonie Marceau (40 exécutants) se produisirent sous la direction de MM. Jean Cadayé et A. Delattre, professeur au collège.

* Le 23 mai 1925, deux bateaux de pêche en perdition et deux canots de sauvetage partis les secourir ont sombré au large de Penmarch faisant au total vingt-six victimes et 24 veuves et 45 orphelins.

Harmonie du Chantiers de Penhoët (1930-1938)

En juin 1930, elle prit le nom d’Harmonie du Chantier de Penhoët. Pour marquer cet événement une séance artistique fut organisée dans la salle des fêtes du Chantier présidée par M. Butterlin, sous-préfet, du député-maire François Blancho et de nombreuses personnalités.
A cette époque les musiciens et les dirigeants appartenaient au chantier et pour ces derniers il était tout naturel de la faire entrer dans le cadre de celui-ci.
Sous la houlette de son chef M. Jean Cadayé et de son sous-chef M. Rolland, on assura alors qu’elle garderait sa complète indépendance pour prêter son concours aux manifestations organisées par la ville et aux différentes œuvres de Saint-Nazaire.
M. Coqueret, directeur du chantier remit à cette occasion aux musiciens la bannière offerte par les membres du conseil d’administration.

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Aïda

Aïda

Jean était célibataire et habitait un atelier d’artiste au dernier étage d’un immeuble cossu d’une petite ville de province. On y accédait par un escalier de bois grinçant. Il aimait particulièrement ce lieu avec cette grande verrière qui le remplissait de lumière et lui donnait l’impression d’une communion avec le ciel, bien que les nouveaux immeubles d’en face le privassent maintenant de la vue sur les toits. Il était meublé très simplement : un matelas sur un sommier posé à même le parquet de bois brut maculé de taches de couleurs, une grande table formée d’un plateau et de deux tréteaux, deux chaises, une bibliothèque chargée de livres d’histoire de l’art qui prenait un pan de mur en entier, un chevalet, des pinceaux. Il régnait une odeur de peinture, de térébenthine.

Jean avait juste entamé la trentaine, avait terminé ses études de restauration d’œuvres d’art trois ans plus tôt. Il avait trouvé rapidement une place dans le musée local. Outre la restauration d’œuvres régionales, il assurait les visites des scolaires, donnait quelques cours de dessin et prenait une part très active à l’association culturelle municipale dans laquelle il était très apprécié. Il était connu de tous qu’il prendrait à la rentrée prochaine, les rênes de la vénérable association.

Ce soir-là, il lisait allongé sur son lit ; la nuit était tombée. Il pouvait voir le dernier étage de l’immeuble d’en face. Les fenêtres étaient éclairées et des ombres de temps en temps allaient et venaient. Les voisins pouvaient aussi le voir aller et venir mais il s’en fichait.

Trois petits coups à la porte le firent sursauter. Ce n’est pas un habitué, se dit Jean. Les coups de ses amis étaient beaucoup moins discrets et, comme ils se déplaçaient généralement en bande, il aurait entendu des éclats de rires dans l’escalier.

Il va ouvrir et découvre une jeune femme plutôt jolie. Elle tenait à la main un long et fin paquet enveloppé dans une housse de tissu noir.
– Bonjour, je vous prie de m’excuser, lui dit-elle, de vous importuner à cette heure tardive mais j’ai un service à vous demander.
Pendant quelques secondes à la vue de cette apparition charmante il resta coi.
– Puis-je entrer ? insista-t-elle
– Heu, oui, oui, je vous en prie.
Il débarrassa une des chaises des livres et dossiers qui l’encombraient et l’invita d’un geste à s’asseoir. Il fit de même avec la seconde pour lui-même.
– Je suis votre voisine d’en face et je sais que vous vous occupez de restauration de tableaux. Mon grand-père est décédé il y a une quinzaine de jours…
– Oh désolé…
– Oh non ! il était très vieux et sa maladie tournait au cauchemar, dit-elle d’un ton résigné. C’est mieux ainsi. Je l’aimais beaucoup et il me manque mais de le voir souffrir ainsi me crevait le cœur… Mais revenons à notre affaire. En débarrassant la maison avec mes parents nous avons trouvé un tableau dans le fond d’un placard.
Elle se leva et enleva la housse du paquet qu’elle avait posé à côté d’elle le long de sa jambe.
– Voyez ! il est magnifique n’est-ce pas.
C’était le portrait d’une femme assise près d’une fenêtre, son bras posé sur le rebord. On voyait au loin un paysage. Sur son sein gauche la toile était lacérée.
– Magnifique en effet, murmura Jean.
Il prit le tableau le posa sur le chevalet et passa un long moment à l’examiner.
– Milieu du dix-neuvième certainement…
– Pensez-vous qu’il puisse être réparé ?
– Sans aucun doute, je peux faire quelque chose. Que savez-vous sur cette toile ?
– Mon père m’a dit que mon grand-père, qui était négociant en vins, l’avait acquise en compensation d’une dette auprès de la veuve d’un client. Il se souvient qu’elle avait trôné très peu de temps dans son bureau, puis elle avait disparu, peut-être à cause de sa lacération. Grand-père aurait pu penser qu’elle avait perdu de sa valeur.
– Elle était dans sa housse quand vous l’avez trouvée ?
– Oui, répondit-elle, c’est curieux, elle était bien protégée. Peut-être pensait-il, plus tard, la faire réparer.
Jean examina longuement les bords à la loupe.
– La coupure est nette, franche, faite avec un couteau très aiguisé ou un rasoir. Elle est facile à réparer. Il y a quelques fines taches brunes le long des bords à nettoyer. Laissez-moi la, je vais vous faire un devis.
Elle acquiesça. Il remit la toile dans sa housse et la reposa sur le chevalet.

Jean proposa à la jeune femme de boire quelque chose ; elle accepta un café. La toile avait pris toute son attention mais tout en buvant il put à loisir dévisager son interlocutrice. Elle était vraiment très jolie et avait un charme fou. De sa bouche fine, il apprit qu’elle s’appelait Claire, lui avait dit évasivement qu’elle travaillait dans la fonction publique, qu’elle était célibataire, qu’elle était musicienne et jouait du violon dans l’orchestre local.
Il adorait son visage, ses yeux noisette, ses cheveux longs châtain clair. Ce fut une charmante soirée. Ils parlèrent et rirent très tard dans la nuit. Jean était tombé sous son charme, il était tout chamboulé ; Cupidon était passé par là. Il la vit s’en aller avec regret mais il était sûr de la revoir.

La nuit fut courte et lorsque Jean prit son petit déjeuner, ses pensées étaient à sa visiteuse du soir ; il avait grande envie de la revoir.
Un temps, il envisagea d’emmener la toile au musée mais se ravisa ; la réparation est aisée et il la fera ce soir dans son appartement. D’ailleurs il passera peu de temps dans son laboratoire, la journée du mercredi était toujours très chargée. Il avait deux réunions dans la matinée dont une avec le conservateur et une autre avec l’adjoint à la culture et devait assurer, dans l’après-midi, la visite à un groupe de troisième âge et leur parler d’un peintre local Ernest W., un illustre inconnu pour la sphère artistique nationale mais vénéré localement.

De retour à son appartement, après avoir dîné, il examina à nouveau la déchirure à la loupe. Mentalement, comme un médecin légiste, il décrivit ses observations : le coup a été porté sous le sein gauche ; la coupure de cinq centimètres environ est nette, faite par un objet très tranchant ; par chance, bien que la coupure ne semble pas récente, il n’y a pas d’écart au bord de la déchirure ; de fines traces brunes apparaissent sur les bords et quelques autres, minuscules, sur le pourtour. Il retourna la toile et continua son inspection : les fibres devront être réalignées et collées, rien de grave.
Il retourna la toile et commença à nettoyer les bords très doucement avec un coton-tige. Les taches brunes, du sang sans doute, furent enlevées après quelques efforts.
Il pensait s’en tenir là mais continua ses travaux.
Il la retourna et entreprit de réaligner patiemment les fibres les unes après les autres, puis les enduisit avec une spatule de colle qu’il fit pénétrer entre les fibres et plaça délicatement une bande de tissu. Ceci terminé il sécha avec un fer chaud sur une feuille plastifiée puis posa un poids. Lorsqu’enfin il leva les yeux de ce minutieux travail… il était minuit passé.

La nuit fut un peu agitée car une jeune femme s’introduisit dans ses rêves et la douceur experte de ses caresses les rendait délicieuses. Il se réveilla le bas du ventre vide.

Le lendemain soir, il continua son travail. Il boucha soigneusement avec un enduit blanc la cicatrice. Il avait à peine terminé que des rires dans l’escalier retentirent, des coups sur la porte avec un « Ouvrez ! police, ouvrez ! ou nous enfonçons la porte. »
Une bande de jeunes femmes et hommes déferla dans le petit appartement. « À boire, à boire, nous mourons de soif ! » dit l’un d’eux. Ils vinrent tous autour de la table de travail.
– Ah ! une nouvelle invitée, enfin quelque chose de neuf dans l’antre de notre ami Jean, s’écria Stéphane un grand blond en voyant la toile, présente-nous cette jeune personne !
Jean prit la toile et l’a mis sur le chevalet.
– Stéphane je te présente… heu… Aïda… Aïda, je te présente Stéphane, coureur de jupons et buveur de bière invétéré, en fait quelqu’un de pas très fréquentable… chacun rit de bon cœur.
– Jeune Aïda, n’écoutez pas cet oiseau de mauvais augure, je suis votre serviteur dit-il en mimant une révérence.
– Jeune, jeune, elle n’est pas de toute première fraîcheur et il me semble qu’elle a subi une peine de cœur, dit un autre. Les rires fusèrent.
– Je n’aime pas cette femme…
– Oh là ! notre jolie Valérie est jalouse et veut casser l’ambiance.
– Non, mais il y a quelque chose dans son regard qui me gêne… je n’aime pas cette femme.

Dans un brouhaha, ils s’installèrent, comme d’habitude, à même sur le parquet. Jean alla chercher des bières et la soirée se passa joyeusement. Ils parlèrent politique, ils refirent le monde.

Vers minuit, toute la bande s’éclipsa bruyamment et Jean se retrouva seul avec Aïda.
C’est vrai, Valérie a raison, pensa Jean, son regard est intense, déterminé avec une pointe d’arrogance. Cette femme devait savoir ce qu’elle voulait.
Il contempla le sol jonché de canettes de bière, on verra cela demain, pensa-t-il, puis il alla se coucher.

La jeune femme revint dans ses rêves et lui montra qu’elle était experte dans les choses du corps : ses caresses étaient sensuelles, ses baisers voluptueux, ses ardeurs brûlantes et sauvages. À la fin, il cria grâce lorsqu’il sentit qu’elle lui labourait les chairs de ses ongles longs et que le bas du ventre lui faisait mal.
Jean se réveilla brusquement. Sept heures sonnaient au bourdon de la collégiale. Il contempla le désordre de la chambre : la couette, les oreillers, le traversin, les canettes de bière jonchaient le sol, le drap du dessous, mouillé, était déchiré sur une bonne longueur. Le chevalet qui trônait dans la pièce avait été épargné. Quelle nuit ! pensa-t-il.
Il prit son petit déjeuner et s’attela à remettre de l’ordre. Il se pencha ensuite sur le tableau, le travail était parfait ; ce soir il effectuera les retouches ; demain il pourra le remettre à sa propriétaire. Il avait hâte de revoir Claire. Il lui semblait qu’elle ne devait pas être étrangère à ces deux torrides dernières nuits. Elle occupe mes pensées tout le jour et peuple toutes mes nuits, pensa-t-il, jamais une jeune personne n’avait eu une telle emprise sur moi.

Sa journée au musée fut un peu difficile. Le matin il s’était attelé à la vérification de dossiers pour le transfert de quelques œuvres pour la grande exposition annuelle. La soirée bien arrosée et les péripéties de sa nuit rendirent le travail difficile. Maintes fois il piqua du nez, il dut s’y reprendre à plusieurs fois. L’après-midi, il tenta, sans succès, d’intéresser une classe de troisième au romantisme. Son discours qu’il voulait alerte et intéressant ne provoqua que bâillements et ennuis chez les collégiens. C’était déprimant. Il rentra plus tôt en se promettant une bonne nuit de sommeil.

Un rapide dîner et il reprit son travail sur le tableau. Il s’ingénia à éliminer cette vilaine cicatrice. Touche après touche, bientôt elle s’estompa. Parfait ! vraiment parfait. Madame vous voilà guérie d’un outrage, déclama-t-il.

Vers vingt trois heures, il se mit au lit. Sa fatigue était profonde mais l’inconnue s’immisça encore dans son lit. Il sentit d’abord les caresses sur ses cuisses, sur son torse puis les baisers fougueux, et comme une sorcière elle enflamma tous ses sens. Alors, elle l’enfourcha et dans un mouvement de cheval au galop, une main le cravachant violemment, l’autre le tenant puissamment à la gorge, Jean prit conscience qu’elle avait à dessein de le tuer. Ses bras brassaient l’air en tentant de l’agripper ; ils ne rencontraient que le vide ; il ne pouvait se dégager ; il se sentait glisser lentement vers l’inconscience ; sa main rencontra un objet ; s’en empara et de ses dernières forces il asséna un coup violent dans le cœur de sa persécutrice. Tout s’arrêta, il haletait et mit plusieurs minutes à reprendre ses esprits. Il se leva péniblement, ouvrit la lumière. Sa main était rouge de sang, sous la violence du coup, elle avait glissé sur la lame du cutter qu’elle tenait encore.
Sur le sol, la toile gisait, une entaille au cœur et quelques gouttes de sang maculaient les bords de la lacération.

Montoir-de Bretagne – Mai 2015.

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La cérémonie

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

La cérémonie

Nous sommes le onze novembre et la salle des fêtes de cette petite ville de Bretagne est parée de ses plus beaux atours. Pour ce banquet, les tables ont été nappées de blanc sur lesquelles on a disposé, suivant les convenances, la meilleure vaisselle de la mairie, celle avec les armoiries de la ville que l’on sort dans les grandes et rares occasions avec les trois verres étincelants, les couverts bien disposés et au milieu les bouquets réalisés par les dames de la Société florale pour donner une note artistique et de fraîcheur à l’ensemble.
Des guirlandes de petits drapeaux tricolores traversent la salle, courent sur les murs. À l’extrémité, une petite estrade sur laquelle sont disposés un pupitre avec son micro et de part et d’autre une grande plante verte. Derrière, sur le mur, sur fond d’un grand drapeau tricolore, une banderole en lettres d’or « Honneur à notre héros ».
Trois cents couverts vont être servis par les soins du patron et du personnel du réputé restaurant « Les Blés d’Or », aidés par les dames de la Société de bienfaisance. Tous sont à leur poste, ils attendent l’arrivée des invités.

Ceux-ci sont toujours à la cérémonie aux monuments aux morts ; elle se termine, la clique « La Sainte-Cécile » joue « La Marseillaise ».
En prélude les enfants des écoles ont chanté « Le chant des Partisans » sous la direction du directeur de l’école publique. Puis ce fut les discours, en premier lieu le député, brillant et plein de finesse, puis celui très sobre et précis du préfet et enfin du maire, un peu plus laborieux. Tous ont vanté les mérites de ses hommes qui ont donné leur vie pour la Patrie. La gerbe fut déposée avec la sonnerie aux morts et tous les drapeaux des anciens combattants s’inclinèrent.

Chacun se félicite d’une aussi belle cérémonie et les invités s’en vont à pied à travers la grand-rue vers le vin d’honneur donné dans la salle du gymnase. Les habitants sont sur le trottoir, de chaque côté, pour voir le cortège. D’abord la clique « La Sainte-Cécile » jouant « Quand Madelon », puis les enfants des écoles, les anciens combattants, drapeaux en tête, puis enfin les officiels avec en première ligne : M. le député qui salue franchement de la main, sa dame à côté de lui, si belle et si distinguée, en tailleur très chic, qui prodigue des sourires éclatants ; M. le préfet donne des petits coups de tête, tantôt à droite, tantôt à gauche et M. le maire, nouvellement élu, qui ne sait pas où mettre ses mains, plus habituées à manier le rabot et la varlope, a opté pour un salut un peu , bien malgré lui, à la manière d’un évêque ce qui fait bien rire ses opposants politiques. Derrière quelques notables de moindre rang et le conseil municipal au grand complet.

Dans son fauteuil roulant le père Eugène, comme on l’appelle familièrement attend dans le gymnase avec une jeune auxiliaire de vie. Il est en fort mauvaise santé et dispensé de la cérémonie au monument aux morts de crainte que le brouillard et l’humidité ne causent quelques désagréments à ses poumons déjà bien malades.
Il a quatre-vingt-quinze ans et vit à la petite maison de retraite de la commune.
C’est une figure locale et considéré comme un héros car il est le seul rescapé du massacre du maquis du Bois Léon perpétré par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Une stèle commémore cet événement à l’orée du bois.
Il aime raconter comment il en réchappa par miracle. Des articles dans la presse locale lui ont été consacrés et même un livre « Le maquis de Saint-Léon », où il est le narrateur, écrit par l’historien local M. Nicol et préfacé par M. le député.
Il fut président des anciens combattants et était de toutes les cérémonies. Il arborait avec fierté les nombreuses décorations, venait chaque année raconter aux petits écoliers les difficultés et les épreuves rencontrées pendant cette triste période pour, comme dit le député, « perpétuer le devoir de mémoire ».
Les invités arrivent et saluent le vieux monsieur qui ne sait plus où donner de la tête. La femme du député dans un élan de patriotisme l’embrasse même sur les deux joues. Puis chacun trinque, boit, discute affaires.
Monsieur le député est très sollicité et dit quelques bons mots à l’environnée et on s’esclaffe par pure politesse. Fille et petite fille de vigneron, Madame ne jure que par le muscadet et le dit haut et fort.
Puis les invités prennent la direction de la salle des fêtes, non loin de là, pour le banquet.

Le père Eugène en tête, le cortège pénètre dans la salle. Ses yeux rouges et fatigués la parcourent lentement et s’arrêtent sur la banderole « Honneur à notre héros ».
– Nous tenions à vous faire la surprise dit le député aujourd’hui c’est votre jour.
Le père Eugène, lève la tête vers lui et ne dit mot.
On l’installe à la table d’honneur entre le maire et le député. Lorsque tout le monde est assis le député se lève et commence un petit laïus :
– Je tiens à vous remercier M. le maire pour cette cérémonie si bien organisée. Tout à l’heure au monument aux morts nous avons honoré ceux tombés pour la patrie mais maintenant, dans cette salle, c’est une personnalité bien vivante, un héros, que nous allons honorer. M. Nicol, votre brillant historien local va vous rappeler, dans quelques minutes l’histoire du « Maquis de Saint-Léon » et je veux vous dire combien il m’est cher de perpétrer ce devoir de mémoire vers les générations actuelles et futures, de rappeler combien les Français ont souffert pendant cette triste période. M. Eugène C. vous êtes la représentation de la ténacité, de la pugnacité…
Il continua ainsi pendant quelques minutes. Seules, de temps en temps, des expectorations du président du club des anciens troublèrent le silence quasi religieux.
M. le préfet et le maire dirent eux aussi quelques mots et on passa la parole à M. Nicol pour rappeler les hauts faits du maquis de Saint-Léon.

C’est aussi le jour de gloire pour l’historien. Pendant cinq ans il a peaufiné ce livre et Monsieur le député lui a fait l’honneur de le préfacer. De la bouche même de ce dernier on a entendu le qualifier de «votre brillant historien local » une consécration pour lui, l’obscur bibliothécaire dans une petite ville, en pleine campagne, où il ne s’est jamais passé grand-chose, sinon ce triste épisode.

Le père Eugène ressent une bizarre impression, un frisson le parcourt de la tête aux pieds, la voix de M. Nicol devient de plus en plus lointaine, la lumière s’estompe pour ne laisser qu’un halo lugubre sur un bois. Ils sont là devant lui, debout, tous ses compagnons d’armes. Ils le regardent, Dieu ! qu’ils ont l’air grave. Il reconnaît Léon, le chef du maquis avec son fusil automatique et le petit morceau de bois qu’il mâchouille nerveusement, Paul l’instituteur avec ses petites lunettes rondes, Étienne le séminariste, la Bible dans une main, le fusil dans l’autre, Bastien l’artificier, Marinette la seule femme du groupe, et ses cheveux roux en désordre, le petit Léon, le plus jeune avec ses dix-sept ans, et quelques autres. Le silence est pesant. Une peur panique envahit le père Léon :
– Ce n’est pas ma faute les gars, ce n’est pas ma faute…
De grands éclats de rire le font sursauter ; il ouvre les yeux ; tous les participants au banquet rient.
Interrompu M. Nicol lance :
– Je vois que notre héros a fait un petit somme.
De nouveau un grand rire secoue la salle.
– Pouvez-vous me donner le micro, chevrota le père Eugène.
Les deux mains sur le micro, il prend quelques secondes, chacun pense : le voilà reparti pour nous narrer quelques anecdotes.
– Tout ce que j’ai raconté, n’est que mensonge, c’est moi qui les ai trahis.
Le léger brouhaha s’est interrompu, plus de bruits de couverts, plus de chuchotements. La salle s’est brusquement figée. Les serveuses se sont arrêtées net le plat dans la main, la pince à servir dans l’autre.
– Père Eugène… balbutie le député, vous ne pouvez pas…
– S’il vous plaît, laissez-moi parler. C’est le chef de la milice qui m’avait demandé d’infiltrer le réseau. Ils nous ont cueillis une nuit dans le bois. J’étais de garde ce soir-là et je n’ai pas donné l’alerte. Ils les ont tous exécutés les uns après les autres d’une balle dans la nuque, à genoux au bord de l’ancienne carrière. J’étais le dernier, je les ai tous vus tomber un à un. Au dernier moment, à la demande d’un milicien français, ils m’ont épargné. Je suis resté près du bord et c’est là qu’on m’a trouvé. Je n’ai pas pu dire la vérité… je suis désolé…
La salle est frappée de stupeur. Petit à petit, des bruits de chaises, des murmures, les représentants des anciens combattants se lèvent et quittent la table en silence, suivis du préfet, du député et puis enfin petit à petit toute la salle. Tous le regardent en partant.
Seul, le vieil homme, tête baissée, reste assis sous le regard du personnel de service médusé. La jeune auxiliaire s’approche :
– Je vais vous ramener à la maison de retraite.
– Oui s’il vous plaît, pouvez-vous passer le long de la rivière, le long du petit bois.
– Mais il fait froid, vous allez attraper la mort.
– Croyez-vous que ceci a de l’importance maintenant.
– Je ne sais pas. Eh ben vous alors ! vous avez mis une sacrée panique…

Boussay, mars 2015

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La salle des fêtes des Chantiers de Penhoët (1920 – 1938)

Article connexe :
L’école d’apprentissage des chantiers de Penhoët (1922 à 1938) – La distribution des prix.

La salle des fêtes du Chantier de Penhoët (1920 – 1938)

 

VueChantiers1921salleReunionNumMCMLe Chantier de Penhoët en 1921 – (1) Salle de réunion ; (2) Restaurant coopératif

 

CoursDeGym1930Cours de gymnastique en 1930 avec dans le fond la salle des fêtes, à droite le restaurant coopératif.  Collection Pierre Viogne.

 

La salle

Avec cette salle, le chantier se dotait d’un outil intéressant pour le développement culturel au sein de l’entreprise et même au-delà.
Elle était située à l’extrémité sud du chantier à proximité du restaurant coopératif ouvert pour les ouvriers à cette même période.
Sa vocation première était une salle de lecture et de correspondance pour les ouvriers. Mais très vite elle fut adoptée et fréquentée par un grand nombre pendant les heures de repos, deux mille six cents et deux mille sept cents ouvriers entre le 10 février 1917, jour de son ouverture, et les premiers jours de mai de la même année, un succès pour les organisateurs.
Les uns venaient lire, d’autres écrire, se distraire avec des jeux mis à leur disposition, d’autres enfin se promener, fumer, deviser ; des ouvrières amenaient leurs ouvrages de coutures.

Elle faisait quarante mètres cinquante sur quinze mètres. Le sol était en ciment recouvert d’une fine couche de sciure de bois pour rendre la marche plus silencieuse. L’éclairage était électrique et le chauffage assuré par un calorifère. Tables, chaises et fauteuils en nombre suffisant complétaient l’équipement.
Elle était dotée d’une bibliothèque de près de quatre cents volumes à sa création : littérature, théâtre ancien et moderne, romans, histoire, sciences, arts ainsi que des revues littéraires et artistiques, journaux, modes etc. Les ouvriers belges y trouvaient leurs journaux et revues. Le tout mis gratuitement à la disposition des ouvriers.
Cet équipement perdurera car il en est fait état en 1931 dans une chronique relatant le banquet des techniciens anglais de l’aéronautique et de la marine en visite à Saint-Nazaire.

Dès sa création l’administration envisageait d’y donner des concerts, des représentations théâtrales et cinématographiques, des bals, des banquets à l’occasion du lancement des bateaux, des kermesses, des arbres de Noël… Après la guerre, elle fut équipée d’une scène de théâtre.

Appelée en 1917 salle de réunion, vers 1922 elle prit le nom de salle des fêtes. À partir de cette période les chroniqueurs en font quelques descriptions et aiment user de superlatifs :
« Elle était située à l’extrémité sud du chantier, au fond d’une allée, était ornée d’une quadruple rangées d’arbres, un bâtiment coquet dont la façade était cachée sous le lierre et les plantes diverses. »
« Dans ce local vaste et magnifique »,  « …dans l’immense salle des fêtes de notre chantier… »
Le fait qu’elle était éclairée à l’électricité marquait les chroniqueurs : « une salle ruisselante de lumières électriques », « À l’intérieur, féerie des centaines d’ampoules électriques… ».
Il faut dire que l’électricité, à cette époque, était l’innovation par excellence.

Les matinées musicales

Des matinées musicales et théâtrales étaient organisées par la Lyrique-Amateurs du chantier, le dimanche, à 14h30. Elles étaient gratuites mais réservées exclusivement au personnel, ouvriers et employés, du chantier.
Pour la sixième matinée, le 22 janvier 1922, on peut donc supposer qu’elles ont été organisées dès 1917, la salle était comble, mille cinq cents personnes s’étaient donné rendez-vous.
Pour cette occasion, La Lyrique-Amateurs s’était assuré le concours de plusieurs sociétés théâtrales et musicales. Au programme la pièce de M. Brieux, Blanchette, interprétée par les artistes amateurs du Groupe théâtral de l’Université Populaire et différents morceaux exécutés par l’Union Méan-Penhoët et l’Union Orphéonique dont un chœur à quatre voix, Les Paysans, du chœur de Saintis. Les décors avaient été fournis par le directeur de l’Athénée et du Palace Théâtre de Saint-Nazaire, M. Salmon.
C’était une tradition dans ce genre de manifestation, quelques jeunes filles et jeunes gens ont fait une quête pour les pauvres qui rapporta une somme élevée.

Cette même pièce Blanchette avait été présentée une semaine avant pour les nazairiens, soit le dimanche 15 janvier, à la matinée artistique de l’Union Méan-Penhoët par le Groupe théâtral de l’Université Populaire en présence de beaucoup de personnalités nazairiennes.

Les banquets

Elle était mise à disposition pour des manifestations extérieures au chantier, quelques exemples :
Pour le dîner des gymnastes, des notables et de la presse à l’occasion du seizième concours et championnat des sociétés de gymnastique de l’Ouest, en août 1922. Le Restaurant Coopératif du chantier attenant à la salle a assuré le repas de près de six cents convives.
Et aussi pour des banquets notamment celui de l’inauguration du monument aux morts de Saint-Nazaire en novembre 1924 et qui réunissait environ trois cents convives. La salle fut mise à disposition à titre gracieux
En 1926, pour le banquet du congrès de l’Union départementale des Sociétés de Secours-Mutuels de la Loire-inférieure Le Restaurant Coopératif a confectionné un menu pour quatre cents convives.
En 1931, lors de la visite des techniciens de l’aéronautique et de la marine en visite à Saint-Nazaire, le banquet réunissaient trois cent quatre-vingts couverts.
En 1932, pour le banquet du congrès de l’Union départementale des Sociétés de Secours-Mutuels. Pour la petite histoire notons que le prix de celui-ci, toujours servi par le Restaurant Coopératif, était de dix-huit francs. Au menu : quatre hors-d’œuvre, poisson, deux plats de viande, un légume, salade, dessert, café, fine champagne.

Les banquets officiels avaient lieu au Grand Hôtel, 36, rue Ville-ès-Martin, mais pour le lancement du croiseur-école Jeanne-d’Arc, le 14 février 1930, un banquet de deux cent trente couverts a été servi dans la salle des fêtes, par les soins de M. Meng, propriétaire du Grand Hôtel.

Les remises de prix de l’école d’apprentissage

Elle était aussi utilisée chaque année pour la remise de prix de l’École d’apprentissage. Une invitation était alors faite par voie de presse à toute la population nazairienne.

Le cérémonial était immuable :
1) – Le discours d’ouverture, d’une bonne tenue littéraire selon les chroniqueurs de l’époque, généralement fait par le directeur du chantier, moment très attendu par les nazairiens car le directeur faisait un point sur les questions du moment, sur la situation du chantier et parlait d’économie locale, nationale et internationale.
2)- La lecture du palmarès, faite par une personnalité, était entrecoupée de pièces musicales.
3)- Faisait suite un spectacle donné par les artistes locaux de l’Université Populaire avec des chants lyriques généralement accompagnés au piano, des soli de violon, des spirituelles fantaisies, des chansonnettes et monologues etc…
4)- A l’issue de la cérémonie un vin d’honneur était offert par la direction aux officiels.

La décoration de la salle

La décoration de la salle pour ces manifestations était, selon les chroniqueurs de l’époque, sobre et de bon goût, le plus souvent avec des drapeaux multicolores, tricolores et des oriflammes.

Pour le banquet, en 1931, des techniciens anglais de l’aéronautique et de la marine en visite à Saint-Nazaire on mit les petits plats dans les grands :
« La salle des fêtes du chantier de Penhoët est magnifiquement décorée de drapeaux et de pavillons maritimes. Des plantes vertes mettent une note de fraîcheur dans cette floraison d’étendards multicolores. L’argenterie et les cristaux se mêlent aux fleurs. Sur les tables blanches il y a trois cent quatre-vingts couverts. On a déposé au fond du local près de la bibliothèque, des chaises pour les musiciens de l’Harmonie du chantier. »

Ou lors du lancement du croiseur-école Jeanne-d’Arc en 1930 :
« Une statue équestre de Jeanne-d’Arc figurait à la place d’honneur, derrière un amoncellement de plantes vertes et de draperies aux couleurs de l’héroïne.»

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Un aperçu du paysage industriel de Saint-Nazaire autour des années 1920

Articles précédents :
1) Création des cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët. (1917 à 1919)
2) L’école d’apprentissage – La distribution des prix.  (1922 à 1938)
3) L’école d’apprentissage au fil du temps (1917-1929).
4) L’école d’apprentissage au fil du temps (1930-1938)
5) Les cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët de 1920 à 1938

Articles connexes :
1) L’école professionnelle de Saint-Joachim – La création
2) L’école professionnelle de Saint-Joachim – 1930 à 1938

Un aperçu du paysage industriel de Saint-Nazaire autour des années 1920

Il me parait judicieux, à ce stade de l’étude, de vous présenter un aperçu du paysage industriel pendant les années d’après guerre en y incluant un historique succinct des entreprises et quelques chiffres significatifs des fluctuations des effectifs. Ils montrent qu’en 1922 la crise est profonde à Saint-Nazaire. Entre 1914 et 1922, les grosses entreprises ont perdu une grosse partie de leur effectif (Chantiers de Penhoët 41 % ; La Loire,  55 % ). La crise était mondiale  les commandes furent annulées, les constructions retardées.

PaysageIndustSaintNazaire1924NumMCM(1) Chantiers et ateliers de Saint-Nazaire-Penhoët – (2) Ateliers et chantiers de la Loire – (3) Ateliers de Saint-Denis – (4) Ateliers et forges de l’ouest – (5) Fonderies de Saint-Nazaire – (6) Chaîneries de Saint-Nazaire – (7) Hailault et Gudzen (Négoce bois mais personnel important) – (8) Usines métallurgiques de la Basse-Loire (Trignac)

 

Chantiers et ateliers de Saint-Nazaire-Penhoët

Constructions navales

En 1861, reprise par la Compagnie Générale Maritime de la concession accordée en 1858 à l’union maritime des deux lignes transatlantiques le Havre /New York, St Nazaire/ les Antilles. Elle devient la Compagnie Général Transatlantique.

La compagnie confie à la firme écossaise John Scott and Cie de Greemock, la construction des coques de cinq grands paquebots. Les machines sont commandées au Creusot.
John Scott vient avec quinze spécialistes de sa compagnie pour la mise en route du chantier. Ils trouvent, en Brière, une main d’œuvre connaissant la construction de navire en bois et qui passe sans difficulté au travail du fer.

En 1866, le chantier ferme ses portes, il fait faillite.

En 1869, une tentative de réouverture par la Compagnie Général Transatlantique a duré moins d’un an.

À partir de 1882, la Compagnie Générale Transatlantique reconstitue et modernise les anciennes installations Scott de Penhoët et y aménage, un important chantier, sous le nom de Chantiers de Penhoët.

VueChantiers1921MCM Chantiers et ateliers de Saint-Nazaire-Penhoët en 1921 – D’après un dessin – Collection S. Paquet

Effectif :
1er juin 1914 : 4663 ouvriers ; 1er février 1922 : 2776 ouvriers
(Atelier de tôlerie : 1er juin 1914 : 1750 ouvriers ; 1er mai 1921 : 1050 ouvriers ; 25 mars 1922 : 269 ouvriers. )

1er septembre 1926 : 4514 ouvriers ; 18 janvier 1927 : 4826 ouvriers
Février 1936 : 4500 ouvriers.

L’effectif fluctue en fonction des commandes enregistrées. Mais en 1922, la crise est profonde, Saint-Nazaire est en plein marasme économique. Le Chantier de Penhoët tente une diversification vers l’aéronautique en présentant un projet de construction d’un hydravion de haute mer.

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Ateliers et chantiers de la Loire

Constructions navales

En 1881, les constructeurs nantais Paul Jollet et Louis Babin-Chevaye créent les Ateliers et chantiers de la Loire à Nantes, puis 1882 une succursale à Saint-Nazaire. Cette dernières va avoir un fort développement, en parallèle avec les réalisations nantaises de la société.
Le chantier de la Loire et de Penhoët n’étaient séparés que par un mur mitoyen.

VueChantiersLoire002Ateliers et Chantiers de la Loire – (=>A) – Collection Mc Mahé

Effectif à Saint-Nazaire :
Juillet 1914 : 2470 ouvriers ; février 1922 : 1109 ouvriers
30 septembre 1926 : 1250 employés ; janvier 1927 : 1122 employés

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Ateliers de Saint-Denis

Constructions et appareils moteurs pour la marine.

Effectif :
En 1921 : 640 ouvriers ; mars 1922 : 480 ouvriers
Le 4 août 1926 : 656 ouvriers ; 18 janvier 1927 : 540 ouvriers

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Fonderies de Saint-Nazaire

28 Juin 1912 Jules Charles-Roux crée une nouvelle entreprise métallurgique dénommée Fonderies de Saint-Nazaire, 5 rue Aubert, à Paris, au capital de 670.000 francs.
Août 1918 – Création de la Société anonyme des Fonderies de Saint-Nazaire et Forges de Montoir
Août 1926 – Liquidation judiciaire de la Société Anonyme des Fonderies de Saint-Nazaire et Forges de Montoir – Reprise par les Chantiers de Penhoët

FonderieSaintNazaireVueGeneraleLes Fonderies de Saint-Nazaire – (=> B) – Collection Mc Mahé

Effectif :
Août 1926 : 150 ouvriers
Janvier 1927 : 200 ouvriers, l’effectif est immuable.
Février 1932 : 200 ouvriers – Directeur M. Simon
Février 1936 : 400 ouvriers.

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Ateliers et forges de l’ouest

À l’origine l’affaire a été créée par M. Auguste de Sainte-Croix, maître de forges à la tête d’une affaire très importante qui devint plus tard les Forges de l’Ouest.

Réparations de navires et tous travaux touchant à la marine

Effectif :
En 1918 : 700 ouvriers ; mars 1922 : 300 ouvriers
30 septembre 1926 : 275 travailleurs ; 18 janvier 1927 : 125 travailleurs (des spécialistes ajusteurs). « Les ateliers et forges de l’Ouest ont toujours donné le spectacle de cette fluctuation. On embauche furieusement au début du mois pour débaucher à la fin. »

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Chaîneries de Saint-Nazaire

Forge et estampage pour marine, chemin de fer, artillerie, travaux publics, automobiles.

En 1921- Siège social : 48, rue des la Paix.
Usines ; rues Marceau et de Normandie

En 1932 – Siège social : 39, rue Marceau.

20 juin 1932, la société prend la dénomination de « Société anonyme des forges, chaîneries et chaudronneries de Saint-Nazaire »

Effectif : pas d’informations

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Hailault et Gudzen

Négoce de bois

Quai de la Gournerie dans le vieux Saint-Nazaire

Effectif :
8 décembre 1926 : 100 ouvriers ; 18 janvier 1927 : 60.

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Usines métallurgiques de la Basse-Loire (Trignac)

Les forges de Trignac sont fondées en 1879 pour exploiter le minerai de fer de Segré, elles s’éteignirent peu après, les minerais espagnols amenés par mer coûtant moins cher que les minerais angevins transportés par voie ferrée.
Elles sont reprises en 1890 et deviennent la Société des Hauts Fourneaux et Forges de Trignac, puis en 1908 la Société des usines métallurgiques de la Basse-Loire.

Barres, profilés en fer, feuillards, rails.

UsineMetallurgiquesBasseLoireLes Usines Métallurgiques de le Basse-Loire – (=> C) Collection Mc Mahé

Effectif :
Avant-guerre : 2875 ouvriers ; mars 1922 : 1900 ouvriers
Fin septembre 1926 : 2600 ouvriers ; 18 janvier 1927 : 2213 (licenciement surtout de femmes et de mousses)

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Istanbul (2013)

Istanbul (2013)

J’ai quelque peu voyagé mais c’est la première fois que cette impression naissait en moi. Presque immédiatement, dès la sortie de l’hôtel, non loin du quartier historique où Marlyse et moi étions descendus, je me suis senti chez moi ; je n’étais pas dépaysé ; c’était ma ville.
Pourquoi me suis-je senti intégré dans cette immense mégapole de seize millions d’âmes, de cette ville entre l’Orient et l’Occident si différente de mon cadre habituel ? Je ne me l’explique pas… mais ai-je envie de l’expliquer ?

J’aime Istanbul la commerçante, la besogneuse, la ville des petites gens industrieuses. Chaque coin, recoin, héberge un petit magasin, une échoppe et puis les pavillons des sultans semblent si petits, presque plein d’humilité devant le Louvre, Versailles et pourtant quelle grandeur, quel raffinement.
Et puis il y a eu l’appel des muezzins… Lorsqu’à Boussay, une petite ville au sud de Nantes où je passe du temps en villégiature, les cloches de l’église sonnent, rythmant la vie des habitants, le sentiment m’envahit d’appartenir à une communauté, à une histoire. J’ai ressenti la même chose, là-bas, lorsqu’à la tombée de la nuit,  de toutes les mosquées, les muezzins ont envoyé vers le ciel la prière de toute une ville, de tout un peuple.

Pendant ce séjour, nous avons visité, bien sûr, les monuments incontournables : Sainte-Sophie, Topkapi ; admiré la fine architecture ottomane, les admirables et sobres décorations des mosquées ; parcouru la ville en tramway ; fait de longues balades dans les jardins immenses et magnifiques ; rencontré des gens si différents, un pilote de chasse de l’aviation marocaine, une vulcanologue libanaise, des commerçants, des étudiants…

Ce soir là, nous descendions une rue non loin de l’hôtel, lorsqu’un homme nous aborda :
– Bonjour messieurs-dames, êtes-vous français ?
– Oui, répondis-je, puis-je vous aider ?
– Non, pas vraiment, sinon le plaisir de parler votre langue.
J’examinais ce personnage. C’était un homme plutôt petit et d’une rondeur bienveillante. Ses cheveux gris étaient soigneusement peignés, sa moustache délicatement dessinée. Il portait une chemise blanche, une cravate bleue, un costume gris.
– Votre français est parfait, avez-vous étudié en France ?
– Oui à Paris. Et vous, d’où êtes-vous ?
– De Saint-Nazaire près de Nantes.
– Je connais bien cette région, j’ai un cousin qui habite Le Croisic et j’y ai fait plusieurs séjours. C’est vraiment  magnifique et j’aime beaucoup la côte sauvage surtout en hiver.
– Vous connaissez Le Croisic et la côte sauvage ? dis-je mi-étonné mi-amusé, oui, en effet, vous avez raison, c’est une région magnifique.
Nous étions en face de l’entrée d’une galerie, ce qui me semblait un ancien bazar.
– Venez, nous dit-il, je vais vous montrer quelque chose de très intéressant.
Nous entrâmes dans la galerie et il commença à nous raconter l’histoire du lieu, sa construction dans le milieu du dix-neuvième siècle, les problèmes rencontrés lors de la restauration de sa structure et ceux de sa décoration. Nous marchions lentement et suivions du regard sa main qui balayait avec légèreté l’espace. Son discours était élégant dans un français parfait et très académique. Un érudit, un professeur d’université, pensai-je. Nous étions heureux d’avoir un guide aussi compétent.
Puis au milieu de la galerie il nous dit :
– La pièce la plus intéressante est ici, elle nous a demandé beaucoup de travail et il ouvrit la porte d’un restaurant. Nous entrâmes et il continua un temps son discours. Puis dans un ton et un mouvement des plus naturels :
– C’est bientôt l’heure de dîner, je vous propose de vous asseoir, nous avons des spécialités qui vont vous plaire assurément, dit-il, en tirant une chaise pour Marlyse.
Pendant une seconde nous sommes restés déconcertés même un peu désemparés.
– Pardon ? dis-je.
La chose devenait évidente, ce n’était ni plus ni moins qu’un rabattage, mais la stupeur passée je la trouvais plaisante et très bien faite.
– Je suis désolé, dis-je en riant, mais il est vraiment trop tôt pour dîner. Mais je dois dire que je suis particulièrement impressionné par votre méthode, votre approche, c’est vraiment du grand art. Je ne pourrais qu’encourager les étudiants des écoles de commerce françaises à venir faire un stage à Istanbul.
– Assurément, répondit-il, et maintenant que vous connaissez la maison, nous serions très heureux de vous recevoir.

Nous lui promîmes de revenir, ce que nous n’avons pas fait. Il y a tant de choses à voir à… Istanbul.

Montoir de Bretagne, février 2015

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Centre d’Apprentissage (1965-1968) – Les bases du métier de traceur

Pour faire le point sur la création de l’apprentissage des Chantiers de Penhoët
et aller un peu plus en avant, je vous propose :
Le Samedi 31 janvier à 10 h 30,
à la médiathèque Barbara 7, rue du Berry – 44550 Montoir-de-Bretagne,
une rencontre-conférence sur le thème « L’école d’apprentissage aux Chantiers de Penhoët ».
La salle est petite, merci de réserver à la médiathèque ou au 02 40 70 11 51
Merci de passer l’information à toutes les personnes susceptibles d’être intéressées par ce sujet.

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Il n’y a pas de moment mieux choisi pour vous dire merci de la fidélité 
que vous avez témoignée à ce blog tout le long de l’année.

Je vous souhaite mes meilleurs vœux pour 2015 !

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Centre d’Apprentissage des Chantiers de L’Atlantique (1965-1968)

ApprentissageDetailSalles

Photo D – Bâtiment (2) atelier de chaudronnerie.
Bâtiment (3) à l’étage, atelier de préapprentissage.
Bâtiment (5) (a) salle de sport, (b) salle de dessin. Bâtiment (6) toilettes.
Bâtiment (7) au rez-de-chaussée : (a) réfectoire ;
à l’étage : (b) : bureau de M. Leroy, (c) secrétariat Mme Aoustin,
(d) (e) (g) salles de classe, (f) bibliothèque.
Bâtiment (8) au rez-de-chaussée : (a) atelier d’ajustage et de tournage ;
à l’étage : (b) salle de technologie (Salle T),
(c) atelier de traçage coques 1er année, (d) 2e année, (e) 3e année.
Bâtiment (9) (a) salle des maquettes, (b) vestiaires, (c) douches ;
à l’étage (d) atelier d’ajustage
(11) terrain de sport. Bâtiment (12) atelier de mécanique.

Articles précédents :
L’apprentissage aux Chantiers de l’Atlantique – L’examen d’entrée
Le centre d’apprentissage des Chantiers de L’Atlantique (1965 à 1968)
Centre d’apprentissage des Chantiers – Le préapprentissage
Centre d’Apprentissage (1965-1968) – Les cours d’enseignement général
Centre d’Apprentissage (1965-1968) – Les cours d’enseignement professionnel

Les bases du métier de traceur

Méthode pédagogique de l’école

Nous avons chacun un processus, une méthode de mémorisation différente. Certains ont une mémoire visuelle, ils retiennent plus facilement ce qui est écrit, les couleurs des titres, les mots soulignés etc. D’autres ont une mémoire auditive, ils retiennent ce qui expliqué par un locuteur ou lorsqu’ils relisent à haute voix. D’autres enfin ont une mémoire kinesthésique et retiennent en écrivant, en faisant des schémas, en dessinant etc.
Ces différents types de mémoire existent chez chacun d’entre nous et leur utilisation combinée, simultanée permet de trouver un point d’appui solide dans un processus d’apprentissage.
Les cours des matières professionnelles étaient basés sur ce principe. Outre un cours magistral ou notre moniteur détaillait la leçon, on nous fournissait un document écrit par le professeur en écriture bâton pour chaque leçon que nous devions recopier sur des feuilles perforées et placées dans un classeur dédié à chaque matière.

PgeTechno001

 Fig A – Tout était normalisé…

Tout était normalisé : les titres et les sous-titre en écriture bâton à l’encre de chine, l’écriture au stylo plume, les schémas et les dessins à l’encre de chine. Les classeurs étaient visés et notés et cela comptait dans notre moyenne.

Les punitions étaient, elles aussi, de la même veine pédagogique : « Les pages de techno ». Leur nombre était fonction de la gravité de la faute ; « Cinq pages de techno. » était la plus courante. Bien sûr, elles aussi suivaient la normalisation en vigueur. Point besoin pour le professeur de parler, une main ouverte doigts écartés dans notre direction suffisait pour nous faire comprendre le message : « Cinq pages ! ».

Nous disposions d’une bibliothèque (7-f) tenue par notre assistance sociale Melle Brun. Cette dernière accompagnait le médecin du chantier pour notre visite médicale annuelle. Nous défilions un par un en petite tenue devant ces deux personnes et …tout était vérifié.

La première année traceur de coques

Dans un chantier de construction navale, la salle à tracer était une vaste pièce avec un  parquet sur lequel étaient dessinées les différentes pièces de construction de la coque des navires en vraie grandeur . Nous utilisions le parquet de notre atelier pour effectuer nos tracés.

Nous disposions chacun d’une table, munie, en bas, d’un grand tiroir pour ranger nos outils pour le traçage en salle, scie égoïne, scie à guichet, varlope, rabot, maillet, marteau de charpentier muni d’un arrache clou, un cordeau enroulé sur le virolet que nous enduisions de blanc pour battre les lignes, blanc à tracer, pointe à tracer, compas à pointe sèche, trusquin, crayon de charpentier, tampons de différents diamètres pour marquer les trous et files de trous des rivets sur les règles de traçage.
Dans un autre tiroir sous le plateau, le matériel de dessinateur pour le traçage et dessin sur papier : tire-lignes, compas, critérium, règle, réglet, pistolets.
Nous dessinions sur un papier à dessin, en rouleau, assez épais, de couleur jaune pâle.
Nous avons suivi une évolution dans le traçage à l’encre de chine d’abord le tire-ligne, le Graphos puis le Rotring.
Nous protégions le plateau de la table avec un carton orange très épais qui servait normalement à réaliser des gabarits de pièces de petites dimensions. C’est sur celui-ci que je laissais libre court à mon imagination en dessinant des hydroglisseurs, passion du moment sans doute.

Notre professeur en première année était M. Pierre Halgand dit Grand-Pierre, homme de grande taille et d’une carrure imposante mais excellent pédagogue.

Je me souviens du tout premier cours, nous étions tous autour d’une table et il nous expliquait le maniement du tire-ligne lorsqu’il s’aperçut que tous les yeux convergeaient vers un seul point : ma main à côté de la sienne. La différence était formidable : la sienne faisait deux fois la mienne. Chacun prit alors conscience qu’une rencontre avec ces battoirs étaient fortement à éviter.
On dit, dans la mémoire collective, qu’il en fit usage une fois et le pauvre garçon alla s’affaler dans le stock de bois à gabarit.

Un dicton dit que les briérons naissent avec un compas dans leur berceau et M. Halgand nous en fit une démonstration en traçant une perpendiculaire sur une ligne horizontale sans compas avec une simple règle. Son tracé, vérifié ensuite aux compas, nous étonna par sa précision.
La base du travail était le tracé des formes du navire. C’est à partir de celui-ci que nous pouvions effectuer les différents développements des pièces constituant le navire.
Notre tout premier tracé de formes fut celui d’un blin, embarcation à fond plat utilisée par les briérons pour circuler dans le marais. C’est en traçant ces formes très simples que nous apprîmes à tailler la mine de notre Critérium à la manière du crayon des charpentiers c’est-à-dire en forme de biseau.
La forme du point sur le papier était normalisée. Je me souviens d’avoir modifié la forme de celui-ci et le moniteur me remit fermement dans le droit chemin : « Vous pourrez innover Mahé mais faites d’abord ce que l’on vous enseigne, soyez petit pour devenir grand. » me dit-il. Dès lors, j’ai toujours suivi les consignes sans me poser de questions. Plus tard, en prenant de l’expérience, j’ai compris combien il avait raison.
On nous enseigna à nous servir du cordeau au sol pour tracer les lignes droites ; à l’arrêter par un nœud particulier sur son virolet ; à tracer des lignes courbes à l’aide lattes et des plombs sur le papier et de clous de salle au sol ; à laisser filer les points en relevant chaque plomb du doigt pour permettre à la latte de lisser sa courbe parfaitement.

Quelques rudiments du travail du bois pour réaliser les gabarits étaient au programme : raboter à la varlope ou au rabot ; scier au plus près puis raboter pile au tracé ; dresser le bord d’une planche pour qu’il soit parfaitement droit à l’aide d’une planche témoin; dégauchir à l’œil pour vérifier sa rectitude. ;
L’atelier disposait d’une scie à ruban pour les grandes longueurs mais seuls les moniteurs étaient habilités à s’en servir.

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Le jumelage

Note de l’auteur : cette nouvelle est ma contribution mensuelle au collectif artistique « Breuder ar Ster ».  Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Le jumelage

C’est la fête dans cette charmante petite ville de Bretagne. Elle célèbre ses dix ans d’amitié avec sa jumelle allemande. Au cours du temps, de solides liens se sont créés entre les différentes familles ; on se connaît, on s’apprécie.
Les Allemands sont arrivés la veille au soir et c’est le premier déjeuner en commun. La salle se remplit doucement. Elle a été décorée avec soin par quelques membres du comité avec des petits drapeaux aux couleurs des deux pays. Dans sa largeur, ils ont disposé de longues rangées de tables, recouvertes de nappes blanches avec leur centre un chemin de table aux couleurs nationales des deux pays. Les dames de la Société d’art floral ont confectionné de magnifiques bouquets.

Le père Jean est arrivé de bonne heure. C’est l’adjoint à la culture qui est passé le prendre. Après l’avoir installé dans un fauteuil non loin de la tribune, où auront lieu tout à l’heure d’ennuyeux et nécessaires discours, il est allé, avec le maire, accueillir les invités. Une poignée de main, un petit mot pour chacun, une petite tape sur l’épaule, parfois une accolade pour certains.

Le père Jean, malgré ses quatre vingt quinze ans passés, est relativement alerte pour son âge. Il vit seul dans une belle maison, tout en granite, en face de l’église. Chaque jour on lui amène ses repas et plusieurs fois par semaine une jeune auxiliaire de vie passe quelques heures avec lui. Il affectionne particulièrement les longues promenades le long du canal dans un fauteuil roulant, les parties de Scrabbles où ma foi il se défend encore et, ses yeux lui faisant maintenant défaut, lorsqu’au coin du feu elle lui fait la lecture. Il choisit souvent des récits de sa Bretagne, Le Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias, Un recteur de l’île de Sein de Henri Queffelec. Il aime cette voix juvénile emplir la pièce, elle sait y mettre les sentiments et le ton, elle joue avec les intonations et sait interpréter une mer en furie, une pensée intime, une rage contenue… Elle a un don cette petite se disait-il souvent.

Le père Jean est un bavard, il aime parler de son passé, de son métier de tailleur de pierre et vous parlera sans discontinuer comment attaquer tel granit ou tel marbre ou vous narrera quelques anecdotes de ses chantiers.
Il avait appris les rudiments de cet art dans l’entreprise de son père, puis ce fut la guerre, la mobilisation et cinq ans de captivité ; le lot quotidien de nombreux jeunes hommes de l’époque.
À son retour il avait repris l’activité familiale, l’avait développée en créant une petite unité de fabrication de parpaings. De par sa position de décideur, d’acteur économique il prit part naturellement à la vie de la commune. Une existence qui pourrait sembler à chacun bien remplie mais il n’avait pas fondé de famille et il se sentait maintenant bien seul.

Il est là, assis dans son fauteuil, chacun venant le saluer, lorsqu’à travers les transparences faites par les invités, il voit entrer dans la salle un homme en fauteuil roulant poussé par un homme d’un certain âge, d’une haute stature, très strict dans son costume bleu pétrole. Toute une famille l’entoure, une femme d’un certain âge elle aussi, sa femme pense-t-il, un couple de jeunes gens et deux petites filles. Le maire et l’adjoint se précipitent et les accueillent avec une grande déférence. « Tiens ils ont amené un p’tit vieux. » se dit-il.
C’est alors qu’une femme vient lui boucher la vue pour venir le saluer. Il lui répond vaguement tout en se penchant pour essayer d’apercevoir les nouveaux venus mais celle-ci se déplace à nouveau craignant de n’avoir pas été entendu. Lorsque, enfin, elle se retire, ils étaient rentrés.
Lui, il avait toujours refusé d’effectuer le voyage vers l’Allemagne prétextant qu’il était trop âgé pour effectuer un tel périple. Mais secrètement il n’avait pas envie d’y aller, cela lui rappelait de très mauvais souvenirs. D’esprit ouvert, il trouve formidable un tel rapprochement, c’est une vraiment une très bonne chose mais il s’en tient là.

Un mouvement de foule s’opère, c’est le moment des discours. Le père Jean se lève, on l’aide à déplacer son fauteuil pour le mettre devant le pupitre. D’un geste,  par-delà le cercle formé par les invités, le maire invite quelqu’un à se rapprocher, à se mettre devant. La foule s’écarte et on place le vieux monsieur en fauteuil près de lui. Jean le salue d’un hochement de tête, l’autre fait de même.
Le maire remercie l’assemblée et fait part de sa joie de voir ainsi réunis les habitants des deux villes pour la dixième fois et qu’il est particulièrement heureux de voir côte à côte deux anciens de nos deux villes, Jean C. et Hans J. grand-père d’une famille nouvelle venue dans le jumelage.

Les orateurs se succèdent les uns après les autres, on met de l’humour, de la gentillesse, on se félicite, se congratule, s’offre des cadeaux et enfin on invite à passer à table.

On avait pris soin de placer Jean et Hans au plus près l’un de l’autre, ce dernier en bout de table pour un accès facile avec son fauteuil.
Les deux protagonistes se regardent un temps. Aucun d’eux n’ose engager la conversation. C’est la jeune femme en face de Jean qui rompt le silence :
– Mon beau-père parle un petit peu le français. Si vous parlez lentement il le comprend très bien. Il a fait ses études à Paris puis il est retourné à Munich pour reprendre la fabrique familiale.
Hans hoche la tête pour acquiescer. Son mari à côté d’elle demande une traduction, ce qu’elle fait. Involontairement, un frisson parcourt Jean. Il ne peut empêcher ce réflexe à chaque fois qu’il entend les accents de cette langue. La jeune femme s’en aperçoit :
– Vous ne vous sentez pas bien ? vous avez froid ?
– Oui, un petit courant d’air, répond-il.
– Je vais vous chercher une couverture dans la voiture.
Avant même qu’il ait prononcé un mot, elle a disparu. Elle revient avec deux plaids écossais qu’elle met sur les épaules de Jean et de son beau-père.
Jean, touché de temps de sollicitude, bredouille :
– Merci, il ne fallait pas, puis il continue, que faisait votre beau-père ?
– Dans la mécanique, et vous ? répondit le grand-père.
Sa voix est un peu rauque. Son visage bien que marqué par la vieillesse est très beau, un front haut, les yeux d’un bleu profond, les pommettes saillantes, la mâchoire puissante. Jean ne peut pas s’empêcher de penser « un arien ».
– Dans la maçonnerie, oui j’ai repris l’affaire de mon père après la… après la guerre.
Hans le regarde, tous deux hochent la tête plusieurs fois.
– Saloperie de guerre dit Jean
Hans hoche à nouveau la tête, sans mot dire.
Jean se met à raconter sa vie :
– À mon retour d’Allemagne, ma fiancée de l’époque, Paulette, était partie avec un maquignon de deux fois son âge. Un peu par dépit et surtout pour me faire un peu d’argent, je suis parti à Brest avec deux compagnons et un camion de mon père. Le travail ne manquait pas. On a travaillé au déblaiement puis à la reconstruction. J’aimai bien cette ville.
J’ai fait la connaissance d’Amélie, une fille de Chateauneuf-du-Faou, elle était serveuse dans un bar ; un peu délurée, mais je l’aimai bien.
Dans les années cinquante, mon père se faisant vieux me demanda de reprendre l’affaire. Je suis revenu ici avec Amélie. Elle n’a pas pu s’habituer à la vie campagnarde et un jour elle a disparu.
Pendant qu’il parlait, toute la tablée s’était levée pour danser l’an dro. Seuls Jean et Hans étaient restés assis.

– Où étiez-vous en Allemagne ? demande Hans.
Jean ne voulait surtout pas embrayer sur cette période mais puisqu’il l’aborde il ne se fait pas prier.
– En Westphalie, et vous ?
– À Belzec, en Pologne. Je me suis blessé à la jambe et on m’a rapatrié à Berlin où j’ai terminé la guerre dans des bureaux.
Belzec, ce nom il l’avait lu ou entendu quelque part… pourquoi lui semble-t-il si familier ?
– La Pologne, il faisait très froid là-bas…dit Jean
– Oui, très froid, très froid.
Chacun d’eux, un temps, s’évade dans ses pensées.
– Comment vous êtes vous blessé ?
– En tombant d’un mirador, répond Hans.
Ce dernier mot, d’un coup, lui permit de faire la relation avec Belzec… un camp. Envahi par l’émotion Jean est pris de malaise, s’affaisse et tombe brusquement de sa chaise. Hans appelle à l’aide et tout le monde se précipite pour porter secours.
– Was ist passiert ? (Que s’est-il passé ?) demande la bru au grand-père.
– Ich weiß nicht ; sicherlich eine Kälteeinbruch… (Je ne sais pas ; un coup de froid sans doute….) répond Hans.

Montoir-de-Bretagne – Janvier 2015

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Les cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët de 1920 à 1938

Pour faire le point sur cette étude et aller un peu plus en avant, je vous propose :
Le Samedi 31 janvier à 10 h 30,
à la médiathèque Barbara 7, rue du Berry – 44550 Montoir-de-Bretagne,
une rencontre-conférence sur le thème « L’école d’apprentissage aux Chantiers de Penhoët ».
La salle est petite, merci de réserver à la médiathèque ou au 02 40 70 11 51
Merci de passer l’information à toutes les personnes susceptibles d’être intéressés par ce sujet.

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Articles précédents :
1) Création des cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët. (1917 à 1919)
2) L’école d’apprentissage – La distribution des prix.  (1922 à 1938)
3) L’école d’apprentissage au fil du temps (1917-1929).
4) L’école d’apprentissage au fil du temps (1930-1938)

 

Les cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët de 1920 à 1938

En 1920, les cours subirent une réorganisation. À part cette laconique insertion dans un article, je n’ai aucune source à ma disposition pour mesurer l’ampleur des modifications apportées.

Le recrutement des apprentis

Bien que, dès sa création, il y eût une sélection selon les sources actuellement à ma disposition il est fait référence à un examen d’entrée qu’à partir de 1924. Aucun document ne nous renseigne sur sa nature.
La date de clôture des inscriptions, généralement fin juin début juillet, était donnée par voie de presse.
Pour entrer au cours d’apprentissage, les candidats devaient être âgés d’au moins 13 ans révolus au 1er juillet et munis du certificat d’études primaires la limite maximum semble 16 ans
Les personnes qui désiraient présenter des candidats à l’examen d’admission devaient adresser leur demande au Directeur du Chantier en indiquant la spécialité désirée. Dans la mesure du possible, il était tenu compte de cette préférence.

PyramideAges1929

G 1 – Répartition population 1929 – Source Insee

 

PyramideAges1933

G 2 – Répartition population 1933 – Source Insee 

La guerre de 1914 à 1918 a engendré des morts en masse et a inversé l’ordre normal des choses. Les jeunes adultes, les soldats, meurent avant leurs parents. Ils n’ont pas eu ou n’auront pas d’enfants alors des générations manquent à l’appel.
Conséquence, le recrutement des apprentis subit une crise en 1929 (G1) et surtout en 1930. La tranche d’âge entre 14 et 16 ans manqua à l’appel ; la sélection en nombre devint plus difficile ; le Chantier accepta alors des jeunes gens dont le niveau d’instruction primaire laissait profondément à désirer.
Est-ce aussi pour cette raison que la date d’entrée à 13 ans révolus au 1er juillet fût reportée au 1er septembre dès 1930 ? On peut le penser en effet.
En 1931 et 1932 les candidatures étaient suffisantes mais le niveau n’avait pas évolué.
En 1933 (G2), la tranche d’âge 14 à 16 ans s’étant reconstituée, les candidatures furent suffisantes, 183 apprentis se présentèrent à l’examen d’entrée pour 90 admis, ce qui a permis d’opérer une sélection plus conforme aux exigences de l’école.
Dans son discours de remise des prix de 1934, M. Coqueret se désespérait du niveau d’instruction générale. Des enfants pourtant titulaires du certificat d’études primaires se sont montrés tellement déficients à l’examen d’entrée qu’il considérait que ce diplôme avait perdu toute valeur et, à son avis, qu’il faudrait être plus sévère pour son obtention et au besoin reculer la limite d’âge au-dessous de laquelle les enfants doivent continuer à fréquenter l’école primaire.
En 1935, M. Coqueret nuancera ses propos de l’année précédente en considérant que le niveau d’instruction générale est en progression.

Pour suivre les idées du Gouvernement de l’époque selon laquelle les enfants doivent surtout acquérir l’instruction générale sur les bancs de l’école pour mieux profiter par la suite des cours pratiques qui restent alors l’essentiel de leur formation ; profitant de l’application de la loi Walter-Paulin du 10 mars 1937 relative à l’apprentissage dans les entreprises artisanales stipulant que l’entrée ne peut se faire avant 14 ans ; suite enfin aux problèmes de niveau scolaire cités plus haut, l’âge légal d’entrée aux cours d’apprentissage fut porté à 14 ans en 1937.
Pour la petite histoire, il est a noté que l’application de cette loi, pour les entreprises artisanales, a provoqué une augmentation sensible des effectifs des classes de primaire à Saint-Nazaire. Certaines classes étaient déjà surchargées dans les années 1936 et 1937 : 40 à 42 élèves par classe pour 35 prévus par la loi.

Pour être admis au cours en première année, les candidats devaient passer un examen médical pour constater s’ils étaient physiquement capables d’exercer les métiers proposés.

Les effectifs

Lors la distribution des prix de 1925, M. Lévy donna quelques indications sur le nombre d’apprentis qui ont fréquenté les cours depuis leur création : mille jeunes gens et cinq cents, par leur travail et assiduité, sont entrés dans les équipes.

Autour de l’année 1929, la formation se faisait sur trois années et le chantier admettait en moyenne, par an, 90 apprentis répartis selon les groupes : machines : 40, tôlerie : 30, bois : 20. Les effectifs pour les trois années se maintenaient aux environs de 250 à 270 apprentis soit près de six pour cent de l’effectif total  des ouvriers (≈ 4000) et dix pour cent des ouvriers qualifiés des corporations formées à l’école (≈ 2500).

À partir de 1934, une centaine d’apprentis fut admise chaque année.

Le fonctionnement de l’école

Les ateliers des apprentis

VueChantiers1921LocApprentNumMCM
Ateliers des apprentis – (1) Groupe machines ; (2) Groupe tôlerie ; (3) Groupe Bois
D’après un dessin – Collection S. Paquet

Les groupes

Dès la création de l’école, nous l’avons vu, la formation dispensée était divisée en trois groupes : un groupe « machines » pour les ajusteurs, tourneurs, serruriers et électriciens ; un groupe « tôlerie » pour les charpentiers-traceurs, les chaudronniers en fer et en cuivre ; un groupe « bois » pour les modeleurs, les ébénistes, les menuisiers d’ateliers et de bord, les charpentiers.
Elle comprenait des cours théoriques en tronc commun et des cours et exercices pratiques particuliers pour chaque groupe.
En 1937 sur proposition de M. Pagery une section électricité fut crée.

Le salaire

Le chantier leur versait un salaire, ce qui était un avantage certain car dans beaucoup de corporations l’apprenti n’était pas rétribué ou même versait une redevance au patron.
Étaient-ils payés au même tarif que les ouvriers comme en 1917 à l’ouverture de l’école ? probablement pas.

Équipe pédagogique

L’équipe pédagogique était composée comme suit : à la tête de l’école le directeur des cours d’apprentissage, les professeurs. À la tête de chaque groupe les contremaîtres  puis pour chaque groupe des chefs ouvriers et des moniteurs.

En 1937, on fait état, d’un suivi de la santé des apprentis par la surintendante d’usine pour les œuvres sociales.

La formation

Nous savons qu’en 1930, mais rien nous dit que cette pratique n’était pas antérieure à cette date, les apprentis faisaient un stage dans chacun des trois groupes (bois, machines, tôlerie-chaudronnerie) la première année.
À la fin de celle-ci, ils étaient affectés à un de ces groupes pour leurs deux dernières années d’études en tenant compte : de leurs désirs qu’ils avaient exprimés, de leur classement général, des notes obtenues et des aptitudes qu’ils avaient montrées.

Le but de cette école était de former des ouvriers, mais en 1929 des cours de perfectionnement à l’École de dessinateurs de Nantes ont été proposés aux apprentis de troisième année qui, par leurs aptitudes au dessin, avaient intérêt à être aiguillés vers les bureaux d’études.
Les frais de scolarité auraient été supportés par le chantier et une mensualité assurée aux élèves qui auraient eu la certitude d’être engagés ensuite comme dessinateurs à Penhoët. Aucun candidat ne s’était présenté.

1932Schéma D – En 1932

À partir de 1932, par l’initiative de M. Pagery des cours spéciaux furent créés pour les bons élèves de 2e et 3e année.
Les apprentis se préparaient, pendant ces deux années, à passer l’examen d’entrée de l’École des dessinateurs du Syndicat des Constructeurs de navires de Nantes (Schéma D). Ils comprenaient des cours de dessin, mécanique générale, algèbre, géométrie. Selon M. Coqueret, ils ont donné très rapidement de très bons résultats.

Les concours régionaux et nationaux

À partir de 1921 jusqu’en 1933, les cours étant affiliés au Syndicat des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de France, le chantier présentait des apprentis au concours pratique que celui-ci organisait chaque année. Les lauréats étaient récompensés par des médailles d’or, d’argent et de bronze et des livrets de Caisse d’Épargne pour l’or et l’argent.
Les apprentis obtenaient de nombreuses médailles chaque année.

À partir de 1932, dès lors que les cours spéciaux ont été institués pour présenter des candidats à l’examen d’entrée de l’École des dessinateurs du Syndicat des Constructeurs de navires de Nantes, le chantier cessa de présenter des candidats à ces concours.

En 1936, il renoua avec cette pratique en présentant des travaux d’apprentis à la 4e exposition régionale du travail de Nantes où ils obtinrent, là aussi, des médailles et les travaux de quatre apprentis furent acceptés pour concourir au Concours National de Paris.
À partir de 1937, il présenta des apprentis au concours général entre tous les apprentis de France sous l’égide, entre autres, du Syndicat des industries mécaniques.

Son action pour le développement de la région

Il faut savoir que tous les apprentis n’entraient pas dans les équipes. L’action de l’école d’apprentissage ne se limitait pas qu’aux besoins du chantier, mais elle visait un but beaucoup plus large. M. Coqueret nous en a donné la preuve, dans un discours, par cette analyse en 1933 :

« Former les ouvriers de l’avenir, c’est, certes, l’intérêt du patronat, mais c’est aussi un devoir vis à vis de la collectivité et le Chantier s’en acquitte bien au-delà de ce qu’il pourrait strictement faire. Je vais vous le prouver.
Par admission de 80 à 90 apprentis par an pour les Sections de Tôlerie-Chaudronnerie, de Mécanique et de travail du Bois et pour trois années de cours, il instruit constamment 250 apprentis environ ; comme un homme travaille 40 à 45 ans en moyenne et que de nombreux jeunes gens acquièrent leur métier sur les travaux quand la spécialité y oblige, le Chantier forme des ouvriers en nombre correspondant à un effectif de 10.000 à 12.000 hommes.
Or, au plus fort de son activité, il n’a jamais compté 6.000 hommes ; il forme donc des ouvriers, non seulement pour ses propres besoins, mais pour toute la région et même pour ailleurs. »

Les coûts et charges de l’école

Nous avons quelques chiffres sur les coûts de fonctionnement de l’école incluant : les frais de personnel dirigeant et professant, les dépenses en matières pour les exercices pratiques, le salaire que le chantier paie aux apprentis.
Les cours ont coûté pour l’année 1929 500 000 franc par an alors que chantier aurait pu s’acquitter d’une taxe d’apprentissage versée à l’état, si les cours n’existaient pas, de 125 000 francs par an.
Pour l’année 1933, les cours ont coûté 800 000 francs par an alors qu’il aurait pu s’acquitter d’un impôt de 400 000 francs par an pour être en règle avec la loi Astier.

Selon M. Coqueret, le chantier ne regrettait rien, bien au contraire. Il considérait que si c’était son intérêt et son devoir de former des ouvriers pour lui-même, c’était une charge que le chantier se donnait bénévolement en formant pour la région, en contrepartie il avait droit à la reconnaissance de la collectivité.

Le certificat d’aptitude professionnelle

En 1919, Le « Certificat de Capacité Professionnelle (CCP) devint le « Certificat d’Aptitude Professionnelle » (CAP) par la loi Astier du 25 juillet. Ce dernier fut organisé à Saint-Nazaire pour la première fois en 1922 dans les ateliers de l’École pratique. Il faut noter que, pour cette session, le jury, présidé par l’inspecteur départemental de l’enseignement technique était formé presque exclusivement de professionnels ou de contremaîtres du chantier de Penhoët.

Il avait lieu au mois de juillet, il comprenait :
1° Une épreuve de travail manuel d’une durée de 8 heures (coefficient 5) ;
2° Une épreuve de dessin d’une durée de 3 heures (coefficient 3) ;
3° Une épreuve de calcul : arithmétique et géométrie pratique d’une durée de 1h30 (coefficient 1) ;
4° Une épreuve orale sur la technologie de la profession, d’une durée de ¼ d’heure (coefficient 1) ;
Pour l’épreuve de travail manuel, un dessin de la pièce à exécuter était remis à chaque candidat.

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Rencontre en ligne,

Cette nouvelle est ma contribution mensuelle au collectif artistique « Breuder ar Ster »

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Rencontre en ligne

Nous sommes à quelques jours de Noël et Lisa est assise sur le sol dans un coin de sa chambre, dos au mur, les jambes repliées, la tête posée sur les genoux. Elle cache, en tirant sur les manches de son pull, ses mains rouges fines et maigres. Aujourd’hui elle a douze ans, cela aurait dû un jour de fête mais elle a le cafard, un terrible cafard.
« Elle me manque tant » pense-t-elle. Elle voudrait être dans ses bras. Dans sa mémoire elle entend encore résonner sa voix douce avec cette pointe d’accent : « Take it easy, will you…take it easy… » Dans les moments difficiles sa mère la consolait en anglais, petit artifice qui la calmait presque toujours.
Trois petits coups à la porte et la voix de son père :
– Le dîner est prêt, Lisa.
– Je n’ai pas faim.
Il n’insiste pas. Il est désemparé. « Betty aurait su quoi faire. » pense-t-il. Sa mort il y a bientôt trois mois dans un accident de voiture a provoqué un véritable séisme. Elle s’occupait de tant de choses : de la maison, des enfants, de son travail. D’un seul coup des tas de problèmes se sont posés, où sont les papiers ? Comment fonctionne la machine à laver ? Faire à manger ! Il s’était rapidement noyé et avait fait appel à une femme de ménage pour le décharger des tâches ménagères et se consacrer à sa fille mais les choses ne se passent pas comme il l’aurait voulu, un conflit naît maintenant pour la moindre peccadille.

Lisa se revoit trois mois plus tôt, juste à la fermeture du cercueil. Elle avait beaucoup insisté pour la voir une dernière fois. C’est avec un peu d’appréhension qu’elle s’était approchée, avait contemplé son visage inerte, effleuré de ses lèvres son front, avait trouvé cela étrange, froid et dans le même geste avait glissé le téléphone portable de sa mère dans la garniture ivoire du cercueil. Pourquoi avait-elle fait cela ? Était-ce par ce que sa mère l’avait toujours à la main ? Était-ce pour se rassurer elle-même ? d’assurer une possibilité de liaison avec elle ?

Sur le sol, son téléphone sonne et le visage de Lola, sa meilleure amie apparaît à l’écran. Elle le coupe, elle veut rester seule. Puis vient une idée ; elle le prend ; le met sur mode texto et écrit :
< Maman j’ai besoin de toi >
Quelques secondes s’écoulent et apparaît sur l’écran
< Qu as tu dear >
Pendant quelques secondes Lisa reste tétanisée. « Elle me répond ! elle me répond ! » pense-t-elle. Elle écrit rapidement avec ses deux pouces :
< C est toi maman>
< Oui pourquoi>
< Je suis tellement malheureuse >
< C’est un mauvais moment à passer >
< Je te rappelle plus tard jc m’appelle >
Lisa est perplexe. « JC ? » dit-elle tout haut. Elle ne sait plus du tout où elle en est. Comment cela se peut-il ? La tristesse a fait place à un état d’excitation intense. Elle se lève, fait les cent pas à travers la chambre ; s’arrête ; se fige les yeux rivés sur le petit boitier noir placé devant elle ; reprend sa marche ; s’assoit sur le lit ; le téléphone sonne, le visage de Lola apparaît sur l’écran ; elle a un mouvement d’impatience ; « Oh non ! pas maintenant » se dit-elle ; elle coupe. Elle attend un long moment puis n’en pouvant plus elle saisit le boitier et écrit :
< Ou es tu >
Quelques longues secondes s’écoulent puis la réponse vient enfin :
< Au paradis je suis occupée je suis en réunion avec jc il veut une chorale d’anges pour les fetes de noel on se parle plus tard dans la soirée bisous sweetheart >
« Sweetheart, maman m’appelait ainsi ; je suis en contact avec elle ; c’est dingue ! si je peux envoyer des SMS… je peux l’appeler. »
Fébrilement elle compose le numéro et lorsqu’on décroche elle s’écrie :
– Allo maman !
– Mais qui êtes-vous, répond une voix féminine avec un fort accent américain.
– Ben je suis Lisa.
– Lisa ?
S’ensuit un long silence.
– Tu étais morte et je t’ai envoyé un texto et tu as répondu, tu m’as dit que tu étais au paradis avec Jésus-Christ, qu’il y a une chorale d’anges, dit-elle tout de go, sans respirer et elle fond en larmes.
– Take it easy, will you…take it easy… répond la voix, vous êtes seule dans la maison ?
– Non, il y a mon père.
– Passez-le-moi, s’il vous plaît, je vous en prie, ne raccrochez pas, passez-le-moi.
Sans se déplacer Lisa crie en pleurant :
– Papa, papa…
Quelques secondes plus tard, le père fait irruption dans la pièce, avant qu’il ne dise un mot, elle lui tend le téléphone. Il le prend et s’assoit au bord du lit. Lisa a repris sa position dos au mur. Elle pleure doucement, son grand corps tressaille de temps en temps.
En répondant, le père hoche la tête plusieurs fois sans quitter des yeux sa fille…oui je suis le père de Lisa…elle a douze ans… sa maman est décédée… il y a trois mois…accident de voiture… oui je comprends… oui, oui je comprends… c’est une bonne idée… nous habitons, et il donne l’adresse…oui, oui je vous attends.

En attendant ces mots, Lisa s’est recroquevillée un peu plus. Il la prend dans ses bras sans mot dire et l’allonge sur le lit.
– J’ai envoyé un SMS à maman et c’est une autre dame qui a répondu. J’ai cru que c’était maman, je suis une sotte, chuchote Lisa.
– Chut, chut, non pas du tout, tu n’es pas sotte, calmes-toi, la personne est en route, elle veut te rencontrer. Allonges-toi, reposes-toi.
Il reste là près d’elle à la regarder. De temps en temps, un frisson parcourt le corps longiligne de Lisa. Des questions lui brûlent les lèvres mais il se tait craignant une nouvelle dispute. Un peu plus tard, on sonne à la porte. Il descend. Lisa entend une courte discussion et une jeune femme, la trentaine, pénètre dans la chambre, ses talons hauts claquent sur le parquet, un parfum, assez fort, emplit la pièce. Elle pose un genou à terre et se penche pour rapprocher son visage de celui de l’enfant.
– Lisa, dit-elle doucement, je suis désolée, vraiment désolée, c’est un quipro… comment dites-vous en français déjà, en se retournant vers le père.
– Quiproquo dit celui-ci.
– Oui, j’ai cru que c’était ma fille qui est en voyage avec son père…racontez-moi tout Sweetheart.

Elle s’assoit au bord du lit et lui caresse doucement les cheveux.
Lisa lui explique le téléphone placé dans le cercueil, le paradis, Jésus-Christ…
– My God, My God, je suis si sorry. Je n’ai rien compris ; je vous ai fait du mal ; je ne voulais pas.
Elle prend son téléphone et regarde les messages envoyés.
– Paradis, my God, c’est le nom de mon magasin : « Au Paradis des enfants » et « jc » c’est Jean-Claude mon associé. Oh là là ! Je suis désolée, le numéro, l’opérateur m’a donné celui de ta maman. Je voulais un autre téléphone avec un numéro connu simplement de ma fille.

Lisa s’est calmée, elle s’est assise au bord du lit. La femme entoure les frêles épaules de ses bras et la prend contre elle :
– Il faut que m’en aille maintenant. Après-demain il y a une grande fête, un arbre de Noël, avec les employées du magasin et leurs enfants. Je veux que tu viennes avec ton papa. Tu veux bien…
Lisa acquiesce. Elle se défait avec regret de ces bras bienveillants.

Elle prend congé et se retrouve sur le trottoir. Elle est toute retournée. Depuis qu’elle a pénétré dans cette chambre, elle a cet étrange sentiment d’être une déléguée, une maman par procuration. Alors une pensée effleure son esprit : « Se peut-il que la maman en voyant sa fille malheureuse ? » Elle secoue la tête « Non, non tout cela c’est de la foutaise »
Alors elle prend son téléphone, compose le numéro et dit :
« Hello Clara, it’s mom… »

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Commandant Rivière – Nouméa, le 23 mars 1973

CarteMondeAnnotéeNoumea

 NouvelleCaledonieNouméa et l’îlot Phare Amédée – Nouvelle-Calédonie

 

Nouméa, le 23 mars 1973

Tu dois attendre de mes nouvelles avec impatience. Je suis en Nouvelle-Calédonie, un territoire français. Tiens ! je suis à l’opposé de toi. Quand tu regardes par terre je suis juste au dessous car Nouméa est aux antipodes de Paris. Je suis ici encore pour sept à huit jours. Il me reste trente huit jours exactement. Je vais ramener des coquillages et quelques souvenirs.
Nouméa, c’est la France, avec ses Prisunic, ses librairies, Saint-Nazaire* en quelque sorte, mais avec un climat méditerranéen.
Les habitants sont de deux origines différentes : les blancs, les européens, la plupart français et les mélanésiens que l’on appelle les canaques. Ces derniers ont gardé quelques coutumes et la ville est très pittoresque. Il est étonnant de voir ces femmes en costume local aux couleurs très vives et très belles. C’est une très belle région.
Ici je me baigne tous les jours, l’eau est très belle et claire.
À bord, il y a eu huit cas de jaunisse. Un service entier a été décimé (les transmissions) ce sont les gradés qui font le quart. Pour nous à la machine, un seul cas heureusement. Cela nous a valu une journée complète dans un atoll à une heure trente par la mer**. L’épidémie est maintenant enrayée

* J’aime assez mes comparaisons.
** L’excursion à Phare Amédée probablement.

Est-ce l’approche de la quille, j’écris de moins en moins et c’est bien dommage car je dois maintenant faire appel à ma mémoire et tout cela me semble si loin.

Lors de cette escale je passais beaucoup de temps à la plage qui était située non loin de la ville.

Deux excursions restent dans ma mémoire : un survol de Grande Terre en avion militaire et celle, en barcasse, à Phare Amédée.

C’était la première fois que je montais dans un avion et mon appréhension fut attisée par les ailes qui vibraient sous les impulsions des moteurs à hélice mais une fois en l’air c’était vraiment magnifique. Le pilote nous fit survoler le lagon, les récifs et le caillou comme l’appellent familièrement les autochtones.
L’île principale, appelée la Grande Terre fait 400 km de long et 50 km de large. Elle est traversée dans sa longueur par une chaîne de massifs montagneux qui coupe l’île en deux régions : la côte Est, exposée aux vents dominants, plus humides, avec des vallées profondes et luxuriantes ; la côte Ouest, protégée des vents dominants par les montagnes, est plus sèche et présente des paysages de plaines herbeuses et de savanes.

PhareAmedeePhare Amédée – Photo Web Caledonia Spirit

L’îlot Phare Amédée est situé sur la barrière de corail à 24 km de Nouméa. Il balise l’entrée du port par la passe de Boulari.
Nous y sommes allés avec les barcasses du bord en excursion et avons découvert un petit paradis avec une eau turquoise cristalline et une plage magnifique de sable blanc.
Pour mieux apprécier les paysages sous-marins j’avais acheté à la coopérative un masque de plongée et j’ai pu ainsi observer, non loin du bord, les tricots rayés, ces serpents marins très craintifs et peu agressifs qui pullulent autour de l’île. Leur venin est dix fois plus puissant que celui d’un cobra mais leur bouche est très petite et les morsures sont très rares.

Tricot-RayeTricot rayé – Photo Web

 

 

 

 

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L’école d’apprentissage des Chantiers de Penhoët au fil du temps (1930-1938)

Articles précédents :
Création des cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët.
Ecole d’apprentissage des chantiers de Penhoët (1922 à 1938) – La distribution des prix.
L’école d’apprentissage des Chantiers de Penhoët au fil du temps (1917-1929).

L’école d’apprentissage au fil du temps (1930-1938)

1930 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagery, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage.

Lors d’une remise de médaille il est fait référence à un chef cours d’apprentissage bois M. Langlais Julien-Hippolyte ; Delahaye Gustave-Emile-Georges, chef adjoint aux Cours d’apprentissage.

Les inscriptions aux cours d’apprentissage furent closes le 6 juillet.
Pour être admis au cours en première année les candidats devaient passer un examen médical pour constater s’ils étaient physiquement capables de suivre ces cours.
La première année ils faisaient un stage dans chacun des trois groupes (bois, machines, tôlerie-chaudronnerie). À la fin de celle-ci, ils étaient affectés à un de ces groupes pour leurs deux dernières années d’études en tenant compte de leurs désirs qu’ils avaient exprimés, de leur classement général, des notes obtenues et des aptitudes qu’ils avaient montrées.
Les candidats devaient avoir au moins 13 ans révolus au 1er juillet et être possesseurs du certificat d’études.

L’examen du CAP a eu lieu le jeudi 2 juin 1930 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire.
48 apprentis ont été reçus au certificat d’aptitude professionnelle : groupe machines : 26, groupe tôlerie : 18, groupe bois : 4.

Récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé en 1929 dans toute la France par le Syndicat des Industries Mécaniques de France : 3 médailles d’argent chaudronnier en cuivre ; 5 médailles de bronze (2 ajusteurs, 2 tourneurs, 1 chaudronnier cuivre).
Notes diverses :

Avril 1930 – M. André Lévy, directeur général de la Société des Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire-Penhoët, ingénieur principal de la marine, est inscrit au tableau d’avancement du génie maritime, pour le grade d’ingénieur en chef de 2e classe.

Juin 1930 – le Brevet Professionnel institué par le décret du 23 mars 1929 a été organisé pour la première fois à Saint-Nazaire.
Six jeunes gens élèves des cours de perfectionnement, 4 à la section machines et 2 à la section coques – ont passé l’examen. Cinq ont été reçus, 4 à la section machines, 1 à la section coques.
L’examen comprenait une épreuve de mathématiques (1 h 30), coefficient 1 ; une épreuve de mécanique (1 h 30), coefficient 1, une épreuve de calcul (1 h 30), coefficient 1 ; une épreuve de dessin (8 h 00), coefficient 4 ; un oral sur les éléments de la géométrie descriptive (coefficient 1) ; un oral de technologie (coefficient 2) ; un exercice de lecture de dessin (coefficient 2).

24 août 1930 – Inauguration par le ministre de l’Économie nationale de l’École professionnelle de Saint-Joachim.

Voir articles :
L’école professionnelle de Saint-Joachim – La création
L’école professionnelle de Saint-Joachim – 1930 à 1938

1931 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagery, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage.

Lors d’une remise de médaille il est fait référence à un professeur M. Durand Louis, et un moniteur, Moyon André.

Les inscriptions aux cours d’apprentissage furent closes le 6 juillet.

Pour être admis au cours en première année les candidats devaient passer un examen médical pour constater s’ils étaient physiquement capables de suivre ces cours.
La première année ils faisaient un stage dans chacun des trois groupes (bois, machines, tôlerie-chaudronnerie). À la fin de celle-ci ils étaient affectés à un de ces groupes en tenant compte de leurs désirs qu’ils avaient exprimés, de leur classement général, des notes obtenues et des aptitudes qu’ils avaient montrées pour leurs deux dernières années d’études.
Les candidats devaient avoir au moins 13 ans révolus au 1er septembre et être possesseurs du certificat d’études.

Élèves ayant obtenus le CAP : groupe machines : ?, groupe tôlerie : ?, groupe bois : ?.

Récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé dans toute la France par le Syndicat des Industries Mécaniques de France : 1 médaille d’argent ajusteur ; 7 médailles de bronze (1 ajusteur, 2 tourneurs, 2 chaudronniers fer, 2 chaudronniers cuivre).

La remise des prix a eu lieu le dimanche 30 août 1931 dans la salle des fêtes du chantier.

1932 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie*, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage.
* Sur tous les documents l’orthographe change Pagery devient Pagerie

Création des cours spéciaux par l’initiative de M. Pagerie pour les bons élèves de 2e et 3e année.
Les apprentis se préparaient, pendant ces deux années, à passer l’examen d’entrée de l’École des dessinateurs du Syndicat des Constructeurs de navires de Nantes. Ils comprenaient des cours de dessin, mécanique générale, algèbre, géométrie.
Les cours à l’école des dessinateurs étaient aux frais du chantier.

Le chantier ne présente plus de candidat au concours organisé dans toute la France par le Syndicat des Industries Mécaniques de France.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 21 août 1932 dans la salle des fêtes du chantier.

1933 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage.
180 apprentis se sont présentés à l’examen du cours d’apprentissage, 90 ont été admis.

7 apprentis suivent au frais du chantier les cours de perfectionnement de l’Ecole des dessinateurs de Nantes.

Selon M. Coqueret les cours spéciaux créés sous l’initiative de M. Pagerie pour les bons élèves de 2e et 3e année ont donné d’excellents résultats.

Sur 44 élèves présentés au CAP, 40 ont obtenu le diplôme.
La remise des prix a eu lieu le dimanche 6 août 1933 dans la salle des fêtes du chantier.

Notes diverses :

MM. André Lévy, directeur général des chantiers de Saint-Nazaire-Penhoët, Jules Pinczon, ingénieur en chef conseil des Ateliers de Penhoët sont faits commandeurs du mérite maritime.

1934 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie, directeur des cours d’apprentissage.

250 apprentis se sont présentés à l’examen du cours d’apprentissage. M. Coqueret a décidé de porter à une centaine environ le nombre d’apprentis à admettre en première année.
Dans son discours de remise des prix M. Coqueret soulignait que le niveau d’instruction générale était déplorablement bas. Des enfants pourtant titulaires du certificat d’études primaires se sont montrés tellement déficients que ce diplôme a perdu toute valeur. À son avis il faudrait être plus sévère pour l’obtention du certificat d’études et au besoin reculer la limite d’âge, 13 ans révolus à l’entrée au cours d’apprentissage, au-dessous de laquelle les enfants doivent continuer à fréquenter l’école primaire.

Tous les apprentis de 3e année soit 81 élèves ont été présentés au CAP, 69 ont obtenu le diplôme : groupe machines : 42, groupe tôlerie : 20, groupe bois : 7.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 5 août 1934 dans la salle des fêtes du chantier.

1935 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie, directeur des cours d’apprentissage, M. Papaud, administrateur des cours.

210 apprentis se sont présentés à l’examen du cours d’apprentissage. M. Coqueret a décidé de porter à une centaine environ le nombre d’apprentis à admettre en première année.

Tous les apprentis de 3e année soit 92 élèves ont été présentés au CAP, 83 ont obtenu le diplôme : groupe machines : 52, groupe tôlerie : 28, groupe bois : 3.

Les résultats des anciens apprentis ayant suivi les cours de l’École de dessinateurs de Nantes sortis en 1934 sont selon M. Coqueret très honorables : diplôme de dessinateur et Construction mécanique : 2 ; diplôme de dessinateur en construction navale section coques : 2 ; section machines : 3.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 11 août 1935 dans la salle des fêtes du chantier.

Notes diverses :

MM. Demesle Édouard et Gaité Lucien de l’Harmonie du Chantier de Penhoët ont obtenu les palmes académiques.

1936 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie, directeur des cours d’apprentissage.
M. Chouan, chef de travaux machines, professeur. MM. Rialland, Laurent, Leromancer, contremaîtres, chargés de cours ; MM. Goupil, Lefeuvre, instructeurs.
Lors d’une remise de médaille il est fait référence à un moniteur M. Guillo François. et d’un compte rendu d’accident dans l’apprentissage à un moniteur, M. Vaillant.

Les inscriptions aux cours d’apprentissage furent closes le 10 juillet.
Pour être admis au cours en première année, les candidats devaient passer un examen médical pour constater s’ils étaient physiquement capables de suivre ces cours.
La première année ils faisaient un stage dans chacun des trois groupes (bois, machines, tôlerie-chaudronnerie). À la fin de celle-ci, ils étaient affectés à un de ces groupes pour leurs deux dernières années d’études en tenant compte de leurs désirs qu’ils avaient exprimés, de leur classement général, des notes obtenues et des aptitudes qu’ils avaient montrées
Les candidats devaient avoir au moins 13 ans révolus au 1er juillet et être possesseurs du certificat d’études.

97 candidats ont été reçus au concours d’entrée.

Élèves ayant obtenus le CAP : groupe machines : 50, groupe tôlerie : 34, groupe bois : 7.

Anciens apprentis ayant suivi les cours de l’école des dessinateurs de la Chambre syndicale des constructeurs de navires et sortis en 1935 : diplôme de dessinateur de l’École de la Chambre syndicale (section coques) : 1 ; diplôme de l’Etat de dessinateur en construction navale (section coques) : 1 ; certificat d’école : 1

Récompenses obtenues à la 4e exposition régionale du travail de Nantes : diplôme d’honneur : 1 ; médaille d’or : 8 ; médaille d’argent : 15 ; médaille de bronze : 2.
Les pièces de quatre apprentis ont concouru au Concours National de Paris.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 4 octobre 1936 dans la salle des fêtes du chantier.

Notes diverses :

Un apprenti a eu deux doigts arrachés, dans les locaux de l’apprentissage, avec un pétard, un tube girondin, utilisé pour la pêche pour effrayer les marsouins.

Le comité de grève lors du conflit de la métallurgie de 1936 a signalé dans un communiqué que les cours d’apprentissage des chantiers fonctionnaient normalement, que ceux à la Loire Saint-Denis, un temps désorganisés, ont repris sous la direction d’un moniteur gréviste.
Aux Fonderies de Saint-Nazaire où ces cours n’existaient pas, ils ont été créés de toutes pièces et que des jeunes ouvriers se sont joints aux apprentis.

1937 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie, directeur des cours du Chantiers de Penhoët.

Les inscriptions aux cours d’apprentissage furent closes le 1 juillet. L’examen d’entrée a eu lieu le 8 et le 9 juillet.

L’examen du certificat aptitude professionnelle (professions industrielles) et du brevet professionnel pour la construction navale (sections coques et section machines) eurent lieu le 28 et 29 juin 1927 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire, 27, boulevard Victor-Hugo.
102 élèves ont été présentés au CAP, 100 ont obtenu le diplôme, : groupe machines : ? , groupe tôlerie : ? , groupe bois : ? .

L’âge d’entrée est reculé à 14 ans pour suivre les idées du Gouvernement de l’époque selon laquelle les enfants doivent surtout acquérir l’instruction générale sur les bancs de l’école. Ils pourront mieux profiter par la suite des cours pratiques qui restent l’essentiel de leur formation.

Sur 102 élèves présentés au CAP, 100 ont obtenu le diplôme.

Sur proposition de M. Pagerie une section électricité va être crée.

Dans le domaine de la santé des apprentis, outre les exercices physiques qui font partie du programme des cours, un suivi est réalisé par la surintendante d’Usine pour les œuvres sociales.

Récompenses obtenues au concours général entre tous les apprentis de France et distribuées par le Syndicat des industries mécaniques : médaille d’argent : 3 ; médaille de bronze : 5.

Anciens apprentis ayant suivi les cours de l’École des dessinateurs de la Chambre syndicale des constructeurs de navires et sortis en 1936 : brevet de dessinateur de l’école de la Chambre Syndicale : section constructions navales : 5 ; section constructions mécaniques : 3.

La remise des prix a eu lieu le samedi 31 juillet 1937 à 8 h30 dans la salle des fêtes du chantier.

1938 – M. Coqueret, directeur des Chantiers – M. Pagerie, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage.
Lors d’une remise de médailles offertes par le Syndicat des constructions mécaniques de France au personnel enseignant aux cours d’apprentissage, comme moniteur ou professeur ayant plus de dix années de présence, il est fait référence à M. Rialland (médaille d’argent) et MM. Le Feuvre et Philippe (médaille de bronze).

Les inscriptions aux cours d’apprentissage furent closes le 1 juillet. L’examen d’entrée a eu lieu le 19 et le 20 juillet.

Création de la section électricité.

120 candidats ont été reçus au concours d’entrée.

Sur 92 élèves présentés au CAP, 91 ont obtenu le diplôme : groupe machines : ? , groupe tôlerie : ? , groupe bois : ?.

Récompenses obtenues au concours général entre tous les apprentis de France et distribuées par le Syndicat des industries mécaniques : médaille d’argent : 4 ; médaille de bronze : 9.

Anciens apprentis ayant suivi les cours de l’école des dessinateurs de la Chambre syndicale des constructeurs de navires et sortis en 1937 : brevet de dessinateur – section coques : 3 ; section constructions mécaniques : 3 ; brevet d’État de dessinateur industriel : 2

La remise des prix a eu lieu le samedi 30 juillet 1938 à 8 h 30 dans la salle des fêtes du chantier.

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Le retour (1945)

Cette nouvelle  a été écrite comme contribution mensuelle pour mes amis de Breudeur ar Ster – Collectif d’artistes bretons « Lumières d’estuaire ».

Le retour (1945)

La base de cette nouvelle m’a été racontée par mon père. Je l’ai gardée longtemps en mémoire. Je me suis dit qu’il est temps de la mettre en scène.

Il est là sur le trottoir, sa valise à la main. Il revient d’un long voyage aux portes de l’enfer.
En apparence rien n’a changé dans cette rue commerçante. Les gens s’affairent, vont viennent et ce tourbillon le gêne, l’enivre un peu.

Il fixe la porte d’entrée de l’autre côté de la rue avec ses deux marches de pierres et son gros bouton dépoli. Toute son âme lui dit « vas’y » mais son corps refuse d’avancer. Il lui semble qu’il va entrer dans un territoire inconnu.
Pourtant combien de fois il avait poussé cette porte d’entrée couinante, gémissante après avoir posé son vélo le long du mur. Il s’engouffrait alors dans le couloir, montait quatre à quatre les escaliers, poussait la porte de leur petit appartement au troisième, prenait Jeanne dans ses bras en l’embrassant et elle riait, elle riait en feignant de se débattre.

Il se décide enfin, traverse la rue, monte les deux marches, tourne le bouton central et pousse la porte d’entrée. Elle lui répond par un long couinement, le même que cinq plus tôt. Devant lui, le long couloir au mur crasseux et ses tomettes de briques fissurées menant tout droit à la cour derrière la maison. À sa droite l’escalier avec ses marches usées par les passages incessants ; la rampe seule atteste qu’il fut un jour verni. Sur le mur cette même peinture marron avec ces volutes dessinées au couteau et écaillées par endroits. Elle porte les marques de coups des différents déménagements opérés par les locataires.

C’est un homme amaigri qui monte une à une d’un pas lent les marches de l’escalier de cette maison d’un quartier populaire dans une petite ville de province.
Il s’est marié en 1939 avec Jeanne une jolie et pétillante brune et ils se sont installés au troisième étage de cette grande bâtisse. Puis cette satanée guerre a tout bousculé, il fut appelé et fut prisonnier lors de la déroute de 1940 et envoyé en Allemagne.

Son cœur bat fort, sa valise lui paraît lourde, trop lourde pour ses bras amaigris. Il reconnaît la même odeur forte de cuisine et celle de pisse émanant des cabinets sur le palier à chaque étage. Les portes massives autrefois vernies portent toujours les plaques de laiton gravées au nom des locataires.

Au premier palier, il pose sa valise et se met dos au mur et emplit plusieurs fois ses poumons. À droite, l’appartement silencieux des Duchemin, un couple sympathique ayant un petit commerce dans le centre-ville. Lui aussi est parti à la guerre. A-t-il eu la chance de revenir ? En face, celui des Verjus, une famille nombreuse, on entend un enfant piailler, puis les invectives de la mère. Elle a toujours cette petite voix aigrelette la Ginette et puis celle de Raymond, son poivrot de mari braillant à s’époumoner. Père de famille nombreuse, il n’a pas été envoyé sur le front mais affecté dans un atelier d’armement.

Souffle court, il reprend lentement son chemin et fait une seconde station sur le palier suivant. Les Blum, pense-t-il, un couple de personnes âgées. Dans une des rares lettres de Jeanne elle faisait état de leur départ, on était venu les chercher un matin sans plus de précision.
À travers la porte de l’appartement d’en face on entend la mélodie hésitante d’un piano ; elle s’arrête après quelques accroches. Melle Lepic, une vieille fille, donne donc toujours ses cours de musique. La mélodie reprend, s’arrête à nouveau. Il imagine les mains courant sur le clavier.
Ah ! la musique, lui il jouait de l’accordéon avec son cousin Jeannot et ils faisaient danser les filles dans le fond d’un café deux rues plus loin. C’est là qu’il avait rencontré Jeanne. Elle restait souvent près de l’estrade à le regarder. De temps en temps, il laissait Jeannot seul sur la petite estrade et il la faisait tournoyer dans une atmosphère enfumée. Il faut dire qu’il avait de l’allure avec ses cheveux en arrière, sa large carrure, son tricot de corps et son mégot collé à la lèvre. Durant sa détention, il l’avait ressassé cette image. Il s’était affolé lorsqu’il s’aperçut que le visage de Jeanne s’estompait dans sa mémoire. Il ne voyait que des contours indistincts. Alors il avait décidé de vivre l’instant présent de ne plus penser au passé, cela faisait trop mal.

Cinq années se sont écoulées. Le souffle coupé, Il est là à quelques mètres d’elle, va-t-elle le reconnaître ? Dans les locaux d’accueil des prisonniers à Paris, il s’était vu dans le miroir, le visage émacié, les cheveux rares, les yeux ternes. Va-t-elle le reconnaître ? Va-t-elle l’aimer encore ?

Il reprend sa marche vers le dernier niveau. Sa main s’agrippe à la boule du poteau de la rampe et réunissant toutes ses forces il se hisse sur le palier.
Un instant, il pose sa valise, il essaie de reprendre son souffle, les yeux rivés sur la porte entrouverte de l’appartement.
Tout à coup derrière lui, l’aboiement d’un chien dans l’appartement d’en face le fait mettre en position de défense, les mains sur le visage pour le protéger, bras contre le torse, les genoux à demi fléchis. Il attend la morsure et le coup de schlag sur le dos avec le cri sauvage du gardien. Rien ne se produit, il attend encore. Un cri d’homme puis le chien se tait. On entend son reniflement au bas de la porte.
Il émerge doucement de cet état de stress extrême, étonné de ne pas être agressé. Il s’approche de la porte entrouverte; frappe, il trouve curieux de frapper à sa propre porte ; personne ne répond ; il entre dans le petit couloir et se dirige en face dans la cuisine baignée de lumière ; la fenêtre est grande ouverte ; on entend les bruits de la rue.
Il s’assoit sur une chaise de paille et balaie du regard lentement la pièce. Rien n’a changé, la cuisinière émaillée avec sa plaque de fonte luisante soigneusement entretenue, au-dessus d’elle la batterie de casseroles accrochée sur son support, l’évier de grès, les carreaux de faïence au mur avec le robinet, le buffet, il passe la main sur la table. Curieusement il se sent étranger dans cet espace pourtant si familier comme s’il était en visite chez un ami.
Ainsi, alors que lui il souffrait là-bas misère, la vie ici continuait comme si de rien n’était.

Et puis tout d’un coup la pensée que Jeanne ne l’aurait pas attendu lui vient à l’esprit… non ce n’est pas possible… pourtant, cinq ans c’est long… alors il cherche du regard un indice.
Il se lève et se dirige vers la chambre, elle aussi baignée de lumière ; la fenêtre donnant sur la cour est ouverte. Tout est identique, le lit recouvert du couvre-lit matelassé carmin, les tables de nuit de chaque côté, à sa gauche l’armoire à glace, dans le coin la machine à coudre Singer.
Un vagissement le fait tourner la tête, derrière lui dans une petite alcôve, un berceau, à l’intérieur un bébé endormi.
Alors une grande colère emplit son être et d’un geste, d’une main transformée comme la serre d’un oiseau de proie, il saisit l’enfant et le jette par la fenêtre. Il entend un bruit sourd puis le cri déchirant d’une femme.
Il reste là dans un état second, les bras ballants, les yeux fermés, la tête vide, il entend des cris, des bruits de pas qui s’approchent et qui bientôt emplissent la chambre. Puis le silence se fait. Il ouvre les yeux et voit devant lui le visage de Jeanne, un visage déchiré par le chagrin, les yeux rouges :
« Jean, pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi ?
– Pourquoi tu as fait ça Jeanne ? murmure-il, levant la main pour désigner le berceau, tu aurais pu m’attendre…
Jeanne plonge son regard dans les yeux bleus ternes, usés, fatigués et lui dit doucement :
– Jean… c’est le petit garçon de la voisine que j’ai en garde… je t’ai attendu, Jean… je t’ai attendu.

Boussay, octobre 2014

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Commandant Rivière – En mer d’Arafura, le 8 mars 1973

CarteMondeAnnotéeAfura

En mer d’Arafura, le 8  mars 1973

MerDAfura La mer d’Arafura baigne les îles du sud de l’Indonésie et les récifs du nord de l’Australie.
 

Nous avons fait du chemin depuis Lorient ! À deux heures cet après-midi nous avons parcouru quarante mille kilomètres.

Pardonne-moi* si je t’écris moins souvent mais ici je vis comme un automate. C’est un monde très différent du tien. Chaque fois que je pense à la vie civile, après la période de joie que cela me procure, le moral tombe au plus bas en pensant qu’il reste encore des jours et des jours de mer dans cet îlot** de métal et la vie en mer devient alors excessivement pénible. Peut-être me comprends-tu maintenant pourquoi  je prends moins souvent la plume. C’est tellement difficile à gérer.
Je te parlais de l’univers différent du tien, l’exemple le plus précis c’est que j’ai l’impression que ma mère est toujours vivante et comme tout à l’heure il a fallu que je me dise, que je me persuade : maman est morte !

Je vais trouver du changement à mon retour, la maison doit être vide maintenant. Mon père doit être très abattu car il l’aimait profondément et il l’aime encore. Ma vie va changer, je le sens bien, tu seras là bien sûr, mais elle va me manquer…
Je n’ai pas reçu de nouvelles depuis Diego Suarez et d’après les on-dit il n’y en aurait pas à Nouméa.

Pendant trente quatre jours nous n’avons eu que quatre jours d’escale à Djakarta. Trente jours de mer c’est long !***

Je vais t’envoyer deux pellicules à Nouméa. Des photos de Diego Garcia, Djakarta, le volcan Krakatau en irruption et l’île de Bali. Tu reconnaîtras sur les photos les choses délicieuses de l’Extrême-Orient.

Nous allons passer quatorze jours à Nouméa pour prendre du repos. La quille est proche encore cinquante-trois jours jusqu’au premier mai, date supposée du débarquement, car je ne la connais pas encore.

* Petit rappel ces lettres étaient destinées à Marlyse, celle qui est devenu à mon retour mon épouse.
** Îlot et non pas prison. Le bateau était devenu mon seul univers.
*** Là, je prends quelque liberté dans mes calculs. Nous n’avons eu que 13 jours de mer consécutifs.

ooOoo

Quelles ont été les distractions à bord pendant la longue traversée de l’océan Indien ? La première qui me vient à l’esprit est le vernissage de la peinture murale de la cafétéria par mon ami Pascal.
Sur la paroi, côté bordé extérieur, réalisée au minium trouvée à bord, elle représentait un ensemble de masques artistiquement disposés dans différentes expressions : le rire, l’étonnement, la gêne, la peine, la colère etc.
Pour cette occasion Pascal arborait la tenue de l’artiste peintre : blouse blanche, chapeau et lavallière.
Un maître s’était déguisé en acheteur américain avec un énorme cigare et un fort accent texan et fit son entrée :
« J’achète tout, le bateau, la peinture, j’achète tout… » s’écria-il en gesticulant.
S’ensuivit un dialogue avec le commandant comme quoi le navire appartenait à l’état français et qu’il n’était pas à vendre.
« Alors j’achète la France, le commandant, les officiers, j’achète tout » s’exclama-t-il
Ce fut un excellent moment.

D’autres images me viennent à l’esprit. Ah ! les parties de pêche avec une simple ligne coulant le long du bord, initiées par quelques matelots passionnés. J’ai souvenir d’avoir pris un poisson magnifique…le seul d’ailleurs.

Il y avait aussi Radio Rivière. Elle diffusait tous les soirs les « tubes » du moment, organisait des interviews, diffusait un journal, la météo et les petits potins, choisis, du bord que le personnel écoutait lors d’interminables parties de cartes, de séances de coutures, de repassage ou de lecture allongé sur les étroites bannettes.
Radio Rivière avait organisé un jeu pour tout le bord sous la forme d’un quiz, l’animateur posait des questions et nous devions via le téléphone donner une réponse. Nous nous étions retrouvés, le personnel non de service, pour une manche finale contre les canonniers sur la plage arrière…les mécaniciens ont gagné.
Je me souviens d’avoir entendu, un jour que j’étais dans leur studio, la nuit de noce de John Lennon et Yoko Ono enregistrée à leur insu par les trois autres Beatles et qu’un maître avait eu la chance d’enregistrer une nuit sur une radio presque par hasard.

Il m’arrivait fréquemment d’admirer les couchers de soleil sur la plage arrière avec le secret désir d’apercevoir enfin ce fameux rayon vert, phénomène optique qui peut être observé au lever ou au coucher du soleil. Pendant quelques secondes on peut voir un point vert sur la partie supérieure de l’astre lorsqu’il frôle l’horizon. Je ne l’ai jamais vu.
Je n’étais pas le seul à guetter le phénomène. Une fois ou deux j’ai aperçu le commandant, personnage immensément important, à l’arrière du navire, les mains sur le bastingage qui scrutait l’horizon pour tenter d’apercevoir lui aussi le phénomène.

Lorsque la nuit était tombée, sur cette même plage arrière, il y avait cinéma. Impression curieuse de filer à quelques mètres de la surface noire de l’eau, sous un ciel étoilé avec cette toile blanche qui s’animait et diffusaient des ombres fantomatiques.
C’est en mer, grâce à l’absence de lumière, que j’ai pu voir les plus beaux ciels étoilés.

Et puis pour ma part, je passais beaucoup de temps à mon petit bureau du PC Sécurité à étudier, à écrire et parfois même à écrire des poèmes.

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L’école d’apprentissage des Chantiers de Penhoët au fil du temps (1917-1929)

L’école d’apprentissage des Chantiers de Penhoët au fil du temps (1917-1929)

 

1917 – M. Paul Lanes, ingénieur de la marine, est directeur du chantier de Penhoët.

Les cours ont commencé le 16 mai 1917, dans des locaux, distincts des ateliers, spécialement aménagés pour les apprentis avec leur propre outillage. Ils étaient organisés en trois groupes :

  • Groupe du bois : menuisiers, ébénistes, charpentiers-calfats,
  • Groupe tôlerie : charpentiers, tôliers, traceurs, chaudronniers en fer, chaudronniers en cuivre, tuyautiers,
  • Groupe mécanique : ajusteurs, tourneurs.

L’effectif de cette première année était de 167 apprentis répartis comme suit : groupe bois : 23 apprentis ; groupe tôlerie : 59 ; groupe mécanique 78 ; perfectionnement : 7.

La durée de l’apprentissage était de trois ans, deux pour certains éléments particulièrement doués et le chantier se réservait alors la possibilité de les garder dans un cours de perfectionnement.

Voir article : Création des cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët

1920 – M. André Lévy, ingénieur principal du génie maritime, ancien professeur à l’Ecole d’Application du Génie Maritime , Chevalier de la légion d’honneur (1920) , président de la Société de Géographie commerciale de Saint-Nazaire , est directeur des Chantiers de Penhoët.

Les cours subirent une réorganisation.

1921 – M. André Lévy, directeur des chantiers.

Les cours étaient affiliés au Syndicat des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de France qui organisait chaque année un concours pratique. Cette année là, plus d’un tiers des prix accordés pour toute la France a été obtenu par les apprentis des Chantiers de Penhoët.

Ils étaient récompensés par des médailles d’or, d’argent et de bronze et des livrets de Caisse d’Épargne pour l’or et l’argent.

Les Chantiers de la Loire à Saint-Nazaire et de Bretagne à Nantes avaient aussi leurs cours d’apprentissage qui étaient affiliés au Syndicat patronal des constructions mécaniques et navales de Nantes et de la Loire-Inférieure. Ces deux chantiers totalisaient 500 apprentis sur les 800 affiliés au syndicat.
Les cours se faisaient sur trois années. Ils formaient des ajusteurs, chaudronniers, forgerons, modeleurs.
En octobre 1920, une distribution des prix fut organisée très symboliquement dans les Chantiers de la Loire.

1922 – M. André Lévy, directeur de la Société des Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire. (Penhoët).
M. Millot, ingénieur directeur des cours ; M. Auguste Joubert, contremaître chargé des cours.

250 jeunes de 13 à 16 ans suivaient ces cours.

Cette année-là, le certificat d’aptitude professionnel, fut organisé pour la première fois à Saint-Nazaire dans les ateliers de l’École pratique sous la direction d’un jury présidé par l’inspecteur départemental de l’enseignement technique et formé presque exclusivement de professionnels ou de contremaîtres du chantier de Penhoët.
75 candidats, toutes écoles confondues, ont pris part aux épreuves.
Ceux qui n’ont pas obtenu la note réglementaire pour l’essai d’atelier étaient tenus de subir à nouveau toutes les épreuves dans un nouvel examen tandis que ceux qui ont satisfait à l’épreuve pratique subissaient un nouvel examen que pour les matières où ils ont été éliminés.
L’examen de rattrapage avait lieu en fin d’année scolaire.
Les résultats des CAP ont été publiés sans distinguer les différentes écoles. Il nous est impossible de connaître le nombre d’élèves admis dans les différents groupes au chantier de Penhoët.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 17 septembre 1922 dans la salle de réunion du chantier.

1923 – M. Lévy, directeur des Chantiers.
M. Millot, ingénieur directeur des cours ; M. Auguste Joubert, contremaître chargé des cours du groupe machines.

Le ministre de l’Instruction publique décerna les palmes d’Académie à M. Joubert. Elles lui furent remises par M. Lévy lors de la remise des prix.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 2 septembre 1923 dans la salle de réunion du chantier.

1924 – M. Lévy, directeur des Chantiers.
M. Millot, ingénieur directeur des cours ; M. Auguste Joubert, contremaître chargé des cours du groupe machines ; M. Durand chargé de cours.

Les inscriptions aux cours d’apprentissage étaient closes le 26 juin. Les candidats devaient être âgés d’au moins 13 ans révolus au 1er juillet et munis du certificat d’études primaires. .
Il est fait référence à un examen d’entrée à l’école. La rentrée se fit le lundi 1er septembre.

Des cours complémentaires facultatifs pour les élèves de troisième année des trois groupes ont été mis en place.

L’examen du CAP a eu lieu le 30 juin 1924 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire. Élèves ayant obtenus le CAP : groupe machines : 23, groupe tôlerie : 16, groupe bois : 3

Récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé dans toute la France par la Chambre syndicale des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de France à l’exposition de Nantes : 5 médailles d’argent, 7 médailles de bronze.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 31 août 1924 dans la salle des fêtes des Chantiers.

1925 – M. Lévy, directeur des Chantiers.
M. Millot, ingénieur directeur des cours ; M. Auguste Joubert, contremaître chargé des cours du groupe machines
Lors d’une remise de médaille il est fait référence à un chef ouvrier apprentissage bois M. Poisson François.

Lors la distribution des prix M. Lévy donna quelques indications sur le nombre d’apprentis qui ont fréquenté les cours : mille jeunes gens depuis leur création et cinq cents, par leur travail et assiduité, ont été embauchés.
Six apprentis de troisième année du groupe tôlerie, et trois du groupe bois, ont été intégrés dans les équipes avant la fin des cours en récompense de leurs progrès et de leur application.

43 élèves présentés au CAP, 39 ont été reçus : groupe machines : 19, groupe tôlerie : 12.*
*Il existe une différence sur le document que je ne peux pas expliquer.

Récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé dans toute la France par la Chambre syndicale des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de France : 5 médailles d’argent, 4 médailles de bronze.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 30 août 1925 dans la salle des fêtes du chantier.

1926 – M. Lévy, directeur des Chantiers.
M. Millot, ingénieur directeur des cours. ; M. Auguste Joubert, contremaître chargé des cours du groupe machines* ; MM. Laurent, Rialland , contremaîtres, professeurs aux cours d’apprentissage.
* Décédé en juin à 55 ans après une courte maladie. Il était le frère de Louis Joubert président de la Chambre de Commerce de Saint-Nazaire.

Les inscriptions furent closes le 3 juillet.  L’examen d’entrée aux cours eut lieu le jeudi 29 juillet.

L’examen du CAP a eu lieu le 31 mai 1926 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire. Sur 138 candidats inscrits du cours, 124 se sont présentés, 87 ont été reçus. Élèves ayant obtenus le CAP : groupe machines : 39, groupe tôlerie : 28, groupe bois : 20.

Récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé dans toute la France par la Chambre syndicale des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de France : 2 médailles d’argent, 6 médailles de bronze.

L’entrée s’est faite le lundi 6 septembre à 7h15. Chaque apprenti devait amener son livret de mineur et un certificat médical indiquant l’aptitude pour la profession.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 29 août 1926 dans la salle des fêtes du chantier.

1927 – M. Coqueret, directeur des Chantiers.
M. Millot, directeur des cours ; MM. Laurent, Riallant, Deromancer, Langeais, Delahaye, professeurs.

Des cours complémentaires facultatifs existent toujours pour les élèves de troisième année.

Les inscriptions furent closes le 30 juin. L’examen d’entrée aux cours a eu lieu le vendredi 22 juillet.

L’examen du CAP eut lieu le 30 mai 1927 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire.
Les résultats des CAP ont été publiés sans distinguer les différentes écoles. Il nous est impossible de connaître le nombre d’élèves admis dans les différents groupes au chantier de Penhoët.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 28 août 1927 dans la salle des fêtes du chantier.

1928 – M. Coqueret, directeur des Chantiers.
M. Millot, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage prend sa retraite il est remplacé par M. Pagery.

Les inscriptions aux cours d’apprentissage furent closes le 20 juin.

L’examen du CAP a eu lieu le jeudi 31 mai 1928 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire. Élèves présentés : 71, ayant obtenus le CAP : groupe machines : 39, groupe tôlerie : 12, groupe bois : 11.

Récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé dans toute la France par la Chambre syndicale des mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de France : 2 médailles d’argent, 2 médailles de bronze.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 26 août 1928 dans la salle des fêtes du chantier.

1929 – M. Coqueret, directeur des Chantiers.
M. Pagery, ingénieur, directeur des cours d’apprentissage.

L’examen du CAP a eu lieu le jeudi 30 mai 1929 dans les locaux de l’École pratique de Saint-Nazaire. Sur 74 apprentis présentés aux cours d’apprentissage, 58 ont obtenus le certificat d’aptitude professionnel.

Deux médailles d’argent et sept médailles de bronze ont été décernées à ces mêmes apprentis au concours organisé, en 1928, dans toute la France, par le syndicat des industries mécaniques.

Lors de la remise des prix M. Coqueret donna quelques chiffres sur le fonctionnement des cours : « Ils comptent en moyenne, par an, 90 apprentis. L’effectif pour les trois années se maintient aux environs de 250 à 270, soit près de 6 % de l’effectif total des ouvriers et près de 10 % des ouvriers qualifiés des corporations formées à l’école. »

Des cours de perfectionnement dans une école de dessinateurs de Nantes ont été proposés aux apprentis de troisième année qui, par leurs aptitudes au dessin, avaient intérêt à être aiguillés vers les bureaux d’études. Les frais de scolarité auraient été supportés par le chantier et une mensualité assurée aux élèves qui auraient eu la certitude d’être engagés ensuite comme dessinateurs à Penhoët. Aucun candidat ne s’est présenté.

Les apprentis ayant eu leur CAP pouvaient compléter leur connaissance aux Cours professionnels et de perfectionnement et passer un brevet professionnel nouvellement institué.

La remise des prix a eu lieu le dimanche 25 août 1929 dans la salle des fêtes du chantier.

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Commandant Rivière – Une soirée à Djakarta (Mars 1973)

CarteMondeAnnotéeDjakarta

 

Une soirée à Djakarta (Mars 1973)

Avec trois camarades, c’était décidé, ce soir nous irons au steam-bath avec massage. Pour les marins chaque port à ses mythes et pour Djakarta c’est « steam-bath ». Ce genre de soirée était d’après eux incontournable.
C’est à bord de deux cyclo-pousse, sorte de triporteur muni d’un banc à l’avant aux côtés richement décorés, d’une capote et d’un conducteur toujours tout sourire pédalant à l’arrière, que nous avons parcouru les rues de Djakarta.

Trishaw

Les années passant il me reste un vague souvenir des lumières de la ville et de l’atmosphère de ses quartiers sulfureux. Nous nous sommes arrêtés devant une bâtisse avec un grand néon bleu « Steam bath » sur la façade.
Dans le hall d’entrée, les masseuses, toutes jeunes et jolies, étaient dans une pièce aux parois de verre pour que les clients pussent facilement les choisir. Chacun porta son dévolu sur une charmante demoiselle et elle nous conduisit  chacun dans un petit salon.
Bain dans une eau parfumée, massage, puis poudrage parfumé de tout le corps : voilà le programme ! La vue de cette jeune femme quelque peu dévêtue provoqua en moi quelques émois mais elle les réprima habilement en effectuant, en me souriant, un point de compression qui comme par magie élimina avec regret cette envie somme toute naturelle.

Nous nous retrouvâmes sur le trottoir une petite heure après, chacun commentant cette expérience avec force descriptions.
Nos deux cyclo-pousse nous attendaient patiemment. Nous nous installâmes et un de nos conducteurs nous posa la question :
« Where do you go? (Où voulez-vous aller ?) et un de nous de répondre :
– Wherever you want, provided there girls! (Où tu veux, pourvu qu’il y ait des filles !) »
On fit la course entre nos deux cyclo-pousse en encourageant notre conducteur respectif par de grands « Pousse ! » « Pousse ! » correspondant à chaque tour de pédales et par de grands cris de désapprobation ou de contentement lorsque que l’un ou l’autre prenait la tête. On se mit à chanter la chanson du Rivière haut et fort, suivit de la Marseillaise dont nos conducteurs connaissaient quelques brides, Jeanneton fut aussi du voyage ainsi que quelques autres chansons bien françaises. Nous nous laissions rouler ainsi sans nous préoccuper de la route.

Bientôt les cyclo-pousse stoppèrent dans une rue plutôt sombre devant une ruelle de peut-être quatre-vingts centimètres de large. Deux personnes ne pouvaient pas se croiser et si c’était le cas elles auraient dû, toutes deux, se mettre dos au mur.
Les conducteurs nous invitèrent à y pénétrer. Nous étions quatre, aucun d’entre nous ne se sentait en danger.
Au bout de la ruelle, nous pouvions distinguer une petite place avec en son centre une bâtisse carrée avec un étage. Autour de la place des masures faites de bric et de broc ; aucun doute, nous étions dans un bidonville.

On nous fit entrer dans la bâtisse et nous prîmes un escalier vermoulu qui donnait sur une pièce assez grande, éclairée par deux mauvaises lampes à pétrole, meublée de quatre fauteuils en rotin autour d’une petite table, elle aussi en rotin. Les murs, excepté celui ou était adossé l’escalier, étaient percés d’une porte en leur milieu.

Une femme maquillée à outrance nous fit asseoir et nous demanda ce que nous désirions boire. Nous prîmes tous une bière.

Tout autour de nous la salle se remplissait, les voisins du bidonville certainement. Ils parlaient entre eux provoquant un brouhaha un peu comparable à celui d’une salle avant que le spectacle ne commençât. Pour ma part c’est à partir de cet instant que je me sentis mal à l’aise. Je regardai avec interrogation mes camarades, je perçus dans les regards échangés que nous étions tous sur le qui-vive.

La femme maquillée appela dans la cage d’escalier. Une jeune femme monta et se plaça devant nous. Elle la fit tourner sur elle-même pour que nous puissions apprécier les formes somme toute agréables.
Un de mes camarades se tourna vers les deux conducteurs leva son bras, poing fermé et pouce levé pour signifier son contentement. Nous buvions notre bière, amusés par le spectacle. La tenancière fit quelques gestes censés vanter les charmes de la jeune personne. Devant ses mimiques « Regarde comme elle est jolie ». Nous fîmes non de la tête.
Elle fit alors venir une seconde, un peu plus jeune, la mit en valeur de la même façon. Devant notre manque de réaction, elle en vit venir une troisième, puis une quatrième, parfois elle remontait leur longue jupe pour nous faire découvrir leurs cuisses.

Alors la salle se tut petit à petit, un silence s’installa. Mon regard croisa celui du conducteur de pousse-pousse ; il me fit quelques mimiques signifiant : « Mais qu’est-ce que vous faites ? Allez-y bon sang ! »

On fit alors venir une très jeune fille de dix à onze ans. La tenancière lui dégrafa son corsage pour découvrir deux petits seins juvéniles. Nous étions pétrifiés, les choses prenaient une drôle de tournure. Je me sentais très mal et me demandait comment nous pouvions nous sortir de ce guêpier. Je cherchais dans la foule les conducteurs, ils avaient disparu. La chaleur moite de la pièce, ces gens silencieux aux regards hostiles, seuls dans un bidonville, la situation pour nous devenait très difficile.

En dernier lieu la femme fit venir un petit garçon alors un de nous se leva, les autres suivirent, et presque mécaniquement, en regardant droit devant nous, nous nous sommes dirigés vers l’escalier. La salle alors s’emplit de cris haineux, hostiles ; des poings se levèrent. Dans l’escalier des gens nous forçaient à descendre dos au mur, quelques coups furent portés, des crachats fusèrent. Nous avons réussi tant bien que mal à atteindre la sortie.
Dehors, les conducteurs, qui avaient appréhendé la situation, étaient sortis avant nous de crainte, certainement, eux aussi, de se faire prendre à partie. Ils nous hélèrent à l’entrée de la ruelle, nous courûmes vers eux.
On embarqua rapidement dans les pousse-pousse. Notre conducteur en pédalant criait : « You’re crazy! You’re crazy! (Vous êtes fous ! vous êtes fous !) »

Sur le chemin du retour, vers le bateau, peu de mots furent échangés. Selon les conducteurs nous avions eu de la chance ; nous nous en tirions à bon compte ; nous aurions pu prendre une solide raclée et être dévalisés. Comment ne pas les remercier de nous avoir tirés de ce mauvais pas.

Bien plus tard, confortablement installé dans mon fauteuil, je regardai à la télévision le film « Les trottoirs de Manille » je ne pus m’empêcher de penser à cette histoire, elle m’avait inspiré et elle m’inspire toujours un sentiment de tristesse, de dégoût . Se peut-il encore aujourd’hui que des enfants soient ainsi mis en vente ?

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Ecole d’apprentissage des chantiers de Penhoët (1922 à 1938) – La distribution des prix

La distribution des prix (1922 à 1938)

C’est à travers les différents comptes-rendus de la distribution des prix dans la presse de l’époque que nous pouvons nous faire une idée de la vie de l’école et ils sont le reflet des préoccupations économiques du moment.

Une invitation était faite par voie de presse : «Tous les élèves des cours d’apprentissage ainsi que leur famille et toutes les personnes occupées au chantier de Penhoët, à quel titre que se soit, sont invitées à assister à cette distribution des prix. »

Elle avait lieu, chaque année à la fin août ou au début septembre, un dimanche matin à huit heures trente, dans la salle des fêtes du chantier de Penhoët. C’est aussi dans cette même salle que des matinées musicales et théâtrales étaient organisées exclusivement pour le personnel.
Nous avons peu de chose sur sa description, nous savons qu’elle se trouvait à proximité des cales de lancement, qu’elle était ornée d’une quadruple rangées d’arbres, que c’était un bâtiment coquet dont la façade était cachée sous le lierre et les plantes diverses.
Le fait qu’elle était éclairée à l’électricité marquait les chroniqueurs : « une salle ruisselante de lumières électriques » « À l’intérieur, féerie des centaines d’ampoules électriques… ». Il faut dire que l’électricité, à cette époque, était l’innovation par excellence.

À partir de 1928, on exposait dans des vitrines les chefs-d’œuvre des apprentis qui façonnaient avec art le bois, l’acier, le fer, le cuivre.

Les officiels

Parmi les invités il y avait les incontournables et ceux qui s’intéressaient de près ou de loin à l’enseignement technique :
– Le ou les représentants de la municipalité de Saint-Nazaire ;
– Le sous-préfet ou son représentant ;
– Le directeur de la Compagnie Générale Transatlantique ;
– Le directeur de l’École pratique ;
– Le président de la Ligue antialcoolique ;
– Le président de la Chambre de commerce ;
– Les inspecteurs divisionnaires et départementaux du Travail ;
– L’inspecteur du Primaire ;
– Le président de l’Œuvre antituberculeuse.

Et les représentants du chantier :
– Le président du conseil d’administration de la société ;
– Le directeur et sous directeur du chantier ;
– Le directeur des cours d’apprentissage ;
– Le secrétaire générale du chantier ;
– Des ingénieurs et chefs d’atelier ;
– Les professeurs et contremaîtres et moniteurs du centre d’apprentissage.

Les invitations se faisaient aussi suivant l’actualité du moment. En 1925, le chantier avait en commande des navires militaires, on invita donc des officiers chargés de la surveillance des unités de guerre : l’ingénieur principal de la marine, chef du service de surveillance et le commandant d’un navire, le Simoun.
On souhaitait aussi mettre en valeur les ouvriers méritants comme en 1938 où M. Ollive Emmanuel, doyen des ouvriers, compta parmi les officiels*.
* Il s’agissait probablement de M. Ollive Emmanuel, contremaître, 53 de service.

La cérémonie

Lorsque les officiels prenaient place sur l’estrade, les spectateurs se levaient et l’harmonie jouait la Marseillaise.

Le discours d’ouverture, d’une bonne tenue littéraire selon les chroniqueurs de l’époque, était fait généralement par le directeur du chantier « au milieu d’un silence recueilli ». Il remerciait les personnalités présentes, retraçait l’histoire et le but de l’école, soulignait les excellents résultats obtenus par l’école d’apprentissage, rendait hommage au personnel de l’école, adressait des messages aux jeunes apprentis :

« Nos cours de dessin permettent à nos élèves de devenir d’excellents chefs d’équipe et contremaîtres. » « L’ouvrier doit chercher à s’élever, et c’est par l’instruction seule qu’il peut sortir du rang. C’est la conscience, le sentiment du devoir qui font les hommes.» (M. Lévy – 1924 ).

« Notre but : augmenter les connaissances générales et les aptitudes professionnelles de nos ouvriers ; les élever par leur travail et leur valeur, leur donner les moyens d’atteindre les spécialités les plus rémunérées et en même temps améliorer la qualité, la rapidité et le prix de revient de nos constructions, c’est-à-dire rendre notre industrie florissante. L’intérêt de notre société et l’intérêt des ouvriers y trouvant une légitime et égale satisfaction. »
« N’écoutez pas les conseils pernicieux dont vous serez les premières victimes. Dites-vous que le travail seul donne des droits et que seul, se donne la force de défendre ses droits, celui qui a notion de ses devoirs et les remplit avec conscience. » (M. Coqueret – 1928)

C’est aussi le moment attendu où le directeur faisait un point sur les questions du moment, sur la situation du chantier et parlait d’économie locale, nationale et internationale.

Jusqu’à 1927, seul le directeur du chantier prononçait un discours. À partir de 1928, le sous-préfet lui aussi fut invité à cet exercice. Il louait l’esprit d’entraînement, d’initiative, d’organisation des chantiers de Penhoët, d’où sont sorties les plus belles unités navales et dont le renom est grand dans le monde entier, félicitait la direction pour son admirable effort pour développer l’apprentissage et l’instruction technique : « Les cours sont, en quelque sorte, le grenier où sont rangées toutes les provisions du passé, la somme des efforts et la sagesse des prédécesseurs. » (M. Jouanny – 1931), on citait quelque phrase célèbre : « Relever l’atelier c’est relever la patrie – Jules Ferry» (M. Butterlin –1928)

La lecture du palmarès, faite par une personnalité, était entrecoupée d’une pièce musicale jouée par une harmonie et à la fin de celui-ci un spectacle était donné par les artistes locaux.
Voici par exemple le programme de distribution des prix du dimanche 2 septembre 1923.

1 – Défilé du 27e (Farigoul) : Harmonie Union Méan Penhoët ;
2 – Distribution des prix : Groupe Machines ;
3 – Ouverture d’Antan (Guillemont) : Harmonie UMP ;
4 – Distribution des prix : Groupe Tôlerie et Bois ;
5 – Valse frivole (Monnereau) : Harmonie UMP ;
6 – Récompenses diverses ;
7 – Fantaisie sur Rio (Planquette) : Harmonie UMP ;
8 – Le Juif-Errant à Paris (Bénech) ; Aimé (Crestofaro) : M. Chemin ;
9 – M. Lodé, comique-grime, dans son répertoire ;
10 – 29e concerto de Viotti, solo de violon : Melle Sorin ;
11 – Tapis vers (Borel-Clerc) ; Gloire à Madelon (Georges Krier) : Henry’s ;
12 – Le joyeux Sarret dans son répertoire ;
13 – Le Brave, marche (leroux) : Harmonie UMP.
Le piano d’accompagnement : Mme Poussin.

À partir de 1925, on y inclut, en tout début de programme, une remise de médailles aux ouvriers. M. Coqueret soulignait en 1938 « Cette distribution a une haute signification et c’est le bel exemple que nous puissions donner aux jeunes élèves qui seront bientôt des ouvriers capables et consciencieux. »
La médaille de vermeil, plus de cinquante ans de service, était décernée à un ouvrier chaque année. On vérifie alors que des carrières pouvaient être particulièrement longues : cinquante trois, cinquante sept voire soixante ans de service en 1928.
La médaille d’argent, entre trente et cinquante ans de service, était remise à une vingtaine de salariés.

Les prix

D’après leur place dans le classement général, pour chaque année et chaque groupe, les meilleurs élèves recevaient un prix sous la forme d’un livret de Caisse d’Épargne avec un outil ou un ouvrage lié son métier.
Les élèves de troisième année ayant suivi avec zèle et assiduité les cours spéciaux organisés par le chantier recevaient eux aussi une récompense. Le premier un livret de Caisse d’Épargne avec un ouvrage, les suivants l’un ou l’autre.
Un livret de Caisse d’Épargne de 5 francs étaient offerts par le chantier aux élèves ayant obtenu plus de 100 points (130 points à partir de 1927) à l’examen du certificat d’aptitude professionnelle.

Seul un compte rendu de la distribution des prix de 1931 donne la provenance des sommes, des outils et ouvrages offerts. Ont offert des prix : MM. les Administrateurs des chantiers : 560 francs en livrets de Caisse d’Epargne ; la Compagnie Transatlantique : 100 francs en livrets de Caisse d’Épargne ; la Ligue Antialcoolique : 30 francs ; M. Coqueret, directeur du chantier : 30 francs ; M. Conard, sous-directeur du chantier : 20 francs ; M. Pagerie, chef des cours d’apprentissage : 15 francs ; M. Papaud, secrétaire général du chantier : 20 francs ; M. Chouan, chef de travaux atelier des machines : 10 francs. M. Jallais, chef de travaux atelier de tôlerie : 10 francs ; 50 ouvrages scientifiques et 1 lot d’outils ont été offerts par le chantier.

On faisait aussi état des récompenses obtenues par les élèves du cours d’apprentissage au concours organisé dans toute la France par le Chambre Syndicales des Mécaniciens, Chaudronniers et Fondeurs de France. Chaque année, ils se voyaient décernés plusieurs médailles d’argent et de bronze.

Faisait suite un spectacle donné par les artistes locaux de l’Université Populaire – certains d’entre eux travaillaient au chantier – tels que : M. Sarret, le roi du rire ; M. Lodé, comique grime ; M. Chemin, baryton, Mlle Sorin, violon ; Mme Poussin et Mme Viaud piano d’accompagnement.
En 1923 on fit appel à l’Harmonie de l’Union Méan Penhoët pour animer la cérémonie puis les années suivantes à l’Harmonie Marceau qui deviendra en 1930 l’Harmonie du Chantier de Penhoët.

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Djakarta, Indonésie, le 1er mars 1973

CarteMondeAnnotéeDjakarta

Djakarta, Indonésie, le 1er mars 1973

Je lis sur mon guide : « Archipel des dieux tel est le surnom donné quelquefois à l’Indonésie, gigantesque arc de cercle posé à cheval sur l’équateur qui prolonge la presqu’île malaise et se termine sur la moitié occidentale de la Nouvelle-Guinée.
Trois fois et demi la superficie de la France, un chapelet de trois mille îles qui s’étend dans l’océan Indien sur près de quatre mille kilomètres de longitude. »

Java

 Puncak Puncak
Djakarta(1) Le Krakatoa ; (2) Jakarta ; (3) Parc botanique de Bogor ; (4) Puncak

Je vais la quitter demain matin. Le premier contact a été une excursion d’environ cent à cent cinquante kilomètres à l’intérieur du pays. Le but étant Puncak (prononce Pountchak).

La première impression c’est l’extrême densité de la population. Le long de la route à la sortie de Djakarta ce ne sont que maisons aux tuiles rouges, cyclo-pousses, marchands de toutes sortes. On y voit aussi de grandes nattes tressées qui servent à faire les pans de murs des maisons.

Des hommes et les femmes marchent d’un pas rapide et saccadé avec leur balancelle sur l’épaule où sont suspendues diverses marchandises : litchis, plantes aromatiques, briques, terre et jusqu’à des… fourneaux. Le long de la route poussent des plantes étonnantes. L’Extrême-Orient dans toute sa splendeur.
Les marchands sont nombreux et il existe un tas de petits métiers qui donnent cet air si affairé à cette fourmilière. Le cyclo-pousse est un moyen de transport très agréable et ils sont aussi très nombreux, c’est le plus économique pour les deux parties, clients et conducteurs.

La maison javanaise est très stricte dans l’ensemble, très carrée. La couverture rouge donne un contraste formidable dans la végétation.
J’ai pris une photo dans le quartier de Bogor*, le long d’une rivière où coulait une eau boueuse. Jamais je n’ai vu un aussi beau paysage, des arbres à grandes feuilles, des ponts de bambous. J’ai cru un moment être perdu dans un autre monde.
J’ai vu aussi des visages de jeunes filles extraordinaires, d’enfants magnifiques. Ils ont un sourire un peu énigmatique, un visage empli de sagesse. Souvent les vêtements manquent pour les enfants mais ils gardent malgré tout une certaine dignité, une noblesse, dans leurs hardes.

Nous avons continué notre visite. Le bus nous secouait comme des pruniers. Des paysages variés défilaient : tantôt des palétuviers, tantôt un paysan au chapeau de paille poussant et suant derrière une antique charrue dans une rizière traînée par des buffles ou des femmes plantant le riz dans des rizières en terrasses, chacune de ces dernières est irriguée par la précédente.

Plus nous avancions dans l’intérieur du pays, plus les paysages sont devenus montagneux : des montagnes envahis par la végétation avec leur sommet dans la brume, des arbres aux feuilles tombantes, des théiers en petites touffes rondes, des femmes aux grands chapeaux de paille tressée se mêlaient à la couleur des plantations. Tout cela donnait un paysage unique, l’illusion d’une estampe. J’étais subjugué par la délicatesse des lignes et la profusion des détails. Le paysage défilait trop vite et c’est bien dommage car mille détails m’ont échappé.
Le bus s’est arrêté dans plusieurs endroits mais jamais là où nous aurions pu voir quelque chose d’intéressant.

Djakarta est une grande ville, elle s’étend sur vingt kilomètres et compte quatre millions six cent mille habitants soit sept mille neuf cents habitants par kilomètre carré. Et il est impossible de tout voir, les escales sont toujours trop courtes. J’ai malgré tout entraperçu l’Extrême-Orient, avec la ville moderne, grouillante de vitalité et aussi les quartiers surpeuplés où s’entassent des maisons de bois et ce mélange d’odeurs que l’on retrouve partout, fort, entêtant, le parfum de l’Orient, de l’aventure.

Le soir, dans le quartier du port**, toutes les boutiques sont illuminées par une lampe à pétrole. Mille feux brillent alors dans la nuit. Sur les passerelles qui enjambent les rues du centre-ville, des mendiants : femmes, hommes, enfants mutilés ou trop vieux pour pousser une charrette « gagne-pain » tendent misérablement la main en faisant mille grimaces pour implorer notre pitié.
Je réalise que je n’ai pas vu grand chose en fin de compte de l’Indonésie. J’aimerais y revenir un jour pour voir et revoir, pour vraiment approfondir ce pays où se côtoient grandeur et misère. Je ferme les yeux… mille images affluent alors dans mon cerveau fatigué.

* Orthographié Bengos dans ma lettre. Il s’agit sans aucun doute du parc botanique de Bogor sur la route vers Puncak.

** C’est dans ce quartier, tard dans la nuit, en revenant au bateau, qu’un homme m’a abordé en me montrant, à demi cachée sous un pan de sa veste, ce qui semblait une statuette enveloppée dans un journal. « Look very nice, twenty only twenty rupees » me dit-il en cachant son butin avant de lancer un regard furtif autour de lui « only twenty rupees » répéta-t-il. Amusé, je me suis dit : voilà un habile marchand et un bon comédien, et sans trop réfléchir, je lui donnai les quelques piécettes qu’il avait demandées. C‘est en arrivant au bateau que j’ai découvert mon achat : une magnifique statuette représentant une femme, une balinaise valant beaucoup plus que les vingt roupies alors demandées tant le travail le du sculpteur est remarquable
Elle trône maintenant, en bonne place, dans notre salle de séjour. Il y a quelques années, une personne mal intentionnée me créait quelques ennuis au travail et en passant devant la statuette je lui lançai, en pensée : Peut-être pourrais-tu faire quelque chose mère balinaise ? Deux jours après, fait du hasard certainement, le vilain bougre était mort. Depuis je ne lui demande rien de peur qu’elle n’exhausse mon vœu.

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Création des cours d’apprentissage des Chantiers de Penhoët

Les cours d’apprentissage du chantier de Penhoët

Les cours de 1917 à 1920

Pourquoi une nouvelle école ?

C’est en pleine guerre, au cours de l’année 1917, que la Société Anonyme des Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire (Penhoët) créa son école d’apprentissage.

Les répercussions des pertes en vie humaine sur l’industrie nationale étaient énormes. En avril 1916, dans une circulaire aux chefs d’industrie , le sous-secrétaire d’État de l’artillerie et des munitions, Albert Thomas, indiqua quelques-uns des moyens susceptibles « d’augmenter le rendement et d’économiser la main-d’œuvre » pour augmenter la production :

« … le besoin pressant d’ouvriers qualifiés et la nécessité de rendre à la zone des armées, dans un délai de quelques semaines les jeunes ouvriers des classes 1916 et 1917, exige un nouvel effort en vue d’une utilisation meilleure et plus intensive de la main-d’œuvre. Plusieurs établissements ont déjà organisé des écoles d’apprentissage. Sans avoir la prétention irréalisable de former des spécialistes en quelques mois, les chefs d’industrie qui ont pris cette initiative ont estimé, avec raison, qu’il était possible et opportun de favoriser l’ascension d’ouvriers déjà qualifiés à un degré de spécialisation professionnel plus élevé, et aussi de fournir à des ouvriers ou ouvrières sans formation professionnelle antérieure, le moyen de se servir utilement d’un outillage approprié à leurs besoins. »

Il fallait sans plus tarder se préparer à l’effort de reconstitution et nécessairement s’adapter au nouvel état de choses que la première guerre mondiale allait créer. Les méthodes d’alors pour former les ouvriers montraient leurs limites.

Avant1917

 

1917

1919

Les apprentis (les mousses) étaient embauchés par les chefs d’ateliers (1) sans idée d’ensemble, dans le temps, du recrutement optimal pour les différentes spécialités. Certains considéraient qu’il valait mieux embaucher des ouvriers spécialistes à rendement immédiat que de perdre son temps à former des apprentis ; « raisonnement d’opportunité et de paresse, foncièrement erroné et dangereux » selon M. Coqueret directeur des chantiers en 1929.

Chaque apprenti, à la sortie de l’école primaire, était adjoint à un ouvrier (le matelot) (2). Il apprenait son métier dans un temps plus ou moins long, selon ses plus ou moins grandes facultés d’observation et de la capacité professionnelle, des qualités morales et surtout de la valeur des indications ou conseils de l’ouvrier auquel il était adjoint. Son apprentissage était livré au hasard.

Tant bien que mal, avec le temps, les apprentis acquéraient une pratique de leur métier mais pour la théorie très peu d’entre eux suivaient les cours professionnels, ceux de l’Ecole professionnelle de Saint-Joachim (3) et ceux organisés par la ville de Saint-Nazaire institués en 1919 (6). Fournir un effort intellectuel après une longue journée de travail, de huit heures, six jours par semaine, demandait une volonté et un réel désir d’apprendre.

La création d’un service spécial distinct des ateliers devenait indispensable. Là, les jeunes gens pourraient acquérir une capacité professionnelle dans la spécialité de leur choix avec des exercices pratiques et théoriques appropriés sous la houlette de moniteurs et professeurs compétents.

Plusieurs solutions pouvaient être envisagées : créer une école de métiers subventionnée par le chantier et les industriels de la région ou faire appel aux écoles professionnelles existantes, telle que l’École pratique industrielle de Saint-Nazaire créée en 1902 (4).
De telles écoles avaient leur utilité dans un bassin d’emploi où toutes les industries étaient représentées. Elles donnaient un fonds commun de connaissances pratiques et théoriques, à charge pour les jeunes gens de se spécialiser dans l’entreprise où ils seront embauchés après leur apprentissage. La part faite aux cours théoriques était généralement importante et les jeunes gens qui en sortaient s’orientaient plutôt vers les bureaux techniques délaissant les ateliers.

Le chantier avait plus besoin d’ouvriers que de dessinateurs ou d’employés techniques et il lui fallait un nombre requis d’ouvriers dans de nombreuses spécialités.

Pour ces raisons, le chantier décida de créer une école d’apprentissage (5), en son sein, pour former, sur des bases rationnelles de bons ouvriers spécialisés en matière de construction navale.

La création

Les cours ont commencé le 16 mai 1917, dans des locaux, distincts des ateliers, spécialement aménagés pour les apprentis avec leur propre outillage. Ils étaient organisés en trois groupes :

– Groupe du bois : menuisiers, ébénistes, charpentiers-calfats,
– Groupe tôlerie : charpentiers, tôliers, traceurs, chaudronniers en fer, chaudronniers en cuivre, tuyautiers,
– Groupe mécanique : ajusteurs, tourneurs.

L’effectif de cette première année était de 167 apprentis répartis comme suit : groupe bois : 23 apprentis ; groupe tôlerie : 59 ; groupe mécanique 78 ; perfectionnement : 7.

À cette époque, selon la loi les enfants ne pouvaient être employés dans un établissement industriel, même si celui-ci avait un caractère professionnel, avant l’âge de treize ans révolus. Toutefois les enfants munis d’un certificat d’études primaires, institué par la loi du 28 mars 1882, pouvaient être employés à partir de douze ans.
La durée de l’apprentissage était de trois ans, deux pour certains éléments particulièrement doués et le chantier se réservait alors la possibilité de les garder dans un cours de perfectionnement.

Outre les cours pratiques, les apprentis suivaient des cours théoriques tous les jours sur les heures de travail. Selon les capacités de l’élève, il pouvait ne pas avoir concordance entre l’échelon pratique et théorique. Un apprenti plus apte au travail manuel et moins apte aux leçons, ou vice-versa, pouvait être sur un échelon pratique et théorique différent.

Chaque groupe était conduit par un contremaître adjoint qui avait auprès de lui un à trois instructeurs.
Les apprentis étaient groupés dans des équipes avec des instructeurs spécialement dédiés qui leur donnaient la pratique des outils et le traitement de la matière avec des exercices soigneusement gradués. Ils donnaient la dernière main aux travaux des élèves car ceux-ci étaient choisis dans les commandes que le chantier avait à exécuter.

Les apprentis étaient payés au même tarif que les ouvriers en incluant les cours théoriques. Aux plus habiles une feuille de travail, avec un temps pour l’exécution des pièces, était donnée. S’il faisait un boni la moitié lui était versée l’autre moitié étaient versée sur un livret de caisse d’épargne, à son nom, avec remboursement différé à sa majorité.
* Faire du/un boni. Gagner en plus

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Le jardin botanique

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Le jardin botanique

Par ce bel après-midi de printemps, IL parcourt les allées du jardin botanique, s’enquérant du nom d’une plante sur les petites ardoises suspendues à un piquet, admirant les massifs si bien entretenus, les transparences réalisées sur quelques arbres buissonnants pour permettre aux visiteurs d’entrapercevoir les compositions en arrière-plan. Il aime cet endroit.

Il est implanté à l’emplacement d’un ancien moulin, dans le creux d’un petit vallon où coule un ruisseau. Les jardiniers ont su habilement profiter de la topographie du terrain en aménageant des terrasses accessibles par des charmants petits chemins fleuris ou des escaliers de pierre. Les murets des terrasses conservent leurs végétations si curieuses faites de lichens, de mousses, de fougères accrochées dans les interstices des pierres.

IL s’assoit sur un banc dans une allée dominant le vallon, ferme les yeux et offre son visage à ce soleil printanier ; un bien-être, une jouissance l’envahit. Il sent la chaleur sur son visage ; la lumière transperce ses paupières donnant naissance à des compositions rouges veinées d’un rouge plus sombre, fenêtres par laquelle il perçoit la sève qui parcourt son corps.
Des pas lui font ouvrir les yeux, cinq femmes habillées de noir passent devant lui. Dans la petite ville elles sont bien connues, on les appelle les veuves. Dès les beaux jours, elles se réunissent dans le petit square de la section des plantes médicinales, papotant, ragotant tout en tricotant.
Tiens donc ! une nouvelle, la mère Éléonore, mince alors ! Elle est déjà membre du club ironise en pensée IL. Son mari est décédé depuis quelques jours. Elle l’a retrouvé étendu raide mort dans la place après une crise violente de délire, d’hallucinations lors de laquelle elle avait réussi à s’enfuir par miracle ; arrêt cardiaque avait diagnostiqué le médecin.

Le père Léon, cantonnier de son état n’était pas facile et menait la vie plutôt dure à sa femme. Dans la petite maison, non loin de l’église, la plupart du temps, les soirées se résumaient en cris, insultes, et vaisselles cassées. Il avait le vin mauvais et la main leste le bougre. Que de fois dame Éléonore se retrouva à la rue, mise à la porte, mais il y avait toujours une âme charitable pour l’héberger. Les visites des gendarmes étaient fréquentes. Le curé voulut un jour jouer les médiateurs et il n’eut comme planche de salut que de courir se barricader dans son presbytère sous les violentes invectives du Léon ponctuées par des coups de poing et de pied dans la porte. Chacun la plaignait de vivre un tel calvaire. On la supplia de le quitter mais invariablement elle revenait vers son tortionnaire.
Manifestement, la vie va être plus facile pour elle maintenant se dit IL.

Les bras étalés sur le dossier du banc, il suit le groupe de femmes opérant leur descente à la file indienne sur le sentier en contrebas. Un temps, il les perd de vue dans les frondaisons mais les retrouve dans une trouée. Elles se sont regroupées et l’une d’elles, la femme Éléonore, semble-t-il, est penchée. Que font-elles donc là ? se demande IL. La femme se relève et ses compagnes, l’une après l’autre, l’enlacent, l’étreignent longuement, lui tapotent amicalement les épaules comme pour la féliciter d’une tâche accomplie.
Puis tête basse, toujours en file indienne, elles reprennent le sentier, repassent devant lui, le saluent d’un petit coup de tête. Il leur répond de même et les regarde s’éloigner. Des sorcières, elles me font penser à des sorcières revenant de quelque sabbat ! se dit-il.

Le soleil s’est caché dans les grands arbres, il fait nettement plus frais. Il est temps de rentrer murmure-t-il à regret. Il se lève mais se ravise, le manège des femmes a titillé sa curiosité. Il prend, d’un pas rapide le petit chemin menant au lieu de leur réunion non loin derrière le bosquet. Il le mène vers un petit square avec quelques bancs. Sur son pourtour un ensemble de petits jardinets délimités sur deux côtés perpendiculaires par un mur assez haut de pierres sèches. Il n’a pas de mal à reconnaître celui où elles s’étaient arrêtées, d’une part le parterre de fleur est piétiné et d’autre part en se retournant il aperçoit le haut de son banc à travers la trouée.
Il examine le mur ; un endroit a été gratouillé et rebouché par une petite pierre et un peu de terre. Du doigt, précautionneusement, Il l’enlève. L’interstice révèle un petit rouleau de papier de deux centimètres de long, il le déplie et lit, écrit au stylo bleu d’une écriture malhabile, « Merci ». En examinant encore une fois le mur il voit une seconde cachette, avec là aussi un petit papier, plus vieux que le premier car il est en mauvais état et l’encre est décolorée mais on devine le même « Merci ». Poursuivant sa recherche, Il trouve même une troisième cachette.
C’est curieux, pense-t-il, pourquoi une telle dévotion dans ce lieu ? Il examine les plantes disposées à ses pieds dans le parterre et reconnaît la belladone confirmée par la petite ardoise accrochée à un petit piquet. Un frisson d’effroi parcourt son échine, il vient de comprendre. En levant la tête et il voit, sur le mur, une petite pancarte : « Section des plantes médicinales – Famille des Solanacées – Plantes toxiques et mortelles».

Boussay – Juillet 2014

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L’école professionnelle de Saint-Joachim – 1930 à 1938

Note de l’auteur : Cette étude n’est pas livresque, elle est le fruit de la compilation de nombreux documents d’époque pendant plusieurs mois de recherche. Il m’a semblé utile de rassembler toutes ces données dans un article pour vous les soumettre. Elles sont référencées par notes de bas de page mais ces dernières n’apparaissent pas dans le document internet.

Article précédent : La création : http://wp.me/p188s8-kN

Le fonctionnement de l’école

Le taudis de jadis avait été remplacé par un bâtiment clair, spacieux et bien agencé. La salle de l’école faisait trente mètres sur dix mètres et éclairées par douze lampes électriques. Elle était pourvue d’un garage à bicyclettes, d’un vestiaire, de lavabos alimentés par château d’eau muni d’une pompe électrique. Elle pouvait accueillir trente élèves traceurs sur plancher et une quinzaine de dessinateurs.

Les cours étaient gratuits. Ils étaient subventionnés par les communes de La Chapelle-des-Marais, de Sainte-Reine et de Crossac, ainsi que par les deux chantiers navals de Penhoët.

Ils avaient lieu trois fois par semaine (le mardi, le mercredi et le vendredi) pendant quatre mois (début décembre à fin mars). Ils débutaient, le soir, dès l’arrivée des trains ouvriers, à 17h45 et se terminaient à 19h50. Un service d’autobus gratuit était organisé pour desservir les communes qui les subventionnaient : Sainte-Reine-de-Bretagne, la Chapelle-des-Marais, Crossac.

Le programme des cours

Première année : Notions préliminaires de géométrie. Tracés de chaudronnerie.

Deuxième année : Plans de formes de canots d’après devis de tracé. Tracés de chaudronnerie.

Troisième année : Tracés divers se rapprochant à la construction navale : lecture des formes du navire tracées sur plancher ; épures de chaudronnerie.

Quatrième année : Tracés divers sur plancher à la salle de traçage, d’après les formes du navire ; construction du gabarit et emploi des règles pour traçage des tôles et profilés ; épures diverses de chaudronnerie sur plancher.

Cinquième année : Étude des formes d’un navire (calculs de déplacement, de stabilité et d’assiette). Coupe au maître pour échantillonnage d’après le règlement Veritas.

La distribution des prix

En fin d’année scolaire, mi-juillet, une distribution de prix récompensait les meilleurs élèves dans la salle des cours. Parmi les nombreux invités : les directeurs des deux chantiers de Penhoët, le conseiller d’arrondissement, le conseiller général, l’inspecteur départemental, le sénateur, les maires des communes environnantes, les élèves et leur famille.

En général, trois personnalités prenaient la parole. On retrouve invariablement sur les comptes-rendus M. Paquet, directeur du Chantier de la Loire et M. Hubert de Montaigu, député. On le sait, pour le premier, des liens privilégiés existaient entre l’école et le Chantier de la Loire par l’intermédiaire de M. Similien Vince, sous-chef du bureau d’études dans cet établissement et le second, M. de Montaigu, était considéré, à juste titre, comme le bienfaiteur de cette école.

Les orateurs s’ingéniaient à féliciter les professeurs, les élèves et ceux qui ont fondé ces cours. On analysait les crises de la construction navale, on vantait les mérites de ces ouvriers de Saint-Joachim qui formaient le plus beau fleuron des constructeurs des navires, on exhortait les jeunes gens à être assidus aux leçons de professeurs si compétents.

Dans ses interventions M. Paquet avait le sens de la formule : « Le travail a une valeur spirituelle, on ne l’a pas assez compris » ; « Le travail ne doit pas avoir pour but la poursuite de la richesse, mais celle de la vertu. C’est de ce point de vue surtout que le travail est nécessaire : parce qu’il ennoblit l’homme. » ; « Une nation, qui a perdu le sens de l’éminente dignité que confère à l’homme le travail, est sur la voie de la décadence. » Puis venait la lecture du palmarès.

L’homonymie était très fréquente dans cette contrée et les listes des lauréats comportaient, dans les premières années, le nom, le prénom, le lieu-dit et le numéro de la maison : Moyon Martial, de la Carré, n°97, Moyon Benjamin, à Fédrun, n° 359, Moyon Maurice, aux Vinces, n° 249…par la suite seuls le nom, le prénom et le lieu-dit subsistèrent. On remettait des livres et des diplômes.

En 1938, la salle des cours professionnels a accueilli le stand des charpentiers briérons qui avait obtenu un grand prix d’honneur à l’Exposition Internationale de 1937. Les personnes assistant à la distribution des prix purent le visiter. Il fut ouvert au public deux dimanches de suite au prix de 1 franc.

Un déjeuner, réunissant une trentaine de convives , clôturait cette distribution des prix.

 

L’école professionnelle au fil du temps

En 1930, Le directeur des cours était M. Similien Vince*, sous-chef du bureau d’études au Chantier de la Loire, conseiller municipal, deuxième adjoint et professeur de dessin à l’Ecole professionnelle. Les autres professeurs : MM. Corbillé Paul, Valtier Bénoni *, Eugène Moyon*, Aoustin Ernest, Philippe Jean-Baptiste.

* Conseiller municipal

Cent cinq jeunes gens suivaient ces cours encadrés par six professeurs.

Le Conseil général a voté une subvention de deux cents francs en faveur de l’école et une autre de cinq cents francs en faveur d’une école similaire à Saint-Malo-de-Guersac.

Un crédit de quatre-vingt francs est voté par le conseil municipal pour le balayage de la salle pendant les cours de 1930-1931.

Formations dispensées: Traceur de coque, chaudronnier.

En 1931 – Directeur des cours : M. Vince Similien ; les autres professeurs : MM. Corbillé Louis, Corbillé Paul, Valtier Bénoni, Eugène Moyon, Aoustin Ernest, Philippe Jean-Baptiste.

Les cours commencent au début octobre et se terminent fin mars. Ils ont lieu trois fois par semaine, le mardi, le mercredi et le vendredi. Nombre d’élèves inscrits: plus de cent élèves.

Formations dispensées: charpentier, chaudronnier.

En 1932 – Directeur des cours : M. Vince Similien ; les autres professeurs : MM. Corbillé Louis, Corbillé Paul, Valtier Bénoni, Eugène Moyon, Aoustin Ernest, Philippe Jean-Baptiste.

Nombre d’élèves inscrits: plus de cent élèves.

Formations dispensées: charpentier, maçon, ajusteur, chaudronnier.

En 1933 – Directeur des cours : M. Vince Similien ; les autres professeurs : MM. Corbillé Paul, Valtier Bénoni, Aoustin Ernest, Philippe Jean-Baptiste.

Au certificat d’aptitude professionnelle, sur neuf élèves présentés six ont été reçus.

Formations dispensées: charpentier, charpentier fer, maçon, ajusteur, chaudronnier, menuisier, serrurier.

Une subvention départementale de 30 francs a été versée à l’école.

En 1934 – Directeur des cours : M. Vince Similien ; les autres professeurs : MM. Corbillé Paul, Valtier Bénoni, Aoustin Ernest, Philippe Jean-Baptiste, Halgand.

Au certificat d’aptitude professionnelle, sur treize élèves présentés huit ont été reçus.

Formations dispensées: La première année, le dessin linéaire est en tronc commun pour toutes les professions. Charpentier fer, maçon, ajusteur, chaudronnier, menuisier, serrurier.

En 1936 – Directeur des cours : M. Vince Similien.

Treize élèves ont été reçus au CAP (douze charpentiers traceurs, un ajusteur).

Formations dispensées: La première année, le dessin linéaire est en tronc commun pour toutes les professions. Charpentier tôlier, ajusteur, chaudronnier.

Une subvention de 3600 francs est versée à l’Association des Cours Professionnels.

En 1937 – Il est fait référence à une école professionnelle à Saint-Malo-de-Guersac. M. Guitton en est le directeur des cours. Soixante-dix-sept élèves fréquentent les cours, huit d’entre eux ont été présentés, sept ont été reçus.

À Saint-Joachim, directeur des cours : M. Vince Similien ; président des cours professionnels : M. Pabois.

L’âge légal pour l’inscription est porté à quatorze ans.

Deux cent seize élèves répartis en quatre séries sont inscrits aux cours professionnels.

Dix-huit élèves ont été présentés au CAP, seize ont été reçus (quatorze charpentiers traceurs, un serrurier, un ajusteur).

Les cours ouvrent au début d’octobre et ferment à la fin du mois de mars. Ils enseignent en quatre années d’études le programme du certificat d’aptitude professionnel.

En première année : dessin linéaire, français, mathématiques.

Deuxième année : plan de formes de navires, les épures de chaudronnerie, technologie, mathématiques.

Troisième année : les épures de chaudronnerie, technologie, mathématiques.

Quatrième année : lecture des plans, tracés divers, les constructions soudées ou rivées, les épures de chaudronnerie, la technologie, les mathématiques.

Formations dispensées: La première année, le dessin linéaire est en tronc commun pour toutes les professions. Charpentier traceur, ajusteur, chaudronnier, menuisier, serrurier.

Une subvention supplémentaire de 1400 francs est votée au conseil municipal pour les cours professionnels.

En 1938, directeur des cours : M. Vince Similien ; président des cours professionnels : M. Pabois.

Deux cent cinquante élèves sont inscrits.

Dix-sept élèves ont été reçus au CAP charpentier traceur.

Formations dispensées: La première année le dessin linéaire est en tronc commun pour toutes les professions. Charpentier tôlier, ajusteur, chaudronnier.

Cette année là, lors de la distribution des prix, le premier intervenant aux discours d’usage fut M. Bonnafé nouveau directeur du Chantier de la Loire. M. Coqueret, directeur du Chantier de Penhoët fut lui aussi, pour la première fois depuis la création de l’école, invité à cet exercice mais en troisième position.

La salle des cours professionnels accueillait le stand des charpentiers briérons qui avait obtenu un grand prix d’honneur à l’Exposition Internationale de 1937.

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Djakarta, Indonésie le 26 février 1973

CarteMondeAnnotéeDjakarta

 

Java

Djakarta, Indonésie le 26 février 1973

Nous avons accosté ce matin dans un port de Java en Indonésie, Djakarta. Java…encore un rêve de mon enfance réalisé.

Pardonne-moi mon écriture car je tiens mon papier sur les genoux, assis sur une bouche de ventilation de la plage arrière. Devant moi, autour de moi, des drapeaux sont tendus pour le cocktail de demain ; il va falloir encore se planquer.

Le commis s’amuse avec la mascotte du bord, Idéfix* une chienne sud-africaine, née à Cape Town. C’est une petite boule blanche gentille et heureuse à la fois. Elle est très choyée et tous les gars jouent avec.

Le transistor que tu m’as offert diffuse une musique indonésienne qui peut sembler, dans un premier temps, nasillarde à nos oreilles occidentales mais avec le temps je l’apprécie. Il y a quelques minutes j’ai capté à ma grande surprise… Mireille Mathieu, Nana Mouskouri et Françoise Hardy. Sont-ils friands de chansons françaises ?

Tu t’étonneras peut-être de l’absence de lettre entre le 19 et le 26 mais la traversée a été très rude**. La chaleur y est certainement pour quelque chose. Nous naviguions sur deux moteurs au lieu de quatre et à 240 tours par minute***. J’étais obligé de faire des mouvements de gas-oil presque deux fois par jour et nuit. J’espère qu’il ne sera pas de même entre Djakarta et Nouméa.

Aujourd’hui, j’ai fait le plein du bateau. La matinée et l’après-midi y sont passés. Courir sous la chaleur d’une vanne à l’autre c’est crevant je t’assure. Mais tout cela n’est que questions purement techniques et je suppose que cette narration de ces problèmes matériels ne te passionne absolument pas.

De Djakarta, je ne peux rien te dire car je n’ai pas encore mis le pied sur la terre ferme. Demain je fais une excursion, voir des lépreux**** paraît-il. Vais-je apporter mon appareil photo je n’en sais rien.

D’après le médecin du bord il y a beaucoup de maladies dans ces pays et la petite scène dont j’ai été témoin ce matin est très édifiante : sur la grève, à quelques vingt mètres de l’arrière du navire, des enfants se baignaient, nus bien sûr ; ils jouaient avec les haussières. Un de ces garçons a déféqué à quelques mètres de ses camarades. Ensuite, quelques coups de pied pour disperser la matière et il a plongé au même endroit.

* Dans cette lettre je la nomme Souki. Une erreur sans aucun doute, il n’y avait qu’un seul chien à bord.

** Je suis étonné que pas un mot n’est consacré à l’apparition dans le détroit de la sonde entre Sumatra et java du Krakatoa et de l’Anak krakatoa (enfant du Krakatoa). Lorsque nous sommes arrivés à proximité de ces deux volcans, pour fêter cet évènement, nous avons fait un « stade zéro », c’est la situation prise par un navire traversant un nuage atomique, toutes les ouvertures sont fermées, la ventilation par air venant de l’extérieur est stoppée ou considérablement réduite. Ceci fait, à quelques uns, nous sommes montés en passerelle pour mieux voir ces deux volcans toujours en activité. C’est le commandant en second de R. qui a raconté l’irruption du Krakatoa :

Tout commence le 26 août 1883 à 13 heures locales : une violente explosion est entendue à plus de cinquante kilomètres du volcan, suivie d’une autre, encore plus forte vers 14 heures. Cette dernière est accompagnée d’abondantes projections de cendres plongeant la région dans une nuit totale. À 10 heures le 27 août, survient la plus forte explosion. C’est le bruit le plus fort entendu par des oreilles humaines ; il est audible sur environ un douzième de la surface de la terre. À 160 kilomètres de distance, il atteint encore 180 décibels. Des vagues colossales déferlent à plusieurs reprises les 26 et 27 août sur les côtes de Java et de Sumatra. Dans les régions basses bordant le détroit de la Sonde, tout est balayé, emporté. Une vague de quarante-six mètres déferle sur la ville de Merak. Lorsqu’elle se retire, plus rien n’indique que l’endroit ait été habité. À Teluk Betung, grand port de la région de Sumatra, l’eau monte de vingt-deux mètres, détruisant, nivelant tout. Dans le golfe de Gascogne et dans la Manche à 18 000 kilomètres du lieu de la catastrophe, une oscillation anormale des eaux est enregistrée par les marégraphes. Les ondes de choc ont circulé plusieurs fois autour du globe. Elles étaient détectables à l’aide de barographes cinq jours plus tard.

*** Petite incohérence dans mon discours, si avions tourné à quatre moteurs beaucoup plus de transferts de gas-oil auraient été nécessaires.

**** Une visite d’une léproserie était peut-être au programme mais je n’ai pas souvenance. C’était peut-être un bruit de coursives.

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L’école professionnelle de Saint-Joachim – La création

L’apprentissage à Saint-Nazaire et sa région

De tout temps, les gouvernements se sont penchés sur le délicat problème de l’apprentissage et cela a engendré de nombreux débats dans les assemblées et dans les différentes classes politiques. En 1905, une proposition de loi fut déposée pour créer des cours obligatoires pour tous les apprentis. En 1911, un examen de fin d’études le Certificat de capacité professionnelle (CCP) fut établi pour valider les connaissances acquises par ces cours suivi en 1919 par le Certificat d’aptitude professionnel mais nous reviendrons sur cette intéressante saga dans un prochain article.

C’est en 1922 que l’examen de fin d’apprentissage institué par la loi Astier, le certificat d’aptitude professionnel, fut organisé pour la première fois à Saint-Nazaire dans les ateliers de l’École pratique les 24, 25, 26 juillet sous la direction d’un jury présidé par l’inspecteur départemental de l’enseignement technique et formé presque exclusivement de professionnels ou de contremaîtres du chantier de Penhoët. 75 candidats ont pris part aux épreuves.

Pour former les jeunes aux métiers de la construction navale et alimenter en main d’œuvre les Chantiers de Penhoët et les Chantiers de la Loire, trois écoles, au cours du temps, avaient été créées :

– 1902 – L’École pratique de Saint-Nazaire qui devint dans les années quarante le Collège technique nazairien puis plus tard dans sa dernière métamorphose le Lycée professionnel Jean Brosseau.
– 1910 – L’École professionnelle de Saint-Joachim patronnée par les Chantiers de la Loire qui a perduré un temps après la deuxième guerre mondiale.
– 1917 – L’École d’apprentissage des Chantiers de Penhoët fermée depuis 1974.

L’école professionnelle de Saint-Joachim

Au tout début à Saint-Joachim, tous les hivers, un contremaître donnait chez lui, au prix de cinq francs, des cours de dessin. Il enseignait la façon de régler le plan de formes d’un canot ainsi que des épures de chaudronnerie.

Par la suite on compta trois ou quatre cours qui se partageaient une quinzaine d’élèves.

En 1910, sur l’initiative de quelques habitants de Saint-Joachim, un cours fut fondé avec un droit d’entrée de cinq francs pour les trois mois d’hiver. Ils étaient subventionnés par la municipalité et le département.

Le nombre d’élèves étaient toujours croissant et bientôt il fallut trouver une salle plus grande.

Une nouvelle école

Au conseil municipal fin mars 1930, il est annoncé que des cours professionnels vont être organisés après étude.
Plusieurs solutions furent envisagées mais pour accueillir les élèves, c’est une ancienne salle des fêtes qui fut transformée, grâce à des aides du département et et au soutien indéfectible du député M. Hubert de Montaigu.

Les acteurs de cette création

M. Similien Vince. Sous-chef du bureau d’études aux Chantiers de la Loire, conseiller municipal de Saint-Joachim, deuxième adjoint et professeur de dessin à l’Ecole professionnelle.
M. Hubert de Montaigu, député de la 2e circonscription de Saint-Nazaire, a beaucoup œuvré pour la création de cette école et était considéré comme le grand bienfaiteur des cours professionnels.
M. Pierre Toscer Inspecteur départemental de l’enseignement technique.
Les maires des communes : M. Mahé Daniel maire de Saint-Joachim, M. Dréno maire de la Chapelle-des-Marais, M. Tual maire de Crossac.
Les directeurs des deux chantiers navals MM. Paquet des Chantiers de la Loire et Coqueret des Chantiers de Penhoët.

L’école entretenait des liens privilégiés avec les Chantiers de la Loire, ceci est visible dans les distributions des prix. M. Paquet, son directeur, faisait la plupart du temps le discours d’ouverture jusqu’à celle de 1938 où M. Bonnafé, nouveau directeur des chantiers de la Loire, ouvrit le discours et M. Coqueret, directeur des Chantiers de Penhoët, interviendra pour la première fois mais en troisième position.

L’inauguration

Je me suis posé la question : Peut-on faire impasse de la description de l’inauguration ?  Il me semble que non tant elle nous donne l’atmosphère dans notre Brière et les préoccupations de l’époque.

Le 24 août 1930, M. François Poncet, ministre de l’économie nationale, inaugurait la nouvelle école professionnelle de Saint-Joachim pour permettre aux jeunes ouvriers de se perfectionner en construction navale.

Monsieur le ministre était arrivé à la mairie en compagnie de Mme la comtesse de Montaigu, du comte de Montaigu , député de la Loire-Inférieure et de nombreuses personnalités. Il fut reçu par le maire et son conseil municipal, le conseiller général, le conseiller d’arrondissement, les maires des communes environnantes et bien d’autres personnalités.
Le cortège officiel se mit en route jusqu’au monument aux Morts avec en tête les gendarmes de Montoir et de Pontchâteau assurant le service d’ordre puis la fanfare de la Société de Gymnastique Sainte-Anne, les différentes sections de combattants avec leur drapeau, les vétérans de 1870, les officiels et la foule de briérons.
Devant le monument aux Morts, le Ministre remit à M. Corbillé, ancien maire de Saint-Joachim, le nouveau drapeau des anciens combattants, don de Mme de Montaigu.

Les cloches sonnant à toute volée, le curé de Saint-Joachim et un nombreux clergé vinrent jusqu’au seuil de l’église à la rencontre du ministre et de sa suite.
Dans le cœur, deux fauteuils avec prie-Dieu, privilège généralement réservé aux prélats, ont été disposés pour Mme de Montaigu et le Ministre. Les autres personnalités prirent place, elles aussi dans le cœur, sur des chaises.

Jamais l’église n’avait contenu une assistance aussi noble, aussi nombreuse. Pendant la messe, une chorale de jeunes filles se fit entendre. À l’Evangile, M. le Curé sut trouver les mots pour exalter le sacrifice de nos héros de 1870 et de 1914/1918 qui revinrent dans leur foyer.

La messe dite, le cortège retourna au monument aux morts où des gerbes furent déposées par le Ministre, la Comtesse de Montaigu et M. Corbillé.
M. Poncet remit la médaille militaire au garde champêtre ; ce fut aussi le moment de discours.
M. le Ministre remit ensuite quelques médailles à quelques personnes méritantes notamment les insignes d’officier d’Académie à M. Similien Vince directeur des cours professionnels .

Au café de l’Union on dégusta un muscadet fameux cependant que M. Corbillé offrit des fleurs à la marraine du drapeau des anciens combattants de Saint-Joachim.

On se rendit ensuite dans la salle des cours professionnels. Devant le bâtiment que l’on va inaugurer est disposé un énorme miroir figurant une pièce d’eau avec autour des nénuphars, de la motte servant au chauffage dans les chaumières, des roseaux. Sur le miroir ont été disposés quelques poissons et oiseaux prélevés dans le marais.

Dans la salle, en guise de décor, les plans de l’Albertville, un des paquebots construits dans les Ateliers et Chantiers de la Loire. Là, on lut le palmarès et on fit la remise des prix ; à la fin M. Poncet prit la parole et vantera l’initiative des Briérons de Saint-Joachim qui ont compris l’importance de l’enseignement théorique complément indispensable de l’enseignement pratique. « Votre commune, observe M. Poncet, passe pour avoir des habitants au caractère difficile ; mais cela prouve d’abord que vous avez du caractère dans un siècle où il est rare ». Il terminera en louant les professeurs et en particulier M. Similien Vince, brave dans la guerre, bon dans la paix, dévoué et simple.

Le Ministre et sa suite prirent une petite heure de récréation. Ils allèrent en autos à Fédrun où ils firent un tour en Brière à bord de blins . Celui du ministre était pavoisé et on y a mis des chaises pour la comtesse de Montaigu et les officiels.

Au déjeuner, il y avait cent cinquante-cinq convives et l’organisation du repas était assurée par le gérant du restaurant coopératif du chantier de la Loire. Au dessert ce fut à nouveau des discours et on leva son verre en l’honneur de la Grande Brière et but à la fraternité française.

Pour clôturer cette journée, à vingt heures trente, un grand bal fut organisé dans la nouvelle salle de dessin au profit de la caisse des anciens combattants .

(à suivre)

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Commandant Rivière – Diego Garcia, îles Chagos, océan Indien,

CarteMondeAnnoteeDiegoGarcia

 

DiegoGarcia

Diego Garcia est un atoll de l’archipel des Chagos, dans le territoire britannique de l’océan Indien. L’île principale, s’appelant elle aussi Diego Garcia, accueille une base militaire britannique louée à l’armée américaine.

 

Diego Garcia, îles Chagos, océan Indien, le 18 février 1973 (lettre à Marlyse)

Nous sommes au mouillage, à quelques encablures de l’atoll de Diego Garcia. C’est une base stratégique américaine. La végétation est composée de cocotiers. La mer est d’un bleu extraordinaire et à l’ombre de la coque nous pouvons apercevoir le fond.
Ce matin, sur la plage arrière, des gars se sont mis à pêcher. Ils ont sorti des poissons multicolores comme on en voit à l’aquarium du Croisic. Ils ont tenté de pêcher le requin mais sans succès, la viande n’était pas assez saignante selon leurs dires. C’est drôle de voir les squales tourner autour de l’hameçon*. Nous avons vu aussi un barracuda.

Qu’y a-t-il sur cet atoll ? des engins de travaux publics, des baraquements pour abriter les quelques cent américains qui vivent là, sans compagnie féminine, pendant huit mois. Ils étaient très heureux de nous recevoir.
Nous avons mangé de la langouste avec de la …purée de pommes de terre**. Ils mangent de la langouste comme nous les sardines en Bretagne.
Nous restons que vingt quatre heures, demain à dix heures nous repartons vers Djakarta.
Tout va bien pour moi le moral est meilleur. En ouvrant mon caisson, parfois, je ne peux m’empêcher de lire une lettre de ma mère, ça me fait quelque chose.

Diego Garcia, îles Chagos, océan Indien, le 18 février 1973. (Lettre à mon père)***

Je suis en ce moment à Diego Garcia, aux îles Chagos dans l’océan Indien. Ce sont des atolls où les américains ont construit une base. Nous avons été très bien reçus. Tout était gratuit, la bière, le repas, le cinéma. Nous sommes les rois !
Je me retrouve avec une casquette et une veste de l’armée américaine contre mon bachi – mon béret de marin – et mon treillis****. C’était plaisant de voir les gars monter à bord, ils avaient tous pratiquement changé de tenue. Demain, sur la plage arrière, à l’appel, beaucoup seront sans bachi. Moi j’ai pris mes précautions.

Et toi mon petit père tu dois te sentir bien seul, aussi écris moi, donne-moi de tes nouvelles, ce que tu fais. Je sais c’est difficile et tu n’as pas beaucoup de temps. Ça me ferait tellement plaisir. Dans soixante-dix jours je serai près de toi. Je partirai dans les environs du 5 mai par avion de Papeete (Tahiti).
J’ai envie de faire quelques parties de pêche en Brière, mais tu me connais, doué comme je suis, tu me prépareras les lignes.

Ma lettre partira demain à quelques heures du départ, tu la recevras lorsque je serai en mer vers Djakarta (Indonésie) près de la Chine.
Je suis vanné car la chaleur est torride, 40 à 45°C à l’ombre au cœur de l’après-midi.
Le moral est bon… enfin relativement.

* Cette petite histoire m’a été racontée à bord. Lors d’une pêche identique, et après que le requin fût hissé sur le pont et laissé pour mort, un matelot eut la bonne idée de se faire prendre en photo la tête au plus près de la gueule du requin. Tout à coup ce dernier chercha à le mordre, notre matelot eu juste le temps d’éviter l’attaque.

** Je suis étonné que cela… m’ait étonné

*** On peut avouer à son père une soirée mémorable pas à sa petite amie…

**** Pour fêter dignement leurs hôtes les américains, après le repas, nous ont organisé une petite fête avec un jeu… très particulier.
Dans une salle de bonne dimension, reparties au tiers de sa longueur, deux tables rondes, genre guéridons, étaient disposées. Non loin, une montagne de caisses de bières en canette.
Deux équipes se formèrent, une française et une américaine.
Le jeu consistait à créer une tour, la plus haute possible, en empilant les boites à la manière d’un château de cartes.
Nous bûmes donc nos premières canettes et une fut posée au milieu de la table puis les suivantes en cercles concentriques. Plus il y a de cercles, plus la tour a des chances d’être haute.
À partir de ce moment je n’ai plus de souvenirs jusqu’à la montée à la coupée à partir de la barcasse car nous étions au mouillage.
Je me souviens que le capitaine d’armes m’a dit lorsque j’atteignais le pont :
« Les américains ne sont pas autorisés à monter à bord, je lui ai répondu :
– Mais c’est moi capitaine d’armes, en levant ma casquette pour bien montrer mon visage. »

J’avais échangé avec un marin américain mon bachi contre une casquette et mon treillis contre le sien. J’ai gardé ce dernier très longtemps, il portait le nom « Mac Callister » brodé au fil noir sur la poche droite.

Tous les participants à la fête étaient dans le même cas et cela allait engendrer quelques difficultés aux couleurs, le lendemain sur la plage arrière, mais une annonce du bord nous a sauvés d’éventuelles représailles :
« Le personnel ayant « perdu » une partie de leur uniforme est prié de se présenter au guichet de la coopérative »

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Centre d’Apprentissage (1965-1968) – Les cours d’enseignement professionnel

Centre d’Apprentissage des Chantiers de L’Atlantique (1965-1968)

L’enseignement professionnel

Le préapprentissage terminé, j’intégrais la première année des traceurs de coque et faisais connaissance de mes camarades avec lesquels je passerai mes trois prochaines années.

Les apprentis traceurs de coques :

Gilles T., Gilles  L., Patrick L., Michel M., Philippe C., Alain  C., Guy B.. (†), Michel N.. (†), Michel N., Jean-Yves D., Daniel M., André L, David B., Marc G.,  (†), Olivier K.,  Pierre L., Guy L., Jean Pierre O., Yannick L., et (?) P.

Nous étions vingt au départ mais un a donné sa démission  très peu de temps après, (?) P. Il avait eu un très grave accident en entrant dans le derrière d’une vache en cyclomoteur sur la route de Saint-Malo-de-Guersac.

 Le métier

Un peu d’histoire

Le métier de traceur de coques trouva ses premiers balbutiements en Angleterre, à partir de 1805, à  l’avènement des navires en fer pour la navigation en eaux intérieures.

Le premier bateau en fer sur lequel on mit une machine à vapeur fut le Aaron-Mamby en 1821. C’est à cette époque que M. Cavé, mécanicien à Paris commença à fabriquer des bateaux métalliques sur la Seine.

Bien que les avantages et qualités de ces navires ne fussent plus contestés depuis longtemps  pour les fleuves et rivières, on hésita longtemps  pour les faire  naviguer sur l’océan.  Leur structure était encore fragile pour résister au gros temps, on redoutait l’action de l’eau salée sur le métal et puis il y avait les fameuses perturbations du compas.

On osa faire des paquebots pour les côtes puis l’art et la technique se perfectionnant on se mit à construire des bâtiments à voiles pour les voyages vers l’Amérique et les Indes orientales.

On n’abandonna pas facilement le bois. La structure des navires pendant un temps fut mixe. Les ponts et les épontilles, les barrots pouvaient être en bois et le bordé en acier. Puis le tout en fer s’imposa.

Une description d’un chantier anglais en 1842 nous en montre l’organisation, je cite :

« Pendant les mois de juin, juillet, août et septembre, on a travaillé activement à deux bâtiments en fer, savoir : un brick-pilote pour Calcutta, de 93 pieds* de longueur (28,35 m), et un bateau de 98 pieds (29,87 m), destiné à servir de feu flottant sur la côte. Quelques ouvriers étaient encore employés à finir une chaudière de machine à vapeur. Ces travaux occupaient cent dix ouvriers pour le fer et une vingtaine d’enfants apprentis, le tout dirigé par deux maîtres présidant, l’un à la mise en place, l’autre à la confection à l’atelier. Le nombre des ouvriers pour le bois était d’un contremaître et vingt charpentiers. Il y avait, en outre, un charpentier chargé de surveiller les dessinateurs, de tracer à la salle et de donner aux forgerons les gabarits et les équerrages des couples. »

Le métier déjà existait bel et bien à cette époque avec la notion de traçage à la salle et dans la confection des gabarits. Il est héritier des charpentiers de marines mais c’est avec la chaudronnerie qu’il s’apparente le plus.

Les techniques de développement des tôles de bordé n’existant pas on avait recours à une astuce :

« Après le plan dessiné qui a servi aux principaux calculs du bâtiment à construire, on fait aussi un petit modèle en bois massif, et, sur ce modèle, on trace toute la distribution des membres et des tôles du bordé, dont on relève les grandeurs sur l’échelle, ainsi que les longueurs de chaque membre;  celle des divers barrots se prend sur le plan… C’est au chantier qu’on courbe les cornières suivant la forme du gabarit, et qu’on ouvre ou ferme leur côté pour leur donner l’équerrage voulu. »

Je me souviens avoir vu un tel modèle en exposition durant mon apprentissage avec toutes les virures de bordé et les joints.

GabaritsFormage1842

Photo A – Gabarits de formage d’une tôle en 1842

Les techniques  de formage des tôles avec des gabarits de forme étaient déjà employées :

« Dans la mise en place de chaque feuille de tôle du bordé il y a deux opérations à signaler. La première, celle de courber la feuille suivant la forme du bâtiment; la seconde, de la découper exactement, pour la faire coïncider avec ses voisines, et de percer les trous de rivets de manière qu’ils correspondent avec ceux de la tôle déjà en place.

Pour donner à chaque feuille du bordé une courbure assez approchée, sans être obligé d’aller la présenter plusieurs fois, on se sert de quatre gabarits qui consistent en baguettes de fer rond, de 1 cm de diamètre environ ; l’une a été courbée sur les membres suivant la longueur de la tôle, au milieu (A-1); deux autres portent les courbures des deux membres extrêmes (A-2) (A-3), et la quatrième est fléchie sur les membres suivant une diagonale de la feuille de tôle (A-4).

Une fois cette tôle chauffée au fourneau jusqu’au rouge, on la façonne à coups de masse sur une longue enclume en fonte, plane au centre, arrondie sur ses rebords, en lui présentant les quatre gabarits en fer.

Quand la courbure à donner à la tôle n’est pas trop irrégulière, on se sert de la machine à rouleaux, au lieu de la façonner à coups de marteau. »

 

En 1862, l’ingénieur écossais John Scott, du chantier naval de Greenock fonde un chantier à Penhoët et forme la main d’œuvre locale au travail du fer. L’Impératrice Eugénie allait être le premier paquebot transatlantique construit. S’en suivi 150 ans de construction navale à Saint-Nazaire.

 

Grâce surtout aux procédés Bessemer et Martin, l’industrie métallurgique a ensuite réalisé dans la fabrication de l’acier de sérieux progrès. On a pu obtenir des tôles, des profilés d’une homogénéité remarquable. L’attention des constructeurs de navires a été attirée par les qualités de ces produits et ils ont cherché à en généraliser l’emploi.

Quand j’écris ces lignes je me dis que j’ai fait partie d’une longue lignée de professionnels qui en permanence ont inventé leur métier en suivant l’évolution des techniques.

 

La formation de l’apprenti traceur

 Sur le tas

L’apprentissage se faisait « sur le tas ». À de rares exceptions près, l’apprenti était livré à lui-même. Sa formation pratique dépendait de ses plus ou moins grandes facultés d’observation, de la capacité professionnelle, des qualités morales et surtout de la valeur des indications ou conseils de l’ouvrier auquel il était adjoint… quand celui-ci songeait à son rôle d’instructeur.

Pour donner un coup de pouce à certains éléments, le soir à Saint-Joachim, tous les hivers, un contremaître donnait chez lui, au prix de cinq francs, des cours de dessin. Il enseignait la façon de régler le plan de formes d’un canot ainsi que des épures de chaudronnerie. Par la suite on compta  trois ou quatre cours qui se partageaient une quinzaine d’élèves.

 

L’école professionnelle de Saint-Joachim

En 1910, sur l’initiative de quelques habitants de Saint-Joachim, un cours fut fondé avec un droit d’entrée de cinq francs pour les trois mois d’hiver. Ils étaient subventionnés par la municipalité et le département. Le nombre d’élèves étaient toujours croissant et bientôt il fallut trouver une salle plus grande.

Le 24 août 1930, M. François Poncet, ministre de l’économie nationale, inaugurait la nouvelle école professionnelle de Saint-Joachim pour permettre aux jeunes ouvriers de se perfectionner en construction navale. Ils avaient  lieu dans une ancienne salle des fêtes qui fut transformée, grâce à des aides du département. L’école fonctionna jusqu’au début de la guerre.

 

Les cours d’apprentissage de Penhoët

C’est en pleine guerre, au cours de l’année 1917, que les cours d’apprentissage de Penhoët furent créés, pour former rapidement de bons ouvriers spécialistes en matière de construction navale.

Le chantier de Penhoët  organisa un groupe de machines pour les ajusteurs, tourneurs, serruriers et électriciens ; un groupe de tôlerie pour les charpentiers traceurs, les chaudronniers en fer et en cuivre ; un groupe du bois pour les modeleurs, les ébénistes, les menuisiers d’ateliers et de bord, les charpentiers.

Des cours et exercices pratiques, particuliers à chacun des groupes et des cours théoriques furent institués.

 

 

PlanDeForme

 Photo B – Plan de formes d’un navire

GabaritFormage

Photo C – Gabarits de formage de bordé tréviré

 

Le traçage de coque dans les années 1960

Le traçage coque avait de nombreux points communs avec le traçage de chaudronnerie, la différence : le chaudronnier façonnait lui-même ses matériaux, le traceur n’avait pas à le faire.

Dans le traçage coque il y avait deux opérations bien distinctes :

1) Les dimensions principales d’un navire étant données par le bureau d’études à une échelle très réduite (1/100, 1/50), c’était le travail des traceurs de régler ses formes à l’échelle 1/10 (Photo B).

À partir du tracé des formes ils confectionnaient les épures et développements de tous les éléments de tôlerie constituant le navire.

Ils confectionnaient, pour la reproduction de tous ces tracés sur les tôles et profilés, des modèles en bois appelés gabarits pour le traçage des tôles formées (Photo C), et des règles pour les tôles rectilignes et les profilés droits.

A cette époque, les moyens de traçage sont déjà en partie remplacés par des modèles faits au 1/10.

 

2) A partir de ces règles et gabarits ils traçaient les éléments entrant dans la construction d’un navire.

Ces moyens de production étaient remplacés par des machines à oxycouper à œil électronique découpant en grandeur suivant des modèles à l’échelle 1/10 fournis par le bureau de traçage le 1/10 comme nous disions.

 

[1] Un pied anglais est égal à 304,8 mm soit 12 pouces

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Diego Suarez du 30 janvier au 11 février 1973

 

DiegoSuarez

 

Diego Suarez, le 30 janvier 1973

Les gens en ce moment discutent sur les escales à venir et les jours de mer. Lorsque nous allons quitter Diego nous aurons 22 jours consécutifs de mer. C’est très long. Le courrier sera à Perth en Australie. Ça va être très dur et je ne suis pas tranquille pour ma mère.

——-

Je reprends ma lettre ce soir, plus reposé. Je suis allé voir un film dans un cinéma de quartier. En passant devant, j’ai vu qu’il passait « Roméo et Juliette » adapté de la pièce de William Shakespeare *. La salle ressemble à la salle de patronage de mon enfance. Des rangées de bancs, une toile blanche en guise d’écran. Elle était pleine à craquer et j’étais le seul blanc mais personne n’a semblé prêter attention à ma présence.

Quelle merveilleuse œuvre qu’est Roméo et Juliette, pleine de poésie, dramatique aussi. La poésie c’est ce qui me manque le plus ici. Les dialogues étaient très beaux, riches de ces tournures d’ancien français.

Ce dont j’ai le plus souffert ce sont les spectateurs malgaches dans la salle. Des rires fusaient en continu à chaque réplique, ils ne sont pas habitués à ce genre de dialogues. Pour eux certainement ce film a été une joyeuse plaisanterie.
Pour ma part j’aime la beauté de ce langage, les mille nuances et la mise en scène du film. Quel dommage ! ils ont un peu gâché mon plaisir.

Toi qui es auprès de ma mère, comment va-t-elle ? sens-tu du mieux ? j’aimerais tant être auprès d’elle. L’inquiétude ronge le moral le plus fort.

Il pleut, une chaleur moite, envahissante règne. Ça ne va qu’un temps de se balader à travers les bidonvilles…. et cette odeur de mangue ! Je suis pressé de repartir en mer. Il me semble que les jours passeront plus vite.

* de Franco Zeffirelli en 1968

Diego Suarez, le 31 janvier 1973

Encore un soir comme les autres, de la musique dans le poste, des gars écrivent ou jouent aux cartes en écoutant la musique du bord. La « pop » est une drogue dont certains ont besoin pour échapper à cette maison de tôles, de tableaux électriques, de tuyaux et conduits de ventilation. C’est curieux, c’est aujourd’hui que je prends conscience de cet état de chose.

Sur la cloison du petit carré, un dessin non terminé représentant une fille sur une plage près d’une pirogue. C’est la seule présence féminine du bord* et en mer, souvent, nous jetterons un petit coup d’œil vers sa silhouette pour se rassurer que les filles ça existent encore. Au départ on voulait une tahitienne mais elle ressemble plutôt à une bretonne bronzée sur une plage à Tahiti.
Que fais-tu en ce moment ? tu dors sûrement… peut-être pas… car par rapport au décalage horaire (il est 22 h 30 et à Trignac 20h30) Je vis avec deux heures d’avance sur toi. Je commence le travail à 7h00, toi tu dors encore. Lorsque je déjeune (11h00) tu commences à peine ta journée.
Ce soir je voulais aller voir à l’hôtel de ville (lapan’ny tanana en malgache) des danses de Nouvelles-Hébrides mais je suis arrivé trop tard, les gens sortaient. Bof ! on verra cela une prochaine fois. Surtout que nous y faisons escale.
Encore 94 jours avant de mettre le pied sur notre bonne France. Ça vient n’es-ce pas ! Ici le temps parait long. Diego est une ville assez plate et les distractions sont rares.

* La porte, côté intérieur, de la cabine du commandant en second était décorée elle aussi d’une naïade. Celle-ci avait été peinte je crois par mon ami Pascal, la nôtre par un mécano du poste.

Diego Suarez, le 06 février 1973

Je viens de recevoir le télégramme de ta mère. Je suis inquiet car il est porteur de très mauvaises nouvelles. Le commandant, à ma demande, a cherché par tous les moyens de me faire débarquer pour revenir quelques jours. Il a vraiment été très bien. Voilà un jour qu’il « drague » dans tous les bureaux. Il m’a appelé cet après-midi pour me faire part de ses investigations. Je ne crois pas que je puisse revenir en France pour voir maman car la moitié du voyage est à mes frais soit 200 000 francs anciens et je saurais si c’est possible que demain. Il a promis de m’aider financièrement. C’est un chic type. Tu sais à bord nous sommes une grande famille et d’après la commandant tout le monde m’aime bien et partage ma peine. Il m’a donné de l’argent pour que je puisse envoyer des télégrammes. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre pour le rembourser.
J’ai hâte d’être auprès de toi, d’être auprès de mes parents car les distances sont si grandes (12 000 km). En France ce n’est pas la même chose, on prend le train et puis voilà ! Je suis triste ce soir, je n’ai pas envi de dormir, je n’ai pas envi de lire, j’ai envi d’être seul avec moi-même d’être près d’elle par la pensée.

Diego Suarez, le 08 février 1973

J’ai reçu le télégramme de mon père, le malheur a voulu qu’elle meure loin de moi. Je regrette tant de l’avoir fait souffrir inconsciemment. Ô ! petite mère où est ce visage baigné de larmes qui me regardait partir et qui savait, j’en suis certain, que tu me reverrais plus.

Elle m’a donné la vie, ses longues veillées à mon chevet, sa continuelle attention à me guider dans la vie depuis mes pas jusqu’à mon entrée dans la vie active. Tout cela restera au fond de mon cœur.
Ma petite mère qui avec dévotion gardait notre foyer, a mon père, mes frères et moi, je n’entendrais plus sa voix me réveiller le matin, je n’entendrais plus son pas léger arpenté la maison, chantonner, je ne verrais plus son visage à la fenêtre me guetter à côté de Myrse*, qui était la compagne des longues journées d’attentes.
Elle était si douce, si gentille, si pleine d’attention pour nous tous. Ses yeux étaient pleins d’amour mais aussi de tristesse. Jamais je ne pouvais lui mentir, un simple regard et elle voyait au fond de mon âme, elle décelait le moindre problème.
Elle partageait notre réussite dans la vie, elle était heureuse d’avoir donné naissance à des enfants qui se débrouillaient, somme toute, très bien.

Dispense à mon père chéri toute l’attention, toute la tendresse que je suis en mesure de lui donner
Demain à 14h00 (heure de paris) une messe sera dite, dans une petite chapelle de Diego.

* Une petite chienne blanche.

 

Diego Suarez, le 11 février 1973

Je suis allé faire un tour à Ramena où j’ai pris quelques photos.
Demain c’est le départ : Adieu Diego ! C’est une ville où il ne faut pas rester trop longtemps. C’est une ville que je ne porterais pas en mon cœur, je ne la regretterai pas.
C’est une escale où j’ai eu très mal. *

Je te communique les escales :
Diego-Suarez, appareillage le 12 février
Diego-Garcia (Iles Chagos) 16 au 19 février.
Djakarta (Indonésie) 25 février au 2 mars.
Nouméa : 15 mars au 27 mars.
Papeete le 5 avril
La quille entre le 1er et le 7 mai.

* La découverte de la misère par Jean-Chrysostome, (voir article Une soirée à Diego Suarez (Février 1973)) la mort de maman m’avait beaucoup affecté. J’ai été très bien entouré par les gens du bord. J’avais hâte de quitter cette ville car je reportais sur elle toute mon amertume.

Le temps passant, les mauvais souvenirs s’étant estompés, je repense à Diego avec mélancolie.

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Petite histoire du marché de Penhoët

Petite histoire du marché de Penhoët

C’est à partir du 2 mars 1921, qu’un marché d’approvisionnements a été établi à Méan-Penhoët  sur le terrain situé entre l’établissement de bains-douches et le poste de police. Il se tenait les mercredi et samedi de chaque semaine de 8 heures à midi. Les heures d’ouverture et fermeture du marché se faisait par le service de police au moyen d’un son de  cloche.

Ces jours là, la vente sur la voie publique, en dehors du marché, était formellement interdite avant et pendant sa durée  ceci pour éviter la « chine » , certains marchands pendant les heures de marché, allaient de porte en porte offrir leur camelote.

Il déménagea en 1933, à titre d’essai dans l’ancien bâtiment de la Lyre de la Loire, une société de musique, mais il se révéla bientôt trop étroit et les vendeurs durent s’installer en plein air. Les habitants alors demandèrent, par pétition, la construction d’un nouveau marché.

Les halles de Saint-Nazaire furent érigées en 1877  (A-3) et (B)  en face du palais de justice (A-2). À cette époque Saint-Nazaire comptait 18 000 habitants.

Sous l’administration de M. Brichaux, en 1912, on avait déjà songé à les agrandir. Un immeuble contigu au marché couvert  avait déjà été acquis.

En 1933, la population de Saint-Nazaire ayant atteint le chiffre de 40 000 habitants, les halles étaient insuffisantes tant en dimensions, hygiène et propreté. Les vendeurs étaient obligés de s’installer dans les rues de chaque côté, sur une grande distance, gênant la circulation.

Pour l’hygiène et la propreté, je cite : « L’hiver, les poissonnières grelottaient devant leurs brouettes ou leurs tables. Les détritus de toutes sortes, les déchets de vente se plaquaient au sol, s’y adaptaient grâce à la gelée… L’été c’était épouvantable. Quand le soleil dardait ses rayons sur cette voie publique qui s’allonge entre le palais de Justice et les locaux où s’entassent les marchands assez riches pour se mettre à l’abri, tout le long des éventaires la terreur régnait. Le poisson mort se décompose si vite ! »  La nécessité de leur agrandissement devenait impérieuse.  Les marchés avaient lieu le dimanche, le mardi et le vendredi.

Le projet d’un nouveau marché couvert fut confié à M. Claude Dommée, architecte nazairien.

Photo A – Plan de Saint-Nazaire en 1877 
(1) Mairie, (2) Palais de justice,(3) Les halles, (4) La gare, (5) Compagnie générale Transatlantique.
 
 
PalaisJusticeEtHalles001Photo B – Le palais de justice et les halles de Saint-Nazaire.
 
 
 PenhoetEn 1924WordPressPhoto C – Plan de Penhoët 1924(1) Groupe scolaire ; (2) Église de Méan ; (3) Les Bains-douches ; (4) Calvaire de Méan ; (5) Le marché ; (6) L’étang de la croix de Méan.

Profitant de construction de nouvelles halles à Saint-Nazaire les anciennes furent démontées, transportées à Penhoët et rebâties (C-5) près des bains-douches (C-3).  Le calvaire de Méan (C-4) fut déplacé.

Le nouveau marché couvert de Penhoët fut inauguré le dimanche 27 septembre 1936, à 11 h 00, à l’occasion des fêtes organisées par le comité de quartier Méan-Penhoët sous la présidence d’honneur de M. Blancho, sous secrétaire d’État à la Marine nationale, député-maire de Saint-Nazaire et des quatre conseillers municipaux penhoëtins qui appartenaient presque tous à l’Union Méan Penhoët.

Le coup d’envoi fut donné le samedi 26 septembre à 20 h 30 par une retraite aux flambeaux qui débuta rue Albert Thomas, parcouru les principales rues et se disloqua en face de l’Union Méan Penhoët suivi d’un bal populaire dans la salle des fêtes rue Albert Thomas.

Le lendemain, le réveil se fit à 7 h 30 par des fanfares qui parcoururent les rues pour donner le signal des réjouissances de la journée : concours de pêche à la ligne à l’étang de la Croix de Méan (C-6) organisé par la section de la Gaule ; marche ; course pédestre, la Coupe des Halles, organisée par l’Union Sportive Ouvrière Nazairienne avec la participation des clubs nantais, sur environ 4 kilomètres, classement par 4 hommes de chaque club qui gagnera ; deux courses cyclistes avec le concours du Vélo-Club Nazairien : le matin, le Petit Prix de Penhoët épreuve réservée au coureurs de troisième et quatrième catégorie avec 23 engagés qui eurent à couvrir 60 kilomètres et l’après-midi le Grand Prix de Penhoët course régionale à tous les coureurs licenciés, sauf amateurs, 29 engagés sur 100 kilomètres ; exposition de pigeons ; exposition de la Société des Bateaux Modèles dans les nouvelles halles, cette dernière a eu beaucoup de succès car 1500 personnes ont admiré les modèles, miniatures et tableaux ; lâcher de pigeons et inauguration officielle des halles ; vin d’honneur ; concerts musicaux ; exhibitions gymniques par les garçons et les filles de l’U.M.P, ces dernières ont eu un franc succès en se faisant tant applaudir à Méan et Penhoët  ; courses aux tonneaux ;  courses de canards sur le Brivet ; concours de gourmandises ; voyage d’une délégation de marocains sous le signe d’Hall’Ah par Pampan Gambille et sa troupe ; sans oublier le concours de balcons et devantures fleuries et illuminées ainsi qu’un grand nombres de forains, manèges, loterie, tir, etc.

 Oo–oO

 A l’heure où j’écris, il se tient toujours, le mercredi et le samedi,  sur la place, sous les halles, près des bains-douches en face le Pré-gras.  Il a perdu toute son importance.

Le mercredi et le samedi midi, dès la sortie de l’école, je faisais une halte au marché. En arrivant, il m’arrivait souvent d’être hélé par un marchand de fruits et légumes de Penhoët. Il connaissait mes habitudes et se tenait près de son camion.

« Eh petit ! tu peux me descendre deux caisses de tomates, j’ai mal aux reins ce matin ! »,  je m’exécutais et reprenais mon errance.

Dans les années soixante le marché était très important. Les halles et la place tout entière étaient occupées par les marchands.

J’aimais déambuler entre les étals ; entendre les cris des marchands, les « À la fraîche ! à la fraîche » de la poissonnière, les « Ils sont beaux mes légumes ! ils sont beaux mes légumes ! » ; me laver les mains à la fontaine, au centre de l’édifice, avec son bassin ovale ornée d’une mosaïque orange.

Sous les halles l’alimentaire : crémeries, boucheries, poissonneries, les vendeurs de légumes etc. Je faisais une halte à la  marchande de miel car il y avait toujours quelques bonbons ronds offerts à la clientèle dans une petite coupelle sur son étal. Maman y achetait très souvent des nonettes, petits gâteaux ronds à base de pain d’épice.

Sur la place, côté rue, les vêtements, les chaussures Saïz qui possédaient un magasin dans Penhoët. Sa technique de vente était particulière et les prix sans concurrence. Les chaussures étaient mises en vrac sur une bâche, à charge au client de retrouver une paire de la même pointure.

Les camelots, ah ! les camelots, j’en ai passé du temps à les écouter, petit théâtre du pauvre,  avec leur verve si particulière, tutoyant le public, s’adressant aux femmes par des « mes chéries », « mes colombes», cela me plaisait beaucoup. Les ustensiles qu’ils présentaient me paraissaient si faciles à utiliser, si utiles et je n’étais pas étonné de voir toutes ces mains, tenant un billet, se tendre si facilement.

Bien souvent j’en oubliais l’heure. Maman s’inquiétait de me voir toujours arriver toujours fort tard et elle en avait fait part au directeur de l’école M. Pény. Celui-ci ayant fait sa petite enquête, peut-être simplement m’avait-il vu déambuler entre les étals, avait vite découvert ma petite manie. Un midi en rentrant dans la classe il m’accueillit avec un avec « Tiens voilà le camelot ! » et me pria de rentrer chez moi plus tôt.

Note : Toutes les informations sont vérifiées et référencées par des notes mais elles ont été supprimées pour la publication sur le Web .

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Centre d’Apprentissage (1965-1968) – Les cours d’enseignement général

Centre d’Apprentissage des Chantiers de L’Atlantique (1965-1968)

Les cours d’enseignement général

ApprentissageDetailSalles

Photo D – Bâtiment (2) atelier de chaudronnerie.
Bâtiment (3) à l’étage, atelier de préapprentissage.
Bâtiment (5) (a) salle de sport, (b) salle de dessin. Bâtiment (6) toilettes.
Bâtiment (7) au rez-de-chaussée : (a) réfectoire ; à l’étage : (a) : bureau de M. Leroy, (b) secrétariat Mme Aoustin, (c) (d) (f) salles de classe, (e) bibliothèque.
Bâtiment (8) au rez-de-chaussée : (a) atelier d’ajustage et de tournage ; à l’étage : (a) salle de classe, (b) atelier de traçage coques 1er année, (c) 2e année, (d) 3e année.
Bâtiment (9) (a) salle des maquettes, (b) vestiaires, (c) douches.
(11) terrain de sport. Bâtiment (12) atelier de mécanique.

Nous suivions l’horaire des Chantiers soit 45 h sur 6 jours. Nous commencions à 8h00 jusqu’à 12h00 nous reprenions à 13h00 jusqu’à 18h00.
Il me semble qu’en deuxième ou peut-être en troisième année nous nous mîmes à travailler un samedi sur deux.

Plusieurs fois par semaine, nous avions une heure de gymnastique en salle (D-5-a). Tout d’abord avec des mouvements d’assouplissement, des mouvements d’ensemble, des abdominaux, des montées à la corde puis nous allions courir deux fois par semaine sur le terrain de sport (D-11) quel que soit le temps. Là aussi, au beau temps, nous pratiquions le lancer du poids, le cent mètres, le mille mètres, le trois mille mètres, le saut en hauteur, le saut en longueur, le volley-ball comme sport d’équipe.
La tenue nous était fournie, short, tricot bleu marine et tennis et gare si les chaussures n’étaient pas soigneusement nettoyées et blanchies.
Nous avions deux professeurs M. Cheneau dit « Trompe la mort », et M. Audrain ce dernier était électricien mais venait plusieurs fois par semaine comme moniteur.

Les cours de français, mathématiques, législation avaient lieu dans les salles de classe au premier étage (D-7- cdf) non loin du bureau de M. Leroy et de sa secrétaire Mme Aoustin. La technologie dans la salle (D-8-a), le dessin et géométrie descriptive en (D-5-b).

En première année, en français nous avions M. Reineteau, « le père Reineteau » à l’époque il nous paraissait très vieux avec sa blouse grise et si le cours se situait en début d’après-midi, juste après le déjeuner, il s’assoupissait après nous avoir donné quelques travaux personnels à réaliser.

Les deux autres années, il me semble que c’était M. Marcel Baudry dit « Cécelle » qui nous faisait le français, la législation et la sécurité.
C’était un poète et d’un caractère très émotif, il lui arrivait parfois d’avoir les larmes aux yeux lorsque, pour illustrer son cours, il évoquait une anecdote, une situation particulièrement triste, mais je n’ai pas souvenir d’un quelconque chahut dans sa classe.
Il a édité plusieurs livres et recueils de poèmes : 1972 : Jeux floraux » ; en 1985 : Florilège du Pouliguen avec un lettre-préface de Fernand Guériff ; en 1995 : À la découverte de mon Pays, Le Pouliguen.
Il était très actif au cercle du Pouliguen et aujourd’hui une salle culturelle porte son nom.
C’est une chance pour des jeunes du monde ouvrier d’avoir eu un tel professeur. Il est certainement pour quelque chose pour mon goût pour l’écriture. Sa diction très pédagogique résonne encore dans ma mémoire. Il avait un vocabulaire très riche et j’avais pris l’habitude d’avoir en cours mon carnet « briéron »* où je notais des mots, des expressions.

M. Audère enseignait les mathématiques. Pour illustrer son cours, il nous racontait des anecdotes mais, grand bavard, il s’embarquait très rapidement sur d’autres sujets quelquefois bien loin de l’idée initiale.

La technologie générale était enseignée par Joseph Le Marec dit « P’tit Jo ». C’était un homme de caractère et craint par les élèves.

Dessin et géométrie descriptive : MM. Laurence et Niaullin. Innovateur, M. Laurence utilisait des transparents pour illustrer son cours de géométrie descriptive. Il les passait dans la salle des maquettes (D-9-a) où il y avait un gros rétroprojecteur.
Dans cette salle, il y avait des appareils de métrologie et des maquettes réalisées par des apprentis, entre-autres une coupe d’un moteur Burmenster exposé maintenant à l’Écomusée de Saint-Nazaire.
Avant la seconde guerre mondiale, les Chantiers de Penhoët présentaient des apprentis au concours du Syndicat des Industries mécaniques de France et ils obtenaient de nombreuses médailles. Leurs œuvres étaient exposées dans la grande salle de spectacle des Chantiers lors des remises de prix. Étaient-elles exposées dans la salle des maquettes dans les années soixante ? je ne saurais vous le dire.
Dans cette même salle, de temps en temps, on nous passait des films après lesquels nous devions répondre à un questionnaire.

Vous l’avez remarqué tous nos professeurs ou moniteurs avaient un surnom et ce n’était pas par manque de respect. Cela faisait partie d’une longue tradition dans les chantiers navals directement issue des us et coutumes de Brière qui voulaient que chaque briéron portât un surnom pour les distinguer des autres Moyon, Halgand, Mahé, Vince et Aoustin. Celui de papa aux Fonderies de Saint-Nazaire était « Trottinette », ses déplacements étant toujours rapides et pressés.

Nous leur disions, monsieur, et nous les vouvoyions mais certains professeurs ou moniteurs utilisaient le surnom en parlant d’un autre professeur ou moniteur. Il y eut alors des situations cocasses : un jeune de première année s’était vu envoyé par son moniteur vers M. Le Marec : « Va voir P’tit Jo, il va te donner cela » et celui-ci en l’abordant lui dit « M. P’tit Jo, Monsieur untel m’a demandé… » Colère, probablement feinte de M. Le Marec et très gros embarras de l’apprenti…

* Petit carnet que les briérons, traceurs de coque, possédaient pour inscrire des formules, des épures, des méthodes de travail.
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Diego Suarez, du 15 au 23 janvier 1973

DiegoSuarez

Diego Suarez, le 15 janvier 1973

Ma lettre aujourd’hui ne sera pas très longue. J’ai un moral des plus déplorable. J’en ai marre de ce bateau. Je suis resté à bord à ne rien faire. J’ai dormi ou arpenté le pont toute la journée. Il me reste 109 jours à faire et chaque heure me parait interminable. J’ai reçu ton courrier, ça m’a mis du baume au cœur. Je n’ai pas reçu les pellicules. Les colis sont très longs à venir. J’ai le cafard aussi l’inspiration me manque totalement.

Diego Suarez, le 18 janvier 1973

Nous sommes à Diego depuis onze jours. Le pays ne me plaît pas. Diego est une ville je dirais un trou perdu. Il n’y a absolument rien. Pas d’excursion, sinon Joffreville qui est un camp de repos militaire. Il me tarde de reprendre la mer. Voici la liste des prochaines escales :

Perth (Australie) ; Melbourne (Australie) ; Hobart (New Zélande), incertain ; Nouméa (Nouvelle Calédonie) ; Tahiti et la quille.

Entre temps nous irons à la Réunion, à l’île Maurice, à l’île Saint-Paul pour aller à Perth mais ce n’est qu’un bruit de coursive.

Ce soir dans le poste, il fait 30 à 35° C, il fait bon car je me suis habitué à la chaleur.

Je suis allé en ville cet après-midi, faire un tour, et surtout, pour aller chercher mes enregistrements qu’un père missionnaire a faits pour moi.

Pour vivre à Diego il faut beaucoup d’argent, je ne sors presque plus le soir. Je passe mes journées à Ramena (prononce Ramène) à 20 kilomètres de Diego dans la baie. Nous y allons en vedette. La traversée de la baie est magnifique, l’eau est claire et on aperçoit le fond.

J’ai reçu les pellicules et je vais remercier tes parents dans une lettre.

Diego Suarez, le 19 janvier 1973

Il me reste 107 jours avant la quille. Samedi 27 avec les appelés de mon contingent je vais fêter le père cent. Le lendemain je dois faire un cross de 5 kilomètres avec la légion.

Ce soir je suis allé faire un tour en ville du côté de l’hôpital. C’est un quartier assez pauvre comme Diego d’ailleurs.

Roland est parti à Majunga pour huit jours, je vais donc rarement à la mission. Je commence à avoir des amis malgaches et c’est bien agréable. Je peux discuter avec des gars et des filles « ordinaires » car ce qui caractérise Diego c’est la prostitution avec ses ramatoas (prononce romato), les prostituées.

Maintenant nous sommes en alerte cyclone car il y a une dépression dans la région de Majunga. Nous quittons Diego s’il s’approche de moins de 400 kilomètres d’où nous sommes.

À bord tout est calme, les gars discutent dans l’avant-poste. Une musique est présente dans le poste en l’occurrence « Jacques Brel ».

Diego Suarez, le 22 janvier 1973

Je viens de recevoir une lettre de ma belle-sœur me disant que maman est très malade et qu’elle ne s’alimente plus. J’ai beaucoup de chagrin et je compte sur toi pour me remplacer auprès d’elle.

Je n’ai reçu aucune nouvelle de toi depuis plusieurs jours. Il y a en France en ce moment des grèves de courrier, nous avons été prévenus par dépêche, et la majeure partie est restée bloquée sur un cargo à Toulon.

Je ne t’ai pas écrit depuis plusieurs jours car  j’ai attrapé une sale maladie avec l’eau. J’ai la diarrhée et hier soir je ne pouvais tenir debout. Aujourd’hui cela va beaucoup mieux car j’ai pris des sulfamides. J’ai attrapé, en plus, des champignons sur le ventre et à l’aine à force de rester dans l’eau. Les pays chauds c’est bien mais les inconvénients sont nombreux.

Donne-moi le plutôt possible des nouvelles de maman car je suis très très inquiet.

Diego Suarez, le 23 janvier 1973

Il est très tard lorsque je commence cette lettre, auparavant j’ai écrit à mes parents. Je leur ai envoyé un télégramme pour obtenir des nouvelles de maman car aucune lettre de toi n’est arrivée depuis une dizaine de jours.

J’en ai marre, j’ai hâte d’être à la fin et je sais qu’il me reste encore 104 jours.

En ce moment tout le monde dort à bord, il est peut-être minuit, il fait bon (25 à 26°C) grâce à l’air conditionnée.

C’est la saison des pluies, aussi aujourd’hui nous avons été servis. Il est bien tombé 30 millimètres d’eau dans la journée peut-être dus au cyclone qui est en route sur la côte Est et qui se dirige vers Diego. Encore du turf en perspective ! S’il s’approche de moins de 400 kilomètres nous quitterons la baie au plus vite. Il est annoncé depuis plusieurs jours déjà.

Que deviens-tu ? j’ai tellement hâte de recevoir de tes nouvelles ! Le boulot ça marche ? Pas trop de tracas question santé ? Comment vont mes beaux-parents ? Fait-il froid en ce moment ? Y-a-t-il de la neige ? Autant de questions que je pose ici, car j’ai beaucoup de temps libre, alors le cerveau tourne et retourne toutes ces questions sans réponse.

Officiellement je devrais quitter la marine à Tahiti, c’est notre nouveau commandant qui nous l’a dit ce matin. Il s’appelle Divies. Il boite un peu, aussi ai-je pensé : avec une pipe entre les dents il ressemblerait aux capitaines de notre enfance.

Diego Suarez, le 24 janvier 1973

Le branle-bas du soir vient d’être annoncé, les permissionnaires sont sur la plage arrière. C’est le moment où il y a beaucoup de mouvements dans les postes. À côté de moi un appelé, Lebras, répare une montre, il est horloger dans le civil. Dans quelques instants je vais me coucher.

J’ai reçu un télégramme de papa à 13h00 cet après-midi. Cela m’a donné beaucoup de courage. J’avais peur que pendant les neuf ou dix jours précédant la lettre de ma belle-sœur il y avait eu quelque chose de grave. J’ai reçu aussi une lettre de toi ce soir. Le moral s’est remis au beau fixe. Je remercie tes parents pour la gentille lettre qu’ils m’ont envoyée. Je ne les oublie pas, je les aime beaucoup. Il me tarde d’être de retour en France pour embêter ma future belle-mère.

Il y a maintenant quatre gars autour de la table du poste. Ils parlent des filles emballées à Diego* et aussi de montre avec un dateur et un semainier. J’ai arrêté d’écrire pour les écouter. Il y a parmi eux un gars vraiment marrant et cela fait du bien.

* Une préoccupation majeure c’était de savoir si les filles étaient malades ou pas pour cela un tableau avec leur photo avait été installé dans le poste. La plupart portait la mention « plombée ».

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Centre d’apprentissage des Chantiers – Le préapprentissage

Le préapprentissage

Apprentissage

Photo C – Le centre d’apprentissage – (1) Entrée, (2) atelier de chaudronnerie,

(3) A l’étage : atelier de préapprentissage, (4) garage à vélos,

(5) salle de dessin, (6) toilettes,

(7) au rez-de-chaussée : réfectoire, à l’étage : administration et salles de classe,

(8) au rez-de-chaussée : atelier d’ajustage et de tournage, à l’étage : atelier de traçage coques, (9) salle des maquettes, vestiaires, douches, (10) marronnier,

(11) terrain de sport, (12) atelier de mécanique.

Les trois premier mois étaient consacrés au préapprentissage. On nous donnait les bases communes à tous les métiers.

L’atelier (C-3) était situé au premier étage de l’atelier de mécanique (C-12). Nous y accédions par un escalier métallique le long de l’atelier de chaudronnerie (C-2).

De chaque côte de l’allée centrale, des rangées d’établis, chacun muni, sur le dessus, d’un petit bac d’huile pour l’entretien de nos outils ; d’un gros étau à pied et d’un grand tiroir pour ramasser nos outils ; dans le fond, le bureau des moniteurs et les fraiseuses ; sur la droite, côté Loire, des tours, il me semble actionnés par un système de courroies ; à droite de l’entrée, la perceuse à colonne.

La période de préapprentissage terminée les ajusteurs de première année investissaient le lieu.

Nous avions des moniteurs et aides moniteurs pour s’occuper de nous. Ces derniers étaient de jeunes ouvriers sortis depuis quelques années et qui avaient été remarqués pour leur sérieux et leurs compétences.

Apprendre à frapper est certainement l’un des apprentissages qui nous a marqué le plus. Lorsque j’interroge mes camarades, c’est la première chose qui leur vient à l’esprit.  Nous placions une tige soudée sur une plaque dans le gros étau à pied et nous frappions sur son extrémité au marteau. Le premier exercice se faisait yeux grands ouverts puis dans un second temps, au signal, nous regardions en l’air enfin lorsque nous avions atteint une certaine dextérité nous le faisions les yeux bandés. Par les coups répétés la tige finissait par faire un champignon.

Nous avons appris à tracer, au compas et au réglet, différentes figures géométriques sur des plaques de tôles, préalablement recouvertes de sanguine et séchées à l’air.

Il me semble que l’un des premiers exercices que nous faisions à la lime c’est la réalisation de tourillons. Après avoir tracé le diamètre désiré sur le bout d’un fer carré pris verticalement dans l’étau et éliminions le surplus de matière, la lime perpendiculaire au fer plat, une main aux extrémités en faisant des mouvements circulaires pour venir tangenter le tracé.

J’ai quelques souvenirs de moments difficiles lorsqu’il fallait dresser à la lime des surfaces que nous passions au bleu sur un marbre pour localiser les zones à travailler. Puis les choses se sont compliquées, deux faces dressées perpendiculaires entre-elles  pour terminer par la réalisation de cubes dont chaque face devait être parfaitement dressée et toutes perpendiculaires les unes aux autres.

C’est alors qu’un problème est apparu. Je souffre d’un excès de sudation sur la paume des mains et pour mon malheur avec une sueur très acide. Conséquence : mes pièces d’acier étaient couvertes d’une très fine couche de rouille, au bout de quelques jours, si je passais la paume dessus et l’empreinte de mes doigts apparaissait là où je les tenais. Il semblait difficile à mes moniteurs que je fisse le métier d’ajusteur.

Autres outils dont nous apprenions le maniement : le burin avec lequel nous cassions l’arête d’un fer plat, tracée à la sanguine, le plus droit possible ; le bédane en réalisant des mortaises régulières sur un morceau d’acier, exercice qui demande de la dextérité car une plongée dans le métal est vite arrivée ; la scie à métaux, ah ! Dieu que c’était difficile dans les premiers temps de suivre parfaitement le trait… avec une surface bien plane et perpendiculaire à la face d’attaque, le mouvement de la scie et du bras devait être constamment dans le plan de coupe.

J’ai souvenir de l’odeur caractéristique de  l’huile de coupe utilisée lors de nos exercices de perçage à la perceuse sensitive d’abord puis à colonne.

Ensuite ont suivi les exercices de filetage, de taraudage et les premiers rudiments d’affutage des outils.

A la fin de la semaine nous nettoyions et huilions proprement nos outils.

Les exercices au  préapprentissage étaient très complets et ils avaient deux fonctions : apprendre les gestes élémentaires nécessaires pour la pratique d’un métier et évaluer nos capacités manuelles pour nous orienter efficacement. Nous pouvions choisir entre : chaudronnier, tourneur, fraiseur, ajusteur ou traceur de coque. C’est vers ce dernier que j’avais mon choix et il fut exaucé.

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L’ex-voto

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

L’ex-voto

Il fait très chaud ce jour-là dans ce charmant petit village au cœur du Morbihan. Dans la rue principale, on eut dit que chaque balconnière, chaque mur, chaque fontaine, chaque petit coin de trottoir  avaient été réquisitionnés pour être fleuri. L’ensemble est magnifique et de nombreux touristes déambulent dans la grand-rue. Au centre du village, une charmante petite place avec en son milieu une jolie fontaine sculptée d’où jaillit sur quatre côtés une eau bien fraîche. Les touristes se rafraîchissent, les uns en mouillant de leurs doigts leur visage, leur nuque, leurs bras, d’autres n’hésitant pas à tremper la tête.

IL s’est réfugié dans l’église, dans une petite chapelle. Là, au moins, il fait frais. Sur une bonne chaise appuyée au mur, son regard parcourt l’habile architecture, les arcades en plein-cintre reposant sur de grosses colonnes à chapiteaux sculptés, les grandes arcades en tiers-point. Il se sent bien dans ce lieu, pour un peu, il aurait fermé les yeux pour se laisser aller à une sieste bienfaitrice.

Quelques éclats de voix lui font tourner la tête. Ils émanent de la grande porte où une sœur invite le flot de touristes à un peu de tenue dans l’église. IL sourit : un homme d’un âge certain, bedonnant, un bob blanc sur la tête crie haut et fort que son chien a lui aussi le droit d’entrer : » Il est lui aussi une créature de ton p… de Dieu. » gueule-t-il haut et fort.

« Un vieil anar soixante-huitard ! il est interdit d’interdire » pense IL. La sœur le sort sans ménagement.

Dans le collatéral, le bas-côté, deux jeunes femmes, ventre à l’air et short ultra-court moulant des fesses somme toute bien faites, déambulent.

« Ces deux-là  ont échappé au cerbère se dit-il. Le monde a changé, ces églises ne représentent plus rien pour la plupart de ces gens. Elles ne sont que des lieux de visite, des endroits morts, des cabinets des antiques. On n’y vient lors des enterrements. Parfois seul le prêtre, quand il y en a un, chante devant une assemblée fermée, muette peu habituée aux cérémonies. »

Il se souvient de son ami Karl un vieil anar qui avait bouffé du curé toute sa vie et que sa famille, des notables… du quartier, avait voulu absolument faire passer à l’église. Comme cela avait été pitoyable, dérisoire… Ce jour-là, Il s’était senti très mal et s’était promis que, dorénavant, en cette même situation, il n’irait qu’au cimetière.

« Ah ! il y a aussi les mariages où l’on se pavane dans la grande nef, comparant  les toilettes et lors de la cérémonie on entend des chuchotements de quelques « fidèles » s’inquiétant : où est le vin d’honneur ? Des mariés se promettant fidélité…quelle farce…quelle stupidité en ces temps où deux couples sur trois divorcent… »

Il en est là dans ses pensées, quand une jeune femme s’installe devant lui sur le banc du premier rang. Elle s’agenouille et se met en prière, le visage caché dans ses mains posées sur le pupitre du banc.

Elle était plutôt jolie,  moderne, cheveux courts, corsage blanc et jean. Un temps il parcourt du regard ses fesses arrondies, sa taille bien faite, ses épaules légèrement dénudées, montrant un cou aux lignes pures. Un beau brin de fille, pense-t-il ; demande-t-elle quelque chose ? un amoureux peut-être ?

Elle se lève, va déposer sur l’autel un objet, redescend, se signe et s’en va, tête baissée, d’un pas rapide. Il la suit du regard, la voit faire une génuflexion devant le maître-autel et disparaître dans la lumière vive de la grande porte.

« Que pouvait-elle donc avoir apporté ainsi comme ex-voto ? »  Il se met debout pour mieux voir. C’est un album photo vert orné de liserés dorés. Il se rassoit. Pourquoi l’a-t-elle apporté ? Sa curiosité est piquée au vif. Peut-il décemment aller le chercher et le parcourir ? La tentation est trop grande et dans un seul mouvement il va le chercher et se rassoit.

C’est sans compter sur l’œil vigilant du cerbère :

« Je vous ai vu, je vous prie de remettre à sa place ce que vous avez pris sur l’autel dit-elle vivement en chuchotant.

–  Ne vous inquiétez pas ma sœur, dit-il dans le même chuchotement, je vais le remettre à sa place mais ma curiosité est grande. Je veux savoir ce qu’on peut offrir ainsi avec dévotion. Je vous en prie, asseyez-vous près de moi et regardons ensemble…

–  Je ne peux vous laisser faire cela…je trouve cela vraiment déplacé de votre part… »

Est-ce le ton aimable ? sa bonne mise ? son sourire ?  elle s’assoit sur le bout de la chaise peut-être avec le secret désir de reprendre l’album rapidement.

L’album posé sur ses genoux, IL l’ouvre, il contient une dizaine de pages. Les photos montrent un couple heureux  avec un enfant. Elles sont toutes légendées d’une belle écriture bien ronde, féminine.

Les premières montrent le jeune couple à la maternité ; la jeune femme est  alitée, un nouveau-né dans les bras : « Mon petit Pierre est enfin là ! » « Pierre dans les bras de papa Jean-Marie… vous êtes si beaux tous les deux ».  Puis le bébé a grandi, il est dans un parc : « Mon petit prince fait ses premiers pas… ». Les suivantes : l’enfant au bain : « Avec Sophie la girafe, ta nouvelle amie » ; endormi sur son papa dans le canapé : « La première leçon de Jean-Marie à son fils : faire la sieste après déjeuner » ; le baptême sur les fonts baptismaux : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai… ton avenir ».

Toutes les photos montrent le couple dans des moments heureux. À la dernière, ils restent tous les deux figés, atterrés : « Merde…, dit IL. »

Elle représente une tombe toute simple où figurent deux noms en lettres dorées : Pierre M. 13 -05-2009  16-07-2011  Jean-Marie M. 16-02-1986 16-07-2011 légendée « Pourquoi me laissez-vous toute seule ?»

Dans le pli de la couverture il y a, soigneusement plié, un article de journal. IL le déplie et lit : « Terrible accident de la route. Les deux passagers, le père et son fils sont tués sur le coup. » Il remet l’article à sa place.

Sans un mot, IL tend l’album à la sœur.  Elle ne le prend pas. Les mains jointes, tête baissée, les yeux fermés, elle est en prière.

Il se lève, dépose l’album sur l’autel et se rassoit auprès de la sœur.  Il est un peu secoué, la tristesse l’a envahi.

La sœur a relevé la tête, elle a fini ses prières. Pendant un temps, tous les deux, ils restèrent silencieux, les yeux fixés sur l’album.

« Pardonnez-moi, j’ai été odieux, dit-il en chuchotant.

–       Ce n’est rien, si cela peut répondre à votre interrogation, vous aidez à comprendre ce que l’on peut offrir à Dieu.

–       Merci ma sœur d’avoir prié pour elle, elle en a bien besoin. Comment peut-on se reconstruire après cela ? Pourquoi diab…pourquoi a-t-elle déposé cet album ? Moi je serais très en colère ; j’en voudrais à la terre entière ;  je “lui” en voudrais terriblement.»

–       Peut-être l’a-t-elle déposé simplement pour le remercier des moments heureux passés avec eux. »

Des cris d’enfants retentirent ; ils montent et descendent les quelques marches de l’autel, les parents, indifférents à leurs cris, les regardent faire.

Boussay, février 2014.

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Diego Suarez – 08 au 10 février 1973

carteMadagascar

Diego Suarez, le 08 février 1973

Aujourd’hui, j’ai reçu ton courrier ; tu remercieras bien tes parents pour les pellicules,  ici elles sont très très chères de l’ordre de 3000 F français.

J’ai passé la soirée avec Roland Lamet, nous avons conversé très longuement sur tous les sujets.

Madagascar est un drôle de pays, sa superficie est grande comme deux fois la France.

Il y a très peu de routes goudronnées. Les pistes en cette saison sont impraticables dans tout le pays et Roland me disait qu’il mettait quatre jours pour faire cent quatre-vingts kilomètres.

Son climat est très divers. Au sud, c’est la région pauvre, ils ont de très grands problèmes d’eau. À l’est, c’est le contraire, il y en a beaucoup donc la nature est très florissante, les ananas poussent dans la brousse. Diego Suarez et sa région, au nord, est favorisée au point de vue climat par rapport à Majunga, une ville sur la côte ouest, où il fait très chaud.

Au centre de l’île, c’est la région des Hauts-Plateaux où il y a beaucoup de richesses. Les autochtones, d’après mon ami, sont les plus travailleurs de Madagascar.

L’économie du pays est basée essentiellement sur l’agriculture. On y élève des zébus aux cornes immenses. On y cultive : du riz (Madagascar est le premier producteur de riz à part la Corée et la chine en Extrême-Orient.), du manioc, des patates douces et surtout la vanille sur la côte Est, près de Tamatave. L’île est d’ailleurs une des principales exportatrices de vanille dans le monde avec comme principal client les U.S.A.

J’ai mangé aujourd’hui plusieurs fruits exotiques : des litchis, des mangues (meilleures qu’à Matadi car elles ne sont pas fibreuses). Les litchis sont des fruits qui ont été importés de Chine par les missionnaires. Son nom d’ailleurs est d’origine chinoise. Du temps de la colonisation, les missionnaires offraient aux jeunes mariés un plan de litchi et de ce fait l’arbre s’est répandu dans toute l’île.

La culture malgache est essentiellement orale. L’éducation des enfants se fait dans la brousse sous forme de contes avec un contenu toujours très moral.

Leur religion a des bases très pures ; ils font souvent intervenir Dieu. Elle peut être comparée à celle pratiquée dans l’ancien testament où l’on parle à Dieu comme dans une conversation entre ami, du genre :

« Tu vois mon Dieu, mon petit fils va aller travailler à Diego, c’est une grande ville et je te demande de veiller sur lui… »

Ils invoquent les morts de leur famille de la même façon car ici ils sont sacrés. Leur culte est très vivace. Une coutume ayant pour nom « le retournement des morts »  va te surprendre un peu. Au bout d’un certain nombre d’années, la famille exhume le mort, récupère les restes et les met dans le tombeau familial. Roland me disait que la seule chose qui vraiment importe à un malgache est d’être inhumé dans le tombeau familial.

Je continuerai demain car mes yeux se ferment et il se fait tard…

Diego Suarez, le 10 février 1973

Je suis habillé en civil depuis que je suis à Diego. Ce qui m’entrouvre un peu la porte de la liberté.

Je reviens du foyer qui se trouve en ville. Sur une terrasse donnant sur la baie, j’ai mangé, pour pas cher du tout, un steak frites et du fromage.

La nuit la température est de 30°C en ce moment. Il fait bon. Je me suis habitué petit à petit à la chaleur. Lorsque je vais revenir en France 20°C me paraîtront une température frigorifique.

Un père m’a enregistré de la musique malgache*, je t’enverrai la bande dans les prochains jours.

Je te parlerai plus en détail dans mes prochaines lettres de la vie à Madagascar qui n’est pas comme je le pensais une île de rêve. Des évènements inquiètent le gouvernement malgache et notre présence ne leur est pas totalement étrangère. Ils craignent des troubles dans Diego comme ceux qui se sont produits à Tamatave dernièrement. Mais ne t’inquiète pas. En ce moment tout est parfaitement calme et les marins n’y pensent guère.

* Un chant de cérémonie de la circoncision enregistré en forêt. Un ensemble de claquements de main vraiment très mélodieux.

Diego Suarez, le 10 février 1973

Tu m’excuseras, tu vas recevoir un gros paquet de lettres car ici c’est la pénurie de timbres et je préfère envoyer mon courrier par la valise diplomatique.

Comme je te l’ai dis la vie est très chère ici et il n’est pas question pour moi de travailler à bord car les gars ont engagé des boys pour laver et repasser alors pour moi cela me pose quelques problèmes*.

Hier soir, je suis allé avec Roland rencontrer deux jocistes malgaches. Nous avons discuté sur les multiples problèmes de la condition ouvrière malgache. Dans l’ensemble l’ouvrier malgache rencontre les mêmes problèmes que les français mais pas du tout à la même échelle ; ils me semblent cent fois plus importants.

Les familles vivent assez chichement. Le riz est la nourriture de base. Le malgache mange en moyenne un kilo** de riz cuit par jour. Il l’accompagne quand leurs moyens leur permettent d’un peu de viande. Jean-Chrysostome et Martin (c’est leur nom) ont ici toute une structure à bâtir pour donner à la masse ouvrière un pouvoir représentatif. Le mouvement TAK,  la Jeunesses Ouvrière Chrétienne malgache, n’est pas tellement important. C’est, pour l’instant, quelques noyaux dispersés dans l’ensemble de l’île mais ils font tout de même du bon boulot.

Nous avons mangé au restaurant (c’est Roland qui a payé), chose que nos deux amis ne peuvent pas se permettre avec leur maigre salaire. Ils gagnent en gros 40 000 F français par mois soit 20 000  Fmg***. ; c’est dérisoire pour nous mais la vie est deux fois plus chère qu’en France. Tous les produits importés de l’étranger doublent leur prix. Une voiture d’occasion qui coûte 300 000 F français coûte ici 600 000 F français soit 300 000 Fmg.

J’aime discuter, tu les sais bien. Avec Roland et ses amis malgaches je ne m’en prive pas. À bord on ne peut pas trop aborder ces problèmes****.

J’ai acheté avec ma monnaie restante des coquillages magnifiques pour faire plaisir à ma mère. Des couleurs chatoyantes, des formes extraordinaires un tout petit résumé de la faune sous-marine malgache.

Je pense que le prochain weekend je vais aller en forêt passer la nuit à la manière des anciens navigateurs et des explorateurs*****. Je pense que se sera plein d’enseignement.

* Beaucoup de femmes cherchaient à se louer à la semaine pour un poulet au coco ou une robe pour le mois. Elles s’occupaient alors dans tous les sens du terme de leur invité. En contrepartie leur subsistance était assurée.

** L’unité de mesure des denrées était le kapok qui n’est autre qu’une boîte de lait concentré sucré.

*** Fmg : Le Franc malgache.

**** Les marins ne se posaient pas de questions et sans Roland qui, à dessein, me les a fait découvrir, j’aurais fait de même.

***** Tiens donc ! en voilà une idée. Ça, c’était une idée de mon copain D., sako (chargé de la police du bord). Il en avait beaucoup de ce genre. Un jour il s’était mis en tête de me faire faire un stage de parachutisme, un autre jour de la plongée sous-marine etc.

 

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Le centre d’apprentissage des Chantiers de L’Atlantique (1965 à 1968)

Le centre d’apprentissage

Le centre d’apprentissage (A5) et (C) a été détruit et remplacé par des bâtiments de l’entreprise de mécanique Man. Il était dans la continuité des ateliers de mécanique  de l’époque (B2) et (C12).

Mon entrée en apprentissage

Le vingt-cinq septembre mille neuf cent soixante-cinq, j’avais quatorze ans, je débutais ce qui sera mon quotidien pendant trois ans : descendre la rue Paul-Bert (A1) avec la lourde bicyclette bleue de mon père ; remonter la rue de Trignac (A2) avec ses dizaines de cafés à touche-touche ; me faufiler sur le terre-plein de Penhoët (A3), haut lieu du syndicalisme ouvrier, entre les centaines d’ouvriers pressés qui à pied, à bicyclette, se rendaient à leur travail, non sans avoir fait une halte rapide au café ; longer les formes de radoub (A4) en prenant bien soin que les roues de ma bicyclette coupent franchement les rails de chemin de fer car gare, si l’angle n’est pas suffisant, la roue avant se loge dans la partie creuse du rail et c’est la chute assurée, mais très jeune cette manœuvre m’avait été enseignée par mon père ; puis m’engager sur le boulevard des apprentis (A5) en longeant les ateliers de mécanique ; et, là-bas, tout au bout de l’atelier de mécanique,  passer la grille du centre d’apprentissage (A6) et B1.

CentreApprentissageLocalisaion2

Photo A – (1) rue Paul Bert,  (2) rue de Trignac,  (3) terre plein de Penhoët,  (4) formes de radoub,  (5) bd des apprentis,  (6) centre d’apprentissage.

PhotoAerienneApprentissageAnnotée

Photo B (1960) –  (1) centre d’apprentissage,  (2) atelier de mécanique,  (3) parc à tôles,  (4) forme Joubert,  (5),  quai de la Prise d’Eau,  (6) bassin de Penhoët,  (7) cale de construction n° 3,  (8) le France en construction,  (9) la Loire,

Apprentissage

Photo C – Le centre d’apprentissage – (1) Entrée, (2) atelier de chaudronnerie, (3) A l’étage : atelier de préapprentissage, (4) garage à vélos, (5) salle de dessin, (6) toilettes, (7) au rez-de-chaussée : réfectoire, à l’étage : administration et salles de classe, (8) au rez-de-chaussée : atelier tournage et fraisage, à l’étage : atelier de traçage coques, (9) salle des maquettes, vestiaires, douches ; à l’étage, atelier ajustage 1re, 2e et 3e année ; (10) marronnier, (11) terrain de sport. (12) atelier de mécanique.

Mais cette première fois j’étais un peu intimidé et mon premier réflexe fut de rechercher quelques têtes connues. Des camarades de classe du primaire s’étaient déjà réunis ; je me joignis à eux.

Pour un accueil optimal, l’entrée des apprentis se faisait en deux « bordés »  par lettres alphabétiques à quinze jours d’intervalle. Il se fit dans le réfectoire (C7) et nous fîmes connaissance avec notre directeur M. Leroy et nos professeurs.

M. Leroy – entre nous nous l’appelions « le père Leroy » –  était éminemment respecté. Il avait fait  partie de l’équipage du sous-marin Casabianca – construit à Saint-Nazaire en 1935 et commandé par le capitaine de corvette Jean L’Herminier – qui s’était échappé du blocus de Toulon en septembre 1942 (après l’occupation de la zone Sud) pour rejoindre Casablanca, au Ma­roc. Il fut réarmé et participa à la libération de la Corse en septembre 1943.

On nous présenta l’école, les professeurs, les différents métiers et le règlement.

Le début et la fin du travail étaient signalés par des coups de corne. A chaque entrée et sortie nous devions prendre ou déposer notre marron – une plaquette de zinc sur laquelle était gravé notre matricule – dans une case dédiée du marronnier (C10). Celui-ci était fermé au troisième coup de corne. Le pointeur pouvait ainsi voir d’un simple coup d’œil qui était absent et décompter les heures sur la fiche de paie. Le retardataire devait se rendre chez M. Leroy pour obtenir un billet d’entrée avec un sermon et un quart d’heure décompté sur sa paie, selon le jargon propre aux chantiers : «il avait un quart d’heure en bas ».

La paie était plutôt symbolique, elle augmentait chaque année et les meilleurs élèves avaient une augmentation complémentaire selon leur classement. Les billets étaient agrafés au bulletin de paie et notre moniteur nous distribuait un « petit gris », nom donné au reçu que nous remettions au payeur contre celui-ci.

On nous parla aussi de « contrat d’apprentissage », « sécurité sociale », « retraite », « retraite complémentaire » des mots que j’avais entendus prononcés par mes parents mais qui maintenant allaient pleinement faire partie de mon univers.

On nous attribua un vestiaire (C9) pour déposer nos affaires et nous mettre en bleu. Lors de la visite du centre en petit groupe on nous indiqua où mettre notre vélo (C4). J’avais adossé le mien sur un des parements en tôle du garage. On me fit la remarque qu’il fallait le pendre par la roue avant sur un des crochets dont le garage était muni. Mon vélo était très lourd et avec mes cinquante-deux kilos je ne parvenais pas à lever la roue jusqu’au crochet. Après plusieurs tentatives infructueuses en essayant diverses méthodes, sous les visages rigolards de mes camarades, je réussis la manœuvre en passant mon avant-bras à l’arrière de la selle.

Sur l’étroit chemin entre le bâtiment du réfectoire (C7) et le parc à tôle (C13) nous avions une vue des chantiers avec, en construction sur la cale inclinée (C14), le paquebot « Renaissance » pour la Compagnie Française de Navigation, qui sera lancé en décembre de la même année. Cette image est gravée dans ma mémoire… dire que c’est à cet instant que j’ai commencé à aimer les bateaux… peut-être… tout au moins… je fais mienne cette pensée.

 

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Diego Suarez (Madagascar)

 CarteMondeAnnoteeDiego

Au large de Madagascar, le 06 janvier 1973

Dans quelques heures, nous allons entrer dans le port de Diego Suarez. Il parait que la ville n’est pas formidable. C’est pourtant le haut lieu des marins. Depuis le départ de Toulon, j’en entends parler.

À bord tout est calme, les gars font la sieste. Je me suis attardé avec mon copain Pascal à discuter sur le pouvoir de la masse ouvrière*. Je ne suis pas tellement d’accord avec lui et de ce fait je suis un peu énervé.

Je reprends ma lettre alors que nous sommes à quai car j’étais très fatigué et je suis allé faire la sieste. La chaleur est exténuante et j’ai besoin de dormir l’après-midi. Nous avons sieste de 12h00 à 15h00, aussi la journée passe vite.

La France, j’ai l’impression de l’avoir quittée il y a très longtemps. Nous avons fait beaucoup d’escales et j’ai perdu la notion du temps. Pour moi un dimanche ressemble à un jour de semaine.

J’ai tellement envie d’entendre ta voix**, de toucher ton visage. Je te demande quelque chose d’important : peux-tu m’envoyer une photo de toi dans ton milieu, dans ton univers. Tu trouveras cela drôle mais j’en ai besoin***.

Ce soir je suis allé faire un tour en ville. Il faisait nuit et je ne peux pas te décrire la ville. Ce que j’ai vu : des rues noires, des hommes, des femmes et des enfants assis sur le trottoir. Ils prennent le frais.

J’ai essayé de voir mon ami Roland Lamet****, tu te souviens, le prêtre de Méan, mais il n’était pas là. J’y retourne lundi soir et je pense que je vais dîner avec lui.

Demain je vais à la plage de Ramena passer la journée. Je vais me reposer car je suis crevé.

« * » Nous étions de milieu vraiment très différent. Son père était avocat à Paris. C’est un garçon brillant avec qui j’avais beaucoup de plaisir à discuter. Il m’a donné mes premiers cours de philosophie à la cafétéria ou tel Aristote en marchant le long des quais. C’est maintenant un peintre connu et reconnu.

« ** » J’écris à Marlyse qui deviendra ma femme.

« *** »  Je développe un peu plus mon ressenti dans le prochain paragraphe.

« **** » Roland (†) était le prêtre qui accompagnait le groupe de jocistes dont je faisais partie de 14 à 17 ans.

DiegoSuarez

Diego Suarez, le 07 février 1973

Au fur et à mesure, d’escale en escale il me semble que ma vie civile s’estompe. Lorsque je ferme les yeux, les images me semblent réduites, simplifiées, les détails sont absents. Je ne me souviens plus du timbre de ta voix, ni celle de mes parents, vous êtes si loin de moi.

En contrepartie, des paysages magnifiques se présentent devant moi telle la plage de Ramena où j’ai passé la journée. L’eau est à 30°, des kilomètres de sable fin, des cocotiers, des bungalows où les gens de l’arsenal de Diego viennent passer leur weekend.

Quelle agréable vie, allongé sur le sable en admirant une baie magnifique où parfois des dauphins viennent jouer dans le chenal. Jamais je ne suis resté aussi longtemps dans l’eau, c’était un plaisir. Le soleil tapait fort et je pense que j’ai pris un sérieux coup de soleil.

Il y a tout de même du danger notamment le poisson-fleur* et le poisson-pierre, tous deux sont mortels.

Une jeune fille, la semaine dernière, a été piquée par un poisson pierre. Elle a été sauvée in extremis. Les requins sont aussi de la fête mais ils sont loin du rivage, dans le chenal.

Ce soir je suis allé danser dans une boite** avec quelques amis. C’était bien agréable après ces longs jours de mer. J’ai assisté à une démonstration de tamouré par une très jeune tahitienne, très jolie d’ailleurs. Quelle danse magnifique. Ses mouvements de hanches et de bras sont d’une perfection.

Tu vois ici je suis dans un pays de rêve bien que la vie soit très chère. Un mois de rêve, cela va être bon avant d’attaquer de très longs jours de mer. Avant la prochaine escale nous en aurons pour vingt et un jours de navigation.

*  Je pense qu’il s’agit du poisson-épineux. Il possède un poison neurotoxique foudroyant,  injecté par les treize épines dorsales, et provoque des souffrances atroces.

Le poisson-pierre est lui aussi doté de courtes épines dorsales reliées à des glandes à venin. Les accidents surviennent, dans le lagon, lorsque les baigneurs marchent dessus.

**  La Taverne

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L’apprentissage aux Chantiers de l’Atlantique – L’examen d’entrée

L’apprentissage aux Chantiers de l’Atlantique

L’examen d’entrée

Ma destinée était scellée* je ferai un apprentissage. Le désir secret de maman était que je devienne coiffeur. Étaient-ce les préjugés autour des garçons de cette profession ? J’avais refusé cette éventualité. Un temps l’école des mousses m’avait tenté mais le milieu des jeunes ouvriers avait quelques tendances antimilitaristes et puis Toulon me semblait le bout du monde : j’abandonnais cette possibilité.

Dans ma classe plusieurs s’étaient orientés vers l’école d’apprentissage maritime d’Étel, un autre souhaitait être typographe, un autre mécanicien automobile mais la plupart allaient être orientés d’office dans les deux grosses entreprises de la région.

Mr Pény, le directeur de l’école Saint-Joseph de Méan**, nous avait très bien préparés. L’année des examens (certificat d’études, examens d’entrée au collège technique, à Sud-Aviation, aux Chantiers de l’Atlantique.) nous commencions à sept heures jusqu’à huit heures pour des cours hors programmes puis de huit heures trente jusqu’à onze heures trente nous avions la classe ordinaire. Nous reprenions à treize heures trente jusqu’à seize heures trente. De dix-sept heures à dix-huit heures étude et de dix-huit heures à dix-neuf heures cours du soir. Cela du lundi au vendredi excepté le mercredi où nous avions dessin industriel le matin et le samedi où les horaires de classe étaient normaux

Dans les écoles d’apprentissage nous allions être confrontés à des garçons de seize ans qui, pour la plupart, changeaient d’orientation. Il nous fallait être bien armé et ces cours supplémentaires nous permettaient de combler quelque peu le fossé dans les matières comme le dessin industriel et les mathématiques.

Nous étions six cents à passer l’examen d’entrée. Il consistait en un ensemble de tests pour évaluer nos différentes aptitudes. Nous l’avions passé dans un grand hall et j’ai souvenir de quelques-uns de ces tests : nous devions par exemple relier par des droites des points numérotés sur une feuille. Ils étaient énoncés par un haut-parleur et cela de plus en plus vite, à un moment la vitesse était telle que nous devions abandonner.

Il y avait aussi le système bien connu des engrenages, courroies et poulies. On nous donnait le sens de rotation de la première roue et nous devions déterminer le sens de la dernière. Ceux qui ne connaissaient pas l’astuce s’évertuaient à déterminer le sens de chaque roue. Les autres comptaient les engrenages : un nombre impair la dernière tourne dans le même sens que la première ce qui facilitait considérablement la solution du problème.

On vérifiait aussi notre mémoire visuelle : on nous présentait pendant un court instant un carroyage, comme un damier, dont certaines cases étaient grisées. Nous devions le reproduire sur une feuille pré-imprimée.

L’équité entre les candidats n’était pas parfaite. Un « petit coup de pouce » d’un chef d’atelier ou d’un contremaître pouvait faciliter une admission. Si vous aviez une personne de votre famille qui travaillait dans l’entreprise vous aviez des points supplémentaires, c’était mon cas.

J’avais été reçu à l’ensemble des examens. Pourquoi mon choix s’est-il porté sur les Chantiers ? certainement parce que naturellement je suivais le chemin tracé par mon frère Marcel qui était entré quatre années plus tôt et en était sorti l’année précédente. Il avait appris le métier de traceur de coque de navire et raflé, durant les trois années, de nombreux prix tant il était brillant. Pas facile d’arriver derrière lui mais je savais ce qui m’attendait et puis on disait à l’époque : « Rentre aux Chantiers, p’tit gars tu auras toujours du boulot ! » ; pour moi ce fut vrai…

Je passais les entretiens, les derniers tests psychotechniques et bientôt au grand soulagement de mes parents je recevais par lettre la confirmation que je faisais partie de la centaine d’élus.

« * » Voir l’article L’orienteur (1962)

« ** » Voir l’article Le carnet de notes (1958)

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Matadi, décembre 1972.

CarteMondeAnnotéeMatadi

 

CarteBananaMatadi

 

Matadi, le 12 décembre 1972.

Nous avons remonté le Zaïre sur cent vingt kilomètres ; nous sommes à Matadi au Zaïre. Les rives sont magnifiques, surprenantes même. Au début ce sont des prairies ou des forêts inondées puis, lorsque nous nous sommes approchés de Matadi, un paysage de collines a fait place. C’était très beau, dommage que je n’ai plus de pellicules. Je vais tâcher de travailler un peu ce soir pour en acheter demain. De la ville même, pour l’instant, je n’ai rien vu. Nous sommes accostés près de grands hangars tristes et sales.

Matadi, le 13 décembre 1972.

Il est très tard ; je reviens de la ville ; c’est très décevant. Nous avons eu aujourd’hui “service du samedi” c’est-à-dire permissionnaires à onze heures. Vers treize heures nous sommes partis en car vers Matadi. C’est une ville relativement petite mais ses faubourgs l’augmentent considérablement. La population est d’environ cent mille habitants, quarante mille de plus qu’à Saint-Nazaire. La ville est bâtie sur un terrain très vallonné, une ville de côtes et bien sûr de descentes très raides : jusqu’à quinze pour cent.

La population, les zaïrois, sont très différents des sénégalais. Il me semble que les zaïrois sont légèrement plus riches que les sénégalais car la mendicité y est rare*. Ici pas de mains qui se tendent, les quelques mendiants que j’ai vu sont toujours physiquement très diminués.

Le car a pris la direction des faubourgs : une multitude de taudis faits de pierre blanche ou de maisons de bois ou de tôles. Des baraques ressemblant à celles des travaux publics en France, peuplent les collines environnantes.

Les routes en terre sont très cahoteuses et le car nous a secoués rudement.

Parfois nous passions dans des rues très passagères et la population nous acclamaient, les enfants nous faisaient de grands bonjours et couraient, une fois dépassés, derrière le car. Le chauffeur prenait grand plaisir, il faisait souvent demi-tour et repassait dans la même rue.

La végétation est luxuriante ; dans les arbres des fleurs odorantes blanches et roses ou en grappes rouges donnent au paysage un air enchanteur. Il faisait très chaud, le soleil tapait dur et pourtant c’est l’hiver ici.

Au bout d’un certain temps nous avons tous ressenti une certaine gêne, nous nous regardions, désappointés, car l’excursion prenait un air d’une course : quelques photos sur les berges du Zaïre, une très courte promenade dans un lieu dit composé de trois ou quatre maisons où des enfants en costume traditionnel nous ont regardés comme des bêtes curieuses – à ce même endroit j’ai vu un lézard aux écailles rouges et vertes, il était magnifique.

D’être trimbalé ainsi sur ces routes, nous en avons eu rapidement marre ; nous avons demandé qu’on nous dépose en ville et chacun est parti de son côté.

J’ai passé une soirée agréable : un copain m’a payé le restaurant** ; au menu : potage, pâté maison, mérou et ananas, c’était très bon. Ensuite nous avons marché dans la ville, fait les magasins, marchandé des souvenirs avec quelques boutiquiers. Ceux-ci d’ailleurs sont moins voleurs que les sénégalais car le travail est beaucoup plus fignolé.

Je n’ai plus de pellicules ; je n’en ai pas trouvé et je perds ainsi beaucoup d’images magnifiques.

Demain je vais aller visiter un barrage sur le Zaïre, ça promet d’être passionnant.

* Quelle naïveté mon cher Michel ! le régime dictatorial de Mobutu ne devait pas tolérer ce genre de pratique.

** En escale la coutume voulait que les matelots, les seconds maîtres, les maîtres invitaient les appelés à une soirée ou au restaurant.

Matadi, le 14 décembre 1972.

Une nouvelle journée vient de s’achever, une de moins ; en escale le temps passe très vite. Le pays est vraiment surprenant, surtout dans l’intérieur des terres. Il a la chance de posséder une nature qui a gardé son intégrité. C’est très beau : il y a des palétuviers, des cocotiers et mille autres plantes dont je ne connais pas le nom, des papillons fantastiques, grands comme la paume de la main, des lézards aux multiples couleurs. Au creux d’une vallée, le Zaïre impétueux emporte sur son passage des herbes, des troncs d’arbres. Ses eaux couleur chocolat par endroit offre un spectacle magnifique.

Paraît-il qu’il existe à proximité de Matadi des crocodiles, mais pour ma part jamais je n’en ai aperçu la queue d’un.

Nous sommes allés voir le complexe électrique d’Inga*, très belles réalisations des italiens. Mais ceci n’a rien de typique.

Le long des routes des enfants nous faisaient de grands signes et paraissent très étonnés de nous voir. Nous avons assisté à un spectacle haut en couleur : la sortie des piétons sur le bac de Matadi**. Une remarque importante, ici jamais les hommes ne portent quelque chose, ce sont  les femmes et même des enfants qui portent tout sur la tête. J’ai vu des petites filles de douze à treize ans porter de lourds fardeaux.

* Nous avons eu une conférence sur le barrage par le responsable du site. J’étais étonné d’apprendre que six turbines avaient été installées mais qu’une seule suffisait pour alimenter toute la région.

À la surface du fleuve, bloqué par la barrière de béton, on peut voir un immense tapis d’herbes flottantes. Cette accumulation pose un problème car il faut nettoyer fréquemment l’entrée d’eau des turbines.

** C’était un simple ponton, muni à l’arrière d’un gros moteur diesel et d’une timonerie, sur lequel s’entasse une foule compacte et bigarrée.

La manœuvre pour traverser est particulièrement difficile et il faut toutes les compétences du passeur pour la réussir : le courant du Zaïre est très rapide en son milieu ; dans un premier temps  le bac remonte le fleuve au plus près de la rive car la vitesse du courant y est moindre ; puis il s’engage au milieu du fleuve ; il est alors pris par le courant et prend de la vitesse ; il lui faut regagner la rive opposée au plus vite sinon il est entraîné en amont plusieurs kilomètres.

Une image me revient à l’esprit : une femme, devant moi, donne à boire à son bébé l’eau marron du fleuve.

BagMatadi

Le bac de Matadi – Photo Web

Article connexe : Sur une piste au Zaïre http://wp.me/p188s8-5z

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En mer, vers Diego Suarez (Madagascar)

CarteMondeAnnotéeVersDiego

En mer, le 03 janvier 1973 vers Diego Suarez (Madagascar)

Nous avons quitté Durban hier matin, que de  beaux souvenirs j’emporte de cette ville. J’ai passé des moments formidables et je n’ai jamais bu autant de whisky  de ma vie. Je crois que j’ai un peu abusé…

J’ai passé les deux derniers jours de l’escale avec une jeune anglaise et sa tante. La jeune fille, Marcelle, parlait le français et nous avons pu converser longtemps. Après une longue balade sur la jetée, nous avons passé le restant de la nuit du premier de l’an au bar de l’hôtel Palm Beach où ils passaient leurs vacances. Musique d’ambiance et pas de danse*,  c’était très agréable.

Il faut que je te décrive la manière dont j’ai commencé mon année. Après mettre promener longuement dans Durban, je suis allé dîner à bord. Un réveillon assez bien réussi, dommage que les anglais ne savent pas faire la pâtisserie.

À minuit nous avons chanté et dansé sur le quai en faisant des rondes. Les badauds amusés se sont fait assaillir de « Happy new year ». Là il faut que je te parle d’une coutume assez particulière à l’Afrique du Sud : en souhaitant la bonne année à une demoiselle ont l’embrasse… sur la bouche…eh oui ! et je t’avoue que nous avons rencontré beaucoup de demoiselles et de femmes mariées accompagnées ou non. Tu ne m’en voudras pas d’avoir sacrifié à cette tradition.

Puis je suis allé en ville ou un anglais m’a payé un pot chez lui il était minuit et demi à ce moment-là. J’ai pu admirer Durban illuminée. Quelle merveilleuse ville pleine de contrastes et de couleurs.

Maintenant l’escale est finie, la mer et son immensité nous entoure  de nouveau. Nous filons vers Diego Suarez à 17 nœuds. Nous y serons samedi dans la matinée.

* Connaissant mes talents de danseur je ne peux que sourire quand je retranscris ces mots.

En mer, le 04 janvier 1973 vers Diego Suarez (Madagascar)

Il est très tard lorsque je prends la plume car il a fallu que je prépare le navire en gas-oil* : un cyclone est en prévision pour demain et je ne suis pas très fier.

Ce soir nous avons eu un coucher de soleil magnifique, des nuages aux couleurs divines étaient couchés sur l’horizon et s’étalaient majestueusement dans le ciel.

Samedi nous arrivons à Diego ; la ville n’est pas, parait-il, des plus belle ; 62000 habitants ; en revanche une baie qui, d’après les on-dit, est la plus belle du monde ; enfin je te raconterai tout cela demain.

La journée est passée sans trop de difficultés. À part la chaleur qui atteignait dans mon bureau 45°C et 99% d’humidité. Mes nerfs ont pris un sale coup, je le sens bien, je deviens plus nerveux. Enfin tout ceci n’est pas grave, le retour en France est proche.

Cet après-midi, la mer était très belle, d’un beau bleu et peu de vagues. Nous filons 17 à 18 nœuds dans le canal de Mozambique. Nous sommes maintenant à peu près au milieu. À tribord : Madagascar à bâbord : l’Afrique.

Ah Afrique ! combien j’ai pu admirer tes contrastes. Quelle différence entre le Sénégal et l’Afrique du Sud. Jamais je n’aurais pensé qu’il puisse exister au Cap de Bonne-Espérance des blancs qui vivent à la manière anglaise. C’est un pays où j’aimerais vivre car c’est l’été toute l’année, les salaires sont élevés et le niveau de vie est très bon. Enfin peut-être un jour**…

* Un moment particulièrement éprouvant, le navire tanguait, roulait, se soulevait,  la circulation dans les coursives étaient périlleuses. Je me souviens d’avoir mis le pied sur le bas de la cloison de la coursive centrale lors d’un fort angle de roulis.

J’avais pu me faufiler à la passerelle et la vision du navire plongeant dans des vagues immenses qui déferlaient sur la plage avant et terminaient leur course sur la face avant de la timonerie avec comme bande son les bruits sourds des coups de boutoir de la mer, le hurlement du vent. C’était particulièrement impressionnant. Ce soir-là je prenais conscience que j’étais devenu un vrai marin.

Cette nuit-là, dans nos bannettes nous passions la main sous nos matelas pour tenter d’améliorer notre stabilité. Plusieurs camarades ont chuté lourdement, le sommeil leur faisant perdre leur vigilance.

Le lendemain matin, les valises mal arrimées jonchaient le sol du poste 4, certains casiers personnels, mal fermés, avaient déversé une partie de leur contenu. Le bureau du PC sécurité était dans un sale état, la machine à écrire était tombée du bureau, les plans machines du navire étaient épars sur le sol.

** Au moment où je retranscris ces lignes je viens d’apprendre que Mandela est décédé. Je sais que rien n’est réglé dans ce pays. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il pourrait, qu’il va, sombrer comme un grand nombre de pays d’Afrique dans la misère et la corruption…

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Les croyances (1960) – Les magnétiseurs.

Les croyances (1960) – Les magnétiseurs.

Et puis il y avait les magnétiseurs. En regardant autour de moi ils sont  plus que jamais présents dans notre monde moderne. Souvent complément de traitement pour des maladies telles que les zonas mais aussi ultime ressource lorsque la science ne peut plus rien, ultime bouée de sauvetage à laquelle on se raccroche lorsque l’on sent que l’on se sent attiré dans l’autre espace.

On dit qu’ils ont le don. Leurs coordonnées circulent de main en main, on se passe les bonnes adresses. Chacun veut aider dans cette quête de la guérison et n’hésite pas à donner des exemples de guérison quasi miraculeuse pour donner de l’espoir.

 

Papa , dans les années soixante, était un gros fumeur. Il lui fallait deux paquets de tabac gris par jour. Le tabac était enveloppé dans un cube de papier gris, d’où son nom, imprimé de deux bandes rouges et d’un Scaferlati Caporal en noir. Il le roulait habilement dans une feuille de marque OCB  et passait sa langue sur le bord de celle-ci pour la coller.

Ayant pris conscience qu’il fallait, pour sa santé, arrêter de fumer, il prit rendez-vous avec une magnétiseuse et celle-ci, selon les dires de papa, fit quelques passes sur les paquets qu’il avait apportés et rendit le tabac impossible à fumer. Effet psychologique ? probablement mais qui n’a pas duré, il me semble que par la suite il avait continué à fumer.

 

C’était en 1971 ou 1972, Maman qui était très malade avait entendu parler d’un guérisseur à Sainte-Reine-de Bretagne, Monsieur V., et me demanda de l’emmener ce que je fis avec ma dauphine gris souris. Nous arrivâmes à la porte d’une maison bien entretenue  entourée d’un petit parc arboré. Elle frappa, un homme ouvrit. Il la regarda des pieds à la tête de ses yeux globuleux qui semblaient sortir des orbites et dit d’une voix douce mais sans ménagement:

 « Ce n’était pas la peine de venir, madame, c’est trop tard, je ne peux rien pour vous, suivez le traitement de votre médecin. » et il referma la porte. Maman accusa le coup, sans mot dire elle remonta en voiture et pleura doucement pendant le trajet de retour. Nous n’échangeâmes aucune parole, je mesurais les dégâts occasionnés par une telle rencontre.

L’histoire qui suit a été racontée par mon père, plus simplement…

La petiote.

Dans la chambre, tête basse, les mains jointes, doigts croisés sous le menton, la mère est assise près du lit où repose sa fille. Elle invoque en chuchotant les saints, implore leur secours.

« Seigneur prends pitié, Seigneur prends pitié, Ô Christ prends pitié… »

Le père debout au pied du lit, la casquette entre ses mains calleuses, noueuses habituées à travailler le bois dans sa menuiserie, regarde le visage blanc mouillé de sueur, les yeux fiévreux de « sa belle » comme il l’appelle. Il se sent impuissant. Même les invocations des femmes, réunies un soir à l’église, n’ont eu aucun effet, comme ci le ciel ne voulait plus rien entendre.

« Ton Dieu, il n’est jamais là quand on a besoin de lui, grommelle-t-il. »

En entendant ces mots la mère se signe. A-t-on besoin de provoquer un peu plus la colère divine ?

Sa litanie à peine audible reprend :

« Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, Saint Michel, priez pour nous, Saints Anges de Dieu, priez pour nous … »

Dans un murmure l’enfant malade dit :

« Pourquoi les prêtres chantent-ils derrière la porte ? »

Un frisson parcourut le corps des parents, le père baissa un peu plus la tête et la mère s’appliqua un peu plus dans ses prières :

« Saint Joseph, priez pour nous, Saint Pierre et Saint Paul, priez pour nous, Saint André, priez pour nous… »

Un grattement à la porte puis un léger grincement des gonds, c’est la voisine un grand châle noir sur ses épaules qui vient prendre des nouvelles.

« Comment va  la petiote ? dit-elle en chuchotant

– Le docteur est passé tout à l’heure, il n’a rien dit, il repassera dans la soirée, répondit la mère.

– Pauvre petite, quelques secondes s’écoulèrent et elle reprit, pourquoi n’allez-vous pas voir le père Léon à Thouaré ? On dit qu’il soigne bien. Il faut emmener une photo et une mèche de cheveux. »

La mère lève la tête et dit à son  mari.

– Pourquoi n’essaie-t-on pas ? on ne risque rien.

La mère sait qu’il n’y croit pas. En temps normal à cette simple évocation il aurait dit :

« Fadaise tout cela ma pauvre Germaine ! Comment peux-tu croire encore en ces âneries ! »

Le père regarde sa femme, voit son visage suppliant. Sans un mot, en faisant sonner le parquet de ses lourdes chaussures, il se dirige ver la commode, sort d’un cadre la photo de sa fille, ouvre le tiroir, sort des petits ciseaux de la boite à ouvrage de Belle, une enveloppe de son nécessaire d’écriture, revient vers le lit, prend délicatement une mèche de cheveux, la coupe et la met, avec la photo, dans l’enveloppe enfin met cette dernière dans la poche de sa veste et toujours sans un mot sort de la chambre.

Sur la route menant à Thouaré, il appuie fort sur les pédales de sa lourde bicyclette luttant contre un vent de front qui, au début régulier, tend maintenant à s’intensifier avec de violentes bourrasques. Mais pourquoi cherche-t-il à me retenir ? pense-t-il, alors il appuie plus fort encore sur les pédales, tire sur le guidon, malmène sa bicyclette.

Il émet des han réguliers, il lutte de toutes ses forces, il lui semble maintenant que tous les éléments se sont ligués contre lui car une pluie battante se met à tomber. En temps normal il se serait arrêté sous un grand arbre, aurait roulé une cigarette de ses gros doigts tâchés du brou de noix utilisé la veille sur un buffet, cadeau de noces des parents pour un jeune du village. Mais aujourd’hui le temps presse, il faut continuer, continuer, chaque han maintenant semble une nouvelle déchirure de son âme écartelée.

Il pénètre la cour boueuse de la petite ferme du père Léon, descend précipitamment, laisse la bicyclette s’affaler sur le sol et court, titubant, frapper du poing sur la porte d’entrée. Elle s’ouvre enfin sur un petit homme cheveux gris, pantalon et veste de velours noir, chemise à carreaux.

Derrière le visiteur, un éclair zèbre le ciel et une seconde après un violent coup de tonnerre résonne, une pluie drue se met à tomber.

« Entrez vite ! » dit Léon puis étonné de cette apparition, haletante, dégoulinante, fantomatique sur le seuil sa porte, il bredouille : « Que voulez-vous ? »

Sans un mot elle lui tend avec un geste sec, impérieux, l’enveloppe contenant les précieux objets. En un instant Léon comprend ce que l’on veut de lui, il ouvre l’enveloppe, prend la mèche de cheveux d’une main, la photo de l’autre, ferme les yeux, se concentre, fait rouler lentement les cheveux sur la photo, il ouvre brusquement les yeux et dit tout de go :

« Mais pourquoi êtes-vous venu ? je ne peux rien faire pour une morte… »

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Durban (Afrique du Sud)

CarteMondeAnnotéeDurban

Durban (Afrique du Sud), le 30 décembre 1972.

Comme tu le vois en entête de cette lettre, nous sommes à Durban en Afrique du Sud. Nous sommes arrivés avant hier et nous repartons le 2 janvier. Je voudrais avant toute autre chose te parler de la ville par elle-même.

Durban est à l’Afrique du Sud ce que Nice est à la France. C’est une ville industrielle et balnéaire. Les rouleaux sur la plage permettent de faire du surf. Il n’est pas rare de voir un adepte porter sa planche sur l’épaule ou sur sa moto vers la plage. Un filet anti-requin empêche les accidents. Mais la semaine dernière un baigneur a été tout de même croqué ou presque. Les quatre personnes qui lui portaient secours ont été grièvement blessées.

Lorsque nous sortons des quais où est amarré le navire on est surpris par l’enchevêtrement des autoroutes et de nuit elles sont éclairées. Elles sont suspendues sur des piliers centraux à l’allure futuriste.

De longues artères qui se coupent à angle droit, des buildings de plusieurs matières : verre, béton. Des magasins comme dans toutes les villes, des snackbars  à tous les coins de rue, des terrasses immenses qui donnent sur la plage regorgent de ladies et gentlemen qui attendent bien sagement que cela se passe ! C’est l’Angleterre en plus moderne.

Ah ! la cuisine…voilà le plat que j’ai mangé ce midi : composition : riz, curry, viande de bœuf, sauce… confiture et vinaigrette et malgré tout c’était très bon ! Il faut préciser que la confiture est légèrement épicée.

Il y a aussi les Wimpy où l’on mange à tout heure hamburgers, Jo burgers, œufs au bacon accompagnés, pour le client non averti, d’un délicieux milkshake composition : lait, glace, crème fouettée et sirop pour donner de la couleur…c’est…très bon, hé oui !

Nous avons pu, pour notre plus grande joie, voir évoluer des jeunes filles blanches, c’est bien agréable…

Cet après-midi nous sommes allés au Natal Lion Park*, un immense parc où les animaux sont en liberté. J’ai pris ainsi des photos de gazelles, de lions, de rhinocéros, de zébus, de girafes dans leur environnement. C’était magnifique.

Nous étions en car et tout le long du chemin nous avons pu prendre des tas de photos. La girafe se laissait caresser, les rhinocéros étaient à deux mètres de nous, les lions frôlaient la carrosserie. Quel merveilleux spectacle de ces animaux censés être en liberté. J’étais subjugué…

Ce soir je suis allé faire un tour en ville du côté du parc d’attraction situé sur la plage. Là, hommes, femmes, enfants s’amusaient dans les manèges où jouaient à quelques jeux d’argent que je te décrirai plus tard car je n’ai pas encore compris le principe.

Tu vois, mes journées sont bien remplies. Demain je vais aller voir l’aquarium et discuter par-ci par-là avec des jeunes étudiants** car ici nous sommes très aimés.

* Le Natal Lion Park est à 67 km de Durban.  Les animaux vivent en semi-liberté et un bus suit une grande boucle dans le parc. Les lions ont un enclos particulier. A cette époque ce type de zoo représentait une innovation. Pour mémoire, le parc zoologique de Thoiry dans les Yvelines a été ouvert au public en voiture en 1968.

NatalLionParkDurban

** Surtout des jeunes étudiantes…J’ai souvenir d’un cours de français improvisé lors d’une longue balade, un soir, sur une jetée avec une jeune fille. Elle avait un visage si expressif que c’était un réel plaisir de la voir s’appliquer à prononcer des phrases types… jeu de séduction peut-être.

Durban (Afrique du Sud), le 31 décembre 1972.

J’ai quelques instants, j’en profite pour t’écrire quelques mots.

Aujourd’hui je vais passer la journée en ville, une journée sans nul doute tranquille. Je pense aller à l’aquarium puis manger dans un Wimpy  puis repartir à la conquête de ces vastes rues sous le regard des afrikaners si souriants et avenants.

Je vais aller voir un copain pour qu’il puisse me prêter une vareuse.* Je passe le réveillon de la Saint-Sylvestre avec une famille afrikaner.

* Voir article : Le nouvel an à Durban

Note : Tard dans la nuit de la Saint-Sylvestre, en rentrant à bord, nous avons eu la surprise de voir tendus comme un grand pavois  une guirlande de soutiens-gorge. L’histoire est toujours classée secret défense…mais on peut dire qu’ils provenaient de la collection d’un matelot qui les avait patiemment collectés depuis le début du voyage. Il avait retrouvé, fracturé, son casier dans lequel il les gardait jalousement.

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Les croyances (1960)

Les croyances (1960)

Ah les croyances ! chacun sait qu’elles polluent le plus cartésien des esprits et s’incrustent dans tous les milieux sociaux.

Durant mon enfance mes parents n’ont jamais eu recours à l’Ankou, au loup, aux sorcières ou au père fouettard pour nous faire peur et nous faire obéir, leur méthode d’éducation était… plus directe. On ne nous parlait pas non plus de fantômes, magiciens, fées et tutti quanti ; le monde dans lequel nous vivions était bien réel mais en écrivant cet article je me suis aperçu que tout de même certaines croyances étaient présentes dans l’environnement de mon enfance.

Lorsque mes parents évoquaient la mort lors de discussions, surtout à table, immanquablement la conversation venait sur le compagnon de la nuit : le hibou.

Maman était persuadé qu’un hibou, ululant, perché au-dessus d’une maison indiquait la mort certaine d’un occupant  malade. Je dois dire que plus tard, lors d’une promenade, j’ai vécu pareille scène et alors un frisson d’effroi m’a parcouru l’échine ; preuve que j’avais assimilé cette croyance dans mon inconscient.

Elle évoquait aussi les derniers instants de notre grand-père maternel Joseph sur son lit de mort qui avait murmuré : « Pourquoi les prêtres chantent-ils à la porte ? ». Ce genre de citation ne peut que marquer l’esprit d’un enfant.

Dans sa jeunesse, la viande de porc était conservée dans du sel dans une grande jarre : le charnier. Elle disait que son père lui interdisait formellement d’aller chercher de la viande dans le charnier lors de son cycle menstruel car à coup sûr le contenu se gâterait.

Certaines croyances étaient sans conséquences sur la vie et s’apparentaient plutôt à une simple réflexion. Par exemple, lorsque un anneau de liquide, parfois deux, se formait au niveau du goulot de la bouteille de vin – E.V.O. avec des cinq étoiles en relief – on disait alors « On va avoir de la visite ! » ou si on vidait la bouteille dans le verre de quelqu’un : « Tu vas te marier cette année ! » ce que papa a dit un jour à une religieuse et occasionna un petit embarras autour de la table…

Elles pouvaient avoir un sens religieux surtout avec le pain, puissant symbole chez les petites gens. Je revois papa debout couper autant de tranches qu’il y avait de commensaux. Avant d’entamer le pain de deux livres ou pain de deux – ainsi dénommait-on le pain d’environ six cent grammes dans l’ouest de la France – il le signait sur l’envers par une croix à la pointe du couteau pour remercier Dieu d’en avoir procuré à la famille.

Il ne fallait surtout pas le poser à l’envers car nous avions alors une petite réflexion du genre : « Respecte le pain petit, il est dur à gagner ! » mais on disait aussi que le diable pouvait alors s’asseoir dessus.

Il ne nous jamais venu à l’esprit d’en jeter un seul morceau : c’était un crime.

Il y avait des pratiques plus obscures venant de la nuit des temps et s’apparentant à des pratiques shamaniques.  Si il y en a une qui est toujours un sujet d’interrogation pour moi c’est bien celle de « baisser les vers ».

Même encore aujourd’hui, j’ai pu constater qu’elle existe toujours. On y croit dur comme fer avec moult exemples à  l’appui. Même des jeunes femmes modernes ayant des idées cartésiennes se laissent prendre dès lors qu’il s’agisse de leur enfant. « Ca ne mange pas de pain ! ça ne peut pas faire de mal » aurait dit papa.

J’ai un souvenir à ce sujet : j’avais quatre à cinq ans  et maman m’avait emmené à l’épicerie non loin d’où nous habitions, boulevard Mermoz à Saint-Nazaire. On nous a fait entrer dans une pièce à l’arrière du magasin, l’épicière m’a mis une couronne d’ail tressée autour du cou puis a fait avec ses mains de longues passes descendantes de la naissance du cou jusqu’à la ceinture. Maman est repartie rassurée non sans avoir été délestée d’une  modique somme d’argent.

Autre pratique, lorsque l’on se brûlait on allait voir le coupeur de feu ou le barreur de feu. Celui-ci faisait des signes de croix sur la brûlure en prononçant la prière à Saint-Laurent.

L’officiant disait trois fois le texte à voix basses en soufflant sur la brûlure en formant un signe de croix au début de chaque strophe puis toujours à voix basse  trois Pater (Notre Père) et trois Ave (Je vous salue Marie) en intercalant les Pater et les Ave.

(L’officiant souffle  sur la brûlure en formant un signe de croix.)

O grand Saint Laurent,

Sur un brasier ardent

Tournant et retournant

(L’officiant souffle  sur la brûlure en formant un signe de croix.)

Faites-moi la grâce

Que cette ardeur se passe :

(L’officiant souffle  sur la brûlure en formant un signe de croix.)

Feu de Dieu, perd ta chaleur,

Comme Judas perdit sa couleur,

Quand il trahit, par passion juive

Jésus au jardin des olives.

Maman, dans les années 1950, allait très souvent voir les cartomanciennes ou tireuses de carte. Peut-être avait-elle besoin de se rassurer devant un avenir toujours incertain.

Vers quinze ans, elle avait été abordée par une bohémienne qui voulait lui prédire, en lui lisant les lignes de la main, ce que serait sa vie. Elle lui avait dit une multitude de choses qu’elle avait prise naturellement comme du bon pain et une en particulier : « Tu vas mourir à l’hôpital sur la table d’opération ».  Prédiction qui engendrera  une grave conséquence en développant une peur atroce dès lors qu’elle avait à subir une opération, même bénigne. Elle mourut dans un lit, à l’hôpital, d’un cancer, sans être opérée.

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Cheveux blonds, jean et corsage blanc

Cheveux blonds, jean et corsage blanc

Comme tous les soirs, Célestin s’en va à la pêche en Brière avec sa chienne Cagneuse. À peine s’apprête-t-il à larguer les amarres qu’une jeune femme court sur la levée et par quelques gestes et mimiques lui demande de monter à bord :
“Vous voulez venir avec moi ?” dit-il en articulant et en accentuant ses gestes.
Elle acquiesce et s’installe, sans façon, à l’avant du blin. Célestin, à la perche, dégage  le bateau et au milieu du canal met le moteur en route.
Il observe la fille : cheveux blonds, jean, corsage blanc…
“Un beau brin de fille ma foi, pense-t-il, une muette, la conversation va être limitée”.
Une pensée lui effleure l’esprit : “Ah ! si la Germaine… la maison serait plus calme.”

Cagneuse, la chienne, a un très mauvais caractère, inutile de chercher à la caresser, elle vous croquera un doigt sans un grognement, sans vous prévenir, mais elle n’a pas son pareil pour la chasse. Son museau posé sur la cuisse de la passagère, curieusement, elle se laisse caresser, subjuguée, ses grands yeux fixant l’aimable et si joli visage.
D’un grand sac de toile, la jeune personne sort un carnet de croquis et se met à dessiner.

Bientôt, Célestin coupe le moteur, prend sa perche et s’engage dans un étroit canal bordé de roseaux pour aller récupérer deux bosselles posées le soir précédent. Sur l’avant, brusquement, il voit s’avancer un brouillard qui l’enserre, le serre, l’enveloppe tout à fait. Il ne voit même plus la jeune femme tellement il est dense. Célestin, apeuré, pousse un juron, s’affale dans le fond du bateau pour éviter de tomber à l’eau ; il entend le bruit sec de la perche qui frappe le blin.

Petit à petit le brouillard s’éclaircit. La jeune personne est toujours assise à l’avant, Cagneuse à ses pieds, tranquille. Célestin pousse un juron : le blin semble flotter… dans un parc verdoyant.
À sa droite, des petits enfants, vêtus d’un short et d’une chemisette rouge, dans un ensemble parfait, exécutent des mouvements de gymnastique en chantant :
“Gloire à notre président qui travaille à notre bien-être.”
À sa gauche, un monument immense : des personnages de pierre tendent leurs mains nues  vers d’autres, centraux, les mains en avant, avec une posture bienveillante. En lettre rouge, on peut lire :

“ À la gloire des élus des communautés qui ont transformé le marais pour le bien du peuple.”

Célestin veut descendre du bateau, la jeune femme d’un geste le dissuade. Prudent, à genoux, il tente de poser sa main sur l’herbe : au fur et à mesure qu’elle pénètre la surface, elle disparaît; il l’enlève, recommence doucement en poussant plus avant : son avant-bras s’évanouit. Ahuri, Il regarde  la jeune femme, celle-ci, en souriant, lui fait signe de percher.
Il se relève prudemment, prend sa perche, l’enfonce dans cette curieuse surface, elle se néantise mais il sent un appui. Il pousse doucement, le blin avance.
D’un geste, elle lui demande de se diriger vers la gauche vers un groupe d’hommes et de femmes portant pantalon et veste, les mêmes que ceux du chantier naval, mais rouge sang avec  inscrit en gros caractères sur le dos : “75008”.
Une femme, vêtue comme eux, portant un badge, les harangue avec conviction :
“Plébéiens, Plébéiennes du huitième arrondissement de notre capitale, sachez que vous êtes devant le monument à la gloire des élus des communautés qui ont transformé un immonde marais en un espace verdoyant où peut se reposer l’élite de notre nation. Peut-être un jour, vous pourrez vous aussi jouir de ce bienfait si vos chefs de cellule, vos chefs de section jugent que votre travail mérite un peu de repos.”
Le groupe reprend en cœur : “Grande est la gloire du président de la nation plébéienne.”
“Notre chef suprême, voulant récompenser nos plébéiens et plébéiennes méritants, est heureux que ceux-ci puissent se reposer là où sa mère, illustre femme de la nation l’a enfanté, dans une pauvre chaumière du village de Fédrun.
Le groupe reprend en cœur : “Grande est la gloire du président de la nation plébéienne.”
“Quelques habitants, quelques demeurés, ont voulu résister mais la clairvoyance des élus des communautés, acquis aux valeurs de notre cause, ont tôt fait de les réduire au silence. Il en reste quelques uns, vêtus de noir ; ils se terrent, marqués au fer, bannis pour le reste de leur vie.
Nous allons maintenant poursuivre en visitant le village-musée de Fédrun et surtout la chaumière où Marie et Joseph Boiteux ont eu et élevé, Clovis, notre bien-aimé Président.”

La jeune femme lui fait signe de poursuivre droit devant. Une poussée de la perche et ils se retrouvent au milieu d’un large canal : des quais, des immeubles, que dis-je, des blocs de béton brut dont les pignons sont recouverts d’un lattis de bois. Ils ont trois étages avec d’étroits balcons où s’exhibent des hommes et des femmes en maillot rouge. À chaque porte une dérisoire inscription : “Les typhas”, “Les nymphéas”…Sur le quai, un immense panneau : “Fin d’aménagement du canal de Trignac”.
Plus de roseaux,  plus d’oiseaux, plus de canards, d’oies. Célestin n’en croit pas ses yeux. Comment est-ce possible ? Non ! il ne rêve pas, il découvre une autre Brière, il ne reconnaît plus rien.
Il s’adresse à la jeune femme : “Pourquoi me montres-tu cela ? Qui es-tu ? Dis-moi pourquoi ?”
Avec ses deux mains sur le cœur, elle imite les battements. Il lui semble même sentir ses mains sur sa poitrine.
Un bruit lancinant, une sirène hurlante lui transperce le tympan. Il se bouche les oreilles et ferme les yeux. De toutes ses forces il crie vers la femme : “Le cœur ? Pourquoi le cœur ?”
Lorsqu’il les ouvre, il est au milieu d’un canal, d’un vrai canal bordé de roseaux, effaré, proférant des jurons, manquant de tomber à l’eau tant la surprise est grande. La jeune femme a disparu…
De longues minutes, il reste assis sur le banc du blin, Il a du mal à respirer. Il se lève péniblement, met son moteur en route et revient à petite vitesse vers sa chaumière.

Devant la cheminée, Cagneuse, sa chienne est à ses pieds, Célestin, prostré, marmonne.
“ Que racontes-tu là Célestin ! Voilà que tu parles tout seul maintenant. Tu as bu ! beugle Germaine.
– Oh non, la mère, je n’ai pas eu le cœur…puis il reprend à mi-voix : le cœur, qu’est-ce qu’elle a voulu dire par là !
– Le cœur, elle… dame si tu vois une autre femme je vais lui griffer le nez à cette traînée.
– Mais non, la mère, mais non…
– Mon oncle Lucien m’avait bien dit de ne pas me marier avec un Briéron.
– Ah tais-toi la mère ! dit-il d’un ton désabusé, tu ne peux pas comprendre.”
Suivi par Cagneuse, il se lève et sort. Il fait bon dehors, le ciel est étoilé : “On voit moins bien les étoiles maintenant, pense-t-il, c’est à cause des lumières de la ville, peut-être que les hommes de la ville ne veulent plus voir les étoiles… Mais pourquoi brillent-elles si violemment ce soir ?”.

Tant il est perturbé, au Chantier naval, il a loupé un joint de soudure : la première fois depuis vingt ans. La nouvelle a fait le tour de l’atelier. Chacun  en passant près de son poste de travail va de sa petite raillerie : “Alors on devient trop vieux !”, “Il faut laisser la place aux jeunes !”, “Alors champion !”.
Honteux, à la débauche, il ne va pas boire ses deux chopes chez Chacun. Il rentre directement, va nourrir ses bêtes, prend son fusil et, comme à l’accoutumée, passe la soirée dans le marais.
Cagneuse saute dans le blin et se met furieusement à gratter la porte du coffre située à l’avant.
“Qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu fais la folle comme cela ?”
Il ouvre la petite trappe et découvre le carnet de croquis de la jeune fille.
“Elle l’a oublié” pense-t-il, en le mettant dans la poche intérieure de sa veste.
Il refait le chemin, s’engage dans l’étroit canal : pas de brouillard, tout est normal, il a dû rêver.

C’est le soir, devant la cheminée, il feuillette le carnet : des oies, des canards, des hérons, magnifiquement dessinés. Il est, lui aussi, représenté avec sa perche et la chienne à ses pieds.
Sur la dernière page : le canal, avec ses immeubles de béton et les gens qui circulent sur le quai, sur le coin gauche : le monument aux élus.
“Mon Dieu, je n’ai pas rêvé, c’était donc vrai….”
Le feu dans l’âtre redouble d’intensité, les flammes semblent danser une sarabande effrénée :
“Oh ce feu, ce feu, pourquoi est-il si menaçant ?”

Traversant une salle, serrant quelques mains, il se fraye un passage vers le fond. Il n’est pas homme à se mettre en avant. “La Brière demain” c’est le thème de la réunion organisée par le Parc de Brière.
La jeune femme du bateau est assise au dernier rang. Il va s’asseoir à côté d’elle.
“Alors on se retrouve, lui dit-il enjoué.
– Pardon, mais je ne vous connais pas !
– Mais si dans le marais, vous êtes venue avec moi l’autre jour, vous avez dessiné.
– Je suis désolée mais vous me prenez pour quelqu’un d’autre.
– Alors si n’est pas vous, c’est votre sosie, mais au moins, vous, vous parlez !”
Il voit qu’elle est très perturbée. Après un temps elle reprend :
“Vous dites que je dessinais.
– Oui dame et plutôt bien, j’ai le carnet avec moi, vous l’avez oublié dans le bateau.”
Célestin se tourne vers la salle. Il y a les gens du Parc. Quelquefois il s’est accroché avec eux mais il les aime bien. Le brouhaha est intense : “Pourquoi les gens parlent-ils si fort ?”
“Je peux le voir ce carnet ?” demande la jeune femme.
Elle  le feuillette et tombe  en arrêt sur la dernière page.
“ Mon Dieu ! s’exclame-t-elle.
– Une vraie connerie ces immeubles n’est-ce pas ?
– Non, je parle de la signature en bas à droite : c’est celle de ma sœur jumelle.
– Ah dame ! C’est pour ça que je pensais que c’était elle en vous voyant.
– Elle était muette… elle est décédée l’année dernière.
– Que faisait votre sœur ?
– Des études d’art… c’était une merveilleuse artiste. Elle adorait le dessin animalier et militait dans les associations écologistes.
– De quoi est-elle morte ?
– On l’a retrouvée dans le Brivet, au Pin, elle s’est noyée. Vous dites que vous l’avez vue ?”
Célestin voit que la situation devient délicate, difficile à gérer et va lui échapper.
“Ben… c’est peut-être une autre fille. Vous savez mon cerveau de temps en temps s’embrouille, ça fait des nœuds là-dedans et je dis n’importe quoi.”
Il lui reprend le carnet et s’empresse de sortir en courant, poussant les uns, évitant les autres :

“Il y a trop de bruit ici et cette lumière qui me brûle les yeux !”

Germaine vient de servir la soupe. Ils sont assis l’un en face l’autre à une table couverte d’une toile cirée rouge. On entend juste, en cadence, les cuillères frappant l’assiette et la lente succion de leur bouche.
Soudain on frappe violemment à la porte :
“Ouvrez ! Ce sont les camarades plébéiens qui veulent vous parler ! Nous vous sommons d’ouvrir !
Célestin se lève et  tremblant de peur va ouvrir le verrou. La jeune femme de la réunion, accompagnée de deux sbires font irruption dans la pièce.
“Que voulez-vous ? balbutia Célestin.
– Immonde ver de terre ! Qui t’a donné ce carnet ?
– C’est… votre sœur… qui me l’a donné…
– Ma sœur, elle est morte, je l’ai moi-même noyée il y a deux mois, elle complotait  contre les élus des communautés et l’aménagement du marais.”
Les deux sbires viennent le bloquer aux épaules, elle lui arrache sa chemise, applique un aiguillon électrique sur la poitrine.
“Je répète, qui t’a donné ce carnet ?”

“Dégagez !” dit-elle à ces sbires.
Il ressent une violente décharge, puis une seconde aussi violente. Il entend Germaine crier :
“Mais qu’est-ce que vous faites à mon Célestin ! “

Il est sur le sol à demi inconscient. Il entend Germaine pleurer. Il voit  défiler dans sa tête : les quais, les immeubles. la jeune femme du bateau… elle se débat, une main puissante appuie sur sa tête et tente de l’immerger… elle lui tend la main… il ne peut la saisir… puis plus rien… sa chevelure blonde flotte sur l’eau noire…

La femme se penche vers lui en hurlant : “Où est ce carnet ?”
Il ouvre grand les yeux : “Son visage, mon Dieu, ce visage, quelle méchanceté, elle va me tuer comme la petite, il faut s’enfuir dans le marais, elle ne pourra pas me retrouver, là-bas elle ne pourra pas me retrouver, je connais le marais comme ma poche, il faut s’enfuir, courir, courir…

Alors il court, il court, sa poitrine est en feu, ses jambes peuvent à peine le supporter, mais il faut tenir, tenir… Il arrive devant son bateau : le fond est éventré, le moteur coulé, sa chienne gît sur l’herbe, une vilaine plaie au ventre. Il hurle : ”Cagneuse ! Oh ma cagneuse !”.
À peine se penche-t-il sur elle qu’une main énorme l’entraîne dans l’eau noire :
“Où est le carnet ? Donnez-moi le carnet !”
La main puissante pèse sur sa tête. Elle va le noyer, il ne peut pas crier…il ne peut pas cri…

“Monsieur, monsieur, là ! là ! calmez-vous ! calmez-vous !”
C’est une voix douce et agréable. Un visage se penche sur lui, un ange vêtu de blanc lui sourit.
“Qui êtes-vous ? Où suis-je ? Que m’est-il arrivé ?
– Je suis infirmière, vous êtes à l’hôpital  et vous avez fait une crise cardiaque. Vous pouvez remercier la jeune personne qui vous accompagnait, elle a eu la présence d’esprit de faire les premiers soins, de vous ramener  et d’appeler les secours. Sans elle vous ne seriez plus de ce monde.
– Où est-elle ?
– Elle est partie. Elle est restée très longtemps près de vous. Elle m’a demandé de vous donner ce carnet de croquis. Je me suis permis de le feuilleter. Elle a un très joli coup de crayon. J’aime beaucoup… regardez ! elle vous a dessiné avec votre chien, elle lui montre, mais j’aime beaucoup moins celui-ci…”
Il représente un canal avec des immeubles de béton brut, les gens qui circulent sur le quai et sur le coin gauche : le monument aux élus.

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En mer vers Durban (Afrique du Sud), le 26 décembre 1972.

CarteMondeAnnotéeDurban

En mer vers Durban (Afrique du Sud), le 26 décembre 1972.

Nous voilà reparti ! l’escale nous a paru courte, car l’accueil formidable que nous avons reçu nous a réconfortés de ces longs jours de mer dans l’océan Atlantique. A trois heures demain matin (heure locale), il sera quatre heures pour toi, nous passerons le cap de Bonne-Espérance, non ! erreur ! le cap des Aiguilles qui est la limite entre l’océan Atlantique et l’océan Indien.

Je ne suis pas tellement en forme et le comble : le bateau roule et tangue allégrement.

J’ai quitté la séance de cinéma pour aller me coucher et écrire quelques mots mais ce soir j’ai un peu le mal de mer.

En mer vers Durban (Afrique du Sud), le 27 décembre 1972.

C’est un air breton qui emplit l’air où je t’écris. Ah Bretagne ! comme tu es loin de moi. La musique que tu as donnée à tes enfants est pleine de nostalgie et me semble ici si lointaine. Nous sommes en ce moment tout à fait à la pointe de l’Afrique et nous voguons vers Durban, une ville d’Afrique du Sud baignée par l’océan Indien.

Voici approximativement les escales que nous ferons prochainement : Durban, Diego Suarez (Madagascar) où nous resterons 15 jours, nous irons aux Seychelles très au nord de Madagascar puis les îles de Saint-Paul et Amsterdam à mi-chemin entre l’Afrique et l’Australie, Melbourne en Australie*, la Nouvelle-Zélande*, les îles de Cook et Tahiti où je serai débarqué pour ta plus grande joie et… la mienne.

* Des on-dit ont circulé à bord que les essais nucléaires dans le pacifique polluaient alors les relations diplomatiques avec ces pays et  c’est pourquoi les escales, par la suite,  ont été déprogrammées.

Que de paysages magnifiques ! De retour à la maison, je passerai certainement des soirées à rêver de ces pays lointains. Pour l’instant… je rêve de la Brière : les eaux calmes, les chalands, les roseaux… Je mesure aujourd’hui la place qu’elle a prise dans ma vie. J’aimerais qu’à mon retour nous passions tous les deux un weekend en Brière, sous la tente. Qu’en penses-tu ? je crois que nous pourrions passer ainsi un weekend agréable.

A bord tout est redevenu calme, le cinéma va bientôt commencer, puis les lumières en haut des portes vont s’éteindre et le silence va régner sur ce fier vaisseau. Cette nuit en écrivant je redeviens moi-même car à bord je perds un peu de mon identité. Je m’évade de cet univers où l’on pense qu’à travailler, manger et dormir** où l’on devient malgré tout un peu fainéant car on perd le goût d’apprendre, de lire.

** Ma vie à bord était rythmée par le travail journalier. Le matin : sondage des caisses à combustibles, calcul de la consommation journalière, contrôle de l’eau douce disponible. J’inscrivais cela sur une tablette, la faisais vérifier par le maître principal puis portais les résultats  au commandant en passerelle.

En fonction du niveau dans les différentes caisses, je transférais du gas-oil dans les soutes afin de rééquilibrer le navire pour faciliter la navigation.

Dans la journée j’avais toujours quelques rapports ou notes à taper.

Il y a avait aussi des travaux d’entretien, je me souviens d’avoir repeint un compartiment, tout à  fait à l’arrière du navire où étaient stockés les huiles et peintures que nous avions en gestion.

A toute heure de la journée ou de la nuit nous pouvions avoir un exercice de sécurité alors l’équipe ou les équipes concernées se précipitaient sur la zone indiquée par les haut-parleurs, enfilaient leur combinaison et leur fenzy , un masque respiratoire qui prenait l’ensemble du visage. Je me précipitais à mon poste et rejoignais l’équipe sécurité pour noter le timing de l’exercice afin de rédiger le rapport.

Le feu est la situation la plus sérieuse à bord d’un navire. Une seule fois nous avons eu une alerte réelle.

J’étais dans le bureau avec le quartier maître H. du service sécurité, lorsqu’on nous a transmis : «Alerte feu de friteuse… » . Je me souviens qu’ensemble nous avons fait la même réflexion : « Hé ! ce n’est pas un exercice ! ». Nous étions très bien préparés mais pendant une fraction de seconde nous nous sommes regardés, un peu étonnés, avant que H. déclenche la procédure en précisant bien « Ceci n’est pas un exercice … Ceci n’est pas un exercice… »

Et puis il y avait les postes de combat. Tout le personnel se précipitait à son poste et les portes, panneaux et tapes se fermaient derrière lui.  Ils étaient de deux sortes : le poste de combat  « normal » ou les ouvertures pouvaient être ouvertes mais refermées immédiatement après notre passage et le poste de combat avec alerte « atomique » – c’est ainsi qu’il me semble que nous le désignions, on dirait maintenant « nucléaire, bactériologique, chimique » –  le navire était entièrement fermé – il n’était pas question d’être en retard pour prendre son poste – et mis en légère surpression pour éviter que l’air polluée ou les gaz pénètrent à l’intérieur.  L’extérieur du navire était alors copieusement arrosé en pluie.

J’ai souvenir que dans ces moments, tout le monde dans le petit bureau était très sérieux, pas question de raconter des histoires, elles étaient réservées pour les postes d’appareillages.

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L’orienteur (1962)

L’orienteur* (1962)

La poursuite vers les études secondaires nécessitait le passage obligé de l’examen de sixième.

Les épreuves consistaient en une dictée et des questions, une rédaction  et deux problèmes d’arithmétique**.

L’année de nos onze ans, en première division de la classe de M. Marcel Lucas, nous l’avions tous passé pour nous permettre d’évaluer nos connaissances et nous habituer à ce genre d’exercice. Ceux qui poursuivront vers le certificat d’études primaires se verront  confrontés aux différents concours pour entrer dans l’apprentissage d’un métier. En général nous passions celui du collège technique et des deux grosses entreprises de la région, Sud-Aviation*** et les Chantiers de L’Atlantique.

Du lieu où je l’ai passé et de  l’examen proprement dit je n’ai pas de souvenirs précis, par contre,  je me vois encore entrer en trombe dans la salle de classe du directeur où son fils aîné, Alain, qui deviendra plus tard mon professeur à l’Institut Universitaire de Technologie de Saint-Nazaire, debout sur l’estrade, derrière le bureau de son père, annonçait à des gamins impatients les résultats.

Quand vint mon tour, il parcourut la liste posée sur le bureau et annonça : « Reçu ».

Je sortis les bras levés en criant.

Ma joie ainsi fut grande et fit naître un espoir : ce succès pourrait peut-être décider mes parents de me permettre d’entrée en sixième. Je connaissais leur situation financière mais mes copains d’école m’avaient dit qu’il existait un système de bourses.

J’en parlais le soir même à mon père :

« Les études c’est pour les riches ! mes deux mains travaillent dur pour vous et jamais je ne demanderai l’aumône à l’état. »

C’était un principe fondamental chez lui et je crois que dans sa vie, malgré deux licenciements pour fermeture de l’entreprise, il n’a jamais eu recours à la caisse de chômage.

Mon sort était-il jeté ? il me restait une chance : le rendez-vous avec l’orienteur. Mes parents avaient reçu une convocation dans la semaine. Peut-être pourraient-ils, à la vue de mon dossier, avoir un avis différent ?

Quelques jours plus tard nous étions maman et moi assis dans une petite pièce où derrière une petite table minable un homme – en costume pied de poule, chemise blanche de la veille, cravate de couleur, lunettes fines, cheveux poivre et sel peignés en arrière – se tenait bien droit. Les coudes posés sur la table, les mains jointes  placées sur le bas de son visage, il nous regarda prendre place sur deux mauvaises chaises.

Au mur une peinture vert d’eau, vieillotte, déteinte par le temps ; sous la fenêtre gris souris des tâches d’humidité dessinaient un semblant de papillon.

Un dossier, fermé, était posé sur la table. Il posa lentement sur celle-ci les deux mains, les doigts écartés. Ses yeux petits et froids se dirigèrent alternativement sur moi et puis sur maman. Il  dit d’une voix fatiguée, d’un ton blasé :

« À la vue du dossier de votre fils je pense qu’une orientation vers un apprentissage est judicieuse. »

Pendant quelques secondes je restai interdit. L’avait-il ouvert ?  l’avait-il étudié ce dossier ? probablement pas. Je perçus cela comme une mascarade, un simulacre, une comédie…

Voyant mon désarroi il reprit :

«  L’apprentissage n’est pas une fin en soi. Il existe des passerelles pour poursuivre des études…quand on est courageux.  »

Je me tournai vers maman, elle acquiesça. Cette décision allait parfaitement dans son sens. Les mains de l’homme tapèrent doucement sur la table signifiant que l’entretien était terminé. Il les plaça de nouveau, jointes, sur le bas de son visage. Nous nous levâmes et sortîmes.

Quelques minutes plus tard je me retrouvai dans la rue, abasourdi : les études m’étaient fermées. J’allai donc passé dans la deuxième division de la classe de certificat d’études chez le directeur M. Peny.

Bien plus tard, lorsque j’ai accompagné mes filles au collège pour ce genre d’entretien, j’ai eu toutes les peines du monde à me contenir, je sentais toute mon amertume, mon ressentiment faire surface malgré le contexte si différent : elles savaient ce qu’elles voulaient faire, elles avaient carte blanche, c’était une conseillère d’éducation plutôt jolie dans un bureau clair et spacieux mais je percevais ce même air de suffisance, de savoir innée qui m’exaspérait. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander peut être avec une pointe d’arrogance et d’ironie :

« Juste une question : avez-vous regardé, avez-vous étudié son dossier ? »

Boussay – Octobre 2013

 

* C’est ainsi que nous l’appelions dans notre jargon d’écolier. Il avait probablement le titre de conseiller d’orientation.

** Je ne souvenais plus des épreuves que nous passions, un ami instituteur en retraite m’a rafraichi la mémoire.

*** Cette entreprise d’aéronautique a changé plusieurs fois de nom, Airbus actuellement.

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Commandant Rivière – Cape Town (Afrique du Sud)

CarteMondeAnnotéeCapeTown

Cape Town, le 25 décembre 1972.

Voilà, nous sommes le 25 décembre, le jour où dans beaucoup de familles les enfants sont rois. Ah ! je me souviens des Noëls de mon enfance, tout l’univers qui m’entourait alors : la féerie lumineuse dans la ville, les vitrines où je collais mon nez avec l’espoir de posséder un de ces jouets.

À cet âge, il me semble,  on vit dans un monde idéal, féerique, avec le sentiment que tout est beau, grand et noble. Aujourd’hui j’ai tout perdu de ce monde imaginaire ; la vie est ainsi. Je suis à neuf mille kilomètres de toi*, parfois je suis un peu triste et alors m’envahit une pensée, une langueur, un état d’esprit couleur cauchemar.

* Petit rappel : ce journal est une transcription des lettres que j’envoyais alors à celle qui est devenu mon épouse.

Tiens minuit ! selon la tradition, est né alors un homme qui fut et est la plus grande « vedette » de l’histoire des hommes ; il tient l’affiche depuis si longtemps…

Nous sommes à Cape Town depuis le vingt-deux et la ville est agréable : l’Angleterre transposée en Afrique avec ses coutumes, ses maisons. Les habitants eux-mêmes semblent des gentlemen ou des ladies. C’est très agréable de se retrouver ainsi brusquement dans notre civilisation : buildings, autoroutes, chewing-gum et coca-cola**…

** Le contraste était tellement saisissant entre la pauvreté de l’Afrique et la modernité de l’Afrique du Sud.

DuncaDockCapeTown1973

Duncan Dock, Cape Town

La ville est très grande, elle se trouve près du Cap de Bonne Espérance. Sa population est très cosmopolite : des blancs, la minorité, des indiens à la peau bronzée et au fin visage et les noirs, la majorité, considérés comme « incivilisés ».

Le mariage entre les blancs et les indiens ou les noirs est interdit. Le mariage entre noirs et indiens est aussi interdit. Ils ne veulent pas de mélange de races***. Tout contact sexuel entre race différente est puni par la loi. Si un blanc est surpris à copuler avec une noire, la peine prévue est de six mois de travaux forcés et la flagellation. Tu vois, il ne rigole pas dans ce pays !

*** Une présentation du pays et ses lois « particulières » nous a été faite dans la cafétéria par le commandant lui-même.

Nous avions un seul noir à bord, M., un manœuvrier il me semble, et bien sûr ce n’était pas le pays idéal pour lui mais  les marins faisaient bloc autour de lui et il me semble, qu’en ville, il n’ait jamais été inquiété. Que pouvaient faire les commerçants contre un groupe bouillonnants de marins en escale dont certains recherchaient la confrontation ?

Lorsque nous nous promenions en ville on pouvait voir que les magasins affichaient à quelle population ils étaient réservés. Dans les parcs, les bancs publics portaient la mention « black » d’un côté « white » de l’autre avec parfois une bande de peinture de séparation.

Bien sûr il faudrait dire, dans le temps actuel, que l’on était offusqué par la ségrégation ; pour ma part ce n’était pas le cas.  En prenant le risque de choquer certains, je regardais cela dans une totale indifférence.

Les jeunes filles noires nous aguichaient en permanence et c’était un terrible supplice mais je préférais la compagnie de jeunes étudiantes blanches qui en nous abordant voyaient là une possibilité de parler français.

Le pouvoir et le contrôle financier sont tenus par les blancs qui sont en minorité. La population blanche est composée d’anglais et de hollandais. La langue est soit l’anglais soit l’afrikaans qui est un dérivé du hollandais.

Nous avons reçu un accueil très chaleureux****, de nombreuses familles ont invité des marins pour passer le réveillon. Je n’ai pas eu cette chance et je l’ai passé à bord.

****  Lorsque nous promenions en ville, il était fréquent que les blancs nous invitassent à entrer chez eux et boire un verre. Ces actions répétées avec des conséquences pour nous : des difficultés pour revenir à bord. J’ai souvenir d’une grande rue en pente au bas de laquelle nous pouvions apercevoir le navire à quai. A notre passage, les habitants nous apostrophaient,  nous hélaient  pour partager un moment avec nous.

Quelques-uns parlaient un français incertain  mais suffisant pour une conversation basique, d’autres faisaient venir un plus jeune, un étudiant sans aucun doute, pour assurer la traduction. Nous avons même été  interviewés  pour un journal local par une jeune et jolie journaliste.

Une constante : tous nous vantaient les beautés de leur pays et évoquaient la possibilité que nous pussions nous y installer.

Mais ce fut un très bon réveillon. Des tables disposées sur la plage arrière réunissaient pour un fraternel repas les officiers, officiers mariniers et les matelots. Le commandant était aussi de la fête. Nous avons chanté, mangé et bu dans une très bonne ambiance. L’orchestre du bord envoyait un flot de musique. J’ai eu le cafard quand ensemble nous avons chanté « Petit Papa Noël » et souvent à bord ou même en ville des marins entonnent ce chant***** qui est pour nous un lien avec ce que nous aimons.

***** Surtout lors des soirées « caniveau ».

Il faut aussi que je parle du site qui entoure Cape Town. Trois montagnes dominent la ville : Table Mountain (la Montagne de la Table), elle porte ce nom car elle forme un plateau qui culmine à mille quatre vingt-six mètres ; Devil’s Peak (le Pic du Diable) et  Lion’s Head (Tête de Lion). Ce plateau et ces pics donnent à la ville un charme évident.

Nous sommes allés en téléphérique sur la Montagne de la Table : quelle vue magnifique sur la ville et ses environs ! on apercevait dans un coin Simonstown, une autre ville située sur la côte.

Je n’ai pas pu prendre de photos, les pellicules, ici, coûtent très chères et les affaires ne marchent pas très fort en ce moment, Aussi, depuis deux escales, je fige dans ma mémoire tout ce que je vois. Tu m’excuseras si je ne t’envoie pas de carte postale… pour la même raison.

Notes : 

Pendant cette escale nous avons vu un nouvel arrivant embarquer : Idéfix un petit chien. D’après G. ce sont des mécanos et le quartier Maître F. H. qui l’ont ramené à bord dans une boite à chaussure après une sortie « caniveau ». C’est le lendemain matin qu’ils se sont souvenus de sa présence, lorsqu’il a aboyé.

 mascotte - Huiter francis

 Idéfix, la mascotte du bord avec le QM F. HUTIER (Electronicien d’armes – Elarm) lors d’un poste de manoeuvre sur la plage plage arrière (Photo A. Verzwyvel)

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Le petit cadeau (Audio)

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Fichier Audio :

Le petit cadeau

Il pleut sur la ville, une petite pluie fine mais pénétrante. Ça guenasse, pensa IL en fermant la porte d’entrée de son petit pavillon dans le quartier du port. Il sourit, c’était l’expression favorite de sa grand-mère Félicité. Il se voit enfant sur le parvis de l’église de son village natal avec sa grand-mère disant au curé : « Il ne pleut pas Monsieur le Curé, ça guenasse tout au plus.».

Il remonta le col de son imperméable, ajusta sa casquette et se dirigea d’un pas alerte vers le centre-ville en traversant le pont levant. Les grues du port, peintes en jaune, se détachaient sur le gris des nuages.  Il s’engagea dans l’avenue menant à l’hôtel de ville. Elle était déserte. Le vent faisait tourbillonner, virevolter les feuilles jaunies et, lorsqu’il avait fini de jouer avec, il les entassait sous les porches, autour des arbres, dans les caniveaux. Bientôt, IL s’engagea dans l’avenue principale. Elle aussi était déserte. Le souffle du vent se fit alors plus fort car aucun obstacle ne l’arrêtait. Il lui fouettait le visage. Quel temps de chien ! pensa-t-il.

Il poussa la porte d’un magasin, d’un curieux magasin. Était-ce une épicerie de quartier, une droguerie, un magasin de farces et attrapes ? Il était tout cela à la fois. On y louait même des vêtements, des déguisements dans l’appartement au-dessus.

Résultat de l’achat successif de différents locaux contigus, l’unique allée suivait, de la porte d’entrée à la caisse, la configuration du magasin. Le client passait ainsi devant tous les rayons sans avoir la possibilité de revenir en arrière.

On s’y croisait avec peine tant l’allée était étroite et ponctuée de quelques marches au passage des différents niveaux. IL parcourut le labyrinthe, s’arrêta à la caisse :

« Avez-vous reçu ma commande ?

– Oui Monsieur, elle est arrivée. » répondit le patron en blouse grise et un mégot collé à la lèvre supérieure. Il fouilla sous le comptoir en sortit une boîte en carton, l’ouvrit et présenta l’objet.

« Il est magnifique, vraiment magnifique, s’exclama  IL, les couleurs sont parfaites, quel réalisme, on dirait vraiment un vrai.

– C’est vrai, il est magnifique. J’ai eu un mal fou à me le procurer, répondit le patron. Seuls les Japonais peuvent avoir une telle qualité. Il est un peu cher…

– Oui je sais, les années précédentes je le prenais en plastique, mais dix ans cela se fête. Je me suis dit que je pouvais passer, pour une fois, à la qualité supérieure.

– Je vous fais un papier cadeau ?

– Non, non, c’est inutile, je vais le déposer tout de suite. »

Il paya et sortit. La pluie avait cessé. Il pressa le pas vers le cimetière situé à quelques rues de là. Il poussa la lourde porte en fer forgé. Elle s’ouvrit sans un grincement. Ici et là dans les allées, quelques vieilles personnes nettoyaient et fleurissaient les tombes pour la Toussaint.

Une main dans la poche de son imperméable, le paquet dans l’autre il se dirigea vers le bas du cimetière, s’arrêta devant une tombe, sortit l’objet et le déposa délicatement sur la froide pierre tombale, recula un peu, admira l’effet, revint et modifia quelque peu la position. Considérant que l’objet était à sa place il commença un petit monologue :

« Tiens ! je t’ai apporté ton petit cadeau salopard. Tu remarqueras que cette année, j’ai fait un petit effort. Celui-ci est d’un réalisme déconcertant.

Dix ans déjà ! dix ans que tu es, j’espère, en enfer. Tu n’as pas profité de ta retraite ! Dieu est juste ! Tu m’as tellement fait chier quand j’étais au boulot. Tu te souviens ! je me battais comme un fou avec mon garçon malade. J’étais à l’époque aux abois, tu le savais et tu prenais un réel plaisir à me torturer. Allez ! je te laisse, vieille ordure… à l’année prochaine.»

Il s’en retourna tranquillement, les mains dans les poches, en baissant la tête pour se garder de la pluie qui avait recommencé à tomber. Sur la tombe devant une plaque funéraire aux lettres un peu défraîchies « Le temps passe, le souvenir reste. » est posé  un bel étron d’un réalisme déconcertant.

Boussay – Septembre 2013

 

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En forêt équatoriale, au Zaïre (Décembre 1972)

En forêt équatoriale, au  Zaïre (Décembre 1972)

CarteMondeAnnotéeMatadi

Nous étions soixante, soixante marins du glorieux Commandant Rivière en parka kaki et bonnes chaussures qui, après avoir visité une scierie où de grosses grumes sont équarries et sciées en tranches épaisses, se sont enfoncés  dans la forêt équatoriale sur une piste marquée par de profondes et larges ornières.

Bientôt,  nous traversâmes un village installé dans une clairière, à cette heure, pas âme qui vive ; c’est le campement des forestiers pensai-je ; puis, plus avant,  nous nous sommes engagés dans une trouée faite par un bulldozer dans le mur végétal.

Notre guide nous menait vers des bruits de machines ; ils devenaient de plus en plus forts, nous approchions du but de notre visite : un chantier d’abattage.

Sur une plateforme située à environ un mètre cinquante du sol, deux noirs de forte stature, torses nus, ruisselants de sueur attaquaient la base d’un arbre d’un fort diamètre avec de lourdes cognées. Notre guide nous expliqua la manœuvre et nous mena ensuite dans un autre secteur pour voir le chargement, sur un camion, des grumes récemment abattues.

MatadiAbattageArbreAbattage d’une arbre (Photo du web)

Las de voir des bulldozers tendent des câbles, je décidai de revenir vers le village avec deux camarades.

Debout, P., l’animateur du bord, était en conversation avec une villageoise assise sur le pas de la porte d’une grande case. Elle tenait dans ses bras une petite fille qui, apeurée par notre arrivée, cacha son visage contre sa poitrine. La jeune femme était très jolie et parlait un français parfait.

Ils continuèrent tous deux leur conversation. P. posait des questions, elle répondait gentiment. Nous apprîmes qu’elle avait vécu en France, qu’elle était revenue pour se marier, qu’elle était l’institutrice dans ce village et que nous étions devant l’école.

Cette discussion était très intéressante et nous apprîmes ainsi moult détails sur la vie en brousse.

Petit à petit les excursionnistes revenaient par petits groupes. Parmi ceux-ci il y avait T., bon camarade, un peu macho, dragueur invétéré et ne pouvant supporter la présence d’un jupon sans qu’il lui fasse immédiatement une cour… pressante avec un humour… pas toujours… de bon goût. Il aborda la demoiselle, sans ménagement, avec sa  gouaille habituelle :

«  Toi y en a habiter le village ? »

Pendant une seconde, tous, nous nous sentîmes quelque peu embarrassés.

Probablement habituée à ce genre de comportement la femme le regarda droit dans les yeux et lui dit d’une voix posée, mais ferme :

« Monsieur… il est inutile d’employer avec moi cette manière ridicule pour me parler. J’ai fait toute mes études à Paris ! à la Sorbonne ! et je suis titulaire d’un licence de grammaire. »

Le ton qu’elle prit, l’assurance de cette belle jeune femme eut raison de notre marin ; il n’insista pas ; il tourna les talons…

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Le centre aéré de la Villa Nelly (1961 à 1963)

Le centre aéré de la Villa Nelly (1961 à 1963)

Si vous suivez le chemin des douaniers entre Porcé et Ville-ès-Martin,  vous longerez immanquablement, au niveau de l’anse de Bonne Anse, une splendide propriété : la Villa Nelly. C’est un site boisé magnifique d’environ trois hectares. Jusqu’à ce jour, elle est toujours propriété de l’évêché de Nantes.

Quartier1969

Situation du site (Dessin Mc-M.)

Elle porte le nom de la fille aînée d’Amédée Juchault, baron des Jamonières* qui la fit construire dans les années 1850-1855, période pendant laquelle Porcé se transformait peu à peu en un lieu estival. Elle est restée dans sa descendance jusqu’au lègue fait à l’évêché de Nantes.  *Référence : Chronique de Saint-Nazaire – Hautefort

Très tôt elle a eu vocation d’accueillir des familles et des enfants. En 1937 et 1938, l’Union Familiale de Trignac, une société, comme on disait à l’époque, d’obédience catholique, a loué pendant l’été la Villa Nelly  “où  les familles et tous les enfants, sans distinction, purent jouir d’un délassement et d’une villégiature”.

Tous les enfants de mon quartier étaient de modeste condition et, à de rares exceptions, ne partaient pas en vacances ; de ce fait nous nous retrouvions tous, les deux mois d’été, au centre aéré de la Villa Nelly,  la “Villa” comme nous disions entre nous.

Nous achetions les tickets à la cure de Méan. Pour permettre aux familles d’envoyer leurs enfants des aides étaient allouées par la Caisse d’allocation familiale.

Il existait un pendant laïque : le centre aéré laïque de Bonne Anse situé juste à côté.

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Vers 1953, dépôt et ateliers d’entretien des cars de la Brière à Penhoët, rue Pierre Vergnaud. Crédit photo Michel-C Mahé

Un ramassage était organisé par les cars verts de la Brière, les mêmes utilisés par les ouvriers des Chantiers. Ils n’étaient pas très confortables et fumaient beaucoup. Ils étaient stationnés sur le parking attenant au dépôt et aux ateliers d’entretien qui se situaient à Penhoët, rue Pierre Vergnaud.

Habitant Penhoët, je pouvais donc prendre l’une ou l’autre des différentes lignes. De préférence je prenais celle passant par Trignac car je connaissais… quelques filles. Deux de celles-ci, des sœurs, sont toujours des amies et avec l’une d’elles, par le truchement des alliances, nous possédons des neveux en commun.

Le car était partagé en deux : les places avant pour les filles, celles de l’arrière pour les garçons. Celles limitrophes étaient réservées par les plus grands des deux sexes et gare si un plus petit voulait s’installer. Un accompagnateur surveillait tout ce petit monde..

Pendant les trajets, aller et retour et surtout lors de notre entrée dans la propriété, j’ai le souvenir que nous chantions des chansons classiques de colonie : “Pirouette cacahuète”,  “Ne pleure pas Jeannette”, “Elle descend de la montagne” etc. Mais un jour une des filles avait apporté un carnet de chansons plus modernes et nous avions chanté : “Jolie môme” de Léo Ferré.

T´es tout´ nue
Sous ton pull
Y a la rue
Qu´est maboul´
Jolie môme
T´as ton cœur
À ton cou
Et l´bonheur
Pas en d´ssous
Jolie môme…

Un vent de panique a soufflé du côté du chauffeur et de l’accompagnateur ; immédiatement ce dernier s’est précipité dans l’allée centrale pour nous demander de cesser de chanter et le carnet fut confisqué jusqu’au soir.

VillaNelly1969

La Villa Nelly (Dessin Mc-M.)

Nous arrivions par la route de la côte d’Amour (1), prenions une allée assez longue, bordée d’une grande haie, marquée à son entrée par deux piliers d’un ancien portail (2) puis passions le portail vert de la propriété (3). Là, le car se vidait de ses petits passagers qui allaient rejoindre leur groupe respectif, encadré par les moniteurs, constitué suivant le sexe et l’âge et portant un nom évocateur : les bleuets, pour les plus petits ; les âmes-vaillantes (?), les souriantes, les conquérantes pour les filles ; les cœurs-vaillants (?), les veilleurs, les Jean-Bart pour les garçons.

La direction était assurée durant mes deux premières années de présence par un père, puis la dernière, il me semble, par un laïc.

Nous appelions nos moniteurs avec le préfixe chef ; pour les monitrices : les cheftaines. Je me souviens particulièrement d’un moniteur plutôt petit et assez coléreux que nous appelions “chef Marcel”.  Des noms et des prénoms résonnent dans ma mémoire : Jacques Pouvreau. qui devint professeur de sciences physiques dans un collège de Saint-Brévin, Jacques L. prendra plus tard une responsabilité dans Amnistie International, Marie-Camille que nous appelions Maca, elle n’aimait pas son prénom…

Le rassemblement pour l’arrivée et le départ des enfants se faisait dans la prairie (4). En haut de celle-ci la villa (5) où se tenait l’administration du centre et il me semble l’infirmerie. En bas,  pour aller à la plage : la descente (6), aux marches inégales ravinées par la pluie, creusées dans le sol et bordées par un rondin de bois tenu par deux piquets fichés dans le sol.

Tout le reste de la propriété était couverte par un  bois (7), surtout des pins,  parcouru par des sentes et troué par une allée assez large menant vers le préau (8), attenant aux cuisines, où les plus jeunes prenaient leur repas et collation.
Dans cette portion de côte, la plage est bordée par une haute falaise et le chemin qui courait, en haut tout le long de celle-ci, le chemin des douaniers, n’existait plus, emporté avec le temps par l’érosion.  La falaise était devenue la limite des propriétés bordant cette plage et chaque propriétaire avait aménagé une descente pour profiter de la mer.

Les baigneurs ou promeneurs, pour accéder à la plage de Bonne-Anse (9), ne pouvaient passer, à marée basse, que par la plage de Porcé (10) ou la Rougeole (11) ; à marée haute, selon le coefficient, seul le passage par la plage de la Rougeole était possible. Le rocher du Lion (12), semblait alors être le gardien de ce site magnifique.

Niché dans la falaise, avec son imposant contrefort donnant sur la plage, un blockhaus (13) de la seconde guerre mondiale, encore aujourd’hui, semble monter la garde. L’entrée, un puits  muni d’échelons de fer scellés dans la paroi gainée de briques rouges, avait été dégagée par quelques inconnus avides de découvertes et nous permettait de descendre dans ses entrailles : une petite salle éclairée par une fenêtre de tir donnant sur la mer.

Sur la plage, le contrefort fermait un peu plus une petite crique que nous appelions “le coin des amoureux” (14). À l’autre extrémité le rocher du Lion (12), reste probable d’un isthme constitué avec les  roches de la Rougeole (15), séparait ce site magnifique de la plage de la Rougeole (11).

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La plage de Bonne Anse (9), la Villa Nelly (5), la prairie (4), le bois (7)  (Col. Mc-M.)

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Sur la prairie devant la villa  (Crédit photo : Béatrice Pézeron)

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Le rocher du Lion vu de la plage de Bonne Anse (Collection Mc-M.)

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Le rocher du Lion vu de la plage de la Rougeole (Collection Mc-M.)

Les plus grands possédaient leur coin pour déjeuner dans le bois : tables et bancs en bois, assiettes et verres en pyrex (verre transparent réputé… incassable), pots en inox pour servir la boisson : du coco.

On nous servait le plus souvent des plats en sauce accompagnés de pommes de terre bouillies ou en purée avec de larges tranches de pain de campagne.

Les guêpes venaient nombreuses pendant le repas et le petit verre rond était un piège implacable pour les attraper. Nous attendions que l’une se posait sur la table et d’un coup nous l’enfermions ; ensuite avec un mouvement circulaire rapide du verre nous l’étourdissions. La pauvre bête se voyait ensuite séparée en deux avec le bord du verre.

Elles pouvaient être dangereuses : une monitrice avait été évacuée d’urgence vers l’hôpital car elle s’était fait piquer à la langue ; chacun craignant que l’œdème provoqué bloquât les voies respiratoires.

Après le repas la sieste était obligatoire avec un coin dédié. Du nôtre (16) nous avions une vue magnifique sur l’anse de Bonne Anse. Pour les plus grands, on leur demandait simplement de rester tranquille. Nous passions notre temps à sculpter des bateaux avec les écorces de pin, jouer aux cartes ou aux osselets.

Avec mon ami Jean-Yves Sarrazin. nous nous sommes vu confisquer notre couteau car nous tracions nos initiales sur le tronc d’un arbre. Quelques vingt ans plus tard, après quelques recherches, j’ai retrouvé, non sans nostalgie, le tracé boursouflé des lettres délictueuses.

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Souriantes sur la plage  (Collection Marlyse Mahé)

Puis nous descendions à la plage. Là aussi un coin nous était attribué (17) et si quelques personnes s’étaient mises à notre place nous organisions rapidement une soule – dans une aire sans limites véritables, deux équipes se disputent un ballon qu’il faut déposer dans un but – les cris, les mêlées, le nuage de poussière et de sable faisaient déguerpir les intrus.

Nous nous baignons tous les jours, selon la marée bien entendu, par groupes, dans une zone de bain matérialisée par des bouées reliées à une corde. C’était un moment très attendu dans la journée. Les baigneurs impatients étaient réunis sur le bord et au coup de sifflet du directeur tous pénétraient dans l’eau en courant, en provoquant de grandes gerbes, en poussant de grands cris. Combien de temps durait le bain ? je ne serais le dire mais au coup de sifflet nous remontions vers la plage, grelottant, vers notre serviette. Nous nous séchions quelques instants et reprenions nos jeux là où nous les avions laissés.

Sur la plage, se construisaient des structures issues de notre imagination fertile : tunnels, châteaux de sable, formes représentatives de toutes sortes de choses – bateaux, maisons etc. – décorés de coquillages,  tous irrémédiablement détruites par la marée. Nos moniteurs organisaient des concours de châteaux de sable et le  jury décernait des prix très appréciés : des friandises !

Nous pratiquions la pêche à pied sur les Roches de la Rougeole (15), accessibles à marée basse. Parmi celles-ci, se dressait un morceau de falaise, grignotée inlassablement par le vent et par la mer. Son escalade était facile et à son sommet subsistait une petite plate-forme avec un peu de végétation. Là, assis, les bras enlaçant mes jambes repliées, la brise du large me faisant plisser les yeux,  j’en ai passé du temps à contempler la mer, à rêver de voyages dans des îles lointaines.

En bas, nous pêchions dans les flaques sur les rochers recouverts de goémon : crevettes, crabes verts qu’il fallait relâcher, avec un peu de dépit, car nous ne pouvions pas les emmener.

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Les Roches de la Rougeole (Collection Mc-M.)

Sur la prairie, outre les jeux de ballon, nos moniteurs ne manquaient pas d’imagination pour nous occuper. J’ai le souvenir de jeux olympiques où des groupes, constitués selon les âges et représentant un pays, participaient à différentes épreuves : tirs à la corde, courses en sac, etc. Il y avait bien sûr toute la solennité de la cérémonie d’ouverture, des remises de médailles et de la cérémonie de clôture.

J’ai dans ma mémoire une kermesse où nous jouions des scénettes sur un podium mais les images sont maintenant si fugitives : une tarte à la crème faite de purée de pomme de terre que je recevais de mon coéquipier, une grande fusée de carton  qui était censée décoller et  pour imiter la fumée du départ un moniteur avait gonflé un ballon avec la fumée d’une cigarette…l’effet escompté, après éclatement du ballon, fut décevant pas la moindre volute n’apparut…

Pour une fête, un thème avait été défini pour chaque groupe d’enfants, on nous avait demandé de nous déguiser. De ce que je me souviens : les “Veilleurs” étaient en gaulois et leur chef, portant veste de mouton et casque ailé, était fièrement porté sur un pavois par leurs moniteurs. Les “Jean-Bart” étaient en romains, mais comme il n’est pas facile de réaliser tuniques et cuirasses… plutôt en semblant de romains.  Un moniteur a eu la bonne idée de faire combattre les deux troupes sur la prairie.  Oh ! il n’y eut pas de savants mouvements de troupes mais une mêlée indescriptible ; le combat fut bref ; les romains gagnèrent…

Dans un une pièce du rez-de-chaussée de la villa, on tenta aussi de nous faire faire quelques travaux manuels par la réalisation d’un petit gymnaste, aux bras et jambes mobiles, actionné par deux planchettes. La découpe du contreplaqué nécessitait des petites scies dont la lame se cassait  facilement sous nos mains malhabiles, nous cessâmes nos travaux… par manque de consommables.

Nous avions eu un moniteur qui avait manifestement des talents de conteur. Il avait écrit un conte, “La légende du Rocher du Lion”, qu’il nous avait dit un après-midi pendant la sieste. Le félin, gardien d’un château, sur la rive du pays de lumière où vivait une jolie princesse, arpentait la plage pour protéger la belle contre un méchant sorcier vivant de l’autre côté du fleuve au pays des ténèbres. Le félon l’avait statufié, lors d’un assaut, en profitant que le lion fût aveuglé par le soleil.

Ils étaient étudiants en science ou littérature et il leur arrivait ensemble de débattre sur des auteurs. C’est là au cours d’une conversation entre deux d’entre eux que j’ai entendu, pour la première fois, prononcé le nom de Jean-Paul Sarthe.

Le bois était le théâtre de notre jeu préféré : le jeu de vies. Le groupe était partagé en deux équipes : l’une défendait un trésor caché dans un coin du bois, l’autre tentait de se l’approprier. Chaque participant possédait, au départ, une vie, simple ruban de tissu qui pendait dans le dos, coincé à notre ceinture. Lorsqu’un attaquant rencontrait un défendeur, deux possibilités : la fuite pour éloigner l’assaillant du trésor convoité ou le combat, au corps à corps, une main dans le dos. Il cessait lorsque la vie de l’un des deux protagonistes était prise. On pouvait cumuler les vies et les utiliser jusqu’au moment où nous les avions toutes perdues.

Le bois offrait une multitude de loisirs créatifs ; pour les plus jeunes : des couronnes faites de feuilles lancéolées reliées par un petit bout d’aiguille de pin, des bagues, des boucles d’oreille réalisées en creusant un gland ; les plus âgés sculptaient les écorces de pin,  fumaient, en cachette, des tiges de plantes séchées que nous appelions “bois fumant”.

L’arum tacheté ou gouet tacheté, que l’on voyait partout dans le bois, avec sa grappe de fruits rouges, nous inspirait une certaine crainte. Nous l’appelions “les raisins à vipère”. Cette plante est toxique, et dans les temps plus anciens, considérée comme magique. Il est curieux de voir cette information ainsi véhiculée de génération en génération.

Nous partions en pique-nique, dès le matin, une ou deux fois dans le mois, en car pour les plus jeunes, à pied pour les autres,  à l’étang du Bois-Joalland ou au Tumulus de Dissignac.

La nourriture était transportée dans de grands paniers en osier recouverts d’un linge blanc. Notre repas de pique-nique était immuable : un œuf, une tranche de pain de campagne, une part de “Vache qui rit”, une pomme, une barre de chocolat noir enveloppé dans un fin papier d’aluminium.

Pour la boisson nous emmenions nos gourdes de plastique. Maman me mettait de l’eau et de la menthe, Jean-Hugues, un copain de mon quartier buvait du Lithiné, boisson gazeuse obtenue en versant dans l’eau le contenu d’un sachet acheté en pharmacie.

À seize heure, avant notre départ du centre, pour notre goûter, nous dévorions des tranches de pain de campagne avec de la confiture ou de la compote.

Vers seize heures trente avait lieu l’appel pour monter dans les cars pour retourner dans nos foyers. Tous les enfants étaient réunis sur la prairie. Le directeur égrenait la litanie des arrêts de chaque ligne de ramassage. Nous les connaissions par cœur : Grand-Marsac, Petit-Marsac…Dès que nous entendions la nôtre nous courrions pour nous mettre dans la file qui se formait peu à peu. Puis nous montions dans le car.

Les deux mois passaient ainsi sans cahier de vacances mais remplis de courses folles, de baignades bruyantes, de rencontres, de découvertes, de premiers émois…

Juillet était, me semble-t-il,  toujours très ensoleillé et mais avec août quelques chaudes averses faisaient leur apparition faisant monter dans le bois toutes les odeurs de l’humus. Elles étaient pour moi un indicateur : nous avancions dans l’été et bientôt je retrouverai mon école et sa cour de récréation.

La dernière année, celle de mes treize ans, j’avais fait part à un de nos moniteurs, Bernard Pouvreau, mon souhait d’apprendre l’anglais. Il me proposa gratuitement ses services et les mois suivants j’allais prendre mon cours  à Saint-Brévin-les-Pins, le soir, une fois par semaine,  à  bicyclette, en prenant le bac de Mindin.

Avec sa femme, qui à l’époque attendait un enfant, ils habitaient un appartement dans un immeuble, Boulevard Padioleau, en face de la mer. C’était sa première année d’enseignement des Sciences Physiques au collège de Saint-Brévin.

Il me donna les premiers rudiments de cette langue et fut un de ceux qui me permirent d’étancher ma soif d’apprendre.

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Commandant Rivière – En mer, vers Cape Town

En mer, vers Cape Town, le 17 décembre 1972.

CarteMondeAnnotéeCapeTown

Voilà ! une nouvelle journée de passée, nous avons quitté Matadi hier matin à dix heures. Le Zaïre et ses berges couvertes de hautes herbes et de forêts inondées nous a fait ses adieux.

Très bonne escale ! surtout la splendide excursion dans les terres à cent kilomètres de Matadi. Ce fut d’abord un défilement de paysages faits de collines avec dans les vallées : des palétuviers, des palmiers, des petits arbustes etc. Le palétuvier est un arbre extraordinaire : ils possèdent des racines aériennes et leurs graines germent sur l’arbre. Elles sont munies d’une flèche avec des ailerons. Lorsqu’elles tombent dans la vase elles s’y fichent fortement.

Puis, nous avons quitté les routes goudronnées pour les pistes poussiéreuses de couleur ocre. Là, de nouvelles images nous attendaient : des villages avec leurs maisons en pisé qui s’harmonisent parfaitement avec le paysage, des enfants qui nous font de grands gestes, une femme portant un enfant dans le dos et un panier sur la tête nous faisant des signes d’amitié. L’Afrique de mon enfance, elle est là ! partout autour de moi !

Nous avons visité une scierie. Les grands arbres sont équarris puis transformés en planches avec de puissantes scies.

Après cette courte halte, nous sommes repartis, toujours un peu plus loin, en direction de la forêt.

La forêt équatoriale, mon rêve de gosse enfin réalisé, elle nous ouvrait, toutes grandes, ses portes : un chemin de traverse, une clairière et commence l’excursion. Un village nous a accueillis tout d’abord, peu de personnes aux heures chaudes de l’après-midi et nullement impressionnées par l’arrivée de soixante militaires en tenue kaki. Plus loin, sur un terrain dégagé, des tracteurs chargeaient d’énormes troncs d’arbres sur un camion. La vue de ces machines ne nous réjouissaient pas vraiment et las de les voir tendre des câbles je revins vers le village.

Mon copain P. discutait avec une villageoise et je me suis mêlé à leur conversation. Elle avait vécu à la ville et était revenue au village pour se marier.

Dans ses bras, se blottissait, un peu apeurée, une adorable petite fille, noire comme de l’ébène, de beaux grand yeux, des cheveux frisés.

Nous engageâmes la conversation sur la vie du village. Elle nous a appris, dans un français parfait, qu’il était autonome, qu’il n’achetait pratiquement rien à l’extérieur ; le manioc est la nourriture de base ; l’eau vient d’une source pas trop loin, près de la forêt.

Dans le courant de la conversation, elle nous a appris qu’il y avait des ananas dans la forêt. P. et moi décidâmes tout de suite d’aller en cueillir.

Les pistes que font les bulldozers lors de l’abattage des troncs d’arbres ne sont pas tellement praticables.  Le climat est assez malsain, l’humidité constante, la chaleur nous accable. De grosses gouttes de sueur coulaient sur notre visage et des mouches venaient retirer un peu de notre sang. Le bord nous avait fourni une tenue de combat kaki et de bonnes chaussures de marche. Ceux qui avaient retiré leur veste étaient couverts de boutons rouges larges comme une pièce de cinq francs.

La boue des pistes contrastait singulièrement avec le vert de la forêt. Nous cherchions en vain des ananas. Nous évoluions dans un univers qui nous était inconnu.  Parfois sur un arbre de profondes rainures faites, pensions-nous ou… peut-être qu’il nous plaisait de le penser, par des griffes acérées de quelques fauves alourdissaient l’atmosphère.

La faune est totalement différente de nos régions et de minuscules insectes peuvent devenir un réel danger. Des fourmis, grandes comme la moitié d’une allumette, se faufilaient entre les feuilles. Mais l’idée que nous étions, P. et moi, au cœur de l’Afrique exaltait notre imagination. Il était évident que nous ne trouverions pas d’ananas au bord des pistes, il fallait avancer dans les hautes herbes, ce que nous fîmes sans trop réfléchir.

Nous sommes arrivés dans une clairière où il y avait tant de fruits que nous n’avions qu’à choisir. Nous décidâmes d’en ramener quatre chacun : de gros fruits aux belles couleurs mais pas tout à fait mûrs.

Un pot d’honneur nous a réunis ensuite chez le propriétaire de la scierie et la route du retour fut bientôt amorcée.

Un dernier au revoir au Zaïre avec ses eaux rougeâtres et limoneuses, un dernier regard sur le Zaïre typique en l’occurrence les femmes chargées de fagots ou de grands paniers pleins de fruits : mangues, bananes, ananas etc., une dernière photo : une femme lavant quelques gamelles dans de l’eau rougeâtre et le retour à travers la ville vers le navire qui m’emportera vers de nouveaux horizons.

Aujourd’hui la vie, à bord, a repris son cours. Nous nous dirigeons vers Cape Town, Le Cap en français.
En mer, vers Cape Town, le 20 décembre 1972.

Aujourd’hui la mer est très mauvaise, 3 ou 4 c’est à dire agitée à peu agitée, avec un vent de 90 km/h. Le bateau roule et tangue à qui mieux mieux ;  je ne suis pas malade ! deviendrais-je un vrai marin ?

Après-demain nous serons à Cape Town. Ah la terre ! c’est si bon !

Peu de chose à te raconter sinon que nous avons vu des otaries. Cape Town est la ville la plus australe du continent africain.

En mer, vers Cape Town, le 21 décembre 1972.

Temps relativement beau, visibilité très bonne, mer 3, voilà la situation à quelques heures avant d’arriver en Afrique du Sud à Cape Town.

Le bateau roule (dix degrés de gîte) le tangage a cessé ou est infime par rapport à hier soir.

Demain vers sept heures trente nous pourrons crier terre et c’est le principal…

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Commandant Rivière – En mer, vers Matadi

En mer, le 07 décembre 1972 vers Matadi

CarteMondeAnnotéeMatadi

J‘écris debout, il n’y a plus de chaise dans le poste, en ce moment il y a cinéma sur la plage arrière.

La chaleur est intolérable ; nous prenons des cachets de sel pour compenser la perte de celui-ci lorsque nous suons ; peu de chose à te dire, en mer, une journée passe vite et pas grand chose se passe : le travail quotidien, la sieste, manger.

Le bateau a dépassé Monrovia (Libéria), mardi nous arriverons à Matadi. C’est une ville sur le Zaïre*, nous allons le remonter sur 140 kilomètres environ : de beaux paysages en perspective.

À part cela rien de neuf, le navire glisse sur la mer inlassablement m’entraînant toujours un peu plus loin.

* De 1971 à 1997, Mobutu avait renommé le fleuve Congo : Zaïre .

En mer, le 08 décembre 1972 vers Matadi

Le navire glisse sur la mer imperturbablement, il m’éloigne toujours un peu plus loin de toi. J’en ai marre, j’ai un cafard terrible. Je suis terriblement fatigué par la chaleur, le roulis du navire, le travail : tapé à la machine dans un local où il fait 35°C. Dehors la température est supérieure certainement à 40°C. Sur le pont, un petit vent frais venant de l’ouest nous rafraîchit un tout petit peu.

Jamais je me suis senti dans un état aussi déplorable, n’ayant goût à rien, ayant toujours envie de dormir, je me sens irascible…

Le moral à bord est assez déplorable et les gens ne font rien pour l’arranger. Le vol est chose courante et gare à celui qui laisse son placard ouvert. Je ne parle pas de ceux qui laissent rafraîchir quelques fruits car ici les gars s’approprient rapidement quelque chose qui leur fait envie. J’en ai marre de cette vie !

En mer, le 09 décembre 1972 vers Matadi

Le bateau a été aujourd’hui en effervescence c’est la saint Éloi et la sainte Barbe, respectivement le patron des mécaniciens et la patronne des canonniers.

À 15h00, après la sieste, des gars déguisés en pirates avec des vieux shorts, des tricots rayés et tenant à la main quelques couteaux sculptés achetés à Dakar, ont parcouru tout le bord en criant et en chantant des vieilles chansons de marins. Ils ont traîné, fabriqués avec les moyens du bord, une chaudière pour les mécaniciens et un canon… pour les canonniers.

Les chefs de service ont offert à la joyeuse troupe, au carré des officiers, un pot d’honneur. La bande, ensuite, est allée partout où il y avait à boire : à la salle à manger des maîtres, des seconds maîtres puis chez le commandant qui leur a payé…des jus de fruits.

Demain c’est la passage de la ligne (l’équateur), aussi sur la plage arrière vers 17h00, le facteur, battant son tambour, est arrivé accompagné de son aide et d’un esclave pour remettre leur convocation aux “néophytes”, ceux qui n’ont jamais passé la ligne.

Tout est prétexte à rire aussi cela fait l’objet naturellement d’une cérémonie toute particulière :

La convocation est placée entre les…fesses  barbouillées de crème chocolatée salée à souhait, de l’aide du facteur.  Le néophyte à genoux doit la retirer… avec ses dents.

Pour ma part, j’ai eu envie de vomir mais le facteur en me tenant la tête empêchait toute fuite possible.

Une joyeuse partie dans la piscine avec des manches à incendie faisait aussi partie de la fête. Je suis fatigué ce soir et j’ai du mal à te raconter tout cela mais je pense avoir dit l’essentiel.

Je vais dormir maintenant car demain cela va être une rude journée. Nous allons recevoir le “baptême” avec la communion : une hostie au poivre et aux piments. Paraît-il que nous serons tous nus en cette occasion et arroser avec des lances à incendie !

En mer, le 10 décembre 1972 vers Matadi

Après-demain, mardi, nous arrivons à Matadi au Zaïre (ex Congo belge), sept jours de mer c’est long, heureusement qu’il y a eu quelques fêtes à bord. Tout d’abord la saint Eloi ensuite le passage de la ligne. À propos de celle-ci je voudrais en dire quelques mots :

Depuis des temps anciens, il reste dans la marine quelques traditions, le passage de la ligne est la plus tenace car la plus amusante.

La journée débute par le rassemblement des néophytes sur la plage avant en maillot de bain. Le “Pilote” vient accompagné d’un “astronome” déguisé avec un long chapeau conique et une toge. Ils font un discours amusant ponctué par le  rire de l’équipage. Trois lances à incendie sont disposées contre les néophytes qui doivent rejoindre la plage arrière. Au signal, l’eau nous cingle sur le dos et nous cherchons à nous protéger par tous les moyens car  les “initiés” introduisent dans les lances des haricots qui nous meurtrissent la peau.

Après cette épreuve : un bon déjeuner dans une bonne ambiance.

L’après-midi est consacré au baptême proprement dit : les néophytes à genoux attendent le supplice…

Je reprends ma lettre, car hier soir j’étais trop fatigué, je m’endormais, je reprends mon laïus sur les festivités du passage de la ligne :

La première épreuve c’est l’infirmier, affublé d’une toque à croix rouge, d’une blouse blanche et d’un stéthoscope, il te barbouille le visage de mercure au chrome dilué à l’eau, te trace un numéro sur le torse comme un animal à l’abattoir, te couvre de rouge, remplit tes oreilles et s’assure que les cheveux sont bien imbibés.

À genoux, tu te diriges vers “l’évêque de la ligne” accompagné par ses enfants de cœur. Ce digne homme te fais mettre à plein ventre sur le pont couvert de colorants vert, rouge, bleu. Il te demande si tu as commis des péchés, t’absout à grands coups de pinceau et de peinture bleue,  te macule le visage.

Ensuite il te fait communier. Bien entendu, l’hostie est  faite de farine, de piment, de moutarde, d’épices divers. Je t’assure que lorsqu’il te l’enfourne (c’est le mot) dans la bouche, tu as envie de vomir. Si par malheur tu la rejettes on te la remet dans la bouche sans ménagement jusqu’à ce que tu l’avales.

C’est alors que nous avons l’honneur de passer devant le dieu de la mer, sa majesté salée, empereur des mondes équatoriaux : Neptune. Lui, te fait sucer son divin pouce enduit de moutarde. Quel honneur ne crois-tu pas !

Sa divine épouse Amphitrite se tient à ses côtés, fidèle à son dieu. Il lui faut embrasser et lécher ses divins pieds enduits, eux aussi, de moutarde.

Tout ce trajet se fait à genoux, bien entendu, et à l’aveuglette, car la quantité de produits enduits empêchent de voir. Ils te rendent aussi difficilement reconnaissable. Mais ce n’est pas fini !

Les barbiers t’attendent avec leurs seaux de colorants verts. Ils te font asseoir sur le bord de la piscine et t’enduisent le visage avec de gros pinceaux. Surtout sur la bouche de manière que tu es quelques difficultés à respirer.

Puis tu te sens emporté par derrière, ce sont les sauvages à peau noire de suie et d’huile ; ils te font prendre la tasse en te plongeant et replongeant dans un liquide qui fut de l’eau de mer mais qui au cours de la cérémonie devient indéfinissable. Ensuite ils te déposent sur une planche enduite de savon noir, appuyée sur le bord de la piscine et le pont, formant toboggan ; une légère glissade et les boulangers font leur office : ils t’enlèvent ton slip et te couvrent le corps de farine en insistant sur la bouche et l’entrejambe.

Ayant chu et gisant sur le pont, aveuglé, une lance à incendie t’arrose copieusement pour te nettoyer superficiellement.

C’’est fini il ne reste plus qu’à te laver et c’est chose difficile crois-moi !

Cent sept néophytes sont passés ainsi dans les mains de leurs aînés pour qu’ils puissent à leur tour faire passer la ligne aux “bleus”. Je n’ai pris aucune photo car l’eau de mer aurait abîmé l’appareil.

Le dernier à passer, uniquement pour son plaisir, fut le commandant. Il a subi seulement l’épreuve des sauvages et des boulangers et c’était chose fort curieuse  de voir le père du bâtiment tout nu et couvert de farine sur la plage arrière, son slip à la main.

Le soir, tout le monde s’est couché, après la séance de cinéma, rompu, fatigué. Ah ! quelle journée !  je m’en souviendrai longtemps !

Le bateau continue sa route vers Matadi, nous arriverons demain. À huit heures, nous entrerons dans le fleuve Congo, nous le remonterons sur 120 kilomètres. Nous serons vers quinze heures à quai pour boire une bonne bière, depuis six jours j’en ai envie.

En mer, le 11 décembre 1972 vers Matadi

Aujourd’hui rien de spécial, le temps a passé lentement imperturbablement ; l’eau est devenue un plus sale car nous approchons de l’embouchure. La température de l’eau sur laquelle le bateau glisse est de 43°C. Il fait très chaud, ce qui nous oblige à boire beaucoup. L’eau douce à un drôle de goût, “un goût de ferraille”, cela n’arrange pas mes intestins.

À Matadi, interdiction formelle de boire de l’eau, car celle-ci contient un tas de maladies et des amibes qui provoquent la dysenterie amibienne une maladie qui fait très souffrir.

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Retour vers le passé (Audio)

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Retour vers le passé

Ce soir là, toute la famille était attablée pour le dîner. Le grand-père écoutait distraitement les propos du petit monde qui l’entourait : son fils aîné, sa bru et leurs trois filles âgées respectivement de douze, neuf et six ans. Bien que farouchement indépendant, il avait accepté de vivre avec eux : les problèmes s’étant accumulés après bien des déboires amoureux et financiers.  Il logeait dans une petite maison spécialement aménagée pour lui par son fils dans le fond du jardin. Il s’y sentait bien.

« Ma correspondante arrive la semaine prochaine, dit l’aînée, elle couchera dans ma chambre ?

— Bien sûr, répondit la maman,

— D’où vient-elle cette petite-là ? demanda le grand-père.

— D’Allemagne, elle habite Paderborn en Westphalie.

À ces mots, le grand-père se raidit en regardant droit devant lui. Chacun vit alors ses lèvres se pincer, son menton frémir, signe qu’une profonde émotion l’envahissait.

— Que t’arrive-t-il ? demanda le fils.

— Rien, non ce n’est rien, il se reprit, elle va rester longtemps, dit-il d’une voix blanche ?

— Une semaine, c’est un échange scolaire. Elle déjeunera à l’école le midi et dînera le soir avec nous.

— Je me sens pas très bien, il se leva brusquement, je vais me coucher.

Il quitta la salle à manger sans un mot. Le fils regarda sa femme :

— Je m’en doutais… Je vais lui parler.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda la cadette.

— Rien du tout, rien du tout, finis ton dessert.»

Le grand-père traversa le jardin, entra dans la maisonnette, et se mit dos à la porte d’entrée comme pour empêcher le passé d’entrer. La sueur perlait sur son front :

« Une boche à la maison », pensa-t-il.

Le fils frappa, essaya d’ouvrir, le grand-père pesait de tout son poids.

«  Papa ! laisse moi entrer ! mais laisse moi entrer !

Il alla s’asseoir sur le lit, posa son front sur ses mains jointes. Le fils entra, s’assit à côté de lui.

— Je me doutais que cela te choquerait ; c’est une coïncidence ; je souhaitais t’en parler, mais elle m’a devancé ;  je lui avais pourtant demandé d’attendre avant d’annoncer la nouvelle. Pour elle, c’est une grande joie de recevoir sa correspondante.

— Une boche à la maison, dit le grand-père en levant ses yeux bleus vers son fils, et de Paderborn en plus, tu te rends compte.

— Non, une jeune allemande qui vient passer quelques jours avec nous ; c’est un peu différent.

— C’est quand même une boche !

— Non ! une enfant de douze ans qui n’est en rien responsable de ce qui s’est passé.

— Je ne veux pas la rencontrer, je prendrai mes repas ici pendant tout le temps qu’elle sera là.

— Fais comme tu veux… je ne veux pas et ne peux pas te faire la morale. Nous en parlerons, si tu veux, demain. »

Le fils quitta la pièce.

Le grand-père s’allongea sur le lit, alors des images douloureuses vinrent en mémoire : les cris de l’officier SS dans cette pièce sombre, lui à genoux, à demi penché, les mains liées derrière le dos, les douleurs intenses provoquées par les coups de cravache sur son dos pour une évasion manquée… la longue marche avec ses compagnons d’infortune vers le stalag 326-VI K près de Paderborn en Westphalie. Il les voyait s’affaler les uns après les autres de faim, d’épuisement… Leur arrivée au camp, les baraques…les prisonniers russes traités encore plus durement qu’eux… les chiens…l’exploitation agricole où il travaillait.

Ces cinq années de prisonnier lui revenaient en pleine figure, sans prévenir.

De cette période, il n’en parlait jamais ou relatait uniquement, de temps à autre, les choses plaisantes comme pour conjurer les mauvais moments considérablement plus nombreux. La nuit fut très difficile…

Les jours qui suivirent, il feignit l’indifférence. Il parlait peu, s’occupant du jardin et des poules, consciencieusement, comme d’habitude.

Puis un midi, toute la famille s’était précipitée dans l’allée pour accueillir Elke, la jeune Allemande : plutôt grande pour son âge, des cheveux blond vénitien, des yeux étonnamment bleus, un très joli sourire. Elle était très intimidée par toute l’attention qu’on lui portait ; c’était la première fois qu’elle participait à un échange scolaire.

Le grand-père, qui regardait la scène du fond du jardin, rentra précipitamment dans la maisonnette, s’assit à sa table et maugréa :

« Une boche à la maison, on aura tout vu. »

Quelques minutes plus tard, on frappa et la porte s’entrebâilla avec difficulté, la petite bouille de la plus jeune des filles apparut dans l’entrebâillement :

« Grand-père, Elke est arrivée, viens ! »

Il ouvrit la bouche pour signifier son refus, mais comment pouvait-il résister au charme de sa petite fille. Elle était déjà entrée et lui avait prit la main ; il eut un temps d’hésitation pour se lever.

Ensemble, ils traversèrent le jardin et se rendirent dans la salle de séjour où toute la famille était réunie autour de la nouvelle arrivée. En l’apercevant, celle-ci traversa la pièce et lui donna l’accolade dans un geste plein de tendresse. Alors on vit le grand-père fondre en larmes sur l’épaule d’Elke. Surprise, elle interrogea l’assemblée :

« J’ai fait du mal au grand-père ?

— Oh non ! répondit le fils, c’est l’émotion

— L’émotion ? interrogea Elke. »

Le repas fut des plus agréable. Il se surprit même à fredonner, en allemand, les premières paroles de Lily Marlène à la plus grande joie des enfants. D’autres pensées plus secrètes lui vinrent : la maison de la blonde Frida non loin des champs où il travaillait à Paderborn. Son mari était mort au front ; seule, elle vivotait de quelques maigres cultures vivrières. Il allait la rejoindre en catimini. Un soir il était sorti à demi nu par la fenêtre, emmenant ses vêtements sous son bras, après que des coups répétés eussent retenti sur la porte d’entrée… un camarade en manque certainement.

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Commandant Rivière – Dakar

Dakar, le 30 novembre 1972

CarteMondeAnnotéeDakar

Nous sommes depuis ce matin au Sénégal. Nous sommes arrivés à 11 h. L’après-midi a été consacrée à finir le boulot commencé à bord ensuite vers 18 h nous sommes sortis permissionnaires.

La première chose qui te choque à Dakar ce sont les mômes qui t’attendent à la sortie de l’arsenal. La porte est encombrée de vendeurs à toute heure du jour et de la nuit. À peine l’as-tu franchi qu’ils te sautent dessus : les cireurs de chaussures te prennent les pieds presque de force, les vendeurs de statuettes te proposent avec insistance leurs marchandises : “Combien tu achètes ?”.

La manière est fort simple pour les cireurs de chaussures : un coup de brosse tout autour et ils te demandent 20 F français. Un peu cher non ! Si tu dis que tu n’as pas d’argent, ils poussent jusqu’à demander à voir le fond de ton porte-monnaie ! Et dans toute la ville c’est comme cela : intenable ! c’est le mot.

Nous nous sommes réfugiés dans un café. À la porte de celui-ci : des femmes portant un panier, avec quelques nourritures, sur la tête, des enfants avec leur boite à cirer les chaussures, des hommes avec une ou deux statuettes dans les mains attendent  pour reprendre la poursuite dès notre sortie.

La ville par elle même, d’après ce que j’ai vu, est assez sale : des mendiants sur les trottoirs, avec une jambe, un bras en moins, malades ou guéris de la lèpre tendent leur main.

Une odeur de bananes pourries règne dans les bas quartiers de la ville.

Hier soir nous nous sommes retrouvés dans un repaire de brigands, c’est le mot, une rue sombre et des hommes, assis ou debout, nous regardaient passer, nous observaient. Un camarade qui s’était attardé s’est vu entouré et l’un des agresseurs lui a montré sa montre et lui a dit d’un ton menaçant : “Ça ou je te plante le couteau !”. Nous avons entendu ses appels et étions suffisamment nombreux pour les faire fuir.

Pour cette raison nous marchons maintenant en deux groupes de cinq ou six distants de 10 à 15 m environ pour enrayer les mauvaises actions et… pas de traînards.

Les femmes ici d’après le médecin ont des maladies et c’est certain : il va y avoir  la queue à l’infirmerie du bord dans deux ou trois jours !*

Voilà un petit tableau de ma soirée, je suis très déçu ; je ne m’attendais pas à trouver de si terribles choses ; c’est une autre image de l’Afrique qui s’est offerte à mes yeux**.

Demain nous allons à l’île de Gorée en face de Dakar faire de la plongée sous-marine.

* 85 matelots ont été contaminés.

** Voir l’article : « Les Pères Blancs recrutent à l’école »

Dakar, le 02 novembre 1972

Le deuxième jour de notre escale à Dakar est terminé. Nous avons pris maintenant l’habitude des cireurs, vendeurs, quémandeurs mais ce soir on nous a proposé du haschich. Quelle population pourrie, tous les vices ont pris racine décidément.

Qu’ai-je fait aujourd’hui ? ce matin nous avons travaillé jusqu’à 11 H puis ensuite permissionnaires. L’après-midi nous sommes partis sur un chaland de débarquement de la marine pour l’île de Gorée, en face Dakar. Quel coin tranquille, pas de quémandeurs, ni de cireurs mais des vendeurs silencieux qui se tiennent au coin des rues. Ils vendent des graines d’arachides, des mangues, du cola…silencieusement…c’est déjà très bien. Les maisons sur l’île sont faites d’une pierre jaune, très agréable à l’œil, les rues sont assez bizarres, imagine : une allée faite de sable et en son milieu une bande de 1 m 50 de route en pierres de taille ce qui fait que tout le monde marche au milieu de la route.

Des femmes assises par terre  ou sur l’unique marche de leur porte coiffent des petites filles d’une façon très particulière, je vais essayer de prendre des photos.

De beaux enfants te regardent passer en souriant. Au détour d’un chemin une femme enveloppée dans un pagne promène son bébé dans le dos. Les costumes traditionnels ont été gardés par la population locale même à Dakar. C’est très joli, parfois ils sont agrémentés de riches broderies.

La plage n’est pas loin de l’embarcadère et nous pouvons voir des enfants se baigner. L’aisance qu’ils ont dans l’eau ! cela  provient du fait, certainement, qu’ils y sont dès leur plus jeune âge.

Sur l’île les copains qui possèdent du matériel de plongée ont fait de la pêche sous-marine. Ils ont pêché un beau poisson de toutes les couleurs. Je me suis contenté de regarder la faune sur les rochers : des crabes de toutes les couleurs, magnifiques, des coquillages, une étoile de mer bleue à points rouges, très belle, des oursins dans le creux des rochers.

Un retour sans histoire nous a ramené à l’arsenal. Ce soir je suis sorti en ville me promener, la même chose qu’hier.

Demain je vais en excursion à N’Gazobil manger un cochon de lait, nous irons dans les villages aux cases faites de boue et de paille. Je te raconterai cela demain…

Dakar, le 03 novembre 1972

Troisième jour de notre escale à Dakar, le 5 nous partons à Matadi au Zaïre (Ancien Congo belge). Aujourd’hui nous avons eu une rude journée, pour le plaisir des yeux d’ailleurs. Cent vingt kilomètres environ sur les pistes en longeant le bord de la mer, le car tantôt roulait sur l’asphalte tantôt sur des pistes de terre rouge. Mais autour de nous quel émerveillement : l’Afrique, celle dont je rêvais.

Après avoir traversé la zone industrielle de Dakar avec quelques bidonvilles nous sommes arrivés dans ce que nous pourrions appeler la “campagne” les gens d’ici appellent ça la savane : herbes sèches, arbustes, quelques baobabs plantés dans un sol aride avec des villages dispersés de quelques kilomètres où des femmes en costume traditionnel de couleurs vives vendent ou tout au moins essaient de vendre aux éventuels automobilistes des mandarines, des mangues etc.  Les fruits sont de couleur verte mais ils sont mûrs ; Ils sont délicieux et passent très bien la soif ; ils prennent la couleur que nous connaissons lors du transport vers l’Europe.

Des gosses jouent ou quémandent quelques pièces de monnaie.

Pendant 120 kilomètres nous avons vu ce paysage défilé avec bien sûr quelques arrêts pour étancher notre soif. Là des vendeurs exposent des carapaces de tortues, des peaux de crocodiles, des coquillages magnifiques. Ayant trop peu d’argent pour de telles fantaisies, il m’est difficile d’acheter même en marchandant. Lundi je vais négocier un masque pour mes parents. Ce que je gagne à bord me sert surtout à acheter des pellicules.

Nous sommes arrivés à N’Gazobil*, une mission que dirigent quelques frères en soutane kaki et en grand chapeau. Nous avons été accueillis très cordialement. Après un tour à la cuisine où cuisait notre porcelet et un civet de quelques bêtes de ce pays nous avons goûté une boisson délicieuse faite de fruits tropicaux. Le frère appelait cela du cidre mais le goût est très différent, c’était très bon. Après cette réunion courtoise nous avons dégusté sous un grand baobab au bord de la mer un repas de roi.

Le site était magnifique : une mer bleu azur, une plage au bord de laquelle un village perdu dans les cocotiers semblait défier le temps. C’est aussi ce que j’imaginais dans mon enfance, le rêve ne m’a pas quitté d’ailleurs.

Ah ! se baigner sur une plage de plusieurs kilomètres de long qui pourrait faire concurrence avec notre “La Baule nationale”, mais là : pas âme qui vive ; voilà bien l’Afrique !

Le repas fut copieux et long et bientôt nous reprîmes la route ; la chaleur accablante nous rendait mous et fatigués. Encore quelques kilomètres et le village de pêcheur fit son apparition.

A peine posé le pied par terre, des piroguiers nous assaillaient en nous tiraillant de toute part :

« Viens dans ma pirogue ! je suis le plus fort. »

Les pirogues furent promptement choisies pour éviter l’émeute et le fleuve nous accueilli. Des palétuviers bordaient une rive, l’île sur laquelle se tient le village contrastait singulièrement avec la rive opposée. Un tour au cimetière fait de coquillages blancs et aux greniers à mil. Ils ressemblent à des cases mais sur pilotis. Chaque famille à un ou plusieurs greniers selon sa richesse, c’est très pittoresque.

Nous avons fait un tour dans le village. Nous avions chacun notre boy qui nous guidait dans ce dédale de ruelles. La vie de la population des campagnes m’apparaissait plus nettement.

Dans la rue principale des camelots sont installés. Celui qui a le plus de succès a une roulette faite d’une aiguille en fer tournant sur un pivot. Le “croupier” lance la roulette, les parieurs disposent leur argent, beaucoup de monde se pressait à ce jeu et il a dû faire certainement de bonnes affaires.

Beaucoup d’enfants dans les rues. Ils étaient très beaux, dommage qu’on leur apprenne dès leur plus jeune âge à tendre la main. Des petites filles chantaient une mélopée que les anciens dédiaient à un champion de lutte**. La phrase qu’elles prononçaient était à peu près celle-ci :

« Egor et tatinaya. Eh tatinaya, tatinaya, tatinaya. »

C’était formidable de voir ces pitchounettes frapper dans leurs mains avec un tel rythme.

Le retour a été sans histoire. Nous étions très heureux, fatigués tu t’en doutes !

* Ngazobil abrite une mission catholique depuis le XIXe siècle, l’une des plus anciennes du Sénégal, implantée par le père François Libermann, fondateur des spiritains ou congrégation du Saint-Esprit. Le futur président Léopold Sédar Senghor y sera interne de 1914 à 1922.

**La lutte est un sport très populaire au Sénégal.

Dakar, le 03 Décembre 1972

Aujourd’hui je suis complètement crevé, le soleil, le peu de sommeil, le voyage d’hier sur les pistes ont eu raison de moi. Je ne suis pas allé à l’excursion pour N’Gor car nous avons fait le plein de gas-oil. La matinée a passé à surveiller les soutes en remplissage.

A trois heures, je suis sorti en ville avec deux amis, Daniel et Alain, tous deux secrétaires. Nous avons erré dans la ville, peu de monde aujourd’hui, les vendeurs se faisaient rares, sauf au marché où l’odeur est intenable, je vais te faire un rapide croquis :

La viande et les légumes sont étalés dans des échoppes très sales, les mouches sont collés sur les produits en grappes noires, des résidus de toute sorte traînent par terre : la saleté est maîtresse de ces lieux. Une odeur envahissante de fruits, d’épices et de poissons séchés nous forcent presque à bloquer notre respiration. Des femmes et des hommes aux pagnes riches en coloris vont et viennent, achètent ou vendent. On dit que c’est typiquement africain.

Demain à 10 h nous reprenons la mer ; Il est temps car je suis crevé. Je n’ai pas tellement l’inspiration pour retranscrire ma journée* qui fut faite de promenades à travers la ville.

* Dommage

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L’adoption

Note de l’auteur : Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

L’adoption

Sur la mauvaise route, dans ce mauvais taxi, Émilie et Jean-Charles sont plein d’espoir : ils ont rendez-vous ce matin, après une longue quête, avec un petit garçon, leur petit garçon, dans un orphelinat à la périphérie de la ville. Ils ont bataillé dur pour en arriver là.

Oo–oO

Après sept fécondations in vitro, le médecin avait fait comprendre à Émilie qu’il était inutile de s’obstiner et qu’il était préférable d’engager une autre solution : l’adoption par exemple. Mais ils avaient mis tant d’espoir dans cette technique. La tristesse, le doute les rongeaient peu à peu.

Jean-Charles aimait passionnément Émilie, il l’a voyait s’éloigner. Pour sauver son couple il lui proposa d’adopter, l’idée fit son chemin et elle se lança corps et âme dans ce nouveau défit.

On leur avait dit que ce serai très long et ce fut très long. Ils entamèrent un parcours du combattant : la demande d’agrément auprès de l’Aide Sociale à l’Enfance avec le dossier à compléter, les visites médicales, les entretiens, la visite des travailleurs sociaux. Leur vie fut passée au crible tant sur le plan matériel, affectif et psychologique. Enfin une lettre du Conseil Général leur signifia qu’ils étaient titulaires d’un agrément d’adoption.

Lorsqu’un jour, dans son bureau, rayonnante, Monique, la conseillère de l’association, leur a appris  qu’un petit garçon leur avait été attribué, qu’elle a sorti de son dossier une photo, qu’elle l’a délicatement posée, sur le bureau, devant le couple : Émilie a éclaté en sanglots, a pris la photo, a détaillé ce si joli petit visage café au lait : ses cheveux bouclés, ses yeux légèrement en amande. Elle l’aimait déjà : elle allait être maman.

Jean-Charles a mit son bras sur ses épaules, lui aussi était heureux,  un léger tressaillement d’Émilie provoqua chez lui un peu d’amertume : il savait qu’à partir de cet instant qu’il devenait un peu moins l’objet de ses pensées, que ce petit bonhomme allait prendre le moindre recoin, le moindre interstice qui lui restait.

Les mois passèrent et de loin en loin ils reçurent quelques photos qu’ils s’empressaient de montrer à leur famille respective. Chacun s’extasiait, félicitait, jouait le jeu car cela faisait plaisir de voir Émilie si rayonnante, si heureuse…Elle avait changé totalement, on la vit plaisanter et même rire aux éclats en compagnie de leurs amis, elle d’habitude si réservée. Il était loin le temps où les amis de Jean-Charles en catimini l’appelaient “Sourire de Toussaint”.

Il s’appelait Melku. Jean-Charles avait bien émis l’hypothèse de garder son prénom ou tout au moins le laisser en deuxième prénom mais Émilie lui sourit à sa requête d’un air navré : comment pourrait-il s’intégrer avec un prénom pareil ? et puis elle adorait le prénom de Kévin. On lui adjoindra celui du père d’Émilie : Erwan.

On prépara sa venue. Émilie s’était investit pleinement, on la vit : poser un parquet flottant,  poncer, peindre les murs,  décorer la chambre. Elle commanda les meubles, les monta elle-même, tout y était, on n’omit point la boite à musique qui projetait des jolis dessins sur le plafond.

Jean-Charles s’amusait  de la voir en salopette, les cheveux poudrés de poussière, de plâtre, le visage maculé de peinture, il se sentait un peu spectateur mais Émilie était si heureuse…

Le soir, dans son lit, calée dans ses oreillers, elle lisait des manuels d’éducation, des livres et des revues de psychologie. Jean-Charles tentait bien parfois de distraire son attention mais sans succès ; ses jambes s’ouvraient plus rarement.

Lorsqu’elle s’endormait ses rêves étaient peuplés de cet enfant souriant, heureux. Que de fois elle avait vu le film de leur rencontre, là-bas si loin : elle arrivait dans une pièce et l’enfant, dans les bras d’une nourrice vêtue de rose, lui tendait les bras en riant, venait se blottir contre ses seins. Elle humait son parfum, caressait sa peau si douce…

Elle avait des idées très précises sur l’éducation qu’elle allait lui donner et entre amis elle exposait ses théories et prodiguait même des conseils à des jeunes mères déjà bien expertes. Elle avait un avis sur tout, connaissait tout ; on s’en amusait, on lui donna amicalement un surnom : “Notre Dame du Bon Conseil”.

La chambre terminée, elle passait souvent du temps le dos calé au mur,  assise sur la moquette à imaginer la vie de cet enfant : il lui sourira, il l’aimera tout de suite j’en suis sûr, elle le cajolera, le chatouillera et ses rires raisonneront dans la maison.

Elle le voyait se tenir aux barreaux de son petit lit blanc, jouer aux petites voitures sur le tapis  imprimé de routes, de maisons et précieusement roulé et rangé dans le coffre déjà plein de jouets, aux petits soldats…non pas de jeux de guerre c’est contre ses principes.

Elle se voit le promener au parc dans la poussette dernier cri qui trône dans un coin de la chambre.

Elle a passé de nombreuses heures dans les magasins à acheter de jolies chemisettes, des pulls, des manteaux, un ensemble en jeans. Ils sont là, pliés dans la commode toute blanche aux tiroirs ornés de gros boutons représentant des têtes animaux : une grenouille, une vache, un cheval….

Sur la porte de la chambre, elle a collé en lettres de bois peintes de toutes les couleurs son prénom : KEVIN.

Il fera de longues études, sera certainement ingénieur voire même professeur à la faculté des sciences comme son papa (le papa d’Émilie) et musicien comme sa maman (la maman d’Émilie).

Les mois passèrent, puis un jour ils reçurent les documents pour aller chercher le petit garçon.

À l’aéroport, toute la famille d’Émilie était au départ on pleura beaucoup, on se congratula, on s’embrassa. Même mémé Gisèle était présente dans son fauteuil roulant, on l’avait sortie de sa maison de retraite pour l’occasion.

Les parents de Jean-Charles étaient absents, retenus par je ne sais quelle affaire. Ils ont promis d’être là à leur retour. Est-ce bien nécessaire ?

 L’avion avait atterri quelques heures plus tôt à l’aéroport, un représentant de l’association était venu les chercher en taxi pour les emmener à l’hôtel.

Demain, demain elle va rencontrer Kévin, son Kévin, pensait-elle en se préparant pour descendre dîner, assise devant la coiffeuse. Jean-Charles vint derrière elle pour lui caresser les épaules en souriant, elle esquissa un léger mouvement de refus :

« Pas maintenant, dit-elle en souriant et en penchant la tête ; tu te rends compte demain j’aurai… nous aurons un enfant c’est merveilleux non !

– Oui bien sûr je suis content pour toi… je veux dire pour nous, bien sûr. »

Ils descendirent au salon, s’installèrent à une table sur une banquette en demi-cercle, commandèrent un verre.

Un jeune couple, main dans la main, fit son entrée. Ils s’installèrent sur une autre banquette à côté d’eux. Très vite les deux couples firent connaissance. Jean-Charles les pria de se joindre à eux.

Ils venaient de Bordeaux pour chercher une petite fille. On parla difficultés d’avoir les enfants, de la galère pour adopter, de l’association, des entretiens, des préparatifs.

Ils dînèrent ensemble et échangèrent leurs idées sur l’éducation. Émilie était aux anges, elle souriait, portait des toasts aux deux enfants.

Leurs idées différaient sur quelques points. Eux, ils ont gardé le prénom d’origine de la petite fille : Leilit, ils ne veulent surtout pas la couper de ses origines, ils lui diront le plus rapidement possible qu’elle a été adoptée. Fadaises ! pensa Émilie

Émilie parlait, parlait, parlait…Jean-Charles ne disait mot. Il s’amusait des petits signes de tendresse que les bordelais se prodiguaient : leur main posée l’une sur l’autre, des regards, des sourires, une tête qui se pose sur l’épaule, l’un voulait-il un peu d’eau que l’autre s’empressait de le servir, un rire lorsque au même instant ils prononçaient la même phrase, une caresse de l’index sur la joue pour effacer une larme lorsque l’un évoquait un moment pénible.

Jean-Charles avait bien tenté de poser sa main sur la main d’Émilie mais elle l’avait retirée discrètement.

Oo–oO

C’est donc dans ce mauvais taxi, qu’Émilie et Jean-Charles plein d’espoir ont rendez-vous ce matin avec Kévin dans un orphelinat à la périphérie de la ville pour une première rencontre.

Dans le hall,  la sœur directrice est déjà là, souriante. Avec une grande gentillesse elle les prie d’entrer dans son bureau. Elle s’exprime en français mais avec un léger accent.

“ L’enfant arrive tout de suite, nous allons en profiter pour discuter un peu. “

La conversation est cordiale et franche, elle donne quelques conseils au jeune couple en insistant sur le caractère un peu particulier de cette rencontre.

On frappe à la porte et une jeune assistante de couleur entre dans le bureau avec dans les bras Melku souriant. Lorsqu’il voit Émilie se lever et lui tendre les bras son visage se transforme d’un coup : a-t-il compris ce qu’il lui arrive ? Il pousse un cri de terreur, il s’accroche à la jeune assistante, ses petites mains s’agrippant à son voile. Émilie les bras levés, reste interdite, sonnée. Elle s’approche de l’enfant, il hurle de plus belle, lui tourne la tête.

“ Mais pourquoi ? balbutie Émilie.

– Il ne vous connaît pas simplement, répondit la directrice, il va falloir l’apprivoiser. “

Est-ce son visage un peu rond ou ses mimiques ? Jean-Charles a plus de succès. Toujours accroché à l’assistante, Melku le suit du regard.

Émilie tente une seconde approche, il pousse un cri de terreur et enfouit son visage dans le cou protecteur. Elle est tétanisée, des larmes naissent…

“Ma fille pouvez-vous aller dans la salle de jeu avec l’enfant ? Monsieur pouvez-vous l’accompagner ?

Émilie esquisse un mouvement pour les suivre.

– Non, non  restez quelques minutes avec moi. “

Alors d’une voix ferme mais compatissante elle lui dit de ne pas s’inquiéter, de sécher ses larmes, d’être forte, de sourire, que cela arrive très souvent, qu’elle avait un nouveau défit : l’apprivoiser. Peut-être que c’est son mari qui pendant les premières semaines va s’occuper de la douche, du coucher, de l’histoire du soir… élever un enfant est un travail de couple.

Elle se lève et l’emmène à la salle. Alors elle voit Jean-Charles jouer sur le sol avec Melku. Il empile des cubes, d’un geste de la main le petit garçon détruit l’édifice et éclate de rire.

Émilie prend sur elle et entre dans la salle en souriant. Melku se précipite dans les bras de l’assistante en criant…

Le soir à l’hôtel, c’est une Émilie profondément frustrée, qui appelle ses parents, assise en tailleur sur le lit. Elle leur raconte, en reniflant,  tout par le détail…

Assis dans le fauteuil en face d’elle Jean-Charles est navré, malheureux. Il se demande même : doivent-ils continuer ?  peut-on faire marche arrière ?

Ce matin en traversant le hall pour prendre leur petit déjeuner, ils ne peuvent éviter les bordelais qui quittent l’hôtel avec Leilit souriante dans les bras de sa nouvelle maman. On s’embrasse, on se congratule, on s’extasie devant une si jolie petite fille… cela c’est si merveilleusement passé… on se souhaite bonne chance…après demain ce sera leur tour… c’est si merveilleux…

Pendant les deux rencontres suivantes elle est toujours spectatrice. Mais elle a changé d’attitude, elle est sereine, souriante et Jean-Charles est heureux de la voir faire autant d’efforts malgré sa déconvenue.

Elle suivrait les conseils de son papa : patienter, se faire aimer, ne pas brusquer, sourire mais elle a pris une décision, c’est maintenant son nouveau défit : Kévin, elle l’aura pour elle seule, elle quittera dans quelque temps ce nigaud de Jean-Charles qui a osé voler son enfant.

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La télévision (1960-1965)

La télévision (1960-1965)

Un soir, en 1962, papa et mon frère Marcel nous firent une surprise : ils amenèrent un téléviseur. Bien qu’à cette époque la R.T.F. (La Radio Télévision Française) émettait une seule chaîne en noir et blanc et uniquement à certaines heures, elle révolutionna les habitudes et comportements de la maisonnée. Maman tout d’abord : elle oubliait ses préparations sur le feu en cuisine au grand dam de mon père et mon emploi du temps ensuite : je passais souvent mes soirées devant cette fenêtre magique.

Cela m’a donné un peu de prestige : tous les jeudis, pendant un temps, les copains venaient à la maison regarder les émissions pour la jeunesse. Mais bientôt toute la rue acquérait cette fenêtre magique…le roi fut déchu…

Quelques feuilletons sont restés dans ma mémoire :

Le temps des copains (1961) : le feuilleton préféré de maman. La vie de trois étudiants dans une caravane au fond d’une cour dans les beaux quartiers parisiens : Étienne, en médecine, Lucien aux beaux-arts et Jean, fils d’un riche industriel, à l’école des Sciences-Politiques. Ils nous ont donné une image romanesque de la vie  étudiante  de cette époque…

Aventures dans les îles (1961) : les tribulations romanesques et policières du Capitaine Troy et de sa magnifique goélette de 25 mètres, à coque blanche et pont vernis, appelée « TIKI », entre les îles du Pacifique Sud.

Au nom de la loi : cette série raconte les aventures de Josh Randall, chasseur de primes dans le Far West, armé d’une Winchester à crosse et canon sciés.

Thierry la Fronde : au milieu du XIVe siècle, le roi de France est prisonnier des Anglais et le Prince de Galles occupe une bonne partie du royaume de France.
Thierry de Janville, un jeune seigneur, son arme favorite étant la fronde, décide de résister aux Anglais et de délivrer son roi. Trahi par son intendant, Il est fait prisonnier dans son propre château. Il s’évade avec l’aide d’un hors-la-loi et se réfugie dans la forêt. Au hasard des rencontres il se constitue une bande de compagnons pour l’aider dans sa tâche.

Monsieur Ed (1965) : le cheval, doué de parole et sarcastique à souhait, crée bien des problèmes à son propriétaire.

Zorro (1965) : de retour d’Espagne, le jeune noble don Diego de la Vega découvre que Los Angeles, petite ville de la Californie espagnole, est tyrannisée par le commandant de la garnison. Il prend les armes sous le nom de Zorro pour combattre ces abus de pouvoir.

Et puis bien sûr les retransmissions incontournables telles que :

L’enterrement de J.F. Kennedy, le 25 novembre 1963 ; Maman à mon côté, pleurait doucement et elle éclatât bruyamment en sanglot devant le petit John John saluant son père.

L’ouverture solennelle, le 11 octobre 1962, de Vatican II, le XXIe concile œcuménique de l’Église catholique. Grandiose !

Le journal télévisé, avec ses grands prêtres : Léon Zitrone, Robert Chapatte, François de La Grange, Joseph Pasteur, Raymond Marcillac, était incontournable pour mes parents, nous le regardions religieusement en famille mais ne ils délaissèrent jamais le journal, leur journal “Ouest-France”. Maman l’épluchait chaque jour ; elle suivait particulièrement certaines valeurs en bourse car, disait-elle : « C’est un bon indicateur de la santé du pays ». J’avoue que je fais de même. À cette époque, ce qui m’intéressait c’était, sous la forme d’une bande dessinée de quelques cases, les aventures d’une famille de français moyen de l’après-guerre : Lariflette avec sa femme Bichette et ses six enfants.
Le gros poste de radio à lampes, avec son œil magique, cette petite lampe verte qui servait à régler le récepteur, trônait toujours dans la cuisine mais ne servait plus que très rarement.

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Commandant Rivière – En mer, vers Dakar

En mer, le 29 novembre 1972 vers Dakar

CarteMondeAnnotéeDakar

Nous avons repris la mer ce matin à 10 h, c’était ma première escale, vendredi nous serons à Dakar. J’imagine que pour toi, partir ainsi en bateau, c’est un rêve ; je pensais de même lorsque j’étais civil maintenant ce n’est plus la même chose ; je prends cela d’une façon assez indifférente, quel bizarre changement d’attitude ne trouves-tu pas ? L’être humain est ainsi, il rêve à quelque chose et lorsqu’il l’obtient cela ne l’intéresse plus. C’est le fait, peut-être, que je suis sur une mer uniforme et que toutes les terres de loin se ressemblent.

Nous sommes au large des côtes d’Afrique, la mer est assez calme, le bateau bouge un peu et c’est assez désagréable pour écrire. La journée a été bonne dans l’ensemble, une journée de mer… elle ressemble à tant d’autres.

Nous avons vu un bon film comique, une parodie de l’armée, nous avons bien ri, cela détend tellement. Maintenant je vais dormir, rien de telle qu’une bonne nuit pour avoir la forme.

Je continue à gagner un peu d’argent en repassant les tenues ; ce soir pas grand chose 3 F 50 mais demain ça va être le grand boum, j’espère me faire environ 50 F de quoi acheter des cartes et visiter la ville.

En mer, le 30 novembre 1972 vers Dakar

J’étais en plein repassage quand un gars est venu repasser sa tenue. Je lui ai laissé ma place et pris mon bloc, mon stylo : je suis en communication avec toi.

À Dakar, je vais envoyer deux pellicules diapos chez moi. Peut-être trois. Tu iras les voir et tu me diras ce que tu en penses.

Nous arrivons à Dakar demain vers 11 h. Il paraît que c’est un beau pays, les marchés surtout riches en couleur. Je vais aller faire deux excursions : N’gazobil où on mangera un petit cochon de lait, N’gor, un méchoui.

Je te raconterai tout cela. Peut être un jour irons-nous tous les deux parcourir tous ces horizons ? c’est un rêve, le rêve ne coûte pas cher ne crois-tu pas ?

Que fais-tu ? quel temps fait-il ? tu ne m’en parles jamais, je sais que tu es d’un naturel peu bavarde mais décris moi cet univers qui t’entoure ; c’est si bon de savoir comment est son pays…

La chaleur se fait de plus en plus sentir, il faisait 47°C dans les machines hier midi et ce soir d’après la radio il faisait à Dakar à 18 h 26°C (à l’ombre).

Nous allons commencer à prendre des cachets contre le paludisme.

La mer a pris une autre teinte. C’est incroyable les couleurs que prend la mer, je pensais qu’elle avait toujours la même couleur. Eh non ! c’est un changement de ton allant du vert au bleu.

Nous avons croisé vers 13h des chalutiers russes qui pêchaient au large du Cap Blanc. Ils chalutaient par l’arrière et l’on pouvait voir leurs câbles tendus vers les profondeurs.

Peu de chose d’autre s’est passé dans la journée : le travail, la bouffe (couscous), la sieste, le travail et la soirée consacrée au repassage pour payer les pellicules….La tenue de manœuvre est le short blanc et chemisette, certains ne vont pas montrer leurs genoux au soleil ou si peu…*

À part cela rien de neuf, je t’ai tout dit.

Le copain vient de me prévenir que je peux continuer…

Je reprends mon stylo car un autre gars a pris la place : bof ! ils ne veulent pas que je repasse leur tenue : pas assez d’argent ! ils ont touchés 1500 F il y a dix jours, ils ont tout dépensé à Santa Cruz en caméras, électrophones, magnétophones etc. Ils ne sont pas à plaindre.

Comment est la campagne par chez nous ? raconte-moi, c’est si bon. Comment vont Marcel et Armelle, Thalie** et leur petit chat ? Comment va Moyon*** ? Passe-t-il une bonne retraite? Toutes ces choses que j’ai laissées et qui me reviennent à la mémoire. Je revois la rue, chez moi là-bas : les gosses jouent sur le trottoir, Mirse**** gambade sur l’herbe, mon père part aux commissions, le vélomoteur est appuyé contre la haie, la vie continue, lentement patiemment, bientôt je vais revoir cet univers.

Bon je reprends mon repassage…

* Un brin obsessionnelle cette affaire de longueur de short.

** Une chienne boxer bringée.

*** Le voisin des parents à Marlyse.

**** La chienne de maman.* Il me semble que c’est plutôt quatre-cent degrés.

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IL

IL

D’où vient-il ? Où est-il ? IL marche rapidement dans le long couloir de l’aéroport. Il est sûr d’être en Asie, bien que rien ne l’indique clairement. À sa droite, il peut voir, par la grande verrière qui court tout le long du couloir, la piste et les avions.

IL presse le pas, il est seul, c’est curieux d’être seul ainsi. Où sont les autres passagers ? Pourquoi cette pensée ne l’inquiète pas outre mesure ?

Loin devant, il devine un petit point rose près de la verrière. IL presse encore le pas, le claquement de ses talons résonne sur le sol blanc presque éblouissant.

Au fur et à mesure qu’il avance, le petit point rose se précise et lorsqu’il arrive non loin, il voit : debout, souriante, une petite fille de sept à huit ans peut-être, de type asiatique, chevelure noire coupée au carré, habillée d’une robe rose à larges bretelles et d’un corsage blanc. Elle est pieds nus.

Elle tend son bras vers lui pour lui donner la main.

« Viens ! dit-elle, je t’attendais. »

IL lui prend la main, elle l’entraîne et ils se retrouvent à l’instant dans une rue bordée d’échoppes, vivante, bruyante, remuante, grouillante, foisonnante. Les parfums qui s’en émanent le gênent, l’empêchent de respirer, il suffoque.

IL se réveille brusquement, s’assoit sur son lit. Tout est calme. Il entend la douce respiration de sa femme endormie à côté de lui. Quel drôle de rêve, pense-t-il. Il s’allonge à nouveau et s’endort…

Où diable est-il ? Ah oui ! dans l’aéroport. Il peut voir, par la grande verrière qui court le long de ce long corridor au sol blanc presque éblouissant, la piste et les avions. Il est presque certain d’être en Asie bien que rien ne l’indique.

IL presse le pas, ses talons martèlent le sol. Dieu que ce corridor est long !

Loin devant, il voit le petit point rose près de la verrière. Il presse encore le pas. Au fur et mesure qu’il avance, il se précise : elle est là ! debout, souriante, pieds nus, la petite fille de sept à huit ans de type asiatique, chevelure noire coupée au carré, habillée d’une robe rose à larges bretelles et d’un corsage blanc. En souriant, elle tend son bras vers lui pour lui donner la main.

« Viens ! dit-elle, je t’attendais.

IL lui prend la main, elle l’entraîne dans une maison, à l’étage. Celui-ci est ouvert à sa périphérie et donne sur un jardin d’arbres exotiques. La maison est entourée d’une grille ouvragée avec un mur de soubassement en pierre.

Il est assis sur le sol couvert de nattes. Autour de lui, la couleur dominante est le vert. Le rose de la robe de la fillette assise en tailleur contraste avec l’ensemble. Elle lui sert un repas et lui assure qu’elle a pris grand soin de bouillir l’eau pour qu’il ne soit pas malade. Il est vraiment bien, en sécurité.

IL s’éveille, c’est déjà le matin… Il attend déjà la nuit suivante.

Enfin ! il y est ! dans ce long corridor au sol blanc presque éblouissant de cet aéroport. IL court, il court, le bruit de ses pas résonne comme dans une cathédrale. La grande verrière semble courir avec lui, il ne voit même plus les avions sur la piste. Où est-elle ? Ce corridor est vraiment très long !

Enfin, loin devant, il voit un petit point rose. Au fur et mesure qu’il avance, il se précise: oui elle est là ! debout, souriante, pieds nus, la petite fille de sept à huit ans de type asiatique, chevelure noire coupée au carré, habillée d’une robe rose à larges bretelles et d’un corsage blanc. En souriant, elle tend son bras vers lui pour lui donner la main.

« Viens ! dit-elle, je t’attendais.

IL met un genou à terre, il lui prend ses mains. Il ne peut pas vraiment distinguer son visage. Elle lui sourit.

– Qui es-tu ? lui demande-t-il.

– Mais je suis ta maman ! »

IL se réveille brusquement, s’assoit sur son lit, s’allonge à nouveau, il veut se rendormir ! Il veut retourner là-bas ! Les yeux grands ouverts dans le noir, il se sent frustré, dépossédé d’un rêve, de son rêve, d’un beau rêve. Elle était si près, si près… Une colère sourde l’envahit puis une tristesse infinie s’invite dans son âme. Il pleure doucement sans bruit. Il se tourne, se retourne. Il lui est impossible de retrouver le sommeil.

Ni cette nuit, ni les suivantes, il n’a pas pu rejoindre la petite fille de sept à huit ans, de type asiatique, chevelure noire coupée au carré, habillée d’une robe rose à larges bretelles et d’un corsage blanc.

Montoir de Bretagne 1er mai 2013

Révision 04-10-2010

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Commandant Rivière – Santa Cruz de Tenerife

Santa Cruz de Tenerife

 

CarteMondeAnnotéeSantaCruz

 

Le 27 novembre 1972, Santa Cruz de Tenerife

Je reviens de sortie, tu sais, les environs de Santa Cruz ce n’est pas très beau, la ville par elle-même a un petit charme mais dès tu la quittes c’est fini, c’est le désert, les routes ne sont pas nombreuses et peu praticables.

Santa Cruz est située à flanc d’un ancien volcan ; c’est une ville comme tant d’autres avec ses magasins, ses rues, ses marchands de friandises puis ses monuments typiquement espagnols (Tenerife fait partie des îles Canaries, territoire espagnol).

Les plantes sont différentes de chez nous, des fleurs que je n’avais jamais vues poussent dans les parterres des places autour des fontaines.

C’est un pays assez pauvre, tout au moins Tenerife ; je faisais la remarque à quelques copains : trois quarts de maisons neuves pour un quart de taudis puis, lorsque l’on va vers l’est, les taudis sont remplacés par des bidonvilles à flanc de montagne. Les habitants utilisent les grottes formées par la lave où, à l’entrée, ils construisent des cabanes en tôles ondulées dont le toit est tenu par des pierres ou des vieux pneus. Une chose qui m’a frappé aussi : les maisons des villages environnants sont faites en parpaings et non crépis ce qui leur donnent un air lugubre ; une maison parfois deux sont peintes en ces jaunes que je caractériserai de pisseux.

Je suis  très déçu des Canaries, moi qui imaginais des paysages merveilleux. Je n’ai vu que des gris sur un ciel d’azur.

Il fait chaud ici, très chaud même, cela ne doit pas être de même pour vous.

Le 28 novembre 1972, Santa Cruz de Tenerife

Nous appareillons demain vers dix heures, je suis, contrairement à ce que j’ai écrit hier, enchanté de l’escale car je suis allé faire une excursion, organisée par le bord, dans l’île. Je vais essayer de te faire vivre ma journée :

Vers 9h30, après les permissionnaires, nous avons pris un bus assez confortable : jumelles, appareil photo et jersey sous le bras. Je n’avais guère envie d’y aller, peut-être parce que beaucoup de matelots s’étaient décommandés au dernier moment.  Les quatorze gars que nous étions étaient alors assez dans l’expectative.

Un guide parlant un mauvais français nous a accompagné toute la journée. Après une courte visite dans Santa Cruz nous avons pris le chemin du pic du Teide.

La route qui y mène est tout d’abord assez bonne, puis franchement mauvaise, les cahots nous secouaient comme des pruniers. Un paysage de montagnes défilait devant nos yeux, paysage  aride avec au fond de la vallée des villages aux maisons non crépies, puis au détour d’un lacet une vue aérienne de Santa Cruz qui s’étend plus que je ne l’aurais pensé.

La vallée de l’Esperanza est vraiment un site formidable. Des plantes méditerranéennes, de grands arbres ressemblant à des pins donnent à ce parc national une beauté froide mais verdoyante qui contraste avec les montagnes.

Bientôt, vers 1800 mètres, les nuages nous ont enveloppés et nous avons perdu toute vision vers l’extérieur. Le bus a roulé ainsi assez longtemps pour arriver ensuite sur route bordée de lave, roche poreuse couleur marron ou noir.

Un nouveau paysage alors naissait doucement, la terre se fit plus aride, quelques plantes grasses poussaient çà et là, en touffes, parfois recouvertes de givre, puis le pic du Teide apparut enfin : beau majestueux encore enveloppé par quelques brumes légères. C’est un volcan encore en activité car de légères fumerolles s’élèvent dans le ciel. Christophe Colomb en 1492 a vu la dernière irruption du Teide lorsqu’il passait près des Canaries lors de son voyage vers  l’Amérique.

Tout autour c’est un paysage apocalyptique. Un désert fait de pierres ponces, de lave rougeâtre (je parle de lave à l’état de pierre), un paysage lunaire, un paysage des temps préhistoriques où la vie naissait dans les océans. Je n’en croyais pas mes yeux !

Nous avons pris là des photos magnifiques. Le pic se dresse avec son dôme blanc, sa robe rouge-marron, de vert, de blanc, de jaune, il est vraiment magnifique.

Un téléphérique mène les touristes au dôme, mais il y avait trop de vent, nous n’avons pas pu le prendre.

Là, la pellicule a tourné, jamais de ma vie je n’ai vu une nature aussi sauvage. C’est fantastique, une vision d’un autre monde, une vision de terre inoccupée, incultivable, désertique. Des tonnes et des tonnes de lave formant des monticules sur les flancs d’une vallée, des pics volcaniques qui se dressent vers le ciel aux formes bizarres que de soi-disant artistes modernes pourraient s’inspirer. Dans quelques temps tu pourras juger par toi-même car j’ai pris une pellicule complète.

Le guide nous a dit que dans une île, dont je me souviens plus le nom, le sol est encore très actif. Si tu creuses un trou et que tu y mets un gigot de mouton que tu le recouvres : vingt minutes après ton gigot est cuit ! A un mètre de profondeur, la température est de quatre-vingt* degrés.

Puis nous sommes redescendus vers Puerto de la Cruz, une ville de millionnaires, que dis-je, de milliardaires, faite de palaces, de piscines luxueuses, de jardins aux plantes recherchées.

C’est là que l’on peut voir la différence de revenu des gens de l’île : d’un côté les pauvres, de l’autre les riches ; les uns avec des bicoques de tôles ondulées, de parpaings nus, les autres avec des luxueux appartements et des voitures type Lamborghini.

C’est aussi le pays des bananes. Les bananeraies s’étendent sur plusieurs kilomètres, avec des arbres trapus aux grandes feuilles et des régimes encore verts, là nous nous sommes arrêtés quelques heures pour nous détendre.

* Il me semble que c’est plutôt quatre-cent degrés.

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“Bah ! le bifteck sera plus petit” (1960 à 1965)

“Bah ! le bifteck sera plus petit » (1960 à 1965)

Nous n’étions pas riches mais nous vivions plutôt bien, nous étions très heureux dans notre bulle. On fréquentait très peu notre famille, à part nos visites hebdomadaires à la grand-mère maternelle Félicité qui vivait dans le quartier d’Herbin, et  je n’ai pas le souvenir que mes parents avaient un cercle d’amis : de ce fait peu de gens venaient à la maison.

De temps en temps quelques camarades de travail de papa venaient boire un verre : Marcel B., un brièron de souche, ah ! je me souviens de lui car j’avais été très étonné d’apprendre qu’il conservait ses pommes sous son lit et “Monsieur Raymond”, le contremaître de papa, il était toujours bien mis, chemise blanche, cravate rayée en cerise et blanc, blouson de cuir.

Monsieur Raymond vivait seul et il était invité à réveillonner le soir de Noël avec nous. Un réveillon ? oh non ! c’était une simple veillée : enfant, papa avait assisté au décès de son père un soir de Noël ; il s’était effondré la figure dans son assiette, terrassé par une crise cardiaque. Après cet épisode tragique il ne souhaitait plus faire la fête ce jour-là.

Nous passions la soirée simplement mais dans la bonne humeur en mangeant des noix et des noisettes, des amandes, des figues, des oranges et… les adultes avaient droit au vin chaud.

Le lendemain nous savions qu’il n’y aurait pas de jeux, les cadeaux étaient “utiles” : un pull, un pantalon. Lorsque j’allais chez certains copains d’école je les enviais un peu : circuit de train, de voitures, jeux de toutes sortes. J’appréciais particulièrement ceux basés sur les  questions-réponses à choix multiples où on positionnait une fiche sur des plots. Si la réponse était bonne une lampe verte s’allumait, rouge dans le cas contraire. J’étais plutôt bon à ce genre de jeu car j’avais une culture générale assez étendue. Un petit budget était dégagé chaque mois pour nous acheter des hebdomadaires de culture générale et scientifique : “Tout l’univers”,” Toute la science” et puis des livres de poches si nous en faisions la demande. Maman avait coutume de dire “Bah ! le bifteck sera plus petit”. Marcel n’était pas du tout étranger à cette pratique.

Pendant cette période, je créais mon propre monde celui dans lequel j’allais pouvoir me réfugier toute ma vie. Très tôt on m’avait fait comprendre que j’étais un peu différent, sensiblement plus abstrait que la moyenne des gens de mon entourage peut-être ; lorsque la différence se faisait un peu pesante alors je me réfugiais dans le travail et l’étude ; la science avec son système de jugements exprimé dans un langage rigoureux, mathématique, toujours vérifiable, ne me décevait jamais… elle ne me déçoit jamais.

La science en général en était donc le noyau central ; la biologie en particulier, me fascinait : je passais de longues heures à dessiner les différentes fonctions du corps humain ; j’avais appris par cœur l’arrangement des électrons et la classification périodique des éléments ; la lecture était devenue un puissant moyen d’évasion,  avec une omniprésence de l’histoire ; les mathématiques allaient bientôt être élevées au rang de religion.

J’étais quelqu’un de curieux contrairement à mon frère Marcel qui était surdoué.  À la distribution des prix, toute sa scolarité et en apprentissage, il obtenait le premier ou le deuxième prix pour chaque matière.

À l’école cette culture générale était reconnue et M. Peny, mon instituteur, ne m’interrogeait jamais en premier si plusieurs élèves levaient la main. Il savait que j’avais la bonne réponse.

Je prenais conscience aussi qu’il existait un autre monde où l’art était omniprésent. Maman faisait des ménages dans l’appartement d’un directeur et dans les bureaux de son usine. J’allais souvent avec elle, peut-être ne souhaitait-elle pas me voir errer seul dans le quartier.

Je découvrais alors un autre monde, loin de la tapisserie à fleurs et de la toile cirée… Je me vois encore déambuler dans cet appartement très lumineux avec ses murs blancs, ses grandes baies donnant sur la mer. Il était meublé sans luxe apparent mais avec profond raffinement : des meubles modernes aux formes épurées, des très jolies tableaux, des statuettes bien mis en valeur : une scénographie de musée actuel.

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De Toulon vers Santa Cruz de Tenerife

De Toulon vers Santa Cruz de Tenerife

En mer, le 23 novembre 1972 vers Santa Cruz (Canaries)

 CarteMondeAnnotéeSantaCruz

C’est fini, nous sommes partis. Il est environ 22 heures, tout est calme à bord sauf le bruit des moteurs et les vibrations qu’ils produisent.

Ce matin à dix heures, le Commandant Rivière a quitté majestueusement le quai. Quelques minutes avant, parents, femmes, enfants, fiancées, amis ont quitté le bord.

Au P.C. sécurité, pendant le poste de manœuvres, le lieutenant nous a rapporté que son grand-père, âgé de soixante douze ans, lui a dit sur le quai : “Quand tu reviendras je ne serai peut-être plus de ce monde”. Cela nous a ému.

La musique de la flotte, sur le quai, a joué plusieurs morceaux et lorsque le navire a appareillé, le “Ce n’est qu’un au-revoir mes frères.” a retenti. J’ai senti des picotements dans les yeux, j’ai eu quelques problèmes à retenir mes larmes.

Ensuite nous sommes allés déjeuner, un bon repas d’ailleurs : charcuterie, bouchée à la reine, truite aux amandes, escalope avec des frittes et gâteau.

Maintenant la vie à bord a repris son cours. Quelle drôle de vie que celle de marin, faite de joies mais aussi de vagues… à l’âme.

En mer, le 24 novembre 1972 vers Santa Cruz (Canaries)

Si tu me voyais, tu te tordrais de rire ! Je suis affublé d’un grand short qui me descend trois doigts au-dessus des genoux. Ce n’est pas très coquet.

La campagne est commencée, lundi nous serons à Santa Cruz de Ténériffe dans les îles Canaries.

Nous avons eu une conférence à bord par un officier sur ces îles et en particulier sur l’île de Tenerife. Tout ce que j’ai retenu c’est qu’il y a qu’une seule route praticable.

J’essaierai le mieux possible de te décrire ce que je vais voir.

Demain matin nous franchissons le détroit de Gibraltar à 8h00. C’est un enchantement pour les yeux, l’ayant déjà  franchi une fois. Des marsouins suivent le bateau, la mer fait le gros dos, je te raconterai tout cela demain.

La journée a été bonne dans l’ensemble, une mer calme, du soleil, une douce chaleur et peu de…boulot.

La dernière image que nous ayons eu de la France c’est un massif montagneux perdu dans la brume du petit matin, ensuite les côtes espagnoles ont fait place.

Peut-être demain matin pourrai-je voir les minarets sur les côtes marocaines comme la dernière fois.

La nuit tombée, nous avons eu cinéma à la cafétéria, “Les as d’Oxford” avec Laurel et Hardy, c’était très bon, j’ai bien ri.

Comment vont tes parents ? bien je suppose; tu les embrasseras bien de ma part car je les aime bien; ils sont si gentils et je pense que ma belle-mère doit trouver drôle de ne plus avoir un futur gendre qui l’embête tout le temps.

J’ai suivi ton conseil, je vais mettre quatre ou cinq lettres dans la même enveloppe, c’est économique et pratique en même temps.

Je suis impatient d’être à la prochaine escale pour avoir des nouvelles de toi. En ce moment tout le monde dort et je suis seul dans notre avant-poste, notre salon si tu préfères. J’ai un peu le cafard en t’écrivant des images viennent à mon esprit faites de bonheur et de joie passés. Je suppose que vous vous réunissez au coin du feu dans la salle à manger comme l’an dernier. La banquette doit trouver drôle de ne plus avoir ses amoureux sur ses coussins ! Elle doit être un peu triste. Une pensée m’effleure : les meubles qui nous entourent sont peut-être des entités doués de sensibilité.

En mer, le 24 novembre 1972 vers Santa-Cruz (Canaries)

Ma deuxième journée de campagne vient de se terminer. J’arrive du cinéma où il passait un film avec Maurice Biraud, Louis de Funès et Francis Blanche. Cela me détend beaucoup, la journée a été rude car il fallait récupérer de l’argent parmi les mécaniciens et c’était tout un micmac.

Nous avons passé le détroit de Gibraltar vers 9h00, je crois. La mer est houleuse car un océan et une mer s’y rencontrent. Pas un dauphin, ni un marsouin est venu jouer avec le bateau. C’est dommage car ces cétacés sont magnifiques.

A 13h00 nous sommes passés de l’heure alpha à l’heure zoulou, c’est à dire que nous avons une heure de différence avec toi. Quand il est midi pour toi il est 11h00 pour nous. Pour certains c’était agréable car la sieste a été prolongée.

Demain c’est dimanche et je vais en profiter pour ramasser un peu d’argent*, c’est toujours agréable d’avoir quelques centimes en poche.

Après déjeuner avec mon copain Daniel (le Sako**) je suis allé essayer une tenue de plongée car, à Santa-Cruz,  nous avons décidé de faire un peu de plongée sous-marine***. Je vais me faire prendre en photo**** avec palmes, bouteilles etc.

Mardi je vais faire une promenade au pic du Teide aux Canaries, là je vais prendre beaucoup de photos.

* J’avais mis en place un service de repassage.

** Fusilier marin chargé de la discipline sous les ordres du capitaine d’armes (le bidel).

*** Il ne manque pas d’air le Michel, lui qui est un piètre nageur.

**** C’est déjà plus raisonnable.

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Les années soixante

Les années soixante

Un cousin de papa, du côté Païen, habitait un appartement au deuxième étage d’une grande maison, à Penhoët,  appartenant aux Fonderies de Saint-Nazaire. Lorsque ce cousin décéda,  papa demanda que l’appartement nous soit attribué.

C’était une grande maison de deux étages, le dernier était mansardé ; aux rez-de-chaussée un commerce « Dock de l’Ouest ».

Nous étions à proximité de la gare de triage. Toute la nuit, une locomotive manœuvrait et envoyait des wagons sur différentes voies pour constituer les convois. Leur course s’arrêtait  net, avec grand bruit, en cognant les wagons précédents. Maman, la première nuit, craignit que nous ne puissions jamais s’habituer ; après quelques temps nous les entendions plus.

Mon monde changeait alors quelque peu : Marcel était entré à l’école d’apprentissage des Chantiers de l’Atlantique en septembre 1961, plus de “côte”* avec ses blockhaus à explorer bien que, avec mon copain Jean-Hugues, nous y allions de temps en temps à la chasse aux lézards verts. Avec son appareil Kodak, nous traquions un de ces reptiles en avançant, à pas de loup, au plus près et si nous le faisions fuir : nous passions de longues minutes, sans bouger, sans bruit, attendant qu’ils reviennent se réchauffer au soleil d’été. Cette passion nous était venue lors d’une présentation par un montreur d’animaux sous le préau de notre école.

Je me fis un ami dans ce nouvel espace en la personne du plus jeune des voisins, une veuve et ses quatre enfants, de l’appartement du dessous. Nos terrains de jeux favoris : un stockage de bois d’une menuiserie et jouxtant la maison, une casse de voitures abandonnée. Cette dernière était entourée de hauts murs en parpaings que nous franchissions aisément. Suprême sensation, nous marchions sur le haut de ceux-ci en faisant fi de la ferraille en contrebas.

J’avais troqué mon lance-pierre contre une fronde : une bande de cuir formant une poche, prolongée à chaque extrémité par des lanières. Était-ce une bonne idée ? oh non ! elle était beaucoup plus dangereuse car les tirs étaient moins précis.

Pendant un temps, avec Jean-Pierre un copain d’école, nous nous retrouvions le soir près du terrain de football de l’Union-Méan-Penhoët, seule surface assez dégagée pour éviter les accidents, pour expérimenter une nouvelle arme : nous introduisions dans le corps d’une pompe à vélo un pétard avec une baleine de parapluie ; on faisait sortir la mèche par le trou du raccord, puis nous placions une bourre et une bille de verre. Nos essais ont montré qu’elle était redoutable…

J’ai souvenir que nous construisions encore des cabanes en creusant verticalement un monticule de terre, résultat du creusement d’une mare dans un terrain vague non loin de la maison,  puis nous installions un toit de branchages recouvert de terre en laissant une ouverture pour s’y glisser.

L’été, nous allions nous goinfrer des fruits d’un verger envahi par les herbes folles. Côté route, il y avait, peinte en noir, une vieille roulotte gitane en bois abandonnée. Qui a vécu là ? c’est aujourd’hui en écrivant ces quelques lignes que je pose cette question : je n’ai jamais vu la ou le propriétaire. Au cours d’une exploration nous avions découvert, dans un coin près de la paillasse, une pile de « Chasseur français”.

La roulotte fut détruite et une veuve fit construire à la place une maison. Elle avait deux enfants, un garçon et une fille, à peu près de mon âge, “fans” de Claude François ; les portraits de leur idole tapissaient les murs de leur chambre.

Est-ce notre éducation ? je me souviens pas que mon frère et moi ayons adoré une quelconque vedette fut-elle du sport ou de la chanson.

Et puis…je passai de plus en plus de temps avec Chantal**, nous faisions du patin à roulettes et je la tenais par la main…de peur qu’elle ne tombe.

* L’exploration d’une casemate

** La belle Chantal (1965)

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Madeleine (1994) (Audio)

Fichier audio : Madeleine

Madeleine (1994)

De temps en temps, j’effectuais des prestations extérieures pour d’autres chantiers et compagnies et c’est à bord d’un navire rapide que suivant l’expression consacrée j’avais posé mon sac pendant quelques jours.
À bord de ce genre de navire, la timonerie ressemble à un cockpit d’avion.  Étant trop étroite, j’avais installé mes appareils de mesures dans le salon passager contre la cloison la jouxtant.
Mon travail consistait à mesurer l’ensemble des paramètres lié à la capacité manœuvrante du navire, entre autres : trajectoire, puissance des moteurs des hydrojets, inclinaison des ailerons latéraux, horizontaux à différentes allures.

On m’avait prévenu que l’armateur et sa femme étaient à bord pour cette séance d’essais à la mer. Des mouvements et des paroles feutrés dans le salon m’indiquèrent bientôt une présence. Un petit coup d’œil en arrière : c’était les dirigeants du chantier et deux personnes d’origine polynésienne.
« L’armateur et sa femme, pensai-je. »

La femme quitta le groupe et vint s’asseoir à côté de moi. Je me levai et la saluai d’une légère inclinaison du torse. Je me rassis. À ma stupéfaction, elle me poussa d’un léger coup d’épaule. Je la regardai un peu surpris d’une telle familiarité.
« Ia orana Michel, me dit-elle.
Je restai interloqué.
– Vous semblez me connaitre ?
– Papeete… 1973… il me semble…
Je dévisageai la femme, elle avait un visage rond, des traits très agréables, un joli sourire.
– Mon dieu ! Madeleine ! cela fait si longtemps ! dis-je.
– Eh oui ! Madeleine ! je t’ai reconnu tout de suite, toi par compte…
– Euh… oui, le contexte probablement…
– Le contexte peut-être un peu mais je crois surtout les maternités et chez nous c’est notre nature de prendre quelques kilos, dit-elle en riant.
– Vis-tu toujours à Papeete ? demandai-je. »

Elle me raconta sa vie, son mariage, ses enfants…

Était-ce sa voix si agréable avec ce délicieux accent ou ce parfum de jasmin si présent qui m’enveloppait ? Peut être les deux ; mes souvenirs s’égrenaient  : une très belle jeune fille de dix huit ans, une chevelure noire tombant au creux des reins, une peau cuivré, un sourire éclatant, une démarche de reine sur une plage de sable noir…

« Tu rêves ! tu ne m’écoutes pas ! dit-elle.
Curieusement j’avais l’impression que nous nous étions quittés la veille ; nous recommencions nos chamailleries d’antan.
– Si, si,  je t’écoute, je t’écoute… »

Nous nous retrouvions presque tous les jours, en fin d’après-midi, à la piscine. Piètre nageur, je ne pouvais rivaliser avec elle,  elle évoluait dans l’eau si facilement, comme une sirène.
Elle avait deux frères plus âgés, de solides gaillards à la carrure imposante.
Un après-midi, ils m’invitèrent à la pêche auprès d’un récif.
À quelques mètres du bateau, l’eau semblait bouillonner en surface. Madeleine et ses frères plongèrent immédiatement. Je restai à bord, tétanisé.
Tout à coup une tête ruisselante émergea et deux mains puissantes agrippèrent le bordé ­­:
« Tu ne viens pas avec nous ? dit l’un des frères.
Je fis non de la tête.
– Marin pourri ! me dit-il en riant avec cet accent qui omet les “r”. »

Elle continua sur le désir de son mari d’acquérir un nouveau navire pour sa compagnie…
Alors elle devint plus terre à terre :
« Que penses-tu de ce bateau ?
Que pouvais-je lui dire ? L’armateur qui l’avait commandé avait eu quelques déboires et le bateau restait sur les bras du chantier. C’était vital pour ce dernier.
– C’est un très, très bon bateau, je peux te l’assurer… »

Les responsables du chantier et son mari, après une visite de la timonerie, revinrent dans le salon et se dirigèrent vers nous. Elle me présenta à son mari avec qui j’échangeai quelques politesses.
Les responsables étaient un peu étonnés et même probablement agacés de mon apparition soudaine dans ce jeu si subtil entre acheteur et vendeur. Je les comprenais : les enjeux étaient si importants. Une erreur de ma part aurait pu compromettre de longues négociations.

Tout ce petit monde quitta le salon. Elle me fit un petit geste de la main avant de disparaître.
Je restai seul,  un peu ébranlé par cette apparition soudaine.
Je repris l’observation des paramètres sur les écrans mais il restait dans l’air un parfum de jasmin… celui d’une jeune femme, baignée de soleil, aux confins de ma mémoire.

Le bateau fut vendu et navigue maintenant entre ces  îles lointaines…

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Un soir sur le Nil (Août 2010)

Un soir sur le Nil 

Le Beau rivage sur lequel nous effectuions une croisière glissait lentement sur le Nil. Nous avions subi quelques heures auparavant*, bien que nous fussions au mois d’août, une violente averse  et un brouillard assez dense subsistait sur le Nil.
Nous étions partis de Louxor et nous allions à Assouan. À mi-chemin, il est nécessaire d’affaler les tauds** et les mâtereaux du pont promenade pour passer sous le pont d’Edfou. Ceux-ci sont installés sur des portiques pourvus de charnières à leurs pieds permettant à tout l’ensemble de basculer facilement.
Pendant l’averse, nous étions tous descendus au pont inférieur mais informés par le personnel du bar de l’imminence de la manœuvre  Marlyse et moi sommes remontés sur le pont promenade. Rompus à cette pratique, les hommes d’équipage affalèrent tous les équipements en quelques minutes.
Pour assister au passage, abrités sous une bâche, nous nous sommes assis sur le pont promenade avec quelques matelots. Nous avons pu ainsi faire connaissance. L’un d’eux, Ahmed,  parlait l’anglais et traduisait. J’appris qu’il habitait Louxor, avait deux enfants et travaillait depuis quelques années comme matelot sur ce navire.
Lentement le bateau s’engagea sous le pont ; c’était très impressionnant : le haut de celui-ci passa à quelques centimètres de la poutre de béton.
L’obstacle passé, Marlyse descendit à notre cabine ; les tauds et mâtereaux furent remis en place. Lorsque tout fut en ordre, Ahmed m’invita à descendre à la timonerie pour boire un thé, ce que je fis avec plaisir.
Elle faisait la largeur des superstructures mais était assez étroite. Les parois étaient lambrissées et vernies. Sur l’avant, un comptoir courait sous les baies vitrées.  À part une radio, je ne voyais aucun appareil de navigation. Au milieu, le raïs en djellaba blanche assis sur une haute chaise pilotait le navire avec une barre à roue en bois vernie. Il avait hérité cette charge de son père et était habilité à naviguer que sur une portion du cours du Nil. Il parlait anglais.
Ahmed m’offrit un thé particulièrement parfumé ; j’étais bien ; il me semblait que je me fondai dans cet univers. Calé dans un coin, je ne souhaitai rien déranger dans cet instant magique. Nous restâmes un bon moment sans parler. Il me semblait vivre un des rêves de mon enfance mais sur un Nil différent : un brouillard assez dense avait envahi le fleuve et la visibilité était très réduite.
« Ce n’est pas facile de naviguer à vue avec un tel brouillard, dis-je au raïs, un radar pourrait vous aider.
– Je n’en ai pas besoin, nous sommes sous la protection d’Allah.
– Bien sûr, bien sûr,  dis-je d’un ton que je voulais naturel. »
Il devina mon incrédulité, il me regarda et me sourit malicieusement.
Il fit un geste vers Ahmed, son assistant. Celui-ci introduisit une cassette dans un lecteur. Une voix mélodieuse récitant une sourate du Coran emplit l’espace donnant encore plus de profondeur à l’instant. J’étais subjugué. J’aime cette musique, elle est pour moi synonyme de caravanes, d’oasis, de villages perdus dans la montagne  comme d’ailleurs un raga de la musique indienne me laisse entrevoir des temples, une forêt tropicale, des moments de paix intérieure. J’aime ces musiques d’ailleurs….
On m’offrit un autre thé ; je me laissai aller à la rêverie…
Tout à coup la porte s’ouvrit brusquement :
« Bon alors ! voilà bientôt une heure que je te cherche ! la soirée déguisée commence !  tu n’es pas encore prêt !
C’était Marlyse qui s’impatientait.
– Oui, oui j’arrive tout de suite, dis-je »
Nous n’avons pas toujours les mêmes centres d’intérêts et la perspective d’une soirée de ce genre ne m’emballait pas vraiment mais… c’étaient aussi ses vacances.
Je remerciai Ahmed pour son thé et pris congé à regret du raïs.
« Reste donc avec nous ! me dit Ahmed.
– L’Islam a du bon… parfois, me dit le raïs malicieusement. »
Je ne répondis pas mais je leur souris avec un petite geste d’impuissance…

* Voir « Sur le Nil (Août 2010) ».
** Abris en toile sur un bateau.

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Seule dans la nuit

Seule dans la nuit…(Juin 1995)

Le Puteri Nilam, le méthanier dernier né des Chantiers de l’Atlantique pour la Petronas Tankers, effectuait ses essais au large de Belle-île. Dans deux heures le jour allait se lever. À la timonerie nous procédions à des essais de manœuvrabilité, de zigzag pour être plus précis, pour vérifier la capacité du navire à tenir son cap.

“Attention la barre à droite vingt, dit le lieutenant, attention pour le top…top ! .
– La barre à droite vingt, répéta le timonier.”
Le méthanier effectuait un virage sur la droite.
On entendait le cliquetis du répétiteur de cap situé au plafond de la timonerie et tout le monde avait les yeux rivés dessus. Lorsque la variation de cap sera de vingt degrés, la barre sera mise vingt degrés dans l’autre sens. Encore quelques degrés….
“Attention pour le top…”
Des cris, des hurlements envahissaient la timonerie sur le canal 16, le canal d’urgence :
“Au secours ! au secours ! ma copine est tombée à l’eau… je suis seule à bord du voilier… au-secours !  au secours !”
Surpris par cet appel, le lieutenant en charge de la manœuvre a laissé passer le top. Il annonce :
“Essai interrompu, cap au 270.”
Nous étions tous frappés de stupeur. C’était la voix d’une femme, jeune à son timbre, qui maintenant pleurait bruyamment.
“Heu…cap au 270, dit l’homme de barre.”

La conversation continuait sur le canal 16 :
“Ici le CROSSA** Étel, calmez-vous, nous allons vous aider. Veuillez passer sur le canal 19 s’il vous plaît pour libérer le 16.
– Le cap est au 270 ! dit l’homme de barre.
– Je ne sais pas ! je ne connais rien ! hurla la jeune personne, ma copine est tombée à l’eau…je ne sais pas…je n’ai jamais navigué…au secours ! au secours !
– Nous allons vous aider, calmez-vous ! calmez-vous !
L’officier du CROSSA reprend :
– Depuis combien de temps votre amie est tombée à l’eau ?
– Je ne sais pas… peut-être deux ou trois minutes
– Le bateau est-il sous voile ?
– Oui.
– Alors affalez les voiles pour le  stopper.
– Je ne sais pas ! je ne connais rien ! elle éclate en sanglots…ma copine est tombée à l’eau.
– Calmez-vous ! Pour vous localiser nous avons besoin de votre aide. Il faut que vous comptiez lentement jusqu’à cent. Vous êtes prête ! Allez-y !
Et elle égrena lentement :  1, 2, 3….”
Le CROSSA allait pouvoir localiser le voilier par radiogoniométrie et à partir de la trajectoire extrapoler le point de chute du skipper.

À la timonerie les préparatifs de l’essai de zigzag avait repris,  le navire avait repris sa vitesse. Nous attendions tous le nouveau top, mais l’ambiance était très lourde. Tous, nous pensions à la jeune personne tombée à la mer.
Je regardai mes relevés de température de l’eau : 12 degrés.
“Sans combinaison de survie, pensai-je, elle peut espérer survivre trois heures tout au plus. Quelle vision cauchemardesque, se retrouver ainsi à la surface d’une eau noire, sinistre, à la frontière du monde des vivants et des morts, une tête d’épingle, un bouchon dansant au gré de la houle. La mer prend son temps pour vous engloutir… rien pour se tenir, se rattacher, sentir ses membres se paralyser par le froid, attendre patiemment… Quelles pensées peut-on avoir ? “

“60, 61, 62…égrenait lentement la jeune personne.
Puis tout à coup une autre voix, masculine cette fois-ci , un patron pêcheur :
– Belliloise** pour CROSSA Étel , bonjour, je suis en panne de moteur ; je vois que vous êtes très occupé ; quand vous aurez quelques minutes vous vous occuperez de mon cas ; je vais me coucher…
– CROSSA pour Belliloise, bonjour Monsieur, nous vous contacterons un peu plus tard…

– 98, 99, 100.
– Nous vous avons localisée. Une vedette de sauvetage est en route pour aller vous chercher, restez auprès de la radio.
– Mais ma copine…
– Dès le lever du jour un hélicoptère partira à sa recherche…”

Les essais de manœuvrabilité étaient terminés. Le temps passa plus lentement ; la radio restait muette.  Je quittai la table et mes instruments pour me dégourdir les jambes. La plupart du personnel était parti se reposer ; la nuit avait été longue. J’allai sur l’aileron et regardai la mer le nez collé à la baie vitrée.  Le capitaine sans mot dire vint à mes côtés. Le jour se levait lentement….

Puis à coup :
“CROSSA Étel, CROSSA Étel nous avons localisé la jeune personne tombée en mer, elle est vivante, son hélitreuillage est en cours…”
Des cris de joie résonnèrent dans la timonerie. Le capitaine me donna une petite tape sur l’épaule, j’éprouvai un grand soulagement…

*CROSSA  : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage pour l’Atlantique
** Nom inventé.

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Deux naufragés sur un voilier

Deux naufragées sur un voilier

Quelle heure était-il en ce soir d’été ? Peut-être entre vingt heures ou vingt et une heures. Tout était calme à la timonerie du Daniel Casanova de l’armement SNCM. Le navire avait quitté Marseille et faisait route vers Ajaccio. Bientôt il ralentira et naviguera sur un seul moteur pour ne pas arriver trop tôt. Les passagers passeront une nuit complète à bord et débarqueront frais et dispos demain matin.
Pour la mise au point d’un simulateur en collaboration avec les Phares et Balises, je faisais des mesures pour mieux connaître le comportement de ce navire lorsqu’il navigue avec un très faible tirant d’eau. Avec l’officier électronicien nous avions connecté l’ensemble des paramètres, météo, moteurs, hélices sur une centrale d’acquisition.
Je commençai à analyser les manoeuvres réalisées dans le port de Marseille quand nous entendîmes sur le canal 16, le canal que tous les navires doivent veiller en permanence afin de recevoir les appels de sécurité, d’urgence et les messages de détresse :

«Mayday ! mayday ! mayday ! je suis à bord d’un voilier avec un enfant. Je fais route vers la Corse. Je suis perdu. Je navigue depuis des heures. J’aurais dû déjà l’atteindre depuis longtemps.
– Bonjour Monsieur, ici le CROSS MED veuillez passer sur le canal 19 s’il vous plaît pour libérer le canal 16. »
Peut-être par curiosité, l’officier à la timonerie passa lui aussi sur le canal 19.
La conversation entre le voilier et l’officier du CROSS continua :
«  Quel âge a l’enfant ?
– Six ans.
– Six ans ! vous allez seul avec un enfant de six ans en mer,  dit l’officier en s’étranglant. Quelles cartes possédez-vous à bord ?
– La carte de France Michelin 8863.
– Mais Monsieur ce n’est pas possible ! ce n’est pas une carte marine ! c‘est une carte routière !
– Oui mais compte tenu de la faible distance entre l’île et le continent, j’ai pensé qu’emmener une carte était superflu…
– Faible distance ! mais comment l’avez-vous utilisée ? demanda l’officier du CROSS.
– J’ai calculé la distance sur la carte, connaissant ma vitesse moyenne j’ai pu en déduire le temps nécessaire.
– Mais Monsieur sur ce genre de carte la Corse est dans un encadré pour bien montrer qu’elle n’est pas à sa place. Elle est à 96 nautiques de la côte française ; il vous faut avec votre voilier entre vingt à trente heures pour l’atteindre. »
Dans la timonerie nous étions tous effarés. Comment pouvait-on commettre  une erreur aussi grossière ?
Le capitaine se tourna vers moi et tempêta :
« Vous êtes témoin, Monsieur Mahé, des imbéciles que l’on rencontre en mer. En plus ils sont légion je peux vous l’assurer. Celui-ci emmène un gamin de six ans ! »

Le CROSS entama ensuite les procédures pour déterminer la position du voilier par radiogoniométrie.
Nous entendîmes un plus tard à la radio :
«  Daniel Casanova, Daniel Casanova ici le CROSS MED , vous êtes à proximité d’un voilier en détresse pouvez-vous lui porter assistance s’il vous plaît. Voici sa position…
– Bonjour Monsieur, ici le Daniel Casanova, nous nous déroutons vers sa position. »

Alors le Capitaine a pris contact avec le voilier. Il dit d’une voix calme, posée des gens qui savent ce que le mot responsabilité veut dire :
«Bonjour Monsieur, je vais dérouter le Daniel Casanova, nous avons 2396 passagers  et une cargaison de voitures et camions. Sachez Monsieur que c’est votre enfant que nous allons chercher. Après avoir secouru votre gamin, si nous le pouvions car notre code ne nous le permet pas… nous vous laisserions crever sur votre bateau…Est-ce clair ! »

Le Daniel Casanova s’est dérouté. Il est allé chercher les deux naufragés. J’imagine l’accueil fait au père par le capitaine.

Ce soir là, à la timonerie, les langues se sont déliées et des histoires ont été racontées, des histoires de parisien bien sûr, dans ce genre d’histoire c’est toujours un parisien. L’expérience laisse à penser que c’est un individu qui habite au-delà de la zone des dix kilomètres le long des trois milles kilomètres de nos côtes.
Une qui m’a particulièrement plus est celle d’un quidam venant juste de prendre possession de son bateau et qui en sortant est allé droit dans le musoir d’une des deux jetées protégeant un petit port breton.
Lorsque le responsable du port s’enquerra du pourquoi et comment de l’accident, il lui répondit :
«Je ne comprends pas, j’avais pourtant mis le pilote automatique… »

À partir de ce jour j’ai vu les plaisanciers différemment. J’avais compris que beaucoup ont le minimum de formation et prennent des risques inconsidérés.

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Le Nouvel An à Durban (1973)

Le Nouvel An à Durban (1973)

Avant notre arrivée au Cap, en Afrique du Sud, où nous avions passé Noël, nous avions été réunis dans la cafétéria  pour une information sur les lois en vigueur dans ce pays.
Le commandant en personne nous a rappelé qu’il existait un régime de séparation entre la communauté blanche et celle de couleur. Chacune possédant ses lieux de vie, de réunion, ses bars, ses places réservées sur les bancs publics et dans les transports en commun.
Pour ce qui nous concernait, à notre grand dam, nous avons appris : que l’alcool était servi dans les bars à partir de dix huit heures et que nous risquions la flagellation et six mois d’emprisonnement si nous étions pris à “fricoter” avec une personne de couleur.
Parmi l’équipage, il y avait un seul noir dénommé M., “un pont”.  Il n’a jamais été inquiété car, toujours très entouré, il était très difficile pour un cafetier de faire obstacle à une bande de marins prompts à la bagarre et bien décidés à imposer leur camarade partout où ils allaient.
Pour l’alcool nous avions vite compris que, dans la journée, il fallait simplement commander un “cook” : trois quarts  de Whisky, un quart de Coca Cola.
Les jeunes femmes de couleur étaient très belles et ne manquaient pas de nous aguicher mais de jeunes étudiantes venaient au bateau pour perfectionner leur français et nous avions beaucoup de plaisir à jouer les professeurs.

Le Glorieux Commandant Rivière fit escale à Durban en Afrique du Sud pour le nouvel an.
Dès notre arrivée, des familles françaises et anglaises avaient fait le souhait d’accueillir des marins pour cette dernière soirée de l’année. Avec mon copain G. nous nous sommes portés volontaires.
Le soir venu, une voiture vint nous chercher à la coupée du bateau. Bientôt nous nous sommes retrouvés dans une famille : un couple avec deux filles de notre âge.
La soirée fut vraiment très agréable. De nombreux toasts furent portés à nos deux nations, la maîtresse de maison nous a fait découvert quelques spécialités du pays et puis nous avons dansé du mieux que nous pouvions.
À minuit nous dansions chacun avec une des filles. Le douzième coup sonnant, la jeune personne m’embrassa sur la bouche. Ma première réaction bien sûr fut de l’écarter et de jeter un petit coup d’œil au père craignant une vive réaction.
Eh non ! celui-ci était assis sur le sofa du salon et applaudissait en opinant du chef :
“C’est la coutume, c’est la coutume” disait-il en français avec un fort accent.
Alors si c’était la coutume… je me laissai faire par la gente féminine présente et pris même un peu de rab.

Vers deux heures du matin nous prîmes congé de nos sympathiques hôtes, il nous fallait retourner au bateau.
En sortant, nous étions dans une rue sombre et avisant une jeune personne qui sortait d’une grande porte cochère sur le trottoir d’en face et considérant que cette coutume était vraiment plaisante nous traversâmes la rue pour lui faire “Happy new year”.
En voyant deux énergumènes s’approcher d’elle en braillant : “Happy new year !”, elle prit peur, rebroussa chemin, s’engouffra dans le porche qu’elle venait de quitter. Nous la suivîmes mais une ombre nous barra le passage et nous fit stopper net : c’était une sœur et nous étions… dans un couvent.
Après quelques excuses bafouillées, nous rebroussâmes chemin.

Le lendemain matin j’avais oublié cet épisode, lorsque le maître principal rentra dans le bureau :
« Mahé chez le commandant en second, immédiatement !
— Vous savez ce qu’il me veut patron ?
— Vous devez avoir une petite idée ! G. est aussi convoqué. »

Le capitaine de corvette de R. était issu des commandos et nageurs de combat. Il avait un regard d’acier et tout dans son attitude était discipline. Être convoqué ainsi n’envisageait rien de bon.
Bientôt, au garde-à-vous, nous étions tous les deux dans son petit carré situé à l’arrière du navire. Il était assis à son bureau, derrière lui une sœur… celle du couvent qui nous a barré le passage.
Il nous regardait sans mots dire ce qui nous mettait particulièrement mal à l’aise.
« Sœur Elisabeth, ici présente, m’informe que vous avez coursé une sœur et que vous avez pénétré dans le couvent?
— Oui commandant
— Vous vous rendez compte de la gravité des faits?
— Oui commandant, mais nous ne savions pas que c’était une sœur et un couvent. Il faisait très sombre…
A ce stade, la  sœur se pencha vers le commandant, demandant une traduction de nos propos. Après quelques échanges, il continua :
— Mais interpeller ainsi une jeune femme dans la rue est aussi grave.
— Oui commandant, nous voulions simplement lui souhaiter la nouvelle année.
— Vous aviez bu ? Nous savions par expérience que la négation de cet état nous vaudrait une peine plus lourde.
— Oui commandant, nous étions dans une famille…
Je me tournais vers la sœur et le commandant traduisit mes dires :
— Ma sœur, c’est vraiment un malentendu et nous vous prions de nous excuser pour ce qui s’est passé. Malgré notre approche un peu vive, pas une seconde nous avons pensé à l’agresser. Nous voulions simplement lui souhaiter la nouvelle année.
Le commandant et la sœur engagèrent une conversation. De temps en temps ils nous regardaient. Le regard droit devant nous, nous attendions la sentence.
— Sœur Elisabeth vous croit et considère cette affaire comme close. Pour ma part, je souhaitais vous donner une punition exemplaire mais sœur Elisabeth m’en a dissuadé. Rompez! »

En remontant tous les deux vers le pont supérieur nous nous sommes regardés ; nous venions d’échapper à la plus terrible des punitions pour des jeunes appelés : des jours de consigne en escale.

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A Paris, dans le métro (2001)

A Paris, dans le métro (2001)

Chaque année nous nous retrouvons, début juillet, à Piriac-sur-Mer pour un après-midi entre amis;  je précise même «entre amicalistes» c’est à dire que nous étions ou sommes tous membres de l’Amicale Laïque de Montoir-de-Bretagne. Plusieurs d’entre nous ont fait ou font du théâtre dans cette association et de ce fait ont la répartie facile et savent immédiatement tirer partie d’une situation.
La journée est des plus agréable, déjeuner dans le jardin, chacun apportant une salade et un dessert, les grillades sont offertes par nos hôtes : Mikaela* et Per*.  Puis farniente pour certains et pour les autres : balade sur le sentier des douaniers, baignade à la plage de Porth-Er-Stêr, puis nous terminons par le dîner qui peut se prolonger fort tard.
Pendant le déjeuner, nous avons découvert que nous étions trois couples souhaitant passer un week-end à Paris. Pourquoi ne pas y aller ensemble ?

C’est pourquoi une semaine après nous étions, Mikaela*, Gwenn*, Marlyse, Per*, Denez* et moi,  dans une rame du  métro, en rond assis sur nos valises. L’ambiance était joyeuse et contrastait avec la mine triste des parisiens.

«Eh ben dis donc ! c’est incroyable ! commença Denez, voilà bientôt dix minutes qu’il ne s’est rien passé !»
Mikaela se tourna vers moi :
«C’est vrai, d’habitude lorsque tu es avec nous, il y a toujours un début de catastrophe.»
Voilà nos théâtreux partis sur une improvisation. J’adore ce genre et je prends toujours beaucoup de plaisir à participer…
« Vous vous souvenez, continua Per, en Allemagne, à Hambourg, lorsque l’avion a failli louper son atterrissage à cause d’un vent de travers très violent.
– Oh là là !  renchérit Mikaela avec force gestes, l’avion est arrivé en crabe. Il a rebondi sur la piste violemment sur son train droit ; je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. »
Tout le monde acquiesçait.
« C’est vrai, depuis ce jour là, j’appréhende de monter dans un avion, ajouta Denez.»
Les voyageurs autour de nous écoutaient. Pour votre gouverne : Marlyse et moi n’étions jamais allés en avion avec eux.
«Vous êtes méchants, dis-je, jusqu’à maintenant, vous en conviendrez, il n’y a jamais eu de victimes.
– Ah ça c’est vrai ! il a raison, dit Gwenn, jamais de victimes… jusqu’à présent… mais un jour ou l’autre.»

C’est alors qu’aux haut-parleurs de la rame on entendit le message :
«Mesdames et messieurs votre attention s’il vous plaît. Pour des raisons techniques nous ne pouvons plus assurer votre sécurité. Tous les voyageurs sont invités à descendre au prochain arrêt.»
Nous éclatâmes de rire.

«Ah ben voilà ! on se demandait aussi.
– Tu n’as pas failli à ta réputation !»
Ceux qui ne rigolaient pas c’étaient les voyageurs autour de nous. Certains étaient un peu nerveux. Nous descendîmes sur le quai sous leurs regards hostiles.
Alors une femme d’un âge certain, veste et jupe pied-de-poule, chemisier blanc, serviette de cuir à la main, vint me trouver :
«Bonjour Monsieur, pourrais-je vous demander un service ?
– Bonjour Madame, bien sûr, que puis-je pour vous ?
Elle avait une voix douce mais avec la fermeté des décideurs qui contrastait  avec la détresse que je lisais sur son visage.
– Voilà je suis chef d’entreprise et j’ai rendez-vous dans un quart d’heure pour signer un très important contrat. Il y va de la survie de mon entreprise.
– Eh alors… je ne vois pas… comment ? balbutiai-je.
– Pourriez-vous avoir la gentillesse de prendre la rame suivante s’il vous plaît, simplement pour me rassurer, je vous en serais infiniment reconnaissant… »
Devant cette supplique, nous sommes restés sur le quai, conscients que ces quelques minutes d’attente seront bénéfiques pour notre économie nationale…

Est-ce le jour même ou le jour suivant, peu importe, nous étions là aussi dans le métro et je fis part à mes amis d’une idée :
«Vous savez, ce serait drôle de se lever et de dire avec l’accent du midi :
«Bonjour, je m’appelle Michel et je vais passer parmi vous pour vous demander une petite pièce pour payer, ce soir, l’apéro aux copains.»
– Eh bien qu’attends-tu pour le faire ! dit Mikaela, toujours prête à tenir un pari.»
Bien sûr tous m’encouragèrent :
«Allez ! allez ! vas-y ! vas-y!»
Je me levai et alors à la seconde ou j’allai ouvrir la bouche nous entendîmes la voix monocorde d’une femme dans le fond de la rame :
« Bonjour je m’appelle Madeleine et je vais passer parmi vous pour vous demander…»
Nous éclatâmes de rire et Denez me dit :
«Ah la concurrence ! Tu vois, même ce créneau est bouché…»

* Prénom inventé

Cet article est dédié à Gwenn, notre amie et institutrice de nos enfants, qui nous a quittés en 2011.

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Baignade tragique (1975)

Baignade tragique (1975)

Nous formions un petit groupe, Line*, Laure*, Marlyse, Andrew*, Yan* et moi, et nous partagions la même passion : la préhistoire. Nous vivions celle-ci à fond : membres de la Société Nantaise de Préhistoire, nous suivions les conférences au muséum d’histoire naturelle chaque mois et tous les week-ends nous étions sur le terrain à prospecter. De nombreux sites archéologiques furent ainsi découverts pendant cette période.
Nous nous nourrissions des livres de Jacques Tixier, de François Bordes pour reconnaître les outils et nous nous exercions à la taille du silex, surtout Andrew et Yan.

Nos vacances d’été, nous les passions le plus souvent au camping du Port de Limeuil sur la rive gauche de la Dordogne. En face, sur l’autre rive, sur son promontoire, au confluent de la Vézère et de la Dordogne : Limeuil, un charmant village médiéval.
Dans cette magnifique région, nous avons eu la chance de rencontrer : à Montignac dans sa librairie, M. Rivière qui a travaillé à Lascaux avec l’abbé Breuil , à Tursac, Denise de Sonneville et François Bordes, éminents préhistoriens.

Ce week-end là, de nombreux copains nous avaient rejoints. L’ambiance était joyeuse, bon enfant. Le temps était partagé entre les visites des musées, des grottes, le farniente, les baignades… Une règle s’était naturellement installée : les filles faisaient la cuisine, les garçons la vaisselle.

Parmi les participants il y avait Phil*. Bon compagnon, il avait une particularité dans son langage : la plupart des noms ou choses étaient accompagnés, par l’un des vocables “vieille” ou “vieux”. Il fumait une vieille cigarette, portait une vieille chemise, un vieux pantalon et même vivait, selon ses dires, avec un vieille de… 40ans !
Il lui arrivait parfois de ne pas manger avec nous pour simplement ne pas faire la vaisselle.

Dès son arrivée, avisant la rivière en descendant de sa vieille trois chevaux, il décida de la traverser pour se rafraîchir. A cet endroit elle est large d’environ 90 m avec en son milieu un très fort courant. Nous avons essayé de le dissuader en arguant qu’il ferait mieux de se reposer après un long voyage. Nenni, bravant nos recommandations, la présence des filles était certainement pour quelque chose, il se mit  à l’eau.
De la rive nous le suivions des yeux. Il nageait plutôt bien, luttant contre le courant de toutes ses forces. Arrivé de l’autre côté, pantelant, éreinté, il s’affala sur les galets. Il mit de longues minutes pour reprendre son souffle.
On le vit remonter la rivière, à pied sur la berge, une cinquantaine de mètres et se remettre à l’eau. Nous pensions tous qu’il eût été préférable qu’il revienne par les ponts.

Après quelques dizaines de mètres, fatigué, il n’eut plus la force de lutter et fut entraîné  inexorablement par le courant. A cet instant, nous avons craint le pire.
Que faire ? Le seul moyen efficace pour lui venir en aide était de le devancer et de le rattraper à un endroit plus propice.
En courant le long de la berge, nous pouvions le voir à travers les arbres, arbustes et buissons, se débattre, gesticuler; tantôt seule une main émergeait, tantôt la tête alors nous l’entendions crier : “Au secours ! à moi !”

Nous étions bientôt massés sur la berge dans un espace libre de végétations. Nous l’avions dépassé mais pas suffisamment. Nous nous apprêtions à reprendre notre course quand retentit le teuf-teuf caractéristique d’une barque à moteur. Voilà la solution ! Si elle remonte la rivière, elle passerait à coup sûr non loin de lui. Nous courûmes un peu plus loin vers l’aval.
En effet, une barque remontait péniblement la rivière. Debout à l’arrière, un homme en salopette bleue et portant béret semblait ne pas comprendre pourquoi nous lui faisions des grands signes en criant, bien qu’il eût déjà aperçu Phil.
Lorsqu’il passa à sa hauteur, celui-ci lui cria de toutes ses forces :
“Au-secours ! au-secours ! aidez-moi !
-— Eh couillon ! pourquoi tu cries comme ça ? répondit  le batelier en riant, tu as pied !”
A ces mots, Phil, en titubant, se mit debout et quelques uns d’entre nous allèrent rapidement le chercher.
Un peu honteux d’avoir provoqué tout ce tumulte il balbutia :
“Eh ben dis donc ! j’ai eu une vieille peur !”

* Prénom inventé

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Histoire de Brière (1981)

Histoire de Brière  (1981)

À la sortie de l’IUT, j’avais été approché par un Groupement Intérêt Économique d’artisans, œuvrant dans la construction et la rénovation de maisons individuelles, pour mettre en place un bureau d’études. Le maire d’une petite ville de Brière avait alors contacté ce même G.I.E pour aider une famille nécessiteuse. On me demanda si je pouvais réaliser l’étude d’une extension de leur maison en me précisant que leur situation était des plus catastrophique.

Il m’a fallu un peu de temps pour trouver leur maison bien qu’elle fût, comme partout dans les îles de Brière, perpendiculaire à l’ancien chemin de ceinture de ce qui fut une île. Elle n’était pas très avenante : une porte basse, une petite fenêtre sur la façade par endroits décrépie et marquée, çà et là, de tâches blanches, restes d’un ancien ravalement.
Une femme petite, ronde, les cheveux grisonnants en bataille, vêtues  d’une robe noire à fleurs blanches et d’un tablier bleu m’ouvrit et me fit entrer.
Les murs, les poutres du plafond étaient couverts de suie. Au fond une cheminée où un feu ouvert brûlait sous une marmite posée sur un trépied. Le sol était de terre battue et présentait des trous et des bosses montrant que sa réfection n’avait pas été faite depuis longtemps. Une ampoule électrique nue, pendue à une poutre, donnait une lumière blafarde.
Au milieu de la pièce, une longue table, couverte d’une toile cirée rouge, flanquée de deux bancs de bois. Une gravure du Cœur Sacré de Jésus, piquée de taches jaunâtres, munie de son rameau de buis, était accrochée au mur. Adossées à leur mur respectif, sur la longueur, deux armoires anciennes en merisier se faisaient face.

On me pria de m’asseoir. Il m’était difficile de poser mon porte-documents : des taches de café, de vin maculaient la nappe. D’un geste ample, avec son torchon,  la maîtresse de maison les essuya, faisant voler le liquide sur le sol, sur le banc et quelques gouttes …sur mon pantalon.
Assis sur le banc, en face moi, deux petits enfants me regardaient la morve au nez, le visage sale. Le plus jeune avait dû pleurer, les traces de la coulée des larmes avaient délavé la crasse. Derrière eux, debout, une petite fille d’une dizaine d’années les cheveux sales, raides, coupés au carré, suivait tous mes gestes de ses yeux bleus fatigués.
Au fond de la pièce, dans un fauteuil, une vieille femme habillée de noir, se tournait les pouces en me dévisageant.
“Que vient faire ce jeune homme ? demanda la vielle.
— Il vient pour l’extension de la maison grand-mère répondit la mère.
— Tu vas encore dépenser des sous !
— C’est à cause de vous, grand-mère, ces dépenses, dit-elle sèchement. »

La mère vint s’asseoir à côté de moi. Elle sentait le rance des personnes négligées. En quelques mots, elle me décrit ce qu’elle souhaitait. Je pris des notes, réalisai quelques croquis préliminaires.
“Combien prenez-vous pour l’étude ?” me demanda-t-elle.
Je regardai les trois enfants, les voyant dans une telle pauvreté, je fus pris de pitié. Comment pourrais-je ne pas aider cette famille?  Je leur demandai une somme dérisoire: 1000 francs pour couvrir les frais occasionnés.

Je montai l’ensemble du dossier et revint quelque temps après pour faire signer le plan et compléter la demande du permis de construire.
“Avez-vous un plan de financement ? Faites-vous un crédit ?
— Non, non pas de crédit, c’est inutile. Combien vous doit-on ? me demanda la mère.
— 1000 francs comme convenu.
— Vous êtes sûr, pas plus ?
— Non, non, ça ira. »
J’avais un sentiment naissant de m’être fait avoir.

La mère se leva, ouvrit à demi son armoire, sortit une boite à gâteaux : elle était pleine à ras bord de liasses soigneusement rangées de billets de 100 francs.
La grand-mère dans son fauteuil s’adressa à la mère :
« Le jeune homme ne veut peut-être pas la monnaie… »
Elle se leva péniblement, se traîna vers l’autre armoire, prit sa clé pendue à son cou avec une ficelle, méfiante, elle entrouvrit la porte et tira une boite de gâteaux : celle-ci, elle aussi, était pleine… de liasses de billets de 500 francs.
Je pris mes deux billets et me sentit flouer. J’avais appris une chose ce jour-là : il ne faut pas confondre misère et saleté…

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Cafteuse! (1982 – 1983)

Cafteuse! (1982 – 1983)

On leur a offert un chiot, un berger allemand, que mon père a appelé Max: souvenir de ses cinq années de captivité en Allemagne* durant la seconde guerre mondiale,. Le petit mâle désiré s’avéra après coup être une femelle: ils l’appelèrent Maximilienne mais conserva Max comme diminutif.

Tous les après-midi, il faisait avec Max le même parcours:  de la rue d’Aumale à Montmartre, quartier qu’il affectionnait particulièrement, ponctué d’arrêts dans quelques bars et cafés pour reposer leur corps fatigué.
Papa avait  soigné son dressage, elle ne tirait pas, marchait presque collée à la jambe de son maître.
Ce personnage affable, bien mis et son chien firent bientôt partie du paysage des quartiers traversés. Au cours du temps, il s’y était fait beaucoup d’amis et rencontré quelques personnalités dont , quelque temps avant qu’elle ne décède, Lucienne Boyer, célèbre chanteuse des années trente avec son “Parler moi d’amour”.

Cet après-midi là, papa ne se sentait pas bien. Il avait le coeur fragile mais, à notre grand dam, il ne voulait plus prendre ses médicaments: il les avait identifiés comme: la cause principale des problèmes pour honorer consciencieusement sa nouvelle épouse.  Monique se proposa de sortir la chienne.

Dès la fermeture de la lourde porte, Max s’engagea sur son parcours habituel. Monique se félicitait d’avoir un si bel animal, si obéissant. Il n’était pas nécessaire de serrer la laisse. Nombreux étaient les passants qui se retournaient sur un aussi bel équipage.
Après quelques centaines de mètres, sans qu’elle ait prévenu, Max s’échappa et s’engouffra dans un bar aux portes largement ouvertes; surprise, Monique avait laissé échapper la laisse. Dans le café elle entendit un client s’exclamer:
“Tiens voilà Max!”
Sur le pas de la porte, gênée, Monique la chercha du regard; elle la vit sagement assise près d’une petite table au fond de la salle. Pour ne pas se donner en spectacle, elle alla sans précipitation s’y asseoir.
“Bonjour Max, dit un garçon de café en gratouillant le dessus de sa tête, mais où est ton maître?”
“Ainsi, pensa-t-elle, c’est ici qu’il passe ses après-midi…”
“Que désirez-vous Madame? demanda le garçon.
— Un café, s’il vous plaît. Il me semble que vous connaissez bien Max?
— Bien sûr, on ne la voit jamais sans son maître. Est-il malade?
— Un petit coup de fatigue simplement, rassura Monique.”
Après cet épisode, l’équipage continua sa balade. Maintenant  à l’approche d’un bar, elle se méfiait. Trois fois la chienne eut ce même mouvement de reconnaissance d’un lieu familier.
Lorsqu’ils furent rentrés à l’appartement. Papa dut s’expliquer:
“Se balader avec elle est vraiment très agréable, dit Monique mi-figue, mi-raisin, d’autant plus qu’elle a eu la gentillesse de me montrer toutes tes “pauses”, elle insista fortement sur ce mot.
— Nous nous reposons, n’est-ce pas ma belle, dit-il en caressant Max, et puis j’aime bien l’atmosphère des cafés. Avec elle il y a toujours quelqu’un qui vient discuter, un enfant la caresser; je regarde les gens vivre et on en voit des choses…”
Papa se tourna vers sa chienne, lui caressa le haut de la tête:
“Cafteuse! Tu ne sais même pas garder un secret. Mais je t’aime quand même…”

*  Une veillée particulière

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Fin lettré – Deuxième partie (1980 – 1981)

Fin lettré – Deuxième partie (1980 – 1981)

Ils se marièrent à Saint-Brévin  et nombreux furent les parents, dont quelques personnalités, qui  envoyèrent leurs félicitations aux nouveaux mariés; certains avaient eu Monique comme professeure. Papa laissa son appartement, avenue de Mindin, pour vivre à Paris.
D’une nature joviale, il s’adaptait à toutes les situations et avait un sens inné de la communication. En une quinzaine de jours, il avait fait la connaissance des habitants de l’immeuble et des commerçants de son nouveau quartier.

Tous les samedis, à midi, il allait chercher Monique à la sortie du cours Hattemer. En parfait gentleman, il s’habillait pour cette occasion: d’un costume bleu marine avec petit gilet, chemise blanche, cravate et d’un pardessus gris.  La première fois qu’il se présenta à la sortie du cours, les mamans qui attendaient leurs enfants voulurent absolument faire connaissance avec l’heureux élu.
Elles souhaitèrent tout savoir sur sa vie: sur ce point il resta plutôt vague, et sur ses loisirs: il leur affirma qu’il partageait avec Monique le goût de la lecture. Affirmation quelque peu exagérée: pour ma part, je n’ai pas souvenance de l’avoir vu ouvrir un livre.

“Avez-vous lu le dernier livre de M. d’Ormesson*? Il est vraiment excellent. Vous devriez le lire dit une mère d’élève ravie par la bonne présentation de mon père.
– Avec tous ces changements dans ma vie je n’ai guère eu le temps de me consacrer à la lecture mais je vous promets de le lire et nous pourrons en discuter.” répondit-il.

Le voilà contraint à une étude de texte. Il en parla à Monique qui, en riant, l’invita à parcourir l’ouvrage.
Il poussa la porte de la petite librairie de son quartier tenue par un passionné qui aimait partager ses connaissances, conseiller ses lecteurs.
Il demanda l’ouvrage et s’empressa de lire la présentation de l’éditeur sur la quatrième de couverture.
– Puis-je vous aider?  C’est un excellent livre, dit le brave homme s’enquérant des besoins de mon père.
– Pouvez-vous m’en parler pour que je puisse me faire une idée?”
Le libraire, tout heureux de pouvoir rendre service, partit sur une longue analyse de l’ouvrage, fit même quelques reproches sur certains chapitres. Papa écouta avec grand intérêt, se fit expliquer certains termes.
Le samedi suivant, dès son arrivée, notre mère d’élève revint discuter.
“Alors M. Mahé, avez-vous lu le livre?
– Eh bien, voyez-vous j’ai beaucoup aimé bien que certains chapitres…et il répéta du mieux qu’il pût ce que le brave libraire lui avait dit.
– Nous étions persuadés que notre professeure ne pouvait se marier qu’avec un amoureux des belles-lettres. Vous savez, je suis tellement désolée de voir tous ces personnes qui ont perdu le goût de la lecture.
– Je partage votre sentiment et j’en suis, moi aussi, consterné…

* J’ignore quel était l’auteur du fameux livre mais j’aime bien M. d’Ormesson.

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Fin lettré! (1980 – 1981)

Fin lettré! (1980 – 1981)

En février 1973, pendant mon voyage sur le Commandant Rivière, maman décédait d’une longue maladie . Papa se remaria quelques années plus tard avec Monique, enseignante au cours Hattemer. C’est un établissement parisien d’enseignement privé, très coté, qui accueille les enfants aisés de la maternelle à la terminale. C’était une lettrée et parisienne dans l’âme.

Ils se rencontrèrent à Saint-Brévin l’Océan où Monique possédait une petite maison de vacances et devinrent éperdument amoureux. A la fin de l’été Monique repartit à Paris, laissant mon père esseulé à Saint-Brévin-les-Pins.
Comment entretenir leur flamme respective? Je vous rappelle qu’à cette époque les seuls moyens de communication pratiques étaient : le téléphone, la lettre et le télégramme.
Papa ne possédait pas de téléphone ; écrire : Il avait quitté l’école à onze ans, il savait déchiffrer mais était très limité en rédaction ; il lui restait le télégramme.
Ils firent l’espace d’un hiver le bonheur de la poste.
Papa envoyait un télégramme “Je t’aime”, Monique, dès sa réception par un coursier, filait à la poste et répondait “Je t’aime, moi aussi” et ceci, alternativement, plusieurs fois par semaine, voire par jour.

Monique envoyait aussi de longues et belles lettres à papa. Comment lui répondre sans trahir son inexpérience ? Il lui vint une idée :
Il suffit de recopier les phrases si jolies de Monique et de savamment les agencer pour en faire un billet des plus acceptable.
Il passa de longues heures à recopier, à assembler patiemment. L’effet escompté se produisit, Monique était subjuguée par tant de délicatesse, de poésie dans la tournure de ses phrases.

Quelques temps après, lors d’une réunion de famille, nous eûmes, Monique et moi, un entretien en aparté :
“Michel, je souhaite vous entretenir d’une petite chose, d’un rien, une peccadille mais qui me turlupine depuis un moment. Votre père m’écrit souvent, presque chaque jour. Il a vraiment un très beau style, j’en suis d’ailleurs fort étonnée, pour une personne qui n’a pas fait d’études littéraires. Mais dites-moi, pourquoi écrit-il au féminin? Avez-vous une idée?”

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Une soirée à Diego Suarez (Février 1973)

Une soirée à Diego Suarez (Février 1973)

Un de mes amis était prêtre à Diego Suarez (Antsiranana pour les malgaches) et le lendemain de l’accostage du glorieux Commandant-Rivière, je me suis rendu à la cathédrale pour lui rendre visite. Il fut très surpris de me voir. Il m’invita à passer la soirée en compagnie des pères.
Là, j’appris la bonne manière de manger une mangue et même encore aujourd’hui lorsque ma cuillère longe délicatement le noyau pour le séparer de la pulpe, que je découpe celle-ci en carrés réguliers et qu’enfin je retourne la peau pour réaliser une sculpture des plus moderne de dés posés sur une surface courbe, je ne peux m’empêcher de penser à cette soirée dans la salle à manger des pères.

Un peu plus tard, je retrouvais tous les copains à la Taverne, un dancing où l’ambiance selon les dires des anciens était formidable. A peine entré, je fus assailli par de jeunes et ravissantes demoiselles. Je me défis de ces bras entreprenants et rejoignis la bande de copains attablés.
Ils étaient tous en charmante compagnie et à peine assis une jeune malgache très jolie vint m’enlacer.
“Oh les gars je crois qu’on ne va pas s’ennuyer pendant un mois, dit le quartier maître T. une fille dans chaque bras, allez les gars on va danser!” Les rires fusèrent. La fin de soirée fut des plus agréables.

Du fait de sa position stratégique, dès 1885, Diego Suarez devient une importante base navale. En 1962, la Légion s’installe. Le peu de moyen de la population et l’attrait de l’argent facile amené par les matelots et les  légionnaires ont généré une prostitution importante. J’avais longuement discuté avec les pères de ce problème.

Un petit nombre de la population voulait sortir de cette situation. Ils œuvraient du mieux  qu’ils pouvaient avec des moyens extrêmement faibles.
On me proposa de rencontrer Jean-Baptiste*, un garçon de mon âge, qui militait au sein d’une organisation chrétienne.
Il m’emmena au centre social. Il était très fier de me montrer la nouvelle salle de formation au secrétariat… au centre d’une petite pièce trônait, une petite table d’écolier avec sa chaise et  poser dessus une machine à écrire d’un très vieux modèle. J’étais navré, je mesurais le chemin encore à accomplir.

Nous nous rencontrâmes souvent et devinrent amis. Je m’enquis des conditions de vie de la population et mesurai le fossé entre les malgaches et les français. Un jour je l’ai invité dans un restaurant. Il était tout étonné de se trouver ainsi à une terrasse avec les français. C’était la première fois, avec son salaire cette fantaisie était impensable. Nous mangeâmes une côte de porc avec des haricots et bu une bière.
Nos longues conversations et la confiance qui s’était installée entre nous nous ont permis d’aborder des sujets politiques. J’appris que Jean-Baptiste était un des opposants à l’ex-président Tsiranana,  favorable aux intérêts français.  Ce dernier  venait de quitter le pouvoir après des mouvements de contestations de la population et la grève des étudiants.
Nous abordâmes, bien sûr,  la présence française. Avec naïveté je lui vantais les avantages que la France avait amenés à ce pays.
“Bien sûr, bien sûr…” répondit-il à mon discours, poliment sans conviction.

Il me donna rendez-vous, un soir, à la coupée du bateau pour, selon ses dires, me montrer quelques petites choses intéressantes.
Habillé de blanc, bachi** sur la tête je marchais à côté de lui.
“ Où allons-nous? Demandai-je
— Dans le quartier où habite ma famille
— C’est loin?
— Pas très, tu verras.”

Après avoir traversé le centre ville, nous nous engageâmes à travers un quartier populeux dans des ruelles étroites, sombres, éclairées par la lumière provenant de l’intérieur des cases à travers les ouvertures.
De temps en temps, Jean-Baptiste, répondait aux interrogations des gens assis devant leur porte. Je compris très vite qu’elles me concernaient; je n’étais pas le bienvenu et elles devaient se traduire par :
“Que fait ce vasa ici?” “Pourquoi l’amènes-tu?”
Mais en aucun cas je me sentais en danger.

Devant une porte il s’arrêta et m’invita à entrer. Une odeur difficile à soutenir me fit hésiter à pénétrer plus avant. Une lampe à pétrole éclairait une pièce de 9 à 10 m² où s’entassaient sept à huit personnes. Dans un coin une paillasse et je distinguai un corps, une femme en position fœtale, d’une maigreur à peine concevable.
Jean-Baptiste, gentiment, m’invita à entrer d’une légère pression de la main sur mon dos. Je pris sur moi, je passai le seuil et d’un hochement de tête je saluai les personnes présentes, ils me répondirent en souriant.
“C’est ma tante, elle a attrapé une mauvaise maladie, elle se prostituait pour nourrir ses enfants. Elle vivait avec un militaire, il l’a frappée et jetée dehors en apprenant sa maladie. Nous n’avons aucun moyen pour la soigner.
La malade a ouvert ses yeux fiévreux,  elle me regarda et tenta un sourire. Elle devait être une de ces jolies petites ramas qui faisaient danser les matelots à la Taverne.
“Tu viens baiser chez moi? j’ai un ventilateur et un frigidaire.” disaient-elles.
Le regard de cette femme hante ma mémoire lorsque j’écris ces lignes.

“Viens, me dit Jean-Baptiste, nous allons continuer la visite.”
Je saluai d’un hochement de tête mes hôtes, ils me répondirent et je me retrouvai dans cette ruelle glauque. Nous marchions côte à côte, je ne disais pas un mot. Parfois nos regards se croisaient mais je ne voyais ni haine, ni reproche.

Il s’arrêta à nouveau devant une porte, et m’invita à entrer. Je poussai le rideau rouge crasseux. C’était une pièce de dimensions sensiblement identiques à la première où s’entassaient des enfants et des adultes. Je les saluai de la même manière. Dans un coin, une très jeune femme tenait un enfant dans les bras, le petit corps blotti contre son sein; il me paraissait très mal en point.

“C’est le fils d’un de mes amis…la malaria, nous avons eu une aide des religieuses mais la malnutrition, la misère aura raison de lui.”

Il sortit, je le suivis.
“Tu vois, poursuivit-il en marchant, dans chaque case de cette rue on rencontre la même misère. Nous allons entrer ici…”
Il se retourna vers moi, vit mon air défait, mon désarroi.
“J’avais encore des choses à te montrer, mais je crois que la visite va s’arrêter là, me dit-il en me mettant la main sur l’épaule, et puis il se fait tard.”
— Pourquoi m’as-tu emmené ici?
— Je voulais te montrer notre misère, les bienfaits de la présence française. Je sais que tu ne peux pas faire grand chose mais il faut que tu parles aux militaires et en France ce que tu as vu. Bientôt Michel, il y aura du changement…bientôt…j’en suis sûr.”

Un grand cri déchira le silence de la ruelle. Un grand frisson courut sur mon dos.

“C’est la femme, l’enfant est mort, me dit simplement Jean-Baptiste, c’était son premier enfant…”

Nous retournâmes en silence vers le bateau. Ce soir là mon bel uniforme blanc m’avait semblé dérisoire. Nous partions le lendemain matin et la poignée de main près de la coupée du navire fut plus longue, plus marquée.

En 1972, la légion quitta définitivement la région suivie, précipitamment, quelques années plus tard,  par les forces navales mais les années qui suivirent furent encore plus terribles pour les malgaches. Des années d’incuries politiques ont fait de la grande île un des pays les plus pauvres du monde.

Du changement ? Bientôt, Jean-Baptiste, bientôt… peut-être.

*Prénom inventé

** Bachi : Bonnet du marin dans l’argot de la marine française.

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Le voyage de Célestin – Le Laboratoire (1999)

Le voyage de Célestin. (Suite) – Le Laboratoire (1999)

A 9h00, nous arrivions dans le hall d’accueil de l’entreprise chargée de la mise au point de la nouvelle machine de soudage. Cette entreprise a une renommée internationale et nous sommes reçus comme il se doit.

L’accueil des visiteurs, la plupart du temps, est une image très fidèle de l’entreprise. Lorsque je faisais des audits chez les sous-traitants du chantier naval, je me faisais une idée assez précise de l’entreprise à partir de petites choses: une hôtesse multitâches surchargée de travail, au sourire commercial, qui vous expédie vers des fauteuils à l’esthétique industrielle discutable, pour un long temps d’attente, parce que on ne peut pas joindre notre futur interlocuteur, des gens pressés qui courent dans tous les sens, un hall à la propreté douteuse…

Dans celui-ci, on sentait une mécanique bien huilée, une entreprise qui tourne, les gens se déplaçaient sans hâte avec des buts précis, une hôtesse calme et posée, notre interlocuteur arriva immédiatement sans nous faire attendre.

Le responsable du laboratoire, monsieur M., vint à notre rencontre, les présentations furent faites et il nous emmena auprès de la machine de soudage sous flux à têtes multiples pour souder des tôles de très forte épaisseur. Deux techniciens s’affairaient autour.

Monsieur M. présente le problème:

“Nous avons des problèmes de réglage. Nous sommes très proches de la solution. Comme vous le voyez sur cette éprouvette, nous avons encore quelques soufflures et effondrements, s’adressant à un technicien, mettez en route s’il vous plaît.”

En une seule passe la machine comblait le chanfrein d’un joint de tôles de très forte épaisseur. Le cordon n’était pas très bon.

“Ta machine chante mal! affirma Célestin, elle est mal réglée! Ecoute-la chanter!”

Le responsable et les techniciens prêtaient l’oreille au plus près des têtes de soudage. Je fis de même. Pour ma part j’entendais le bruit classique d’une machine sous flux.

“Pour l’instant elles crachotent. Tu n’entends pas?”

— J’avoue que non je ne perçois rien” répondit Monsieur M.

— Derrière le bruit, tu n’entends pas la mélodie.”

Le responsable fit la moue :

“La mélodie…Vraiment je n’entends rien…

— Ecoute, je vais modifier les paramètres.”

Célestin modifia l’intensité et le voltage de chaque tête de soudage avec minutie, l’une après l’autre, comme un alchimiste dosant un élixir. Il me semblait qu’il percevait “le chant” de chacune d’elles indépendamment.

La cordon de soudure résultant était devenu magnifique, il était parfait. Plus de soufflures ou d’effondrements.

“Tu vois, il y a une différence maintenant, elle chante bien et le dépôt de métal se fait correctement. Attends! Je vais remodifier les paramètres pour que tu entendes la différence.”

Une petite modification du réglage et des défauts apparaissent sur le cordon de soudure.

— C’est extraordinaire! Vous faites vos réglages à l’oreille! C’est prodigieux!

— Oh non! L’habitude, tu sais l’habitude, si tu étais comme moi à longueur de journée dans l’atelier, auprès d’une de ces machines, tu développerais des sens nouveaux, le moindre bruit par exemple: le métal qui se dilate, un grésillement, ça t’indique quelque chose.”

En quelques minutes Célestin avait résolu le problème. Monsieur M. se tourna vers moi:

“Nous avions prévu la matinée pour résoudre ces problèmes, nous sommes vraiment étonné de la rapidité à laquelle ils ont été résolus. Vos responsables m’avaient affirmé qu’ils envoyaient leur meilleur spécialiste. Il s’adressa à Célestin:

— Vous êtes responsable dans un atelier?

— Oh ! Ne parle pas de malheur! Je suis ouvrier et je suis bien comme ça.

— Pourtant…

— Tu sais, je connais et j’aime bien mon métier. Dans mon domaine je me défends, pourquoi veux-tu que je m’enquiquine.”

On nous proposa une visite du laboratoire. Puis vint le temps du retour qui fut plus calme car nous prîmes un vol à Roissy dans un gros porteur.

Gravée dans un coin de notre mémoire, nous avons tous une galerie de portraits, des personnes qui ont compté, que l’on a appréciées, détestées, qui ont eu une influence bonne ou mauvaise dans notre vie. Célestin fait partie de celles dont j’aime me souvenir. Il n’a certes pas beaucoup d’éducation mais il est pour moi l’image d’un grand professionnel.

Lorsque par la suite, dans l’atelier, je passais près dune machine de soudage. Il me semblait entendre Célestin me dire: “ Ecoute-la chanter!”

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Le voyage de Célestin (suite) – La soirée (1999)

Le voyage de Célestin (suite) – La soirée (1999)

Après avoir loué une voiture nous allâmes directement à l’hôtel. Nous prîmes nos clés à la réception et nous nous donnèrent rendez-vous dans le hall pour aller dîner en ville.

L’idée de passer une soirée dans le quartier du Vieux-Marché de Rouen me plaisait mais surtout dîner dans cet excellent restaurant que quelques connaisseurs m’avaient particulièrement recommandé.

Je pris possession de ma chambre. Seul, je réfléchissais à ce début de voyage. La simple perspective de la réunion du lendemain me faisait un peu peur. Célestin dans le laboratoire, cela sera probablement très drôle.

Avisant que j’avais oublié mon porte-document dans la voiture, je descendis le chercher. Au rez-de-chaussée, à peine la porte de l’ascenseur fut ouverte qu’une voix, que dis-je un beuglement bien connu emplit le hall de réception :

“Comment veux-tu que j’ouvre ma porte avec ton bout de plastique à la c..!

Je me précipitai au comptoir. En me voyant Célestin aboya :

 Je n’ai jamais pu ouvrir cette foutue porte, ils ne peuvent pas utiliser des clés comme tout le monde.

 Laissez je m’en occupe, dis-je au concierge.

Nous montâmes à sa chambre, je lui montrai le système d’ouverture.

“ Ah oui! C’est simple, mais faut connaître. J’ai glissé la carte dans la fente mais sûrement du mauvais côté.

 Allez installe toi et viens me rejoindre dans le hall. Nous allons dîner en ville, Il y a un excellent restaurant dans le vieux quartier.

 Ecoute, je n’ai pas l’habitude des restaurants; je ne suis pas à mon aise; je préfère manger dans une cafétéria, près d’une grande surface.

 Comme tu veux! Aucun problème, mais tu vas manquer quelque chose.

 Peut-être, mais je préfère.”

Nous avons tôt fait de repérer une brasserie dans une zone commerciale. On nous proposa une table au centre d’une salle un peu bruyante à mon goût.

“Je vais prendre un steak frites, dis-je au serveur.

 Pareil pour moi, répondit Célestin.

 Comment voulez-vous votre steak Monsieur?

Tu peux me le faire au feu de bois?”

Célestin avait le verbe haut. Il y eu un silence autour de nous.

“Au feu de bois?” Demanda le garçon goguenard.

Pendant quelques secondes, je pense, il a cru qu’il plaisantait. Le visage inquisiteur de Célestin lui a fait rapidement changer d’idée.

“Ben écoute, p’tit gars, tu me demandes comment je le veux ! Faut savoir!”

Là, c’est la salle dans son ensemble qui fit silence.

“Au feu de bois…mais … pas possible bredouilla le garçon.”

A ce stade, il m’a semblé nécessaire d’intervenir :

“Il te demande comment tu veux ta viande: à point, saignante ou bien cuite.

Il prit un ton qui se voulait paternel :

“Ah c’est ça que tu voulais savoir, p’tit gars!, mais il fallait le dire tout de suite.”

Puis avec un geste de la main, grand seigneur :

“Bon ben alors saignante.”

Très vite, la salle se ranima. Nous étions le sujet des conversations, les gens se retournaient, les serveurs se parlaient à vois basse. Seul, Célestin montrait une indifférence, peut-être feinte, à ce qui se passait autour de nous.

La suite du repas fut plus calme. Nous n’avions guère, à l’atelier, la possibilité de parler longuement. C’est à cette occasion qu’il m’avoua qu’il ne sortait jamais pour ses loisirs. Son jardin, ses oies, la pêche, la chasse dans le marais, son métier au chantier naval emplissaient sa vie. Une vie simple mais riche d’enseignements, d’expériences.

(A suivre)

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Le voyage de Célestin. L’avion. (1999)

Le voyage de Célestin – L’avion. (1999)

Mon retour dans les ateliers coïncidait avec la mise en service d’un nouveau hall de préfabrication d’éléments de navire « Atelier 2000 ». Les Chantiers de l’Atlantique avaient fait l’acquisition de nouvelles machines de soudage, sous flux, à très hautes performances et la mise au point posait quelques problèmes aux concepteurs.

En concertation avec ces derniers, les responsables de l’atelier ont proposé d’envoyé un spécialiste de l’atelier de ce type de soudage en la personne de Célestin*, ouvrier de son état, possédant des compétences reconnues dans tout le département Coque** du chantier naval.

Célestin avait cinquante-cinq ans, vivait en Brière, un grand marais au nord-est de Saint-Nazaire. Il ne l’avait jamais quitté, sauf pour faire ses « trois jours », pendant lesquels il apprit qu’il était réformé, et un voyage à Nantes une dizaine d’années plus tôt.

Pour ce voyage à Rouen, les responsables de l’atelier m’avaient demandé de l’accompagner.

C’est un Célestin très nerveux, qui s’installa dans la voiture.

« J’espère que tu conduis bien. Tu vas pas nous mettre au fossé !» dit-il au chauffeur de l’entreprise sans autre forme de présentation.

— Ne vous inquiétez pas, monsieur, tout se passera bien…

— C’est la première fois que je prends l’avion. Tu l’as déjà pris toi ?

— De nombreuses fois monsieur, de nombreuses fois… »

Par le rétroviseur intérieur, le chauffeur me jeta un regard interrogatif. Je lui répondis par un sourire. Nous nous connaissions bien. Très souvent, lorsque je travaillais au service Recherche Développement,  il m’emmenait à l’aéroport. Il était même  venu à Caen, à la fin d’une mission de mesures à la mer à bord d’un carferry, tant j’étais épuisé, conduire la camionnette chargée du matériel. Il leva les sourcils, pinça les lèvres, hocha doucement la tête pour me signifier toute sa compassion.

Le voyage jusqu’à Rouen s’effectuait avec un petit bimoteur d’une douzaine de places. Lorsque nous arrivâmes sur le tarmac, le pilote nous attendait au pied du petit escalier pour monter à bord.

Célestin un pied sur la dernière marche, l’autre tapotant le seuil de la porte lui dit :

« Ça pas l’air solide ton engin !

— Oh si c’est solide ! Allez monter ! dit-il en riant

— Montez, montez, je n’ai pas envie de monter dans ton cercueil volant!

— Allez Célestin, ne fait pas d’histoire, lui dis-je, monte, il y a du monde derrière. »

Il s’exécuta. À demi-courbés, nous nous faufilâmes par l’étroite allée centrale. Je pris soin de l’installer au premier rang, derrière le pilote, il pouvait ainsi voir le cockpit avec tous les instruments de navigation. Je m’installai derrière lui.

Le pilote contrôla que chacun avait mis sa ceinture. Il se pencha vers Célestin :

« Mettez votre ceinture monsieur.

— Ma ceinture, quelle ceinture ?

— Vous êtes assis dessus, je pense. »

Quelques secondent s’écoulèrent avant qu’un :

« Comment met-on ce bordel de m… de ceinture ? » tonna dans la carlingue.

Le pilote se déplaça pour l’aider.

« Eh ben dis donc, elle est un peu rikiki ta ceinture, au moindre choc tu te pètes la tronche sur les genoux.

— C’est un moindre mal monsieur, lui dit-il calmement et en souriant.»

L’une après l’autre les hélices se mirent à tourner. Le pilote fit les vérifications d’usage, appela la tour de contrôle et amena l’avion en position pour décoller. Le décollage fut parfait et bientôt l’avion prit son altitude et sa vitesse de croisière.

Dans la carlingue les passagers, habitués à ce genre de voyage, avaient trouvé une occupation, feuilleter une revue, un journal, regarder par le hublot. Mon voisin annotait un rapport.

Célestin était inquiet, se penchant vers l’allée, essayant de regarder en arrière, gêné par sa ceinture, il tentait de me dire quelque chose en faisant des mimiques, le doigt pointé vers un voyant rouge qui clignotait sur le tableau de bord. J’ignorais ses appels.

Célestin parlait avec une voix forte, due à une surdité partielle, caractéristique des ouvriers des chantiers navals qui ont été soumis au fracas des ateliers d’antan.

« Hé matelot*** ! Tu as vu il y a un voyant qui clignote, dit-il au pilote

— Ne vous inquiétez pas ce n’est rien.

— Ce n’est rien, ce n’est rien, moi sur ma machine quand un voyant clignote ça veut dire quelque chose mon gars ! Il y a quelque chose qui cloche ! Tu as bien tout vérifié ?

— Oui, oui, bien sûr, ne vous inquiétez pas, tout va bien, dit calmement le pilote.

— Tout va bien, tout va bien, n’empêche que sur ma machine quand un voyant clignote ça veut dire quelque chose. Tu as peut-être un problème sur un circuit hydraulique ? Le train d’atterrissage peut-être ?

— Mais non, mais non, dit-il agacé. »

L’agacement gagnait aussi les passagers. Mon voisin me regarda d’un œil réprobateur, par un geste je lui fis part de mon impuissance.

« Ton voyant clignote toujours, moi à ta place… »

Il n’eut pas le temps de finir, le pilote tira brusquement le rideau du cockpit.

« Ben dis donc ! Pas aimable le gars, je disais cela pour l’aider. »

Privé de l’objet de son obsession, la fin du voyage fut plus tranquille. Nous atterrîmes bientôt à Rouen. L’avion immobilisé, le pilote ouvrit la porte, installa l’escabeau et nous aida à descendre de l’appareil. En descendant Célestin lui lança :

« Allez matelot ! Bonne soirée. Mais moi, à ta place je vérifierai ce voyant, parce que sur ma machine…

— Merci du conseil, je vais demander à la maintenance de supprimer tous les petits boutons rouges qui clignotent et qui embêtent les passagers, dit-il en souriant malicieusement, mais je pense que vous faites attendre votre collègue, bonne soirée monsieur. »

* Prénom inventé.

** La blague de l’époque : « Quoi de neuf à la coque ? »

*** Matelot : Les ouvriers au chantier naval travaillent en binôme. Être le matelot de quelqu’un, c’est travaillé avec lui.

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Sur le Nil (Août 2010)

Sur le Nil 

Ra dardait de tous ses rayons le pont du Beau Rivage qui remontait le Nil vers Assouan. Assis avec quelques amis, sous des tauds de toiles blanches pour nous protéger du soleil, nous devisions tout en admirant les berges du Nil. En ce mois d’août, la chaleur était intense et le moindre déplacement nous coûtait.

De la rive, quelques enfants nous faisaient signe en criant et en agitant la main ; nous leur répondions. Nous étions subjugués par la beauté de ce fleuve magnifique.

Il me semblait que j’étais transporté dans les récits des voyageurs de ma jeunesse, qu’Hercule Poirot allait apparaître d’un instant à l’autre sur le pont du navire.

À cet endroit le Nil fait une ligne droite de plusieurs kilomètres et mon regard fut attiré, très loin à l’arrière du navire, par une masse blanchâtre posée sur le fleuve.

— Une brume de chaleur,  pensai-je.

Maintenant, la conversation portait sur l’insistance des vendeurs à l’entrée des sites touristiques. C’est vrai qu’ils étaient exaspérants…

— Tiens, la brume se rapproche, pensai-je et je dis à l’environnée sans réfléchir :

— Il va pleuvoir.

De grands rires accueillirent mon affirmation.

— Pleuvoir, au mois d’août, en Égypte ! Eh ! Michel, on n’est pas en Bretagne ici !

Les rires fusèrent, je regrettai d’avoir parlé trop vite. Ce que l’on a appris de la Loire ne s’applique pas nécessairement dans ces contrées lointaines.

Pour compenser ma gêne et tourner cet épisode à l’autodérision, je leur répliquai d’une manière solennelle, en levant la main, l’index tendu vers le ciel :

— Hommes de peu de foi, méfiez-vous d’un druide, il a de grands pouvoirs.

— En Bretagne, tu n’as pas grand mérite à faire pleuvoir, il suffit que tu attendes l’heure de la marée. » ironisa mon voisin avec un fort accent marseillais.

Un grand rire secoua de nouveau l’assemblée.

Quelques minutes après, un bruit sec retentit sur la toile au-dessus de nous, puis un autre, bientôt une averse s’abattit sur le pont, créant une grande confusion, chacun s’engouffrant le plus vite possible dans l’escalier pour gagner le pont inférieur.

Nous nous retrouvâmes au bar, chacun commentant ce déluge inopiné.

—Incroyable ! ce déluge au mois d’août, dit un homme trempé jusqu’aux os.

— Je ne veux plus voyager avec un breton, ajouta un autre en riant.

— Les gouttes étaient énormes !

— Je vous avais prévenus, dis-je très sérieusement.

Ma voisine de droite s’est alors penchée vers son mari assis à côté d’elle et lui glissa à l’oreille.

— Tu as vu, le c…, il l’a fait !

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Le drame !

Le drame !

La matinée s’était bien passée, l’atelier fonctionnait normalement. Je pouvais de mon bureau, en écoutant les bruits produits par les différentes machines, la respiration de l’atelier, connaître où en était la fabrication des ensembles de navires.

Jade* la jeune stagiaire en communication entra dans le bureau le visage défait, les yeux gonflés par le chagrin.

« Puis-je téléphoner ? me demanda-t-elle.

— Je t’en prie. »

Elle composa le numéro, mit le haut-parleur et s’assit.

« Allô Docteur, bonjour c’est Jade, je viens aux nouvelles.

— Oui, bonjour Mademoiselle, nous l’avons mis sous sédatif hier soir mais ce matin nous n’avons pas pu le réveiller… il est dans le coma.

— Qu’en pensez-vous ? Pouvez-vous le sauver ?

— Difficile à dire mademoiselle, le choc a été très violent…»

« Hé ! Un problème » me dis-je. En bon tacticien je commençai immédiatement à réfléchir aux mesures à appliquer : « Je ne peux pas décemment la laisser partir en voiture, pensai-je, ni la raccompagner, j’ai une réunion importante. Je l’ai provoquée, je ne peux pas me dérober. »

« Il faut le sauver Docteur ! Faite tout votre possible !

— Nous faisons tout notre possible Mademoiselle mais il faut comprendre que son pronostic vital est engagé, son bassin est fracturé… »

« Si je contacte Mme D., la responsable des chauffeurs de l’entreprise, je peux la convaincre de l’emmener lors du transfert d’un client vers l’aéroport. Cela un fait crochet mais c’est faisable… »

« Il faut être raisonnable, Mademoiselle, je comprends votre chagrin mais il faut accepter l’évidence, continua le Docteur.

— C’est-à-dire ?

— Je pense que ce soir si il n’y a pas d’améliorations… il faudra l’euthanasier. »

A ces mots, Jade fondit en larmes et je restai abasourdi

« Mais qui doit-on euthanasier ? Demandai-je

— Mon petit chat, Monsieur, mon petit chat. »

* Prénom inventé

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Chantal

Chantal*

Je restais souvent tard le soir dans l’atelier. Ce qui me faisait quitter c’était un appel de Marlyse qui me demandait si je comptais bientôt rentrer. Et lorsque je fermais la porte de mon bureau, il n’était pas rare que quelques compagnons me hélassent pour résoudre un problème.

J’étais à mon bureau à visionner des films tournés l’après-midi dans l’atelier. Pour améliorer leur poste de travail, les ouvriers se filmaient eux-mêmes et nous analysions ensemble les séquences pour déterminer des modifications possibles.

Le téléphone sonna,

« Marlyse » pensai-je, en décrochant le combiné.

« Allo, Monsieur Mahé, c’est Chantal votre ex-stagiaire,

– Chantal ! C’est gentil de me téléphoner ! Cela fait combien de temps ?

– Deux ans, répondit-elle

– Deux ans, déjà, le temps passe vite. Que deviens-tu ? Tu poursuis des études de journalisme, je crois ?

– Oui, je termine cette année mais j’ai un problème, un gros problème, sa voix s’étrangla, elle éclata en sanglots, excusez-moi, me dit-elle

– Oh là là ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ma grande ?

– Je suis enceinte ! »

Je restais quelque peu interloqué.

« Mais c’est génial ! Le papa, est-ce ce bel hidalgo que tu m’avais présenté ?

– Oui. J’ai quelque chose à vous demander ? Vous avez deux filles ?

– Oui,

– La plus grande a le même âge que moi ? Avant même que je puisse répondre elle continua.

– Si ce soir elle vous annonce qu’elle est enceinte, comment allez-vous réagir ?

– Oh là ! Je ne serai pas content mais alors pas content du tout ; la soirée risque d’être un peu mouvementée. Mais où veux-tu en venir ?

– Je pense qu’ayant une fille de mon âge, vous pouvez me conseiller. Voilà… dit-elle plus fermement en essayant de se reprendre mais la panique reprit le dessus et d’une voix mêlée de sanglots, j’ai peur de la réaction de mon père… Il me serine tous les jours : « Pense à tes études, ce sont des années importantes, il faut que tu réussisses, pense à ton avenir, nous avons fait de gros sacrifices pour t’envoyer dans de bonnes écoles… » Alors… si je lui dis que je suis enceinte !

– J’ai un seul conseil à te donner, dis-lui tout de suite, n’attends pas. La soirée risque d’être un peu difficile et même probablement celle des quelques jours à venir. Fais profil bas. Une fois la surprise passée, il va s’apaiser et je te parie qu’il sera au fond de lui très heureux. Il va faire la tête au bel hidalgo mais cela va s’arranger.

– Vous croyez ? Vous en êtes sûr ?

– Mais oui ! J’en suis sûr ! »

Nous eûmes une longue conversation. Je la rassurai du mieux que je pus. J’essayai de lui montrer le bon côté des choses en dédramatisant la situation. Je lui racontai qu’une de mes amies à l’université, en dernière année, à eu un enfant et qu’elle avait dû l’emmener à un cours de droit avec le doyen de la faculté. Ce dernier fut très surpris d’entendre en plein cours des vagissements. Il déclara que c’était son plus jeune auditeur de sa longue carrière.

Quelques jours après elle me rappela pour me remercier, pour me dire que j’avais eu raison. Cela s’était passé exactement comme je lui avais dit.

C’est avec tendresse que je repense à cet épisode. Quel âge a ce petit maintenant ? Tant que cela ! Dieu que j’ai vieilli !

* Prénom inventé

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Johnny (2001)

Johnny

J’avais reçu un appel téléphonique assez laconique dès l’embauche :

« Monsieur Mahé, on vous envoie un nouveau stagiaire.

– Pardon ! Mais je n’ai rien demandé ! Je n’ai rien préparé ! Attendez ! Mais cela se prépare l’arrivée d’un jeune !

– Ecoutez ! On ne peut pas vous expliquer, on agit dans l’urgence, faites pour le mieux. Son professeur va prendre contact avec vous. » Et mon interlocuteur raccroche.

J’étais sidéré. J’avais l’habitude de choisir les jeunes avec qui je travaillais, condition sine qua non pour que tout se passe bien, car mon travail, c’était d’abord que l’atelier gagne de l’argent grâce à une meilleure productivité, à une meilleure qualité. Je n’étais pas, à priori, un formateur. J’étais là pour mettre le jeune en situation et l’aider à accomplir une tâche précise inscrite dans un plan de développement de l’atelier et prévue depuis de longs mois dans ses moindres détails.

Le téléphone sonna de nouveau :

« Monsieur Mahé, bonjour, Monsieur L. professeur du lycée technique de S. D’après ce que l’on m’a dit vous allez accueillir Johnny.

– Pour tout vous dire, je n’ai pas eu le choix. On vient de me le dire, il y a quelques minutes.

– Je sais, tout ça s’est fait très vite, nous avions un peu de mal à lui trouver un maître de stage…Johnny* est un très gentil garçon…il est un peu particulier…un peu aux antipodes de ce que vous recherchez habituellement d’après ce que m’a dit votre direction.

– Aux antipodes ? Je ne comprends pas.

– Ecoutez, vous allez voir. Il passe son bac pro cette année… »

Une ombre s’était profilée à la porte d’entrée du bureau légèrement entrouverte. Un violent coup de pied l’ouvrit complètement. Alors il me sembla qu’un géant, qu’une montagne venait d’entrer dans le bureau.

C’était un garçon d’un mètre quatre vingt quinze au moins, aux larges épaules. Les cheveux rasés, des piercings sur le lobe et le pourtour du pavillon de l’oreille. Un autre à chaque sourcil ainsi qu’à la lèvre. Un pantalon et une veste de cuir, des rangers complétaient la panoplie.

« C’est vous Mahé ? »

Pendant quelques secondes je restai abasourdi, j’entendis au téléphone :

« Allo Monsieur Mahé vous m’entendez ?

– Oui, oui …Votre garçon…heu… vient d’arriver, je vous rappelle un peu tard… » Et je raccrochai

Je savais que les premières secondes étaient capitales car le rapport de force était évident.

« Veuillez immédiatement sortir, frapper et attendre que je vous dise d’entrer. C’est compris ! » Dis-je d’une voix ferme.

Il s’exécuta en maugréant.

« Entrez !

– Asseyez-vous ! Lui dis-je, nous allons mettre les points sur les « i » tout de suite. Si vous venez travailler avec moi, il y a des règles à respecter. Elles sont communes à tous les stagiaires qui rentrent dans ce bureau, techniciens ou élèves ingénieur. On m’appelle « monsieur » et on me dit « vous ». Est-ce clair ?

– Oui

– Oui qui ?

– Oui, monsieur.

– Bien ! Je viens juste d’être prévenu de votre arrivée. Je n’ai rien préparé. Vous savez dessiner?

– Ben oui, si je prépare un bac pro, je sais dessiner, dit-il en parlant avec cette diction si caractéristique des jeunes de banlieues. Mais comment voulez-vous que je dessine, ici, il n’y a pas de table à dessin !

– Il n’est pas nécessaire d’avoir une table à dessin. » lui répondis-je sèchement.

– A ben, c’est nouveau ça, moi, je ne dessine que sur une table à dessin !

– Vous allez me faire un avant-projet d’un support d’un instrument de mesure. C’est un travail que je comptais donner à un étudiant en mesure physique. Vous vous sentez capable ?

– Vous me demandez d’inventer un support d’un instrument de mesure ? Ben oui je suis capable ! Je vous en fais tous les jours des supports d’instruments de mesure. »

Alors je lui expliquais posément ce que j’attendais de lui, définissais son plan de travail. A la fin je lui dis :

« Vous allez vous installer à ce bureau et écrire tout ce que je viens de dire. » Il n’avait pris, bien entendu, aucune note.

Il s’exécuta. Quelle galère, pensai-je, un mois, un mois à cohabiter avec cet olibrius. J’étais très en colère. J’avais des objectifs à atteindre et j’avais le sentiment que l’on se moquait de moi. Le temps passé avec un jeune était important et me demandait toujours un surcroit de travail considérable surtout au début. Pourquoi lui ai-je donné ce genre de projet ? C’est évident il n’en n’est pas capable !

Dans le milieu de la matinée, je suis allé voir où il en était avec ses travaux d’écriture. « Fenêtre prend un accent circonflexe sur le « e » avant le « t » dis-je négligemment.

– Voilà bien longtemps que l’on ne met plus les accents circonflexes, ils ne servent à rien, me dit-il avec aplomb.

– Oh ! Vous êtes aussi un pro de l’orthographe, c’est génial ! » Dis-je d’un ton ironique.

Il me présenta ses travaux, l’écriture était malhabile, grossière. C’était bourré de fautes d’orthographe mais l’essentiel des idées étaient présentes et ordonnées.

« Il n’est pas trop sot, me dis-je, voyons ce qu’il sait faire en dessin. »

Avisant une pièce mécanique qui trainait sur un meuble :

« Vous allez me représenter cette pièce avec les cotations.

– Sans table à dessin ?

– Au compas, à la règle et à l’équerre, vous verrez cela se fait très bien.

Il retourna à son bureau en maugréant.

« Ce n’est pas un mauvais bougre, pensai-je, mais mon dieu quelle allure ! »

Le jour suivant, il me rendit son dessin.

« Vous vous dites dessinateur ! Vous ne savez même pas coter une pièce ! Comment voulez- vous continuez ? Ce n’est pas possible ! »

Avant même qu’il ouvrit la bouche je lui dis :

« Taisez-vous ! Voilà ce que l’on va faire, tous les soirs après la débauche, nous allons revoir ensemble les bases du dessin industriel. On commence ce soir c’est compris! »

Contre toute attente j’entendis un

« Oui, Monsieur.

– Vous allez maintenant, à partir du cahier des charges, réaliser une série de croquis à main levée, cherchez la forme du support qui correspond le mieux aux différentes fonctionnalités. Vous présenterez votre travail la semaine prochaine devant un groupe d’ingénieurs.

– Un groupe d’ingénieurs ! Je dois leur présenter mon travail !

– C’est un challenge pour vous, à vous de le relever, vous pouvez abandonner.

– Non, non je vais le faire. »

Toute la semaine, Johnny travailla d’arrache-pied, Il me plaisait de le voir, griffonner, gommer, dessiner, raturer, s’escrimer. Tous les soirs nous révisions ensemble les règles du dessin industriel ce qui m’obligeait à potasser mon cours à la maison.

Pour cette présentation, j’avais sollicité la présence de quelques responsables et malgré leur emploi du temps bien rempli tous vinrent. Je les avais prévenus du caractère atypique du personnage mais je comptais sur leur présence pour créer une émulation, exacerber son ego pour qu’il puisse se dépasser sur ce projet.

La réunion avait lieu à neuf heures et lorsque je vis entrer Johnny dans mon bureau, il avait troqué sa tenue de motard contre un jean, chemise, pull et chaussures de ville mais il avait gardé ses piercings.

Johnny présenta les résultats de ses cogitations. Il fut bien sûr un peu maladroit, certains de ses croquis étaient un peu futuristes mais chacun s’intéressa à son travail. Les commentaires furent nombreux, il prenait des notes, acquiesçait, argumentait, se sentait important.

Pour lui montrer les avantages que l’on pouvait tirer d’une bonne scolarité. Sans un mot, sans lui faire la leçon, je l’emmenais dans le fond d’un navire, dans les ballasts et les caisses , avec les peintres, dans une atmosphère polluée par la poussière et l’odeur qui vous prennent à la gorge, puis, immédiatement pour accentuer le contraste, dans l’atmosphère calme et feutrée des bureaux d’études et de recherche développement.

Le reste du stage fut agréable. Je ne baissais pas ma garde mais je laissais une certaine connivence s’établir. Son professeur vint lui rendre visite et fut très étonné de son changement d’attitude.

On fit réaliser son projet et il dirigea les premiers essais dans l’atelier. Nous avions convié les principaux responsables du département, quelques ouvriers et son professeur. Ce fut un succès et les participants le congratulèrent.

Le mois passa, vint le jour du départ, ce soir là, Johnny restait à son bureau, il était silencieux, il n’avait pas envie de partir. Lorsqu’enfin il se décida, je lui souhaitais bonne chance mais j’avais un petit pincement au cœur. En le regardant remonter l’allée centrale de l’atelier je me disais :

« Tu vas certainement retrouver les codes de l’environnement de ton lycée avec dans la plupart des cas un nivellement par le bas. Tu as vraiment un réel potentiel, dommage. »

Trois années passèrent, un soir, je vis entrer dans le bureau un grand gaillard, je reconnus la tenue de travail d’une entreprise sous-traitante :

« Oui c’est pourquoi ?

– Bonjour, Monsieur Mahé, vous ne me reconnaissez pas ?

– Johnny ! Mon Dieu Johnny ! »

Il avait vraiment changé, plus de piercings, les cheveux courts, le sourire éclatant des garçons croyant à leur avenir. Nous échangeâmes longuement. Il m’apprit, entre autres, qu’il avait été reçu à son BAC puis passé son BTS, qu’il était contremaître dans une entreprise sous-traitante et allait passer dans quelques mois chef de chantier.

Ce jour là, après son départ, j’avais le sentiment d’avoir, peut-être, aidé à la remise à l’eau d’une étoile de mer que les vagues avaient rejetée loin sur la plage…

* Prénom inventé.

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Confidences, une nuit, sur l’océan Indien.

Confidences, une nuit, sur l’océan Indien

Nous étions sur l’océan Indien, nous avions quitté la base américaine de Diego-Garcia aux Seychelles et nous faisions route vers le détroit de la Sonde. La nuit était tranquille, le navire vibrait périodiquement au rythme des variations de pression sur les pales des hélices dues au léger tangage. Je travaillai à mon bureau dans le PC sécurité à quelques rapports d’exercices. Bientôt, il me faudrait regagner le poste d’équipage et son odeur pestilentielle émanant de la trentaine de matelots qui dormaient à poings fermés. Je retardai le plus possible ce moment.

La porte s’ouvrit, un officier entra, il fut surpris de me voir dans le bureau, il hésita quelques secondes, mais se ravisa et s’assit à côté de moi, au bureau du maître principal. A part le Lieutenant machine très peu d’officiers entraient dans ce bureau. Je continuai à travailler, un peu mal à l’aise. Les rapports avec les seconds-maîtres, les maîtres voire même les maîtres principaux étaient cordiaux car ils sortaient du rang mais un officier était un personnage important.

« Vous travaillez tard me dit-il

– Un rapport à boucler, Monsieur*, répondis-je »

Il sortit une lettre de son enveloppe, la déplia. La main gauche maintenant le coin inférieur, de sa main droite, il la lissa avec précaution comme si il s’agissait d’un document précieux. La tête légèrement baissée, les coudes posés sur la table, les mains sous le menton, il lisait et relisait. Puis il mit les mains sur sa face et se mit à sangloter.

Je restais interdit. C’était la deuxième fois que je voyais un de mes supérieurs pleurer. La première fois c’était au départ de Toulon où toutes les familles étaient sur le quai, l’équipage les quittant pour de longs mois. La musique de la flotte jouait « Ce n’est qu’un au revoir mes frères ». Le maître principal le nez collé au hublot avait du mal à contenir ses larmes et s’essuyait les yeux furtivement.

« Mauvaises nouvelles Monsieur*, dis-je, voulez-vous que je vous laisse seul »

– Non restez. Ma femme me quitte, dit-il sans ambages, en me tendant la lettre, lisez !

– Je ne peux pas faire cela, Monsieur*

– Si, si, je vous en prie, dit-il, lisez »

Son chagrin avait balayé toutes les convenances et je parcourus rapidement et poliment la lettre. Je risquai un avis malgré mon manque d’expérience dans ce domaine :

« Voilà plusieurs mois que nous sommes partis, l’attente est difficile et nous arrivons bientôt à Papeete »

Je fis une pause, il s’essuyait les yeux du bout des doigts. Je repris :

« Si je puis me permettre, Monsieur*, rien n’est perdu, proposez-lui de différer sa décision et d’en rediscutez en lui demandant de venir à Tahiti.»

« C’est vrai, vous avez raison, me dit-il, rien n’est perdu»

« Il se leva, se raidit et attendit. Immédiatement, je compris le message. Je me levai et me mis au garde à vous. Il reprenait son rôle d’officier.

« Merci, di-il

« A vos ordres, Monsieur*»

Le lendemain matin nous avions une inspection sur la plage arrière. Le même officier nous passait en revue. Lorsqu’il arriva devant moi en me regardant droit dans les yeux il murmura :

« Je suis désolé

– De quoi parlez-vous, murmurai-je »

J’avais appris qu’à bord de ce fier vaisseau de guerre où la discipline était de rigueur, il arrivait parfois des moments où des êtres que les convenances de la vie séparaient, pouvaient, l’espace d’un instant, partager un chagrin.

Ce fut une leçon pour ma vie future, lorsqu’à l’occasion, je me trouvais dans une telle situation avec mes amis, mes supérieurs ou mes subordonnés, je réalisais combien ces larmes étaient des diamants, combien ces moments étaient précieux et qu’ils demandaient un secret absolu.

* Je ne peux en aucun cas révéler le grade de cet officier aussi ai-je décidé de l’appeler « Monsieur »

Publié dans CdtRiviere 1972-1973, Histoires de mer | 1 commentaire

L’inspection,

Le PC sécurité du glorieux Commandant Rivière était exigu. Contre la cloison arrière, d’un seul tenant, le bureau du maître principal et le mien, sur la cloison avant une table haute inclinée servant de table à dessin, côté bordé, un hublot nous donnait un peu de lumière. La porte, à guichet, donnait sur la coursive centrale du navire.

Dans ce minuscule réduit nous passions ensemble, le maître principal machine, le maître et le quartier-maître sécurité et moi-même, l’ensemble des manœuvres du navire : appareillages, accostages, postes de combat, exercices de sécurité divers et variés.

Pour ma part, j’y passais beaucoup de temps pour la rédaction des rapports, la réalisation de croquis, d’avant-projets pour le lieutenant machine tels qu’un système de stabilisations des platines du studio « Radio Rivière » ou un projet de plateforme d’hélicoptère sur la plage arrière.

Le bidel, le capitaine d’arme, me donnait de temps en temps des documents à taper ainsi que le secrétariat du commandant.

J’y passais aussi mes loisirs, loin des parties de cartes du poste d’équipage enfumé, en étudiant, la marine me payait mes cours par correspondance, en écrivant chaque jour à Marlyse ce que voyais, ce que je ressentais ce qui offre, à ce jour, une source inestimable pour la rédaction de ces billets, en écrivant aussi des poèmes et mon ami Pascal, l’animateur du bord, me fit l’honneur d’en dire un à Radio Rivière.

La prévision des quarts de la machine m’incombait. Je m’occupais des approvisionnements en huiles, gasoil et divers consommables et chaque matin je sondais les différentes caisses, calculais les consommations que je portais ensuite, en passerelle, au commandant.

J’avais en charge la stabilité du navire, en corrigeant par des transferts de liquides dans les différentes caisses l’inclinaison du navire, pour optimiser notre consommation de gasoil et facilité sa tenue de route. On me voyait ainsi courir d’un bout à l’autre du navire, démarrant une pompe, ouvrant et fermant des vannes. Souvent en mer, j’opérais ces manœuvres de nuit. Deux sondes de niveaux se trouvaient juste à la porte du commandant en second à l’arrière du bâtiment et très souvent il ouvrait sa porte en me disant :

« Vous travaillez encore !

– J’ai presque terminé mes transferts Commandant » lui répondais-je

Ces excès de zèle et le fait que j’étais très occupé me permettaient d’être totalement dispensé de quart, des corvées habituelles de l’équipage, souvent exempt de permissionnaire ce qui était important en escale car je pouvais alors sortir comme bon me semblait. J’étais de toutes les excursions. Seul le lever des couleurs était obligatoire.

L’inspection,

Lors des appareillages ou accostages nous étions tous réunis dans le PC sécurité: le maître principal, le maître et quartier-maître sécurité et moi. Là, nous étions condamnés à une certaine inaction.

C’était le moment où le maître principal faisait « mon éducation », selon ses dires, cela se bornait à raconter ses différentes aventures et soirées mémorables lors de ses escales. Nous riions beaucoup. La décence veut que je ne rapporte pas ses propos dans ces billets mais je me souviens d’une petite histoire fort intéressante.

Cela se passait à l’Ecole des Apprentis Mécaniciens de la Flotte à Saint-Mandrier. L’école recrutait des apprentis très jeunes.

L’ensemble des nouvelles recrues était aligné pour l’inspection du commandant.

Lorsque le Commandant s’arrêtait à un mètre devant chaque apprenti, le jeune marin, martialement, devait se présenter par son nom et sa spécialisation d’une voix forte et claire.

«untel – matelot mécanicien »

«untel – matelot mécanicien »

Tout se passait bien jusqu’à ce qu’un matelot plus timide et impressionné par tout ce déploiement émit quelques sons inaudibles.

« Matelot présentez-vous ! Je n’entends rien ! » Demanda d’une voix forte le Commandant

Le jeune, les joues rouges, tétanisé, essaya de balbutier quelque chose.

C’est alors que le commandant se pencha vers lui, tendit son oreille au plus près de sa bouche et notre jeune matelot… déposa un chaleureux bisou sur sa joue.

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